Les lobbys font-ils la loi ?

Nicolas Hulot met les lobbys sur la sellette

Nicolas Hulot a dénoncé, mardi 28 août, en démissionnant du gouvernement, le poids des lobbys dans les cercles du pouvoir. Mais qui sont ces «représentants d'intérêts» ? Ont-ils autant de pouvoir qu'on le dit ? Sont-ils encadrés ? 

En décidant mardi matin de quitter le gouvernement de façon fracassante en direct à la radio, Nicolas Hulot a directement mis en cause le poids des lobbys. Pour l'ancien ministre, la présence du lobbyiste Thierry Coste lors de la réunion sur la réforme à venir de la chasse lors d'une réunion lundi à l'Élysée, était «symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. Il faut, à un moment ou un autre, poser ce problème sur la table parce que c'est un problème de démocratie : qui a le pouvoir, qui gouverne ?» 

Nicolas Hulot a-t-il raison ? Le président de la République et le gouvernement qui mènent une politique pro-business sont-ils davantage sous influence que leurs prédécesseurs ? Certes, Emmanuel Macron prête une oreille attentive aux représentants d'intérêts, certains de ses conseillers sont d'ailleurs d'anciens lobbyistes comme Audrey Bourolleau qui défendait les intérêts du monde viticole et qui est aujourd'hui la spécialiste des questions agricoles auprès du Président. Mais les lobbys ont toujours existé comme le rappelait hier dans nos colonnes l'historien de la politique Jean Garrigues évoquant entre autres la relation de Jacques Chirac avec le monde agricole. On pourrait d'ailleurs rétorquer à Nicolas Hulot que lui-même a été, avant d'être ministre, un lobbyiste très actif pour la défense de l'environnement. 

30 000 lobbyistes à Bruxelles

Mais entre des ONG qui défendent des idées ou l'intérêt général et des lobbyistes qui représentent les intérêts privés de corporations ou de multinationales, il y a évidemment une grande différence, ne serait-ce que financière. Les moyens déployés par l'industrie du tabac sont considérables tout comme ceux mis en œuvre par les géants du numérique. Depuis novembre 2014, Google par exemple consacre, 4,5 millions d'euros par an à Bruxelles pour défendre ses intérêts… 

La capacité d'influence des lobbys, notamment sur les parlementaires et les élus en général, est donc réelle, même si elle fait parfois l'objet de fantasmes quant aux cadeaux (repas, voyages…) qu'ils offriraient à leurs «cibles.» Des cadeaux qui sont de plus en plus rares. Car l'exigence de transparence qui s'est fait jour dans nos sociétés depuis plusieurs années maintenant a conduit à l'établissement d'un encadrement plus contraignant pour les activités de lobbying qui ont mauvaise presse auprès de l'opinion publique. 

À Bruxelles, où l'on compte jusqu'à 30 000 lobbyistes tous secteurs et toutes formes (fédérations, associations…) confondus, la Commission européenne a créé en 2011 un registre de transparence qui compte près de 11 000 inscrits. «Facultatives depuis novembre 2016, les inscriptions augmentent puisque la rencontre avec un commissaire ou un directeur d'une direction générale est, sans présence dans le registre, devenue impossible», explique Olivier Arifon, de l'Université libre de Bruxelles sur le site The Conversation. 

Activités encadrées… et utiles

En France aussi, l'activité de lobbyiste est désormais plus encadrée. Depuis le 1er juillet 2017, consécutivement à la loi sur la moralisation de la vie publique, les représentants d'intérêts sont tenus de s'inscrire sur le répertoire numérique Agora de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), sous peine de sanctions pénales. Avec un tel encadrement, les choses sont désormais plus claires et les lobbys pourraient d'ailleurs en profiter pour montrer toute leur utilité. Car s'ils défendent des intérêts, ils exposent aussi des points de vue, des idées que les élus ont besoin d'entendre pour se forger leur opinion voire s'informer de sujets qu'ils connaissent peu. 

«Quand il y a des lobbys, ils sont légitimes dans une société. Un lobby, c'est un groupe de pression qui défend ses intérêts privés. La politique, c'est essayer d'identifier les intérêts privés dans une société mais d'en dégager l'intérêt général», résumait ainsi hier l'ancienne ministre de l'Environnement Ségolène Royal. Reste que les lobbyistes, qui se sont professionnalisés ces dernières années, conservent les mêmes objectifs et sont, par exemple, capables, de fournir clé en main des amendements voire des propositions de loi aux députés. 

Aux élus de savoir résister et faire la part des choses.

Les lobbys influencent-ils vraiment Emmanuel Macron ?

Le palais de l'Elysée.

Dès avant son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron a été accusé d'être sous la coupe des lobbys. Le CV du candidat, son passage à la banque Rotschild, son appétence pour les sujets économiques ont constitué, aux yeux de ses opposants, sinon des preuves du moins des faisceaux d'indices. Emmanuel Macron a eu beau «prendre l'engagement de n'être tenu par personne» et se dire «libre» de tout intérêt, rien n'y a fait. Élu président de la République, les mêmes critiques ont perduré, renforcées par la politique pro-business conduite par le nouveau gouvernement. Emmanuel Macron est-il réellement sous l'influence des lobbys ? Voire. 

Chirac et le lobby agricole

Tous les présidents de la République ont eu des relations avec des lobbys divers et variés, notamment ceux de l'agriculture ou de la viticulture. Si Emmanuel Macron suscite toutefois autant de suspicions, c'est en raison du profil de ceux qui l'entourent. Nombre de ses proches et de ses conseillers ont une expérience dans le privé et certains d'entre eux ont même été des lobbyistes. La conseillère à l'agriculture de l'Élysée, Audrey Bourolleau, dirigeait ainsi Vin & Société ; Cédric O travaillait pour le groupe aéronautique Safran ; Claudia Ferrazzi, conseillère culture, a commencé sa carrière chez Cap Gemini et au Boston Consulting Group. 

Les relations avec d'autres lobbyistes sont connues comme le désormais fameux Thierry Coste, lobbyiste des chasseurs et ancien conseiller sur la ruralité durant la campagne. À cet aréopage, il convient d'ajouter les ministres issus du privé qui ont eu des activités de responsable des affaires publiques au sein de grandes entreprises. On peut notamment mentionner le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, ex-lobbyiste chez Unibail-Rodamco et le Premier ministre Édouard Philippe, lobbyiste chez Areva de 2007 à 2010. Pour l'heure les lobbys bénéficient d'une écoute bienveillante de la part des conseillers de l'Élysée ou ceux des ministères, mais Emmanuel Macron a su installer des limites pour montrer qu'il prend ses décisions sous la pression de personne.

José Bové : « Il faut repenser la défense de l'intérêt général »

L'hémicycle du Parlement européen.


Eurodéputé Europe-écologie Les Verts depuis 2009, José Bové est un militant historique du Larzac, cofondateur de la Confédération paysanne,ancien candidat à l'élection présidentielle de 2007.  En 2015, il a publié avec la collaboration de Gilles Luneau "Hold-up à Bruxelles. Les lobbies au coeur de l'Europe" (Ed. La Découverte, 264 pages, 9,50 €), préfacé par Daniel Cohn-Bendit, dans le quel il raconte son expérience de parlementaire européen face aux lobbys.


Nicolas Hulot a dénoncé la place trop importante des lobbys dans les cercles du pouvoir. A-t-il raison ? 

Aujourd'hui on voit à l'œuvre tous les intérêts particuliers – qui sont ceux du court terme – qui ne poursuivent qu'une seule chose : continuer leur business ou l'augmenter et cela au détriment de l'intérêt général. On le voit sur les médicaments avec tous les scandales qu'on a connus. On le voit sur les pesticides. On l'a vu encore dernièrement sur les OGM cachées à Rodez, où la RAGT et ses soutiens dénoncent les Faucheurs volontaires alors que la Cour européenne de Justice a dit qu'il s'agissait bien d'OGM et qu'il fallait qu'ils soient réglementés. On l'a vu sur le glyphosate. On l'a vu sur les boues rouges à Marseille. On le voit sur le nucléaire, etc.
Systématiquement, on a à l'œuvre des groupes d'intérêts économiques et financiers qui enserrent à la fois les ministères mais aussi la Commission ou le Parlement européens. C'est un mode aujourd'hui qui se développe de plus en plus, et notamment par une autre manière encore plus sournoise puisqu'on a maintenant des cabinets d'affaires, d'avocats qui viennent directement prendre les contacts plutôt que ce soit directement des gens des firmes. Ce qui permet de garder le silence puisque ce sont des avocats. C'est quelque chose qui est vraiment à l'œuvre partout. 

Vous qui êtes député européen, avez-vous été approché par des lobbys ? Avez-vous des exemples de pressions exercées par les lobbys sur les eurodéputés ? 

Mon cas est particulier car les lobbys savaient, quand j'ai été élu au Parlement européen en 2009, à quoi s'en tenir. Ils ont essayé mais ils ont arrêté de me harceler directement. Mais je le vois par ailleurs. Il y a des centaines d'envois de message aux députés pour leur dire : il faut voter tel ou tel article. Certains députés, qui sont proches de ces lobbys, font aussi leur boulot. C'est un vrai problème car on confond société civile et lobby… 

Les gens des lobbys revendiquent le titre de société civile dans la mesure où ils ne sont pas politiques. Je les ai vus à l'œuvre pour des produits pharmaceutiques. Pour des pesticides tueurs d'abeilles où j'ai été confronté à un scandale que j'ai dénoncé publiquement puisque des lobbys avaient essayé de faire pression sur l'Agence européenne sanitaire des aliments. Je les ai vus aussi sur les OGM, sur des accords de libre-échange, etc. 

Ce qui est dramatique avec ces lobbys, c'est qu'ils ont l'oreille des pouvoirs.

Quelles sont les pressions qu'exercent les lobbys ? Le chantage à l'emploi ? 

Oui ça peut être le chantage à l'emploi, c'est ce que j'ai vu à Marseille sur les boues rouges. Quand Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, avait suivi la position des associations, des pêcheurs, des riverains, c'est le ministre de l'Économie Emmanuel Macron qui l'a emporté dans un arbitrage rendu par Manuel Valls au nom de l'économie et de l'emploi… alors que cette usine est condamnée et que c'est la dernière en Europe. Le tribunal administratif vient d'ailleurs de nous donner raison. 

Ce qui est dramatique avec ces lobbys, c'est qu'ils ont l'oreille des pouvoirs, mais que souvent, quand on est opiniâtre, on finit par l'emporter contre eux devant les tribunaux après deux, trois, quatre, cinq ans… Toute la logique de la pollution continue. C'est cela qu'a dénoncé Nicolas Hulot, cette pression énorme. 

Y a-t-il des pressions plus personnelles sur les députés ?

Oui bien sûr. Cela dépend du député. Cela ne m'est jamais arrivé, parce que je me donne les moyens que cela ne m'arrive pas. Par exemple, je n'ai jamais reçu un lobbyiste seul dans mon bureau, j'étais toujours avec l'un de mes assistants. Quand c'est un lobbyiste «dangereux», comme ceux de l'industrie du tabac, j'enregistre notre conversation, s'il refuse, il quitte mon bureau. 

On peut se prémunir, mais il peut y avoir les chantages à l'emploi ou à des avantages familiaux. Les États étrangers aussi font des pressions avec des invitations, etc. Tout cela est hélas classique. Pour résister il faut que l'élu ait une éthique. En France, la loi a mis en place un registre des représentants d'intérêts. 

Est-ce suffisant ? Faut-il aller plus loin ?

Le problème c'est la logique du pouvoir, des cabinets. Ils ont souvent l'habitude de travailler avec ces intérêts économiques parce qu'ils ont l'impression que mener la politique économique c'est satisfaire tous ces groupes de pression. Dans l'agriculture, on voit bien quel rôle a joué la FNSEA sur la question des pesticides, main dans la main avec l'industrie des pesticides. 

On voit bien qu'on peut avoir un ministère qui soit corps et âme au service de ces logiques. Et quand on voit aussi des lobbyistes embauchés ensuite comme salariés d'institutions politiques, on sait à quoi s'attendre. Il y a la nécessité de repenser globalement la défense de l'intérêt général par rapport aux intérêts particuliers.

Nicolas Hulot face au "mur des lobbys"



François Allard-Huver, Université de Lorraine

L'annonce-surprise de la démission de Nicolas Hulot, en pleine rentrée gouvernementale, aura sans aucun doute étonné une partie du gouvernement et de l’opinion. Elle s’inscrit cependant dans la suite logique d’une série de compromissions et de grands écarts qui ont mis le ministre de la Transition écologique et solidaire dans une position difficile, voire intenable.

Au fil d’une année riche en dossiers lourds et complexes, celui du glyphosate au premier rang, le mandat du parfois controversé Monsieur « Ushuaïa » n’a pas été un long fleuve tranquille, tant les arbitrages de Matignon et de l’Élysée ont pu le placer en porte à faux de ses convictions et engagements.

Lors des controverses et polémiques autour de certains dossiers – nucléaire, pesticides et transition agricole par exemple –, le ministre d’État apparaît avoir eu moins de poids que certains lobbies, voire d’autres ministères, ceux de l’Agriculture et de l’Économie notamment. Plus encore, il est revenu à l’ancien animateur télé d’avoir à assurer la promotion de décisions diamétralement opposées à ses engagements passés. Son mandat a pu ainsi ressembler, au mieux, à un simple exercice de communication gouvernementale, au pire, à un véritable cas d’étude de greenwashing.

À force de se heurter au « mur des lobbies », Nicolas Hulot a fini par démissionner, sans en informer Édouard Philippe ni Emmanuel Macron ; cela marque un grand désarroi mais également un manque de compréhension mutuelle, après seulement 15 mois passés au gouvernement. Sans faire ici le bilan de ce court mandat, il est intéressant de revenir sur quelques dossiers phares qui témoignent des contradictions de la politique écologique d’Emmanuel Macron.

La « caution écologique » de la présidence Macron

Avec son pacte écologique, lancé en 2007, l’ancien animateur télé tente depuis longtemps d’inscrire les enjeux écologiques au cœur de la vie politique française, et en particulier de l’élection présidentielle. Longtemps courtisé par différents partis politiques, de l’UMP au PS, et après une candidature malheureuse à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts en 2011, il refuse plusieurs fois d’intégrer le gouvernement de Manuel Valls, malgré les demandes insistantes et répétées de François Hollande.

Sa nomination en mai 2017, au ministère de la Transition écologique et solidaire, avec un rang de ministre d’État, semble incarner pleinement le renouveau voulu par Emmanuel Macron, et l’ouverture du gouvernement Philippe a des personnalités de premier plan de la société civile. Cette nomination joue en outre le rôle d’une véritable caution écologique, voire d’un souci et d’un intérêt réel d’Emmanuel Macron pour les enjeux environnementaux, tout en assurant un capital sympathie au gouvernement nouvellement formé, tant Nicolas Hulot est populaire dans l’opinion française.

Très rapidement, l’annonce en juillet 2017 de la fin de la commercialisation des voitures à essence et diesel d’ici 2040, l’inscription de l’environnement dans l’article premier de la Constitution, tout comme l’abandon définitif en janvier 2018 du projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes sonnent comme autant de « victoires » importantes pour Nicolas Hulot.

Ces annonces sont cependant loin de constituer de réelles avancées environnementales pour la France. L’inscription de l’environnement dans la Constitution ou la volonté de s’éloigner d’un modèle énergétique basé sur les hydrocarbures d’ici 2040 sonnent comme des vœux pieux. Et le retrait du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pourrait même ressembler une aubaine pour son futur ex-concessionnaire, le groupe de BTP Vinci : désastreux en termes d’image pour l’entreprise, le projet n’emballait plus vraiment le concessionnaire qui préférera sans doute récupérer des indemnités, dont le montant n’a pas encore été dévoilé. Loin d’être uniquement écologique, la décision semble avant tout politique et économique.

Glyphosate, cachez ce pesticide que je ne saurais interdire

Dans les dossiers évoqués pour justifier sa démission, Nicolas Hulot cite notamment les pesticides et la biodiversité, deux sujets sur lesquels les manœuvres des lobbies ont été parmi les plus agressives et efficaces. C’est sans doute sur le dossier du glyphosate que l’échec de l’écologiste semble avoir été le plus cinglant, critère vraisemblablement déterminant de son départ.

Cet herbicide suscite depuis longtemps une forte controverse dans la communauté scientifique et se trouve au cœur de nombreuses polémiques médiatiques, politiques et juridiques. La récente condamnation de Monsanto dans l’affaire qui l’oppose au jardinier Dewayne Johnson a enfoncé le coin dans une stratégie de communication et de lobbying agressive que mène l’entreprise pour défendre son produit phare, le Roundup (le glyphosate en est le principe actif). Nicolas Hulot ne sera jamais parvenu à faire inscrire la date de son interdiction dans la loi.

Sur ce point, les lobbies semblent avoir de loin dicté les choix écologiques du gouvernement et en particulier d’avoir fait pencher la balance en faveur du ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert. Le lobby de l’industrie des pesticides, l’UIPP, ou encore celui de l’agriculture « conventionnelle », la FNSEA, ont été en effet vent debout toute volonté d’interdire la molécule controversée, jugeant qu’il n’y a pour l’instant pas d’alternative valable et que l’ utilisation du glyphosate rendait, selon l’UIPP, de « réels services aux agriculteurs ».

Face au poids politique et économique de ces acteurs, le gouvernement tranche et Hulot se trouve de nouveau pied au mur.

Un « Vieux monde » bien présent

En réaction à la critique lancinante de n’être que le président des villes (et des riches), Emmanuel Macron a récemment pris une série de décisions à même de satisfaire les campagnes et certaines coteries traditionnelles. Le lobby des chasseurs a ainsi réussi à faire diviser par deux le prix du permis de chasse tout comme à faire autoriser le piégeage de certaines espèces d’oiseaux pourtant menacées.

Les lobbies de l’agriculture intensive et de l’agro-industrie ont pour leur part été choyés au Parlement lors du vote de la décevante loi sur l’Alimentation, où la plupart des amendements en faveur de l’amélioration du bien-être animal ont été rejetés.

Plus encore que l’influence des lobbies et le poids des intérêts économiques dans les décisions environnementales, ces dossiers – et tout particulièrement celui du glyphosate – sont révélateurs d’un modèle écologique de la macronie, bien loin d’un Nouveau Monde ! La phrase de Stéphane Travert, fustigeant « les petits marquis de l’écologie », traduit bien cette orientation où la question environnementale n’est ni centrale ni déterminante.

Avec le départ de Nicolas Hulot, tombé face au mur des lobbies, se valide alors l’adage chevènementiste – « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule » – et inscrit très nettement la politique écologique de la macronie dans l’Ancien Monde. En somme, Make our planet great again mais Economy first.

François Allard-Huver, Maître de conférences, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


Les lobbies, un défi pour l'Etat et la gouvernance


Olivier Arifon, Université Libre de Bruxelles

Discuter du rôle et des actions des lobbies est – selon la définition et la position adoptée – soit brandir un déni de démocratie pour les acteurs de la société civile, soit assumer légitimement des relations publiques pour les entreprises et fédérations professionnelles.

Comme souvent, la réalité se situe entre ces deux positions. Examinons d’abord différentes dimensions du lobbying, national comme européen, avant d’aborder un cas emblématique.

Lobbying classique et lobbying offensif

Depuis toujours, les acteurs économiques, politiques et issus de la société tentent d’influencer les décideurs, ce que nous qualifions de lobbying classique. Les prises de décisions et les lois qui en résultent sont le fruit de contacts avec des décideurs et de mécanismes de négociation relativement démocratiques.

Récemment, à Bruxelles en tout cas, la nécessité d’améliorer la prise de conscience sur un sujet (raising awareness) passe par une communication affichée, maîtrisée et revendiquée. Les décideurs, et plus largement tous ceux en relation avec un dossier, doivent être sensibilisés. Les ONG sont, d’ailleurs, reconnues comme expertes sur cet aspect.

Vient ensuite un lobbying plus offensif, centré sur l’influence et par définition moins visible. Il s’agit de convaincre les esprits. Ici, la communication utilise tous les canaux disponibles, de manière affichée ou détournée, afin de se servir des médias comme relais.

La création du doute

Enfin, avec un degré de complexité croissant, sujets spécialisés et techniques de manipulation de l’opinion forment l’aspect le plus récent du lobbying. Il associe technicité du sujet, polémique et controverse (au choix : santé, pollution, substances cancérigènes…), difficulté d’évaluation de la toxicité, recours à l’expertise et normes associées et fait, le plus souvent, l’objet de vifs débats.

La création de doute s’élabore par l’introduction d’experts dans des comités spécialisés ou lors d’auditions au Parlement, par le financement et la réalisation d’études scientifiques favorables à l’entreprise ou à une association créée et financée par cette dernière. Cette approche est alors qualifiée d’astroturfing. L’installation du doute dans l’esprit des décideurs, plus largement dans celui des fonctionnaires et des citoyens, est aidée par une utilisation des médias conçus comme une chambre d’écho multi-canal.

Tous les acteurs ont compris ces dimensions, auxquelles il convient d’ajouter trois éléments propres à l’Union : le Traité de Lisbonne, d’une grande complexité, constitue un labyrinthe communautaire. La deuxième rupture, déjà évoquée, tient à la communication : sur un dossier complexe, le message soit être clair. Enfin, la dernière rupture est encore plus technique : c’est la constatation de la disparition de la collégialité de la Commission européenne qui a de plus en plus tendance à travailler par direction et en conséquence par commissaire. La question devient alors : qui décide ? Et comment ?

Un cas d’école : Monsanto

Nous pourrions multiplier les exemples pour illustrer ces niveaux, registres et éléments qui traversent le débat public et influencent les décisions des dirigeants. L’un d’entre eux inclut tout ce qui vient d’être dit ci-dessus et sans doute plus ! En effet, le débat, les actions, les polarités, les motivations autour du pesticide Round Up, de l’entreprise Monsanto, forment un cas d’école illustrant l’équilibre entre contrôle politique, expertise scientifique et actions citoyennes.

Depuis plus de dix ans, Monsanto, puis ses détracteurs ont utilisé toutes les modalités d’actions décrites auparavant. Ainsi, l’entreprise Monsanto, inspirée par les méthodes des cigarettiers, a utilisé toutes les ressources disponibles pour créer du doute (il existe des Monsanto papers semblables aux Tobacco papers).

En même temps, et avec d’autres moyens, plusieurs organisations ont utilisé les ressources proposées par le numérique pour agir sur le débat public. Elles ont également utilisé les possibilités offertes par les institutions européennes : droit à la pétition au Parlement (), droit à l’information (freedom of information) pour demander le compte-rendu d’une réunion d’un cabinet d’un commissaire, Initiative citoyenne européenne (un million de signatures de sept pays membres sur une année). On doit constater que, dans ce cas, le lobbying de Monsanto a atteint son objectif, car le Round up a été de nouveau autorisé, en novembre 2017, pour cinq années.

La polémique continue et Bayer qui rachète en 2018 Monsanto a décidé de faire disparaître la marque – ce qui rendra inopérants les sites opposés à la marque et résultats dans les moteurs de recherche. Le Round up restera, cependant, sur le marché.

Solutions et défis pour les États

Nombre d’acteurs opposés au lobbying réclament plus de transparence, ce qui pose deux questions. Par essence, une négociation contient une part de secret, une part d’indéfinie et demander une transparence totale pose des problèmes pour l’avancée des négociations en termes de modalités techniques et de ressources. Et, si le cas Monsanto est emblématique, nombre d’entreprises utilisent les registres plus classiques et moins offensifs.

Par ailleurs, les ONG savent jouer des registres médiatiques avec parfois des succès intéressants (comme à propos de la pêche en eau profonde avec l’ONG Bloom soutenue par la BD de Peneloppe Bagieu.

Sur le cas Monsanto, la Commission propose quatre axes afin de réduire la production de doute :

Rendre publiques les informations soumises par l’industrie ;

ouvrir des appels à contribution afin de collecter des données auprès des parties prenantes ;

commander des études auprès de l’Agence européenne de la sécurité alimentaire (Efsa).

Enfin les États devront proposer des experts auprès de l’agence.

Ces solutions révèlent, selon le regard, soit les espaces où s’est infiltré le lobbying et en révèle son efficacité, soit les faiblesses des procédures existantes.

Elles permettent aussi d’aller au-delà d’une simple exigence de transparence.

Olivier Arifon, Chercheur en Influence et affaires publiques, Université Libre de Bruxelles

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Le lobby des géants du web

Le siège de Google à Mountain View

L'importance des lobbys en Europe peut être parfaitement illustrée par les sommes colossales dépensées par les géants de l'internet, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ces derniers sont dans le collimateur de la Commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, qui n'a pas hésité à leur infliger de lourdes amendes.

La réforme du droit d'auteur, qui sera à nouveau mise au vote le 12 septembre, fait également l'objet d'un intense lobbying entre les créateurs et les éditeurs d'un côté et les géants du web, pour l'occasion associés aux défenseurs de la liberté d'expression. Les eurodéputés sont ainsi bombardés d'email. Virginie Rozière, eurodéputé Les Radicaux de gauche, indiquait récemment avoir reçu quelque 40000 messages.

4,5 millions  d'euros par an pour Google

L'ONG Transparency international s'est intéressé au lobbying que mènent les GAFAM à Bruxelles et les sommes donnent le vertige : 4,5 millions d'euros par an pour Google et autant pour Microsoft. Les rencontres avec les commissaires européens sont aussi nombreuses. Depuis 2014, Google a ainsi rencontré des membres de la Commission européenne à 167 reprises.



"Les lobbys font-ils la loi ?" - Long format réalisé pour la rédaction de La Dépêche du Midi. Textes et mise en page : Philippe Rioux. Avec le concours de The Conversation.