Le cri du Lion

Sochaux-Montbéliard

PSA. Trois lettres, une histoire. L’histoire de Sochaux. De Montbéliard. De tout le sud Franche-Comté. Panorama depuis le haut du château de Montbéliard : l’usine, le reste autour. Une moitié à Sochaux, l’autre à Montbéliard. Ici, Peugeot a le pouvoir de pousser le cours d’une rivière ou de détourner une route nationale. Ici, Peugeot fait vivre une famille sur deux, a construit des églises et des hôpitaux. Ici, c’est Peugeot. Et « Peugeot est magique », sourit Jean-François Bonnet.

L’ancien cadre a les yeux rougis quand il se rappelle les grandes années du FC Sochaux-Montbéliard. Vingt-cinq ans qu’il préside le club de supporters. Vingt-cinq ans qu’il crie dans les tribunes. La veille, il était à Nîmes pour voir Cissé planter un doublé et sortir le FCSM de la zone rouge. Jean-François Bonnet a aussi passé 43 ans chez Peugeot, « juste de l’autre côté », s'amuse-t-il en désignant le mur d’enceinte du stade Bonal. « La famille Peugeot a construit ce stade pour divertir ses salariés. Autour, il y avait même du basket et du handball de haut
 niveau 
». Il y a avait surtout un esprit d’entreprise inaltérable. Des ouvriers plein les tribunes. Plein l’équipe.

La vente du club, oui, c'est comme un divorce
Le stade Bonal. Ici, le FC Sochaux-Montbéliard a disputé 1184 matchs de D1 ou L1, l'a emporté 616 fois, et a inscrit 2132 buts. Photo : Jérémie Fulleringer

Aujourd’hui, PSA a vendu le club à des investisseurs chinois. Fin d’une époque. Un truc « inacceptable pour les gens d’ici », admet le responsable des relations extérieures chez PSA, Jean-Charles Lefebvre. « Papa travaillait chez Peugeot. Maman aussi. Et moi, tous les jours, je suis ici. Je donne un coup de main, bénévole. J’ai fait ce que beaucoup de salariés ont fait. Oui, c’est dur. On accuse le coup. » Jean-François Bonnet se plante au milieu de la pelouse. Il a les clefs du stade. C’est lui qui a ouvert les grilles. Il fait partie des meubles de Bonal. « Une bible du FC Sochaux », glisse-t-on à la boutique du club. « La vente du club, oui, c’est comme un divorce. Une séparation dure entre le club et celui qui le faisait vivre ».

Mais Peugeot fait encore vivre toute la région. De 43.000 salariés dans les années cinquante, PSA-Sochaux est descendu à 10.000. Mais recentrés sur « le coeur de métier, insiste Jean-Charles Lefebvre. À 40.000 employés, c'était la logique d’Henry Ford : on faisait tout, sauf les pare-brise. Aujourd'hui, on s’appuie sur des sous-traitants, et, au final, PSA, c’est, directement ou indirectement, 50.000 emplois sur le secteur.» Depuis toujours, tout Sochaux-Montbéliard a donné sa vie à son fleuron. Même PMA bosse pour PSA. PMA, le pays Montbéliard agglomération, la collectivité qui regroupe 120.000 habitants et 29 communes. Bientôt 40 après le dernier coup de ciseau de l’État. « C’est même ici qu’est née la première notion d’agglo, pour que la région profite de la manne Peugeot, sourit le cadre de PSA. Parce qu’à l’époque, Sochaux, 4.000 habitants, avait pu construire une piscine couverte, un théâtre de 1.000 places… Les autres n’avaient rien. »

PMA est donc rompu à l’exercice de la coopération. Y compris la coopération public-privé avec PSA. Le 31 juillet dernier, l’intercommunalité a signé 3,5 millions d’euros le rachat de 26 des 220 hectares de l’usine au coeur de Sochaux-Montbeliard. Objectif : « Faire du site historique une usine parmi les plus performantes et les plus compétitives d’Europe », affirme Didier Klein, universitaire à l’université technologique de Belfort-Montbéliard, et vice-président de l’agglo chargé du développement économique. C’est lui qui pilotait le projet sous Moscovici avant son départ pour le gouvernement. La droite lui a renouvelé sa confiance en 2014. « Les individus peuvent être de gauche ou de droite. Pas l’industrie », s’amuse-t-il.

« Le coût de production d'une voiture
a déjà été divisé par deux »

La collectivité est à la tête de bâtiments de 150.000 m2, et y ont installé tous les sous-traitants de PSA. Pour diminuer les coûts de stockage, de transports, augmenter la réactivité, la flexibilité. Un projet global à « 20 millions d’euros pour la collectivité, annonce l’élu, par ailleurs maire de la petite commune de Taillecourt. Mais, ensemble, nous allons rendre l’usine de Sochaux plus compétitive. Désormais, des chariots transportent directement certains éléments du sous-traitant jusqu'à l’intérieur de l’usine. Le coût de production d’une voiture a déjà été divisé par deux », affirme-t-il.

Le 4 novembre dernier, le président du directoire de PSA, Carlos Tavares, a fait le déplacement en personne pour dire le projet aux salariés de Sochaux : « Il faut faire de la première usine historique de Peugeot la plus compétitive, la plus novatrice, rapporte Jean-Charles Lefebvre. C’est la rançon du produire français : il va falloir être novateurs dans tous les domaines, y compris dans les process de
fabrication
. » 1.460 voitures sont produites chaque jour à Sochaux. Trois équipes montent les 308 sous toutes ses versions, deux autres sont chargées des 3008, 5008 et DS5. Cette semaine-là, le groupe a annoncé le recrutement de 300 nouveaux intérimaires. Ils seront 1.500 sur site pour aider à la fabrication de la nouvelle 3008, qui devrait être dévoilée au salon de l’auto à Paris.

Et ici, « quand une nouvelle voiture est dévoilée aux salariés, avant le lancement officiel, c’est toute la région qui ne parle que de ça pendant une semaine », sourit Jean-Charles Lefebvre. La fierté de l’automobile est presque palpable à Sochaux. Qu’importe que depuis 2013 le capital de PSA soit désormais détenu à 14% par l’État, et 14% par un groupe Chinois. La famille garde, elle aussi, les 14 autres pourcent. De toute façon, « l’usine est indissociable de la région. C’est indissociable, pour toujours », estime le supporter Bonnet. « Avant, il n’y avait rien d’autre que Peugeot. C’était l’emploi, et la garantie de l’emploi. C’était le club du FC Sochaux, qui a marqué l’histoire du football français. »

La marque au Lion, c’est aussi l’argument numéro un pour attirer d’autres entreprises. PMA a monté le Technopôle 1 (cinquante hectares). Puis le Technopôle 2 (cent hectares). Les deux sont déjà plein à ras bord. À Bavans, petite commune de 4.000 habitants à neuf kilomètres de Montbéliard, la société Faurecia, ancienne filiale de PSA spécialisée dans la production de pots d’échappement, a implanté son laboratoire de recherches et développement. 600 à 750 ingénieurs de toutes nationalités travaillent là-haut. Ils veulent être au plus près de la production. Même si leur plus gros client est aujourd’hui l’Allemand Volkswagen.

L’agglomération de Montbéliard est donc bercée d’un état d’esprit ouvrier. Le visage changeant d’un territoire qui a accueilli des générations d’étrangers pour participer à l’essor de l’automobile français.. La région est une grande famille, unie autour d’un club, d’une usine. D'une marque.


Et pourquoi le Lion ?

Non, Peugeot n’a pas piqué l’emblème du lion à Belfort. Au XIXe siècle, la famille travaillait l’acier, et produisait notamment des lames de scie. Les lames étaient envoyées dans le monde entier. Pour que tous les clients puissent distinguer la qualité des produits, la famille martelait des têtes d’animaux sur les lames. Des têtes d’éléphant pour les lames les plus basiques. Des têtes de lion sur les lames les plus fines. Quelques années après la production des premières automobiles, la famille a rapidement repris l’emblème du lion pour conforter l’image de sa marque.

Pourquoi Sochaux et pas Montbéliard ?

« Attention, Montbéliard a toujours été la chef de file », prévient Marie-Noëlle Biguinet, maire de Montbéliard. Mais alors, pourquoi tout le monde ne parle toujours que de Sochaux ? « À cause du foot, du FC Sochaux », assure le vice-président de l’agglo, Didier Klein. « À cause de PSA : les premiers terrains ont été achetés sur la commune de Sochaux », selon Jean-Charles Lefebvre, responsable des relations extérieures chez PSA. Quoi qu’il en soit, Montbéliard, qui compte 26.000 habitants, a toujours vécu dans l’ombre de Sochaux, qui accueille… 4.000 habitants.

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