La révolution
de l'intelligence artificielle 

Le pire et le meilleur

En lançant son plan pour l'intelligence artificielle (IA), Emmanuel Macron, qui rêve de transformer la France en « start-up nation » comme l’est devenu Israël, met en avant son appétence pour l’innovation technologique, dont il veut faire une des pierres angulaires de son quinquennat. Mais le chef de l’État est aussi porteur d’une vision plus large, à l’échelle européenne. Pas question de voir l’Europe rater le virage de l’intelligence artificielle comme elle a raté celui du numérique, aujourd’hui dominé par les GAFA (Google Amazon Facebook Apple), toutes américaines. C’est que l’intelligence artificielle, les algorithmes mathématiques, les progrès informatiques bâtissent déjà une révolution. Maison, transports, santé, industrie, énergie, environnement, agriculture, loisirs, etc. : pas un domaine n’échappe à l’IA. 

Plus que les précédentes révolutions industrielles, celle-ci soulève toutefois des questions cruciales : juridiques, éthiques, commerciales, sociétales. Quelles protections pour les données personnelles qui sont très souvent le carburant de l’intelligence artificielle ? Quelle responsabilité entre le conducteur, le constructeur et le fabricant de logiciel d’une voiture autonome ? Quelle égalité d’accès à ces technologies qui, très coûteuses, peuvent n’être réservées qu’à un petit nombre de nantis ? Cet éventail de questions a suscité les craintes des scientifiques eux-mêmes à l’instar de Stephen Hawking qui vient de nous quitter. 

L’astrophysicien britannique avait lancé avec d’autres, en novembre, un cri d’alarme : « Nous sommes en danger d’autodestruction. J’ai peur que l’IA puisse remplacer complètement les humains. Si les gens peuvent concevoir des virus informatiques, quelqu’un pourrait concevoir une IA qui peut s’améliorer et se reproduire. Ce serait une nouvelle forme de vie capable de surpasser les humains », disait-il. Et certains tests lui ont donné raison comme récemment ces deux ordinateurs qui communiquaient entre eux dans un langage inconnu de l’homme. Ou encore ces intelligences artificielles qui, confrontées aux questions d’internautes, tenaient les pires des propos racistes… 

Face à ces défis, il est urgent d’une part que les jeunes générations s’intéressent aux sciences et d’autre part qu’il y ait davantage de transparence. Comme l’homme a régulé le transport terrestre, la navigation maritime ou aérienne, il faut aussi qu’il régule l’intelligence artificielle pour en tirer le meilleur et en éviter le pire.

Philippe Rioux

La France veut devenir leader européen de l'intelligence artificielle

Emmanuel Macron a présenté le 29 mars un plan ambitieux pour développer l'intelligence artificielle et faire de la France un leader européen dans cette révolution en marche… 

Une enceinte connectée qui répond à vos questions et vous suggère des films que vous pourriez aimer, une voiture qui vous conduit sans que vous ne touchiez le volant, un chauffage qui s'adapte au degré près à vos habitudes mais aussi un médecin qui diagnostique un cancer et élabore un traitement réellement personnalisé, des agriculteurs qui optimisent leur récolte avec la juste quantité d'eau, etc. 

L'intelligence artificielle (IA) va permettre – et permet déjà parfois – tout cela. Pour ne pas rater cette révolution, Emmanuel Macron a dévoilé hier un plan ambitieux pour développer cette nouvelle technologie et faire de la France un des leaders en Europe face à la Chine et aux États-Unis qui ont une longueur d'avance. Le président de la République, après une visite au service d'anatomopathologie de l'institut Curie, a pour cela présenté au Collège de France un plan Intelligence artificielle. 

"Comme bien des mathématiciens débutant la carrière dans les années 90, j'ai profondément sous-estimé l'impact de l'intelligence artificielle."
Cédric Villani.

«L'ensemble du plan représentera sur le quinquennat un effort spécifique et inédit de près de 1,5 milliard d'euros de crédits publics», a déclaré le président de la République, dont les mesures se sont basées sur le rapport sur l'IA remis mercredi soir par le député et mathématicien Cédric Villani, après six mois d'un intense travail de consultations. «Comme bien des mathématiciens débutant la carrière dans les années 90, j'ai profondément sous-estimé l'impact de l'intelligence artificielle, qui ne donnait finalement, à cette époque, que peu de résultats. Quelle surprise ce fut d'assister, dans les années 2010, à l'incroyable amélioration de ses performances», explique le scientifique qui, en 242 pages, délivre de multiples propositions pour armer la France sur le sujet tentaculaire de l'IA. 

4 secteurs stratégiques

Politique économique articulée autour de la donnée ; définition de quatre secteurs stratégiques (santé, mobilité, environnement et sécurité) dans lesquels l'État sera structurant avec un coordinateur interministériel ; anticiper les impacts de l'IA sur le travail et l'emploi ; favoriser la recherche en augmentant les rémunérations des scientifiques ; et accroître la transparence des algorithmes et des systèmes autonomes. 

Alors que le géant Samsung a annoncé mercredi soir qu'il allait implanter à Paris, sur le plateau de Saclay, son 3e plus grand laboratoire sur l'IA, et qu'IBM a annoncé hier le recrutement de 400 experts dans notre pays, Emmanuel Macron a insisté sur la volonté de la France «de constituer un hub de recherche au meilleur niveau mondial en IA» grâce à la mise en place du programme national, premier champ d'application du Fonds pour l'innovation et l'industrie de 10 milliards d'euros mis en place en début d'année. 

«Nous avons les talents, nous avons tout pour relever le défi de l'IA.» assure le Président.

Pourquoi Samsung ouvre un centre de recherche sur l'intelligence artificielle en France

Ce que l'IA va changer dans nos vies

L'intelligence artificielle va être présente dans de nombreux domaines et va bouleverser notre quotidien. 






Transports

L'IA est au cœur de la voiture autonome que développent les constructeurs automobiles historiques (Toyota, Renault, Audi), comme les géants d'internet (Uber, Google, Apple). À terme, l'IA gérera totalement la conduite et les passagers seront occupés à d'autres activités. Mais il reste du chemin à parcourir et des questions éthiques et juridiques à régler. En attendant, plusieurs technologies d'assistance sont embarquées sur les voitures actuelles (détection de la somnolence du conducteur, limitateur de vitesse adaptatif, etc.)

Santé

C'est le domaine où l'IA pourrait apporter beaucoup. En compilant de gigantesques bases de données, elle pourrait aider les médecins à affiner leur diagnostic et proposer des traitements plus ciblés, notamment dans la lutte contre certains cancers. L'IA peut aussi faciliter le dialogue et le suivi post-opératoire entre médecins et patients. Enfin, l'IA pourra intervenir sur des robots-médecins, par exemple dans les déserts médicaux. 

Maison

C'est le domaine où l'IA semble la plus perceptible depuis que les enceintes connectées intelligentes ont fait leur apparition : Google Home, Amazon Eco le mois prochain en France et bientôt Apple Home Pod. Ces enceintes reconnaissent votre voix et répondent à des questions, simples aujourd'hui, plus complexes demain. L'IA interviendra dans plusieurs appareils au sein de la maison connectée, par exemple sur des réfrigérateurs qui géreront la commande des courses et proposeront des recettes, etc. 

Commerce

L'IA est, là aussi, déjà à l'œuvre pour proposer une «expérience client» la plus personnalisée possible en fonction de vos goûts. Pour cela, l'IA a besoin d'un maximum de données pour analyser le comportement des consommateurs. L'IA est ainsi déjà à l'œuvre chez Netflix, la plateforme de vidéos, qui suggère des recommandations de films ou de séries en se basant sur le comportement et les goûts des abonnés. 

Environnement et énergie


L'IA devrait apporter beaucoup dans ce domaine, notamment pour éviter le gaspillage d'énergie. Les réseaux électriques intelligents (Smart grids) dont certains ont été pionniers en Occitanie, sont bien réels et permettent d'adapter les flux en temps réel pour résoudre des pannes ou éviter les surchauffes en amont. A la maison, des systèmes de chauffage intelligent se multiplient et sont adaptables à des installations existantes. Objectif : régler la température en fonction de la présence et des habitudes des habitants du logement. L'IA devrait également être très utile dans l'agriculture pour économiser l'eau, limiter l'utilisation de pesticides et avoir des pronostics et des conseils pour optimiser les récoltes. 

Finance et banque

L'IA a déjà investi les salles de marché, notamment pour les opérations de trading haute fréquence. L'analyse des données à grande échelle permet d'avoir de meilleurs résultats avec ces traders-robots qu'avec les traders humains ! Certains fonds d'actions en Europe commencent à être gérés entièrement par une IA. Côté consommateurs, les néobanques proposent des conseils de gestion construits à partir de l'analyse des dépenses.

L'Occitanie prête
pour un institut sur l'IA

Emmanuel Macron a lancé ce jeudi 29 mars son plan Intelligence artificielle à partir du rapport sur le sujet remis la veille par le député et mathématicien Cédric Villani. Le président de la République veut faire de la France un leader européen et mondial de l'IA et a promis 1,5 milliard d'euros d'ici 2022. 

Carole Delga, présidente de la Région Occitanie a salué les orientations du rapport Villani, notamment de l'annonce, par le président de la République de créer en France des instituts interdisciplinaires d'Intelligence Artificielle (IA) dont la vocation sera de fédérer chercheurs, ingénieurs et étudiants au sein d'établissements publics d'enseignement et de recherche. 

« Le rapport remis au gouvernement par la mission Villani, visant à « donner du sens à l'intelligence artificielle », apporte des perspectives importantes pour que la France prenne toute sa place sur ce sujet stratégique. La Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, grâce à l'excellence de ses laboratoires de recherche, de ses formations supérieures et de son tissu industriel, est un acteur reconnu du Big Data et de l'Intelligence Artificielle. Nous sommes d'ailleurs la 1ère Région de France, et la 8ème en Europe, pour l'effort consacré à la R&D. 

C'est la raison pour laquelle l'annonce du Président de la République de créer des instituts interdisciplinaires d'Intelligence Artificielle, est une réelle opportunité pour notre région, qui soutiendra les initiatives que ne manqueront pas de prendre les acteurs locaux. Avec un exceptionnel écosystème de l'innovation et de la recherche, notre région a tous les atouts et le potentiel pour accueillir sur son territoire une telle structure. 

La Région a par ailleurs déjà engagé avec de nombreux partenaires du monde académique, économique et de la santé, des travaux pour constituer un Datapôle qui pourra être un point d'appui essentiel pour ce projet. Nous souhaitons être au rendez-vous pour contribuer au développement d'une Intelligence Artificielle éthique, respectueuse de la population et de l'environnement, en cohérence avec notre ambition de faire de notre région la première région à énergie positive d'ici 2050 ! », a déclaré Carole Delga.

IA : quelles conséquences juridiques

Par Antoine Chéron, Avocat associé, www.acbm-avocats.com 

Outre les aspects économiques et sociaux, l'intelligence artificielle suscite de nombreuses interrogations sur le plan juridique. 

Concernant la compétitivité

En premier lieu, on notera que le rapport suggère un assouplissement de la législation, à destination des start-ups notamment, afin d’inciter à la recherche et aux expérimentations. Le rapport prône par exemple la facilitation des tests de logiciel d'intelligence artificielle grâce à la création de "zones franches de l'IA" sur lesquelles "un allègement drastique des formalités administratives du quotidien, des compléments de salaire conséquents et des aides pour l'amélioration de la qualité de vie" seraient proposés. Il s’agirait donc de se libérer d’un cadre juridique et fiscal trop contraignant, qui décourage la recherche, freinant ainsi la compétitivité de la France.

Concernant la protection des données personnelles

Le rapport vise également à renforcer la confiance du citoyen dans l’utilisation de ses données, dans un contexte de suspicion. Il s’agirait de renforcer les législations existantes, en garantissant la transparence et la loyauté dans l’utilisation des données par les algorithmes de l’intelligence artificielle. On peut citer, à titre d’exemple, la loi pour une République Numérique qui impose à l’Administration d’être totalement transparente lorsqu’elle exécute des traitements algorithmiques. La nouvelle législation européenne (GDPR) en matière de protection des données personnelles imposera à l’avenir une plus grande transparence si le traitement à vocation à traiter des données personnelles des individus. Il conviendra également de se mettre en conformité au regard du nouveau principe de minimisation dans la collecte de données personnelles. 

Le rapport a pour ambition d’aller plus loin dans l’échange de données au niveau national et intra Union européenne. Il préconise en revanche de restreindre les transferts de données hors Union européenne, dans l’optique de limiter la fuite des cerveaux. Pour cela, il s’agit de faciliter le recours à l’open data, en incitant les entreprises publiques et privées à rendre leurs données publiques, via des plateformes de mutualisation entre le secteur public et le secteur privé. En matière de santé par exemple, il s’agira de développer des bases de données, plateformes d’accès et d’échange d’informations pour faire avancer la recherche.

Concernant la protection par les droits de propriété intellectuelle

L’intelligence artificielle vise également les enjeux du droit de la propriété intellectuelle, à travers notamment la question de la protection des algorithmes et de leur titularité. On peut par exemple envisager le recours au secret professionnel, au secret de fabrique ou au droit d’auteur pour protéger sa solution d’intelligence artificielle.

Concernant le régime de la responsabilité

L’une des grandes questions juridiques qui se pose au sujet de l’intelligence artificielle est celle de la détermination de la personne responsable en cas de litige. Pour donner un exemple, si un robot agissant de manière autonome blesse quelqu’un ou provoque un dommage, qui est responsable ? On a vu cette question se poser récemment aux Etats-Unis, avec les voitures autonomes qui ont été à l’origine de plusieurs accidents mortels. 

Il n’existe pas aujourd’hui de régime juridique propre à l’intelligence artificielle, et aucun fondement juridique n’y apporte de réponse spécifique. Il s’agit alors de rechercher dans les fondements juridiques préexistants de la responsabilité civile délictuelle des articles 1240 et suivants du Code civil. La responsabilité civile impose que chacun doit répondre de ses actes. La question qui se pose avec l’intelligence artificielle est celle de la détermination de la personne responsable. Est-ce l’humain à l’origine de l’algorithme défaillant, ou bien le robot ? Il convient de remarquer que contrairement à l’homme, le robot ne dispose pas de la personnalité juridique, ce qui interdit, selon la législation actuelle, toute possibilité d’indemnisation du dommage par le robot, celui-ci ne disposant pas d’un patrimoine. Pourrait donc se poser à l’avenir la question de la consécration d’une personnalité juridique propre aux robots, bien que cette réflexion soit encore à ce stade purement théorique. Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile n’envisage d’ailleurs à aucun moment ces enjeux.

Concernant le fonctionnement de la Justice

Un autre enjeu juridique de l’intelligence artificielle réside dans la question de la justice prédictive. Peut-il y avoir des algorithmes prédictifs en matière de décisions de justice ? Le Conseil d’Etat a fait remarquer que si l’intelligence artificielle promet certes des évolutions bénéfiques pour la qualité et l’efficacité de la justice, les progrès de la technologie ne doivent cependant pas masquer des risques pour l’office du juge et l’accès à la justice. L’open data et la justice prédictive promettent des progrès dont nous devons nous saisir, mais dans le respect des principes fondamentaux de la justice. Les juges doivent en effet conserver leur liberté d’appréciation et leur indépendance et l’utilisation des algorithmes doit être fondée sur les principes de neutralité et de transparence.


Long format "La Révolution de l'intelligence artificielle" réalisé par Philippe Rioux pour La Dépêche du Midi. © Mars 2018.