Lacroix et la manière

Au sommet du Jura

Il n’avait pas remis les pieds au stade nordique des Tuffes depuis mars dernier. Double champion du monde de combiné nordique, en relais et par équipes, Sébastien Lacroix a raccroché, après une dernière médaille de bronze aux Mondiaux. Terminé les journées à s’entraîner, les bornes en ski roulettes et les sommets en VTT.

Pour la première fois, il arrive en touriste. Sur la piste bétonnée, les espoirs du Pôle France, au milieu des canons qui attendent de souffler le froid. C’est la fin de la préparation. L’équipe de France juniors de biathlon travaille l’arrivée au pas de tir, avec la prochaine IBU Cup à Oslo dans le viseur. « Toutes les équipes de France viennent s’entraîner ici », sourit Lacroix en écoutant d’une oreille les entraîneurs de l’équipe de France de biathlon.

À 1.500 mètres d’altitude, la station des Rousses, emblème du tourisme blanc jurassien, est aussi le troisième plus grand site nordique de France. Son stade sera bientôt rebaptisé "Jason Lamy-Chappuis", l’ancien équipier de Sébastien Lacroix, sacré champion olympique de combiné nordique en 2010 à Vancouver. Cette année-là, au Canada, Sébastien Lacroix termine au pied du podium en relais. Mais remporte le cœur de celle qui partage désormais sa vie à Bois-d’Amont, une des quatre communes avec Les Rousses, Lamoura et Prémanon à former la station des Rousses : 10.000 hectares, 6.000 habitants, 25 km. L’ensemble est dirigé par la Sogestar, la société de gestion de la station des Rousses, une société d'économie mixte et dont l'actionnaire principal est la communauté de communes de la station des Rousses.

Le Jura, Sébastien Lacroix y est né, et n’en est jamais parti. Ici, « il y a tout, la nature, les activités sportives de plein air. C’est un pays extraordinaire. » Un pays à part, coincé entre la Franche-Comté et la Suisse. L'ancien champion cite chaque sommet, chaque commune, chaque pépite. Cette année encore, il s’est inscrit à la Transjurassienne, entre Lamoura et Mouthe, course qui compte pour la Coupe du monde de ski de fond. Une des plus réputées au monde. « La Transjurassienne existe depuis quarante ans. C’est 4.000 participants qui s’élancent sur une combe où il fait souvent -15°C le jour du départ », grimace Lacroix en montrant du doigt une zone étouffée par la brume. Une fine brume. Rien à voir avec la “mer de nuage”, dont les habitants du coin discutent l'épaisseur blanche dès le petit noir du matin.

Passé le col de la faucille, le Mont Blanc percute les pares-brises. La chaîne des Alpes transperce le ciel. À ses pieds, une mer de nuages blancs comme l’Olympe, un tapis blanc qui cache un million d’habitants et la Suisse Genève. « C’est toujours comme ça : le lac Léman lâche énormément d’eau au printemps. Quand il fait grand beau ici, ils sont dans une purée de pois en dessous. Et ça peut durer des semaines comme ça », se marre le skieur en ajustant ses lunettes de soleil.

Après 32 ans à vivre ici, il s’étonne encore de la beauté de son pays. Le redécouvre, parfois. Le chérit, toujours. Ces crêtes qui retombent vers l’Ain ou la Suisse, ou ces plateaux, immenses, gigantesques, qui tutoient le ciel pour mieux défier sa colère. Ici, mieux vaut ne pas traîner quand il y a des tempêtes de neige.
« C’est ça, le Jura », sourit Stéphane Gros par-dessus ses lunettes. À la tête de l’EARL des Monts Jura, l’agriculteur vit au milieu de ses 130 laitières, dont la production servira au Bleu de Gex, plus vieille appellation contrôlée du Jura, avant même le poids-lourd Comté. Un bonheur et une malédiction.
« Aujourd’hui, il fait grand beau. Demain, il fera froid. Demain, il neigera. Mais quand on est né ici... » Oui, c’est ça, le Jura. C’est ça, Bellecombes, cette commune invraisemblable ou chaque maison est isolée. « Même la mairie. »

« Aujourd'hui, il fait grand beau. Demain, il fera froid.
Demain, il neigera »

Stéphane Gros, à la tête de l'EARL des Monts Jura. Photo : Jérémie Fulleringer

Mais le Jura est aussi capable d’accoucher de Lacroix emballage [« aucun lien de parenté », précise Sébastien], cette petite entreprise de Bois-d’Amont qui s’est lancée dans la fabrication de boîtes à fromage à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, aujourd'hui une multinationale au chiffre d’affaires de 65 millions d’euros, leader de l’emballage en séries industrielles, présent dans vingt pays. Ce sont eux qui font la quasi-totalité des boîtes de fromage, en bois ou en plastique. « Les bacs de cinq litres de glace aux États-Unis, c’est eux aussi », glisse Sébastien.

À Bois-d’Amont, Lacroix Emballage paie ses 110 salariés « 30% plus cher. Sinon, il n’y aurait pas de main-d’oeuvre », souffle Sébastien Lacroix. Parce qu’ici, c’est la Suisse qui fait vivre le pays. Les Jurassiens vont y chercher des salaires parfois triples. Les Suisses passent la frontière pour faire leurs courses quand les taux de change sont favorables. Le Haut Jura consomme à Annecy, à Genève, à Lyon. Hors de la Bourgogne/Franche-Comté. Presque hors du temps. Là, baigné par le soleil, quand ses falaises s’ouvrent sur des routes qui mangent les forêts d’épicéas abîmés par l’automne, le Jura est unique.

Lacroix en bref

Sébastien Lacroix a fait tourner sa Clio sur une pente à gauche, à la sortie des Rousses. Un petit chemin fermé en surplomb par l’école primaire et maternelle du village. Sur la gauche, planqué dans les sapins, un petit tremplin vert. Le premier tremplin de Sébastien Lacroix. « C’est ici que j’ai commencé. Mon grand frère, qui a cinq ans de plus que moi, sautait avec un de ses copains. Je devais avoir 5 ans, et j’ai dit à mes parents : Moi aussi, je veux faire ça. » Le début d’une longue carrière nordique. Collège sport-études, lycée sport-études, BTS sport-études. « Au collège, on était vingt-cinq dans la classe. On est seulement trois à avoir atteint le haut niveau », se souvient Sébastien Lacroix.

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