Dernière aire urbaine de l'Yonne sur la route de Paris, Sens soigne son image. Opération lifting sur l’immense clocher de l’hôtel de ville. En face, le marché couvert sort d’un chantier de plusieurs mois. 25.000 habitants ; 36.000 dans l’agglomération. Et 5.000 qui font la navette chaque jour pour travailler à Paris : Sens, c’est la Bourgogne aux portes de l’Île de France. Une problématique qui pousse les élus à courir deux lièvres à la fois. La région et Paris.
La députée-maire Les Républicains, Marie-Louise Fort, ouvre la porte de son bureau à la volée. Léger retard. Elle s'efforce d'être sur tous les fronts. Pour développer à la fois les notions de « douceur de vivre bourguignonne, et de proximité avec la région parisienne », souffle-t-elle. Oui, sa ville est dans l’Yonne. Oui, sa capitale régionale restera Dijon. Mais ses enjeux ne sont pas vraiment ceux du reste de la Bourgogne Franche-Comté. Sens est déjà loin de l'actuelle région. « Mon prédécesseur avait ajouté "Sens en Bourgogne" sur les documents officiels... C'est dire », souffle-t-elle.
Pourtant de la grande région, le territoire attend des investissements en terme d’équipements structurants. De Paris, de la richesse, de l’emploi et des habitants. Pour transformer l'attractivité du nord de l’Yonne, Marie-Louise Fort et son équipe travaillent sur le vivre ensemble, l’éducation, le commerce. La sécurité, aussi. La parlementaire hausse les épaules quand on lui parle de son discours sécuritaire. « Il n’est sécuritaire que pour les délinquants. Moi, je parle plutôt de prévention. »
La maire fait du cœur de ville son premier challenge. Autour du marché couvert en travaux, chef de file tout trouvé du commerce made in Sens, la reconquête semble en marche. Dans une ville composée à 31% de logements sociaux, et où 80% de la population y est éligible, la municipalité veut prendre « au mieux le tournant des mœurs, des attitudes, des habitudes. » En clair : accompagner le changement pour faire de Sens une alternative incontournable au Grand Paris pour les trentenaires en quête de bol d'air. Et éviter, si possible, d'être uniquement le réceptacle d'une population que l'Île-de-France n'a plus les moyens de contenir. « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », souffle Marie-Louise Fort.
Pour l'instant, elle veut croire que sa stratégie paye. Alors qu’une vaste zone commerciale vient d’ouvrir ses portes dans le sud de l’agglomération, le centre-ville résiste. Certains sont même persuadés qu'il « ne mourra jamais, affirme Adriano Crocco, 43 ans, patron de quatre boutiques de vêtements en plein cœur de Sens. Ça fait seize ans qu'il a quitté Paris pour miser sur un retour à Sens. Aujourd'hui, il serait prêt à jurer que « les zones commerciales ne tueront jamais les centres, à condition d’avoir des offres de qualité. Une église et des commerces autour, il n’y a que ça de vrai. »
« Une région ne sera grande
que si elle prend des risques »
Une église et des commerces autour. Le rêve simple d'une majorité de communes. « Il suffirait peut-être d’arrêter la dramaturgie et de bosser pour en faire une réalité », prévient Steve Bagot. Le poissonnier de 41 ans a, lui aussi, quitté Paris pour installer son bar à huîtres autour du marché couvert de Sens. « On n’est pas à Paris. Mais ça marche ». Au total, douze communes de l'Yonne comptent plus de 50% de leurs actifs qui travaillent en Île -de-France. Vingt-deux communes ont plus d’un tiers de leurs actifs qui exercent une activité en Île-de-France. Une manne sur laquelle le nord département veut capitaliser, en vendant sa qualité de vie.
Le tout, c’est de le faire savoir. C’est de dire à Paris que l’Yonne existe. C’est de dire à Dijon que « la grande région devra prendre en compte la frontière Suisse, les potentialités industrielles de la Franche-Comté, mais aussi la proximité avec la région parisienne. Ce que j’attends d’une grande région, c’est qu’elle soit capable d’analyser le présent et d’anticiper le futur, martèle Marie-Louise Fort. C’est oser. Pour moi, une région ne sera grande que si elle prend des risques. » Si elle sait gagner le Grand Paris et les grands paris.
