Détruire la peinture par l'écriture
1ère partie

MOOC "L'art moderne et contemporain en 5 Gestes"

Le Centre Pompidou et l'Université du Québec à Montréal (UQÀM) ont proposé le même atelier d'écriture à deux groupes d'amateurs d'art contemporain : les premiers participent au MOOC "L'art moderne et contemporain en 5 gestes". Les seconds sont étudiants à l'UQÀM. 
Voici une sélection de leurs textes.

Consigne de l'atelier, telle que présentée dans le MOOC.

De nombreux artistes modernes et contemporains se sont employés à détruire des idées, une conception de l’art, des représentations, des matériaux et supports… dans leurs œuvres.

Comment recevez-vous ces œuvres « destructrices » ? Que pouvez-vous en dire ? Provoquent-elles chez vous l’envie de détruire aussi ?

Parlons-en, dans cet atelier d’écriture !

Voici les deux œuvres qui serviront de point de départ à votre travail d’écriture :

Examinez soigneusement ces œuvres et choisissez-en une. Vous allez la commenter, l'interpréter ou même la mettre en scène dans votre texte.

Choisissez maintenant l’une des propositions d’écriture suivante :

Fiction - Imaginez une histoire dans laquelle l’œuvre est physiquement détruite.

Fiction - Ecrivez (à la première personne) ce que pourrait penser et ressentir un personnage devant cette œuvre, alors qu’il vient lui-même de subir un événement grave et se sent « détruit ».

Commentaire- Décrivez ce que l’artiste a, selon vous, souhaité détruire en réalisant cette œuvre.

Exercice formel - Commentez l’œuvre choisie en « détruisant » la structure ou la forme de la langue (mots manquants, effacements, juxtapositions inattendues, etc.).

Enfin, mettez-vous à l’ouvrage… N’hésitez pas à réaliser plusieurs essais d’écriture avant de poster un texte dont vous serez satisfait(e) et souhaitez partager.

Dans la mesure du possible, votre texte comptera de… 1 à 250 mots. Evitez les textes fleuves qui seraient difficiles à lire et exploiter dans leur intégralité.

Deux solutions pour poster votre texte :

Directement dans le corps du message, si son aspect formel n’a pas d’importance particulière ;En pièce jointe à votre message, si vous avez travaillé la forme (proposition 4, insertion d’images dans le texte…).

N’oubliez pas de préciser la proposition d’écriture que vous avez retenue.

Et bien sûr, lisez et commentez les textes produits par les autres participants, avant ou après avoir écrit votre propre texte.

Dans cette première partie, les textes écrits à partir de l'oeuvre de Lucio Fontana,
Concetto Spaziale, la fine di Dio. 

Est-ce qu'elle a aussi mal que moi ? Non bien sûr, elle ne sent rien. Alors pourquoi elle est rouge ? Rouge comme le sang qui a coulé quand j’ai eu cet accident…………….le trou dans mon bras. Je suis comme elle, ronde, rouge et trouée. Je ne suis plus rien, comme elle  et pourtant elle, on l’admire. On la met en valeur, on l’expose. Moi, je me suis retrouvée seule, seule survivante de ce putain d’accident. Elle aussi, elle est seule sur son mur blanc. Elle s’accroche à son mur comme moi à la vie. Nous sommes deux œuvres d’art détruites par un artiste, par un accident. Ou alors nous ne sommes plus rien, elle, on ne la jette pas elle fait partie des œuvres de Fontana, moi on ne me jette pas parce que je suis Humaine, on ne jette pas les humains abîmés, on les laisse s'accrocher à la vie comme on la laisse s'accrocher à son mur. (Sophie)

Oeuf. Rose.

Espace clos. Couleur chaude.

Naissance. Féminin.

Futur. Conformiste.

Mais qu'y a-t-il derrière ?

En perçant l'image de l'oeuf rose clos et chaud, annonce d'une naissance au féminin dans un futur conformiste, l'artiste a, selon moi, détruit ces notions bien ancrées dans notre inconscient, pour faire apparaître le mur blanc - vide - rien - néant - qui se trouve derrière.

En quelque sorte une invitation à regarder au-delà des apparences... (Nicole)

***

Je suis lacérée, trouée.

Mon corps-mutilé.

Ma chair-arrachée.

Mes souffrances-béantes.

Mes douleurs-cinglantes.

et ma langue mitraillée ne peut dire, sans siffler. 

(Karine)

***

En naissant on ne m'avait pas dit que j’allais détruire.

Je ne savais pas qu'aimer sans carré couperait au centre je croyais que l’amour se faisait toujours en cercles.

Je ne savais pas qu’ouvrir le temps le briserait

Je croyais vraiment que c’est en le coupant qu’on le créait.

Depuis mardi tu n’habites plus mes nuits

Tu ne suspends plus tes vacances pour mes élans tu n'as plus à te plier à mes pentures

T’obliger à comprendre quand je parle de non-opinions d’étiquettes invisibles et de clôtures qui n'en sont pas

Tu n’as plus à travailler aux ponts, tu peux faire des points tu peux faire tes muscles enfin ça va, tu peux être en paix de moi.

Plus à nous regarder naître et renaître et mourir encore, comme j’aime que tu le fasses. Plus à te baigner dans le profond, comme j’exige que nous le fassions

« Exige » aura toujours ta voix fatiguée.

On ne m’avait pas dit qu’en ouvrant les lèvres je t’arracherais un bras, que tu ne saurais pas comment vivre avec le seul qui reste, qu’il tremblerait autant en tenant ma voix au bout des doigts, qu’il te faudrait utiliser une jambe pour ramasser tous les mots que le bras que tu n’as plus aurait laissés tomber près de tes pieds qui par ma faute disparaissent encore.

On ne m’avait pas dit

Que même tes orteils brûleraient

Qu’il y aurait assez de place pour trente pour cent de culpabilité dans mon cœur-cuillère

Le gâteau que je fouette depuis onze ans goûte sucré d’un bord le feu sur le côté.

Les mois ont craqué au centre de nous tu ne savais plus où accrocher ton linge de sport

Comment manger la pastèque le matin où placer tes coudes quand tes mains accueillaient mes seins

Comment créer des coupoles dans ton désir, des calebasses qui ne me blessent pas

Tu ne savais plus comment être assez, c'est ma faute, mon cœur est un ogre.

Mon cœur est la partie louche du rond

Dangereuse et immense

Avec presque rien que la fièvre de connaître au centre

Tu es parti et depuis ton silence me demande sans arrêt comment prendre une fièvre entre deux mains

Surtout avec un seul bras, han.

À l’équilibre de l’été tu dis rupture

Ça inonde la chambre la saison m’hydrate

Tu dis rupture et c’est un bateau en Méditerranée, un trait quand j’ondule, une cruche qui lâche.

On ne m’avait pas dit qui nous prévient que notre cœur meurt tranquillement de faim
Qui nous explique qu’en revivant il fracasse comment j’aurais pu savoir que mes contours disloqueraient, que manger tout à fait manger l’amour te briserait. Comment j’aurais pu savoir, mon cœur, qu’en existant au complet, je te crierais tout le temps après.

Tu es parti j'attendais de voir pour les ressacs mais mon corps n'a pas bougé vers le centre du lit

Le flou flotte dans les draps j'ai remisé la brosse à dents de bambou dans le creux de mon épaule

Tiré la couette de mon cœur mon cœur fatigué mon cœur éperdu mon cœur confis

Mon cœur-océan mon cœur qui ne rentre plus à la rivière

Je déborde

Je n'ai pas peur j'ai des trous

Que je trace du bout de l'index, je veux connaître cette absence.

L’été n’arrête plus de ne pas finir je ne sais plus comment le divan du monde je n’ai que des chaises et des tapis de sol mâchés

On ne m’avait pas dit qu’il faudrait se coucher pour rentrer dans les coutures je déchire sans arrêt mes besoins sont des bombes les rubans me pètent entre les doigts je t’installe des boules dans le ventre excuse-moi je ne sais plus le courage doucement

Ce n’est pas le courage c’est la survie et ma survie te détruit.

Pour guérir

Tu installes des piqueries de ton bord tu roules des kirtans à vélo dans Montréal

Pour guérir

Je porte ma jupe tout près de mes seins nus je vais camper dans les creux de l’Espagne

Tu es parti par la ruelle depuis j'ai envie de faire l'amour de ma gorge, je ne connais pas encore l’autre corps il s'insérerait entre mes branchies, je deviendrais un poisson sur l'autoroute

Un poisson qui vit à l'air

Je ne savais pas

Qu’en naissant j’irais détruire

D’espace

Bientôt je prolongerai le plein centre du monde et une erreur dira tout

You are killing him but its not your fold.

Tu es parti et depuis des petits spots de lumière me poussent entre les côtes

Entre la peur d’empiéter et la drogue des terrains vagues quelque chose danse

Tu es parti par la ruelle qui a vu naître nos chats et depuis l'inconnu m'encense

Je nourris les ratons laveurs avec les croquettes de poulet j’achète de l'espace supplémentaire j'ai les fonds pour ça

Je ne veux pas aller à la conclusion mais tu t'absentes et je rêve aux champs de miels assez grands pour me prendre tu t'absentes pour peut-être toujours je te porte comme une seringue à épipen dans mes fractures qui guérissent peu importe l’écartèlement

Je ne rétrécirai pas.

(Catherine Anne, UQÀM)

Éléonore s'était arrêtée devant la toile. La première fois, elle ne l’avait pas remarquée. Elle avait tourné longtemps dans le musée ; avait fait deux fois le tour de cet étage en longeant les fenêtres. On voyait bien la ville du cinquième. Elle se sentait lourde et gauche. Ses vêtements étaient trempés, ils lui collaient au corps et la ralentissaient dans ses mouvements. Il y avait de ces matins, comme celui-là, où Éléonore ne se réveillait jamais vraiment.

Il avait cessé de pleuvoir le temps qu’elle tourne en rond. Le ciel s’était vidé de tout nuage et le soleil s’était montré, éclatant. Ses rayons puissants se reflétaient sur les toits de tôle des immeubles autour, aveuglant Éléonore. Les muscles de son visage étaient contractés : ses sourcils, froncés ; ses mâchoires et ses dents, crispées. Quand elle ouvrait la bouche, une odeur rance, de renfermé s’en échappait, si bien qu’elle la refermait aussitôt. Elle n’avait pas de menthe ni de gomme, ni l’envie de sortir en acheter. Plusieurs fois, elle avait emprunté le grand escalier en verre, s’était promenée dans le bâtiment, d’un étage à l’autre, comme un ver creuse ses galeries souterraines.

Elle regardait l’œuvre et voyait sa peau, sentait l’épaisseur de sa peau, grise, parcourue de rides et de vergetures. Les longues traces rougeâtres rayaient son ventre et ses seins, encore, même si les enfants qu’elle avait portés, neuf mois durant, n’étaient plus vivants quand ils sont nés. C’était à cause du soleil, les rides. Même s’il n’arrivait plus à hâler sa peau, verte, il avait réussi à creuser ses tranchées aux coins des yeux d’Éléonore, au milieu de son front, autour de sa bouche, avant que la tristesse et la fatigue ne ravinent complètement son visage. Le soleil, durant tous ces étés à cueillir des fruits dans les champs, à travailler sur des fermes, la poussière et le foin accumulés au fond des stalles avaient asséché sa peau, l’avaient tailladée. La toile aussi, une sculpture, était entaillée ; avait été criblée de coups, poignardée ; et les perforations et les replis sur la peau et dans le ventre d’Éléonore formaient dans son regard, maintenant, une sorte de bouillonnement.

Exilée, de l’autre côté d’un océan, elle avait d’abord pensé à ceux qui l’avait quittée, puis à ceux qu’elle avait quittés. Elle avait pensé à toutes les fois où, avec sa mère et ses deux sœurs, elles étaient allées au bord de cet océan qui les sépare maintenant. Elles y allaient depuis toujours : Madeleine – assez vieille pour se le rappeler – lui avait même dit qu’ils y allaient aussi avant, quand ils étaient encore une famille. De ces fois-là, Éléonore ne gardait aucun souvenir, et les fois dont elle se souvenait lui semblaient compressées. Tous les étés en un seul ; le homard qu’elles mangeaient près du quai de roches qui s’avançait dans la mer, toujours le même. Un seul souvenir informe.

Éléonore se tenait devant la toile, comme si elle avait été un oiseau volant contre le vent, immobile au-dessus de la mer. Elle planait, captivée, regardait l’écume se former et disparaître sur la grève. Les rigoles, les trous se creuser dans le sable mouillé quand l’eau se retire. Éléonore se prit à penser qu’un jour ils s’étaient tenus tous les cinq, petites entailles sur la plage, droits devant le tumulte de l’eau, des vagues, et qu’elle les survolait à présent, la tête pleine de ses enfants que son ventre avait vu mourir.

La veille, Éléonore apprenait la mort d’Anne, une philosophe qui portait le même nom que sa cousine, s’était-elle dit, celui de sainte Anne, aussi. Elle avait lu deux de ses livres : un sur le sacrifice, l’autre sur le risque. Anne est morte en sauvant des enfants de la noyade. Anne est morte ; les enfants sont vivants. Au niveau des yeux d’Éléonore s’étendait, horizontale sur la toile, une large fente. La lame avait dû elle-même être large ; ou le coup, violent ; le couteau, enfoncé profondément à travers le tissu tendu jusqu’à la base du manche. La blessure mortelle, certainement, s’était dit Éléonore. Le coup qui avait causé la mort, s’était-elle encore dit en pensant à Anne.

Elle ne pouvait plus détourner ses yeux de l’entaille – sa propre blessure –, du noir qui prenait toute la place entre les replis bordant le trou : la matière avait été relevée par le mouvement brusque qui avait arraché l’arme à la plaie. Son corps s’approchait à mesure que sa curiosité grandissait. Qu’est-ce qui se cachait sous la blessure? Qu’est-ce qui se cachait au-delà de la matière et de l’action, des cadavres et des coups qui leur ont été fatals? Qu’est-ce qui se cachait au-delà de la mort? Il y avait longtemps qu’Éléonore avait besoin de savoir. Elle avait pensé qu’elle ne saurait jamais. Mais cette philosophe était morte, et Éléonore s’était retrouvée dans ce musée, ses vêtements trempés sur son corps à quelques centimètres de l’objet ; et elle s’était dit que, peut-être, elle pourrait savoir.

En approchant son index de la plaie, elle s’était dit qu’elle le pouvait, et elle l’avait touchée – froide, humide, même. Elle avait glissé son doigt sur les bords irréguliers du trou, puis l’avait introduit doucement dedans. Le bout seulement d’abord, puis jusqu’à ce que le doigt disparaisse complètement, et que les contours du trou épousent les contours du doigt. Il n’y avait rien en dessous. Rien qui puisse se toucher, avait-elle pensé. Éléonore avait alors forcé son doigt sur la toile pour agrandir le trou, pour qu’apparaisse enfin ce qu’elle cherchait depuis si longtemps. Depuis que son ventre s’était déchiré comme la toile se déchirait maintenant entre ses mains.

Quand il n’est plus resté que des lambeaux, Éléonore s’est arrêtée, haletante. Rien ne se trouvait derrière, qu’un espace vide entre le châssis et le mur. Pas de sang, d’eau salée, pas de réponse non plus, ne sortait de la plaie béante. Éléonore est restée là : elle fixait le vide, ne sentait rien. Que son souffle qui, avec l’effort, s’était accéléré, avait été projeté et flottait, amer, autour de sa tête.

(Marie, UQÀM)

J'étais rose...rose ©Barbie, rose guimauve, rose barbe à papa, rose quoi!
Et puis un jour... Percé à jour, étalé sur la place publique, troué de toute part, mutilé...
Toujours rose, mais plus tout à fait rose.
Plaies béantes, les blancs de ma vie saccagée sur le mur, agonisant, écrasé...
Musée des horreurs, effraction, diffraction, pénétration... 
Détruire, dit-elle...* 
Détruire, dit-il. 
*(Marguerite Duras / éditions de Minuit)
(Carol)

OUF

UN ŒUF

FOU

COMME UNE NEF

PAR LE FOND

PERCE(E)

A JOUR

COULA

DES JOURS

HEUREUX

ET FUT

TU(E)

(Laure)

***

Ce sont tes glaces qui se brisent à chaque nœud. La cabine est froide, tu n'y sortiras que de nuit, pendant le sommeil de l'équipage. Quelle différence entre le ciel et le large? Les jours polaires t'empêchent de coucher des contrastes sur le blanc des icebergs figés, la mer, le ciel. Tu sais que cela est un mensonge, que tout n'est pas qu'immaculé. La fuite s'exergue à ta présence et ajoute des regards à ceux pour ton corps de femme.

On t'interpelle sur le pont pour te tendre un thermos. Tu te fais discrète, ta présence intrigue plus que dérange. C'est une ponce, tu le remercies et t'éloignes vers l'arrière du bateau, t'assurer du chemin parcouru dans la banquise. Le sillon t'obsède. Penchée sur la rambarde, tu sais la température de l'eau. La mer noire, libérée; seul mouvement qui rappelle la vie, la fin. Les matelots n'auraient qu'une minute pour te sauver, cela te laisse beaucoup de chance.

***

Clara mange un popsicle au chocolat. Tu parles trop, le tien fond entre tes doigts et tu abandonnes le combat de la chaleur sur la crème glacée. Clara s'en occupe, prend tes doigts et les met dans sa bouche. Léchant consciencieusement, bien plus qu'il n'en faut, remontant sur tes poignets, tes épaules, ton cou puis ta bouche. Une odeur de crème solaire et de sueur te parvient. Clara se lève, du sable est resté collé à ses cuisses et ses fesses. Elle se dirige vers la mer pour s'y baigner une énième fois. Tu attends de la voir disparaitre dans les vagues pour t'étendre sur la serviette, un livre à la main.

On va faire un tour? Il y a des saltimbanques là-bas, dit Clara, te réveillant d'une sieste qui t'avait emportée par surprise. Elle a un drôle d'air, tu ne lui poses pas de questions, tu connais son mutisme. Elle finira par te le dire. Ses cheveux mouillés remontés sur le dessus de sa tête dégagent sa nuque déjà perlée de sueur. Les cracheurs de feu sur échasses ajoutent aux brulants du soleil de Provincetown. Un petit groupe s'agglomère autour de vous pour profiter du spectacle. Il y a trop de monde, tu t'éloignes un peu et t'assois sur les marches d'une église. Clara sort de la foule, anxieuse, te cherche du regard. T'étais où, dis-moi-le quand tu t'en vas, te lance-t-elle, je m'inquiétais, y'avait plein de monde pis j'te trouvais pas. Ben voyons Clara, j'étais juste à 100 mètres de toi, capote pas. Qu'est-ce que t'as coudonc? J'ai rien, je voulais juste... Son visage tombe, laissant la phrase en suspens, son regard fixe quelque chose au-dessus de ton épaule, tu viens pour te retourner, mais elle recommence à parler, trop rapidement, te prends la main. Allez viens, on rentre, j'ai chaud. Dos à elle, tu te retournes et vois un homme s'éloigner d'où tu étais assise.

***

Il manque de ciel à crever. La lumière constante du jour te fatigue, tu voudrais l'éteindre et disparaitre. Ton corps toujours à la vue te dérange. Tu aimes le calme de la nuit et les ombres qui avertissent son arrivée. Le brise-glace avance tranquillement. Au loin, pour la première fois depuis plusieurs jours, quelque chose altère le paysage. Rouge. La blancheur de l'éclat a maintenant la couleur du sang. Ce sont les chasseurs qui sont passés par là, seules restent les traces d'anémie dans la neige. Clara.

***

Clara aime faire la sieste en après-midi sur le bord de la mer. Elle trouve une pierre assez grande et réchauffée par le soleil, se déshabille, se baigne et nue, s'endort. Chaque jour, la même routine pendant que toi tu lis. Assise sur le balcon de l'hôtel, tu attends de la voir apparaitre au bout de la rue avec sa robe bleue et son chapeau de paille; impressionnisme sans tournesols. Clara serait belle à peindre. Tu regardes le coucher du soleil teinter de rouge les nuages, tu regardes ta montre. Il est tard, où est Clara?

***

Tu te cognes, te frappes, te punis, le poing levé que tu abaisses sur tes cuisses te soulage. La douleur te rapproche de Clara. Dans ton trousseau de pharmacie, la lame de rasoir que tu as demandée à l'homme qui nettoie le pont la nuit te permettra de châtier tes remords. Aussi facilement que si tu étais faite de glaise. Sur tes avant-bras, tu fais des trous dans ta peau et scarifies des lignes perpendiculaires, comme ceux sur les seins de Clara retrouvée.

***

Le rouge est un mauvais présage. Tu aurais dû te méfier. La promenade du bord de mer est déserte, le sable brulant. La chaleur t'oppresse, mais ne t'empêche pas de presser le pas de panique. Où est Clara? Enfin, les rochers percent tes yeux à l'angle de la plage, là où Clara a l'habitude de somnoler. Tu accélères et cours maintenant. Ce que tu vois d'abord, ce sont ses vêtements pliés sur une pierre. Déjà, cette robe attache des fils invisibles à ce matin, hier et les jours à venir, déjà le rouge présageait le pire. Tu le ressens à l'absence qui te pèse. Quelque chose a chassé l'image de Clara, une ligne perdue d’horizon.

Le corps de Clara est plus loin, sur le sable. Tu avances sans savoir si tu pleures ou tu cries. La marée remonte et fait vaguer son corps. L'eau déjà commence à nettoyer le sang sur la plage. La tête et le visage de Clara, tu les prends et les déposes sur tes genoux. Avec les vagues, tu laves le sable et le sang dans ses cheveux, des marques entaillent la peau lisse de Clara. Un à un, tu enlèves tes vêtements que tu déposes aux côtés des siens, prends et portes le corps de Clara jusqu'à la mer où tu t'enfonces avec elle.

(Eloïse)

CEllule 
Une cellule isolée dans un monde lyophilisé.  
Elle s'épanche, tente de s'échapper... 
Dans ces conditions générer de nouvelles cellules semble compliqué.  
L'Homme en est remis à demain... qu'est ce qui l'attend?  
Un océan de plénitude jusqu'à l'extinction.
(Margot)

Désolé Votre Honneur,

Mon bavard m'a affranchi que c’est sur la descente de lit que vous chougnez. Si j’avais su qu’vous y teniez tant, sûr que la Maryline j’l’aurai enroulée dans la couette. J’ai eu peur des plumes, voilà.

Enfin, j’y dis Maryline, mais elle s’appelait Josette. Maryline, c’était pour faire chic, c’est comme le rose, tiens, elle en mettait partout.

Pourquoi le surin ? Son Honneur a oublié qu’elle m’a chouravé mon feu la dernière fois qu’on s’est vus. C’est sûr qu’avec un flingue j’aurais moins salopé l’torchon.

Fontana, vous dîtes ? D’la bande à Borsalino ? J’savais bien qu’elle trainait avec des gars pas nets, la salope.

J’comprends bien qu’on va plus pouvoir en faire grand-chose de la carpette mais tiens, j’ai gambergé. J’vais pas vous en faire une tartine. Une pelure rose ? j’vous en achète une autre. Toute neuve qu’elle sera, parce ce que, c’est pas pour ergoter, mais des trous y en avait déjà, vu que ma bourgeoise c’était pas exactement la fée du logis. Tiens le gros, là, au centre, ça serait pas plutôt un trou de mégot ? Et puis des mites aussi, y en avait. Même qu’elles m’ont boulotté le pull que ma pauvre vieille maman m’avait tricoté pour Noël et qu’j’étais pas jouasse quand je l’ai vu. S’est pris une gueulante et un aller-retour ce jour-là, la Maryline, elle l’avait bien cherché.

(Jocelyne)

Troux ...des troux  ô  
Des bals ...troux de balles?! ou troux de mé moires ...j'en ses plus  
Des bléssures dans man coeur .....trahir ...mentir ... 
des trasse...mes pêchés ...mon image...dans vos têtes   
Ou des fotes dans mon pôème ?! ô 
N'importe
(Nihed)

- Bon les enfants, soyez sages, je dois aller un moment chez la couturière d'à côté pour un essayage.

- Nous aussi ont fait des habits pour la poupée Bella.

La porte claque et les enfants poursuivent leur jeu.

- On pourrait faire une traîne de princesse.

- D'accord on dirait que c'est pour aller au bal. On lui met ses beaux talons aiguilles roses.

- Regarde, comme piste de danse on va prendre ça.

- Non, c'est à papa il aime pas quand on touche à ses affaires.

- T'es qu'une peureuse! Tu vois, ça rebondit bien comme le tambour de Jeremy.

La poupée Bella portée par des petites mains grassouillettes bondit d'un bout à l'autre de la toile tendue.

- Les invités du royaume ne vont pas tarder à arriver.

- Attends tu va voir.

Linda disparaît un instant et revient chaussée d'escarpins bien trop grands pour elle.

- On va se faire disputer!

- Et voilà, comme c'est drôle, un deux trois tic! un deux trois tac!


Linda danse sur la piste improvisée, et perfore la toile à chaque coup de talon.

- Laisse-moi essayer!

- Sûrement pas, tu es trop petite!

- Je vais le dire à maman!

- Après tout, vas-y je suis sûre que tu n'arriveras pas à faire des trous aussi jolis que les miens.

Myriam enfile rapidement les escarpins avant que sa soeur ne change d'avis, et saute à son tour sur la toile tendue.

- Ha! tu vois bien que j'y arrive. Et tic tic tac et tac tic tic. Hi hi hi, c'est amusant!

La clé tourne dans la serrure. Les fillettes ont juste le temps de glisser les escarpins dans le coffre à jouets et de redresser la toile contre le mur.

- J'espère que vous avez été sages.

La mère jète un coup d'oeil dans la pièce et ne remarquant rien de particulier se dirige satisfaite vers la cuisine.

- C'est l'heure du goûter!

Les fillettes crient de joie et sortent de la pièce en se bousculant sans un regard pour la piste de danse de Bella à présent constellée de trous.

(Marie-Pierre)

***



Retrouvez les textes écrits à partir de l’œuvre de Francis Picabia dans la deuxième partie de ce recueil : https://social.shorthand.com/MoocCulture/jggI164bVu/detruire-la-peinture-par-lecriture-2eme-partie

Nous n'avons pas pu intégrer tous les textes réalisés lors de cet atelier d'écriture.

Nous remercions chaleureusement tous les participants qui ont exploré les connexions entre peinture et écriture, des deux côtés de l'Atlantique.

***

Le MOOC "L'art moderne et contemporain en 5 gestes" est une production de la Fondation Orange et du Centre Pompidou.

Pour vous inscrire (jusqu'au 14 janvier 2018), c'est par ici !