Solide comme un rock

Belfort

Au milieu d'un cinquième technopôle sur les hauteurs de Belfort, entourés par les cathédrales industrielles de Général Electric : les bureaux des Eurockéennes de Belfort. Ici, Peugeot fait vivre la région, Général Electric la tire vers le haut ; mais seules les Eurockéennes en sont l'emblème. L'emblème rock, l'emblème cuir, devenu un poids lourd de la culture française. Plus qu'un événement, les Eurockéennes sont devenues le vecteur identitaire du territoire de Belfort depuis 1989.

C'est dimanche, et Jean-Paul Roland a dû expliquer à sa femme qu'il annulait leur balade en Allemagne pour parler des Eurockéennes à des journalistes. Encore. Ça fait des années qu'il vend son festival. Depuis 2001, Jean-Paul Roland est le directeur d'un événement hors norme, incontournable, qui, infatigablement a marqué des générations et des générations. Lieu culte du rock brut, repaire hype pour les espoirs électro. Les Eurockéennes c'est tout ça, un marqueur de la vie des habitants du territoire. Pourtant à la base, les Eurocks n'ont rien d'une manif culturelle. C'était surtout une « volonté politique du président du conseil général, Christian Proust, de changer l'image de la ville. Par stratégie, il a choisi la jeunesse, il a choisi le rock. »

« Les enfants d'Alstom
ou de General Electric
étaient tous formés ici »

Belfort était alors inconnu au bataillon à part sur son propre territoire. « Les enfants d'Alstom ou de General Electric étaient tous formés ici » à l'école nationale d'ingénieurs, s'amuse un universitaire. Les cadres de PSA venaient tous habiter Belfort plutôt que de se mêler à la masse ouvrière de Sochaux ou Montbéliard. Mais l'image du département était douloureusement surannée.

« Quand Bowie venait, il venait chez nous »

Les Eurockéennes ont montré du jour au lendemain qu'« il pouvait y avoir du grand sur un territoire petit », raconte Jean-Paul Roland. La collectivité a mis le festival sur la rampe de lancement pour pas un rond : l'État avait subventionné la manifestation dans le cadre du bicentenaire de la Révolution. 10.000 visiteurs la première année, en 1989. Plus de 100.000 aujourd'hui. « Pendant des années, on était les seuls, sourit le directeur. Donc, quand Bowie venait en France, il venait chez nous. »


Très vite, le festival est devenu un vecteur identitaire, une fierté pour le territoire, un acteur économique, aussi. En 2015, les Eurocks, c'est « un euro de subvention pour 9 euros de retombées », affirme Jean-Paul Roland. Cent-vingt entreprises locales, dont Alstom et Général Electric, sont partenaires de l'événement. Preuve que « le monde économique aussi veut participer à cet élan dynamique ».

Un élan qui a d'autant plus de force qu'il est éphémère. « Quand on va sur le site une fois que le festival est terminé, c'est presque impossible de se souvenir où était telle scène, où était installée telle autre. Il y a trois jours de concert. Après, ne reste que le souvenir. » 

Le souvenir d'un événement dont, ici, on parle toute l'année. « Il y a une vraie population qui a grandi avec le festival, sourit Jean-Paul Roland. Les Eurocks, c'est un peu un rite initiatique pour les plus jeunes. Il y a ceux qui y sont allés, et ceux qui n'ont pas encore eu l'autorisation. C'est une fierté, une adhésion. »

7,5 millions de budget
60 artistes retenus
9 millions de retombées
3 jours de concerts

Alors l'équipe planche dure toute l'année pour que le festival ne soit pas le repaire à papa. « On court pas après le retour sur scène de Deep Purple », précise dans une grimace le patron de l'événement rock. Plutôt le hip hop qui monte PNL, ou l'électro britannique de Disclosure. Des découvertes que Jean-Paul Roland piste aussi hors saison, à la tête de De Concert !, une fédération internationale qui regroupe 31 festivals de 7 pays. Un think tank du secteur qui permet aussi aux Français de faire monter sur scène les newcomers, les petits nouveaux du moment.

Événement culturel, acteur économique, vecteur identitaire, Les Eurockéennes portent aussi des valeurs. Avec Eurocksolidaire, le festival met en place des dispositifs inédits pour permettre à des spectateurs en situation de handicap de voir les concerts, ou raconter les concerts aux aveugles. « On apprend aux festivaliers à trier leurs déchets... Les messages passent mieux ici », sourit Jean-Paul Roland.

Alors oui, décidément, seules les Eurockéennes sont l'emblème de Belfort. L'emblème rock, l'emblème cuir. L'emblème cœur.

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