"Les jeunes ne veulent plus s'engager"

Luca Mozzachiodi, 25 ans, est l'un des fondateurs de l'organisation alternative bolonaise Venti Pietre. Rencontre.

Engagé, poète et militant antifasciste, Luca Mozzachiodi veut réveiller la conscience politique de Bologne, autrefois bastion du communisme italien. Actuellement en doctorat, il a notamment écrit une thèse sur Franco Fortini, homme de lettre, journaliste de référence de la gauche italienne et collaborateur de la revue politique Il Manifesto. Il y a trois ans, Mozzachiodi participe à la création de l'organisation Venti Pietre, laboratoire d'idées de la politique alternative. L'objectif : augmenter la conscience civique et citoyenne. Le samedi 12 mai 2018 lors d'une rencontre d'organisations autogérées, Venti Pietre avait invité des représentants de toute l'Italie et du parti espagnol Podemos. 

Vous avez créé, aux côtés d'autres Bolonais, l'organisation Venti Pietre en 2015, pourquoi ?

À la base, nous recherchions un lieu pour nous retrouver et parler des élections européennes de 2015, car notre but était de pousser la gauche, du parti communiste au Parti Socialiste Italien (PSI) à s'intéresser davantage aux questions sociales. Nous avons fini par trouver un accord avec le propriétaire de bureaux laissés à l'abandon. Il nous a permis d'occuper les locaux.

Quels sont les projets que l'organisation mène ?

Il n'existe pas de projets spécifiques de Venti Pietre, mais notre espace est fait pour accueillir des associations qui ont besoin d'un endroit pour exister. Il y en a actuellement 35 chez nous. Par exemple, on peut trouver une association venant en aide aux migrants ou un groupe de discussion politique car c'est aussi un espace pour accueillir des personnes qui veulent faire des débats, organiser des conférences... La seule règle pour pouvoir entrer dans l'organisation c'est d'être antifasciste.

Comment trouvez-vous les financements pour vos activités ?

Une partie du financement provient du loyer payé par les associations qui occupent les lieux mais c'est plus symbolique qu'autre chose, entre 3 et 5 euros. Une autre partie vient d'un bar qu'on a là-bas, c'est la plus grosse source de revenues de l'organisation.

Est-ce que votre organisation soutient un parti politique ?

Non, notre but n'est pas de soutenir un parti politique ou de suivre la mouvance d'un parti. Venti Pietre ne cherche pas à faire de la politique, même si selon nous, la politique est partout. C'est juste qu'avec notre organisation, on pense que la politique ne se fait pas seulement dans les urnes mais elle se fait surtout dans la rue et cela passe par les initiatives sociales que nos associations mènent.

Mai 68, les jeunes italiens sortent dans les rues lors des grandes contestations sociales qui secouent le pays. 

Interview de Valerio Rambaldi, figure emblématique des luttes ouvrières de la fin des années 60, membre de Venti Pietre

On surnomme Bologne "la Rossa", que reste-t-il aujourd'hui de cette appellation ?

Il n'y a plus de Bologna Rossa. Je vis à Bologne depuis 2011 et j'ai vu la ville changer. Avant, c'était une ville plus sociale, marquée par son passé politique, un bastion de gauche et des communistes. Aujourd'hui, elle est plus touristique. Par exemple, les loyers augmentent et les Bolonais préfèrent louer leurs appartements sur Airbnb plutôt qu'à des étudiants, obligés de partir en périphérie. En plus de cela, la mairie a une politique plus centrée sur la confrontation que la conciliation. Au fond, je pense que Bologne a peur de perdre son image de belle ville. De ce fait, les politiques sont plus réactionnaires qu'avant, c'est un mécanisme de défense.

Considérez-vous que l'engagement est le même qu'avant ? Chez les jeunes particulièrement ?

Absolument pas. Et c'est un problème. Notre génération, les jeunes d'aujourd'hui, ne veulent plus s'engager. C'est problématique parce que au lieu de s'unir, nous sommes toujours les uns contre les autres. Pour moi, il faut briser ce projet idéologique. Mais il y a très peu d'engagement en Italie en général. Moins qu'en France ou en Espagne par exemple. J'ai l'espoir que cela change, que les étrangers qui viennent chez nous ramènent cette contestation avec eux. C'est la seule manière pour que les choses changent.

Quelle est votre opinion sur la situation politique italienne ?

Pour moi, l'Italie a échoué sur le plan politique, culturel et social. Et cela parce qu'elle a le désir de se mettre au même niveau que d'autres puissances européennes. Sauf que ce n'est pas possible. Notre classe politique n'a pas la force de diriger le pays. Le parlement doit représenter l'exigence démocratique des citoyens. Mais les partis ne trouvent pas d'accord. Et ces forces politiques qui sont censées nous représenter ne nous représentent pas, elles sont trop loin de la réalité des choses.

Vous qui êtes aussi poète, cherchez vous à refléter votre engagement politique dans votre art ?

C'est important de faire une poésie sur notre vision du monde, son histoire. Ma poésie est une réflexion sur le monde, sur la société. Ce n'est pas une arme révolutionnaire, elle n'a pas l'objectif de créer forcément un changement. Mais toutes les oeuvres d'art sont de facto engagées.

Propos recueillis par Lucie Carbajal et Victor Lengronne