Faut-il détruire le plus vieux bidonville d'Île-de-France ?

Reportage dans les faubourgs de La Courneuve

Depuis 2008, environ 300 personnes vivent sur un terrain situé sous une bretelle d'accès à l'autoroute A86, au fond d'une zone industrielle, le long des rails du RER B. Il y a deux ans, la mairie de La Courneuve dirigée par le communiste Gilles Poux a saisi la justice pour faire évacuer "le platz" comme ses habitants l'appellent. À partir de samedi prochain, le 15 août, la police pourra procéder à l'expulsion de Jozsef, Darius, Élicha et les autres ... 

La plupart des 80 familles du platz "Le Samaritain", du nom de la paroisse créée à l'entrée du bidonville, sont arrivées après leur expulsion du village d'insertion de Saint-Ouen à quelques dizaines de kilomètres de là. Ils sont tous originaires d'une région rurale au nord-ouest de la Roumanie. Grégoire Cousin est anthropologue. Il travaille depuis 2009 sur l'organisation sociale du terrain : 

"Souvent les terrains sont constitués par villages avec la transposition des hiérarchies sociales du village. Ici, on n'est pas sur ce modèle puisqu'on a des gens qui viennent tous de la région de la Christiana. Ils ont en commun d'être pentecôtistes et ont donc une organisation religieuse autour du pasteur." 

Cette organisation " charismatique", selon les mots de l'anthropologue, impose aux habitants une hiérarchie articulée autour du pasteur. Plus que dans d'autres bidonvilles, le "platz" est tenu pour éviter les débordements : des rondes sont organisées la nuit, la porte d'entrée est surveillée, des toilettes ont été aménagées dans une cabane et des extincteurs sont installés sur le terrain.    

Les habitants du Samaritain ont un porte-parole, une voix. Il s'appelle Jozsef. Il a 17 ans et rêve de participer à l'émission de TF1 "The Voice". Jozsef parle roumain, hongrois, romani, français, anglais et espagnol. Il effectue un service civique dans l'association "Les Enfants du Canal" pour aider les Roms dans leurs démarches administratives. Début août, il lance une pétition sur Internet pour essayer de convaincre le maire de La Courneuve Gilles Poux d'annuler l'arrêté d'expulsion. La pétition a recueilli plus de 2 000 signatures. 

Sortir du bidonville en trois ans ou en quelques semaines ? 

L'ordre apparent du bidonville pousse les associations, Médecins du Monde et la Fondation Abbé Pierre en tête, à croire en une insertion progressive des habitants du Samaritain. Pierre Chopinaud, directeur de l'association La Voix des Roms craint que l'expulsion n'entraîne "une dégradation des conditions de vie qui briserait les entreprises de recherche de travail." Grégoire Cousin précise que depuis janvier 2014, quand les travailleurs bulgares et roumains ont bénéficié de la libre circulation intégrale dans l'Union européenne, près d'un chef de famille sur quatre du Samaritain - uniquement des hommes - ont signé un contrat de travail. Mehdi Bouteghmes, élu indépendant à La Courneuve affilié à la majorité, propose de "résorber le bidonville". Comment ? "En évitant de cacher la misère sous le tapis et en profitant des opportunités" précise Pierre Chopineau. Grégoire Cousin détaille le fonctionnement du plan d'insertion pensé sur trois ans :  

Le projet de sortie progressive du bidonville rassemble des militants, des associatifs, des chercheurs et des architectes. Parmi eux, Fiona Meadow. Elle est enseignante et responsable de programmes à la Cité de l'architecture et du patrimoine. Pendant plusieurs mois, elle a proposé à ses étudiants de travailler sur la réhabilitation du bidonville. Parmi les défis posés par le Samaritain : les 1 500 mètres cubes de déchets accumulés depuis des années. Ils occupent près de deux tiers du terrain.  

Malgré la mobilisation des associations, le maire de La Courneuve Gilles Poux a confirmé l'expulsion déjà envisagée en janvier et en juin dernier. Comme le mentionnait Jozsef après son tour de chant, la police s'est rendue sur place le 6 août. Le commissaire aurait alors avancé que l'expulsion serait liée à l'organisation en décembre prochain du sommet international sur l'environnement au Bourget. 

Pour Gilles Poux, la COP 21 n'a pas influencé sa décision de procéder à l'expulsion. Alors pourquoi ne pas laisser trois ans aux associations pour mettre en place ? La réponse du maire de La Courneuve.

Résorber progressivement le bidonville ou faire table rase du passer pour repenser la politique d'insertion des Roms ? Le bidonville "Le Samaritain" cristallise l'opposition entre les associations et la mairie. En cas d'expulsion, personne ne sait si les 80 familles seront relogées. Gilles Poux renvoie la balle dans le camp de l'État : "Il ne faut pas inverser les rôles. L'État doit prendre ses responsabilités." À quelques jours de la date butoir, Jozsef, Darius, Élicha et les autres ne craignent qu'une seule chose : être jetés à la rue.