Assassinat du père Hamel, à Saint-Etienne-du-Rouvray

Deux ans après, les sacristains se souviennent

Le 26 juillet 2016, la France et le monde étaient sidérés par le sauvage assassinat du père Jacques Hamel, modeste curé de Saint-Étienne-du-Rouvray, au sein même de son église, par deux jeunes islamistes fanatisés.

Sébastien et Maria Velardita, sacristains de l'église Saint-Étienne, comptaient parmi les plus proches du père Hamel. Deux ans après, ils témoignent toujours de leur profonde admiration pour cet ami pas comme les autres.

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« Que voulez-vous qu'il arrive à un vieux prêtre comme moi ? »

« Que voulez-vous qu'il arrive à un vieux prêtre comme moi ? » Cette question, lourde d’ironie tragique, fut un jour renvoyée en guise de réponse par le père Jacques Hamel, à son sacristain inquiet de voir constamment ouvert le portail du presbytère.

Sébastien Velardita ne se lasse pas de raconter l’anecdote, même s’il l’a probablement ressassée des centaines de fois auprès des journalistes du monde entier, depuis ce funeste 26 juillet 2016 où la commune de Saint-Étienne-du-Rouvray fut projetée dans l’œil du cyclone médiatique. Ce jour-là, Sébastien et son épouse Maria, sacristains de l’église Saint-Étienne depuis 2002, ont perdu bien plus qu’un ami : « C’était notre frère, notre père », clame le couple.

Difficile de « remonter la pente »

Deux ans après l’assassinat de Jacques Hamel par deux jeunes fanatiques associés au groupe État islamique, Maria évoque ses difficultés à « remonter la pente ». 

« Mais aujourd'hui ça va beaucoup mieux. Le père Hamel s’asseyait toujours sur la même chaise dans notre cuisine : quand je ne vais pas très bien, je m’assieds en face de lui et je lui parle. »

Au fil de leurs 14 années passées « au service » du prêtre martyr, Sébastien et Maria Velardita sont devenus ses plus proches amis. « Ici, nous étions sa famille », précisent même les deux sacristains, certains que la sœur du père Hamel - qui réside dans le Nord et avec laquelle ils ont noué des liens très étroits - ne viendra pas les contredire.

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C’est d’ailleurs avec son plein accord que « nous sommes les seuls paroissiens à avoir eu l’honneur de l’embrasser une dernière fois dans son cercueil », raconte Maria.

« Maria, ils ont tué tonton »

Cette proximité était telle que beaucoup de leurs concitoyens s'inquiétèrent spontanément pour leur sort lorsque, le jour du drame, les premières informations mentionnèrent la présence d’un couple de paroissiens parmi les victimes des deux jihadistes (en réalité Janine Coponet et son mari Guy, grièvement blessé à l’arme blanche).

Or, le sort voulut que les Velardita ne fussent pas à la messe ce matin-là. C’est un SMS de leur petite-fille les pressant d’allumer leur télévision qui les avertit, alors qu’ils étaient attablés dans leur cuisine. Un coup d’œil à la fenêtre suffit alors à les convaincre de la gravité des événements : des forces de l’ordre ayant totalement investi le quartier et qui, malgré l’insistance de Sébastien Velardita à vouloir se rendre sur place, ne le laisseront jamais passer.

C’est donc cloîtré dans son appartement que le couple d’anciens commerçants suivit avec effroi le déroulé des événements… Et ce en lien téléphonique direct avec la famille de Jacques Hamel, elle-même présente à Saint-Étienne-du-Rouvray et confinée dans le presbytère !

« Sa sœur Roselyne et ses deux nièces étaient ici, car ils devaient ensuite partir tous ensemble en vacances. »

C’est l’une de ces nièces qui leur confirma soudain, en larmes, la nouvelle qui filtrait déjà à travers les chaînes d’info en continu : « Maria, ils ont tué tonton ».


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Toujours prompt à accepter « un petit rosé »

Malgré la douleur réactivée par ces souvenirs, Sébastien et Maria Velardita assurent n'avoir aucun problème avec le fait « d’en parler tout le temps ». Maria se prête d’ailleurs à l’exercice dès que se présentent des visiteurs : bien souvent des groupes religieux, en quasi-pèlerinage. Ces derniers, estime la sacristaine, n’auront d’ailleurs pas fini d’affluer en cas de béatification du père Hamel. 

Le couple d’amis du prêtre fait justement partie des dizaines de témoins entendus à l’archevêché, dans le cadre du procès voué à reconnaître la sainteté de l’abbé de Saint-Étienne-du-Rouvray. « Il fallait répondre à cent questions, j’y suis resté trois heures ! », raconte Sébastien Velardita. Lui et sa femme y ont trouvé l’occasion d’exprimer leur admiration pour ce « curé à l’ancienne, humble et timide », dévoué à vie de la paroisse et « toujours disponible »… Mais aussi, pourquoi pas, toujours prompt à accepter « un petit rosé, parfois un calva », glisse avec malice le sacristain de Saint-Étienne.

« La réponse d'un saint »

Son épouse, elle, se remémore cette conversation survenue après l’attentat du 14 juillet à Nice, soit quelques jours seulement avant la mort de Jacques Hamel.

« Je lui ai demandé ce qu’il en pensait, et il m’a simplement répondu : « Ces gens-là ne savent pas ce qu’ils font ». C’est la réponse d’un saint ! »

Depuis le drame, l’église Saint-Étienne est désormais accessible au public tous les jours. Et c’est à Sébastien Velardita qu’en revient la responsabilité quotidienne. « Tous les matins à 10 h et tous les soirs à 18 h », il en ouvre et ferme les accès.

En passant d'abord par la porte de la sacristie, celle-là même par laquelle sont entrés les terroristes du 26 juillet 2016, et devant laquelle ils ont été abattus par la police

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Cette mission journalière, manquée qu’à de très rares occasions, « nous l’accomplissons de bon cœur pour le père Hamel ! », s’exclame le sacristain. « Certains, à l’époque, nous ont demandé si nous allions continuer. Plutôt deux fois qu’une ! » 

Sur le chemin de l’église située à deux pas de chez eux, Sébastien et Maria, respectivement 86 et 80 ans, se tiennent fermement la main, comme ils le font systématiquement dès qu’ils mettent le pied dehors. C’était le cas, en ce dimanche de 2002, lorsqu’un petit prêtre encore vêtu de son aube les a interpellés à la sortie de la messe. « Monsieur, aimeriez-vous donner un coup de main à la communauté ? », demanda le père Jacques Hamel à Sébastien Velardita.

« Oui, si Maria vient avec moi », lui répondit son futur sacristain. Voici comment débuta une exceptionnelle amitié, que même la plus absurde des tragédies n’est pas parvenue à atténuer. 

Deux ans après, une cérémonie très sobre

Sébastien Velardita laisse échapper quelques larmes lorsque vient le moment d'évoquer la venue d’Emmanuel Macron, il y a un an, pour la première commémoration de la mort du père Hamel.

« J’ai pu lui parler. Je lui ai dit : « un grand merci en notre nom et au nom de tous les Stéphanais. Votre geste, on ne l’oubliera jamais ! » Puis je lui ai demandé si je pouvais l’embrasser. Il m’a répondu : « cher ami, avec plaisir ! ». »

Pas de président Macron, en revanche, cette année. Les célébrations se feront beaucoup plus sobres. La Ville de Saint-Étienne-du-Rouvray, pour sa part, organise « une cérémonie pour la paix et la fraternité » à 10 h 30 devant la stèle érigée sur le côté de l’église Saint-Étienne. Se succéderont au micro le maire de la ville Joachim Moyse, son prédécesseur (notamment au moment des faits) et actuel député Hubert Wulfranc, l’archevêque Mgr Dominique Lebrun ainsi que la préfète Fabienne Buccio.

Du côté des cérémonies religieuses, une messe présidée par Mgr Dominique Lebrun sera célébrée à 9 h en l’église Saint-Étienne. Un rassemblement est proposé auparavant à 8 h par la paroisse au presbytère (28 rue Lazare-Carnot), avant une marche vers l’église.

Un procès qui touche à sa fin

Le père Paul Vigouroux reçoit dans la salle des conseils de l'archevêché, à Rouen. Là même où se tiennent les auditions menées dans le cadre du procès en béatification du père Hamel.

Des auditions auxquelles « je n’ai pas le droit d’assister », précise ce dernier. Même si, en sa qualité de postulateur de ce procès (au sens religieux de la recherche de la vérité), il en consulte naturellement les comptes rendus. 48 entretiens ont ainsi été menés depuis mai 2017, sur la soixantaine de prévue. La démarche approche donc de son dénouement envisagé pour la fin de l’année, au rythme moyen de deux jours d’auditions par mois. « Chacune d’entre elles dure entre deux heures et deux heures et demie », précise le père Paul Vigouroux, preuve de la minutie du travail mené pour prouver la sainteté du curé de Saint-Étienne-du-Rouvray.

« Une belle surprise »

« À chacun des témoins, sont posées des questions sur les vertus chrétiennes de la foi, de l’espérance et de la charité, détaille postulateur. Mais aussi sur la vie privée de Jacques Hamel. » Celles-ci sont plutôt réservées aux membres la famille du prêtre assassiné, les derniers qui seront entendus après l’été. « Rome tient à obtenir des détails concrets, des faits de vie marquants », assure le Père Vigouroux. Bien que profitant d’un lancement accéléré à la demande du pape, la procédure de béatification n’en suit pas moins un protocole extrêmement vigoureux « sous peine d’échouer pour vice de forme », précise le prêtre de Saint-Jacques-sur-Darnétal.

Ainsi, les auditions menées au sein de l’archevêché de Rouen se termineront avec celles des cinq membres de la commission d’archives créée pour recueillir et compiler les écrits du Père Jacques Hamel. « Nous avons eu une belle surprise à ce niveau-là : nous avons retrouvé une centaine d’homélies qui permettent de cerner la manière dont il pensait la foi, l’humanité, la prière… »

Au Vatican de poursuivre l'enquête

Pour compléter le tout : ces textes du curé martyr font également l’objet d’un examen approfondi de la part de deux censeurs théologiens, dont l’identité est maintenue secrète (et qui ne seront pas, eux, auditionnés). Une fois accomplies toutes ces étapes, « il y aura une cérémonie de clôture du processus rouennais », annonce le postulateur. 

« L’archevêque (Mgr Dominique Lebrun, N.D.L.R.) nommera alors quelqu’un pour porter les pièces à Rome. » Au Vatican de poursuivre l’enquête qui n’appartiendra plus, dès lors, au père Paul Vigouroux. À l’issue d’un an d’instruction, lui qui n’a guère fréquenté Jacques Hamel de son vivant ressent « beaucoup de respect » à l’égard de son parcours et de sa dévotion. 

« Je sortirai forcément grandi de cette expérience. La mission principale de l’Église est de nous rendre tous saints : elle s’est particulièrement accomplie à travers le père Hamel. »