La ville qui ne veut
pas mourir

Le Creusot

Autre lieu, autre crise. Elle est passée au Creusot il y a bien longtemps. Mais personne ne l’a oubliée. Le Creusot, baptisée ville-entreprise depuis les années quatre-vingt, un des rares fleurons industriels de la Bourgogne, coincé dans une cuvette cachée sous l'aile des sapins, en bordure des collines. Demain, le bassin sera mis en concurrence avec Montbéliard-Belfort, le poids-lourd de Franche-Comté : près de 30.000 emplois industriels.

« Je me suis battu des années pour qu’on arrête de dire que la Bourgogne c’est que de la bouffe, du vin et des basiliques : c’est aussi de l’industrie », martèle André Billardon.

D’une manière ou d’une autre, André Billardon est élu du Creusot depuis 1978. Depuis « la nuit des temps », en fait. Député, président du conseil général, régional, ministre délégué à l’énergie. Maire de la commune depuis vingt-cinq ans, le socialiste a résisté à la vague bleue en mars 2014. Il est encore installé à la table de réunion de son bureau de l’hôtel de ville pour raconter le grand Traumatisme du Creusot : le dépôt de bilan de Creusot-Loire, et la perte de 5.000 emplois.

La chute de Creusot-Loire, la chute du Creusot tout court. Tout la ville est industrie. L’hôpital, les écoles, les commerces. Les gens du coin parlaient de l’Usine, avec un grand U : la société Schneider, devenue Creusot-Loire. Jusqu’à 13.000 emplois dans les années cinquante. L’arrivée de la concurrence après la Seconde Guerre mondiale a rebattu les cartes. L’Usine n’a pas résisté. Alors, fin 1984, sans Creusot-Loire, que restait-il de l’identité du Creusot ?

«  Le traumatisme a forgé
notre capacité à s'unir »
Dans les locaux de Turbine Casting. Photo : Jérémie Fulleringer

« Nous nous sommes posés la question », dit aujourd'hui André Billardon. Le Creusot, ce cul de sac sans arrière pays. Sans potentiel pour faire marcher une industrie tertiaire et des PME, « formule utilisée dans la quasi-totalité des villes moyennes qui ont tenté de se relever de la casse industrielle », analyse André Billardon. Quitte à passer pour « des vieux ringards du XIXe siècle », il a misé, avec les élus de l’époque, sur la réindustrialisation du Creusot. Aujourd'hui, « le site industriel a retrouvé le même nombre d’emplois : 5.000 ». L'équivalent d’un emploi sur deux au Creusot.

Areva, Alstom, Arcelor-Mittal… De nombreux grands groupes ont choisi Le Creusot, et y ont même développé leurs centres de recherches. Attirés par la revente par appartement de Creusot-Loire dans les années 90, ils n’ont jamais plus quitté la bassin. « Le traumatisme a forgé notre capacité à s’unir pour tous tirer dans le même sens. Chacun à sa place, élus, patrons, syndicats… Mais toujours pour l’intérêt général ».

Le Creusot, pourtant, n’a plus jamais retrouvé le même visage. Ville essentiellement ouvrière, elle est aujourd’hui un bastion d’ingénieurs et de cadres sup'. Les grandes enseignes commerciales ont accompagné le changement dans des zones d’activités périphériques. Le cœur de ville n’a pas suivi le rythme. « Particulièrement les logements : c’est le grand enjeu du Creusot. Mais réussir ce challenge prendra trente ou quarante ans », prédit son maire. 

C’est vrai que trouver « des appartements sympas pour un cadre ou des lieux pour boire un verre avec un client, c’est mission quasi-impossible », reconnaît Sylvain Gien. Alors « beaucoup d'entre eux vont vivre ailleurs. À Mâcon ou à Montceau » Sans la gare TGV à Montchanin, « peut-être que toutes les usines ne seraient plus là », analyse le chef d'entreprise. Lui est né ici. « Comme tout le monde », il a été viré quand Howmet a quitté le Creusot. L’Américain a fermé ses portes début 2002 en laissant 500 personnes sur le carreau.

« Tout le monde est vraiment dédié au boulot »

Il est aujourd'hui directeur de Turbine Casting, 80 salariés et
15 millions d’euros de chiffre d'affaires
, née sur les ruines d'Howmet. « Ça montre l’esprit qui prévaut ici, glisse Sylvain Gien. Malgré la casse, on reconstruit.»
Spécialiste de la fonderie de précision et de la technique de la cire perdue, Turbine Casting vend ses pièces en alliage de métaux 100% à l’export. Aux États-Unis, en Inde, en Europe. Ce savoir-faire, les gens d’ici « en sont fiers. La plupart des salariés sont passés par Howmet. Aujourd’hui, ils ne veulent plus revoir ça. Tout le monde est vraiment dédié au boulot ». Aux premières loges de l’effondrement de Creusot-Loire quand il était lycéen, passé par Areva, Sylvain Gien est aujourd'hui à la tête d’une équipe qui travaille ses pièce de haute précision sur 10.000 mètres carrés, sur l'historique site industriel du Creusot. André Billardon sourit.
« Turbine, c’est un symbole de la reconstruction industrielle de la ville. »

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