Une identité française ?

Réflexion autour des propos de Pascal Blanchard

Une identité française ? Est-ce que ça existe une identité française ?

Le contexte actuel relance fortement le débat, il interroge, il nous pousse dans nos retranchements. Les propos tenus par Nadine Morano vont dans le sens de ces interrogations : « Il faut garder un équilibre dans le pays, c'est-à-dire sa majorité culturelle. Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche. » L’indignation et les moqueries qui ont suivi cette déclaration ont envahi les réseaux sociaux. Une manière pour les jeunes, plus habitués que leurs parents à la mixité, de montrer leur opposition. Le problème aujourd’hui, c’est que ce débat autour de l’identité nationale a été engagé sur une base dangereuse et condamnable en associant le problème de fond à l’immigration. Actuellement, le climat médiatique plus apaisé permet d’aborder sereinement les enjeux politiques à court terme qui ont entouré ce débat.


De nombreuses recherches ont permis de cerner les appréhensions des Français, et lorsqu'on leur a concrètement posé la question : 


                                  « Pour vous, qu’est-ce qu’être français ? »

                                  Voici les mots qui ont le plus été utilisés : 

Droit – Histoire – Liberté – Culture – Débat – Langue – Vivre – Egalité

                                      (source : immigration.interieur.gouv)

Si on se concentre sur ces huit mots, on peut s’apercevoir que les termes de religion, de couleur, d’origine, n’en font pas partie. Dans les valeurs qui pourraient définir une identité, le régime politique qui nous chapeaute et nous permet justice (droit et égalité), liberté, débat (liberté d’expression), culture (droit à l’éducation), mais aussi la langue. Elle est considérée comme un élément prioritaire dans la construction d’une identité. Pas étonnant qu’on puisse trouver parmi les tests permettant d’avoir accès à la carte d’identité française un questionnaire permettant d’évaluer le niveau de langue du demandeur. Il s’agit d’un élément clé dans une société : plus qu’une couleur de peau ou une culture, elle est indissociable de la cohésion et de la compréhension de l’autre.

Même si de nombreuses choses semblent nous diviser, les recherches tendent à nuancer cette situation. Les Français se sentent « français » parce qu'ils ont une histoire à partager, et le sentiment de pouvoir vivre dans de bonnes conditions. Pour revenir sur le terme d’« histoire », son enseignement est saturé de finalités. Parfois vu comme vecteur de propagande et d’endoctrinement des élèves, il est dans sa version la plus positive capable de régler les maux de la société. Notamment en permettant aux élèves l’apprentissage de valeurs essentielles pour comprendre la communauté dans laquelle ils vivent.

Le multiculturalisme est-il en train de laisser la place au "grand repli"?
Réflexions de Pascal Blanchard.

"Face à une diversité de plus en plus visible, les gens se réfugient dans un grand repli"

Pascal Blanchard, historien et chercheur, est auteur du Grand Repli.  Paru en septembre 2015, l'ouvrage est d'abord une réaction au processus qui mène la France au bord de l’abîme, sur fond d’angoisses identitaires et de nostalgie de grandeur.

Dans le cadre de Novembre de l'Egalité, Pascal Blanchard a présenté son ouvrage lors d'une conférence-débat. Près d'une cinquantaine de personnes s'étaient rassemblées pour l'écouter. 


" Ils veulent trouver des héros qui leur ressemblent." 


« La venue des migrants, ou leur visibilité a amené le débat sur l'identité française. On s’est à nouveau demandé « qui est français ? ». On a même parlé de « bon ou de mauvais Français ». Aujourd’hui, on entre avant tout dans une crise de non intégration, la crise d’une France en déclin. Les gens ont peur du multiculturalisme qui risquerait de dissoudre leur identité. Ils craignent de perdre ce qui a fait leur force, leur puissance, et donc leur historité. Pour certaines personnes, la France ne fait plus d’enfants de France. Sauf qu’il est important de revenir sur les fondements de ce débat et de ne pas oublier que quand on se regarde dans un miroir, on regarde l’autre, mais aussi soi-même. L’identité française n’a jamais été stable, identique. Elle s’est transformée avec son histoire et son parcours. Avant, être un bon Français c’était être anti-communiste, aujourd’hui être un bon Français c’est être anti-musulman. Les gens se construisent avec ça. Ils recherchent une France lisse et parfaite, où tous seraient des héritiers de la Révolution. Sauf que ce pays dont ils sont si fiers a une histoire parfois lourde à supporter. Des pages oubliées par les manuels. Parmi ces oublis, la guerre d'Algérie, la colonisation. On ne se demande jamais « Comment le pays des droits de l’homme a pu coloniser ? ». Pourtant c’est une question essentielle. Comme Aimé Césaire le disait, « Il n’y a pas de colonialisme sans racisme ». Racisme ? Déjà ? Toute l’histoire de France est entachée de témoignages de cruauté envers l’immigration. Hier ils étaient indigènes, aujourd’hui ils sont immigrés et on leur sort le discours sur l’assimilation. Je vous propose de repartir  en 1962. 108 à 109 millions de personnes sont arrivés en France, une « erreur d’aiguillage » ? Ils ont fui par peur de représailles de la part du FLN, et ont complètement chamboulé l’image lisse de la France. »


« L’étranger a toujours suscité des sentiments d’attraits et de rejets. Sauf qu’on se met rarement à la place de l’arrivant. Comment voulez-vous qu’un petit Maghrébin de dix ans puisse être fier de l’histoire de France ? C’est comme demander à un Juif d’être fier du troisième Reich. Il y a une part d’identité de mal-être, et c’est malheureusement une situation qu’il faut regarder avec un tout petit peu d’ironie. Ces gamins qui débarquent après plusieurs générations en France, qui sont black, métisses, ou un peu plus colorés que les autres cherchent des héros qui leur ressemblent. Et c’est pas facile pour eux d’en trouver dans l’histoire de France. Par conséquent, on a inventé l’assimilation et l’intégration. »


La conférence se conclue par un débat mouvementé avec celles et ceux qui y ont assisté. Une femme qui a connu la révolution arabe lui rapporte son histoire, un homme parle de ses difficultés d'adaptation suite à son départ forcé d'Angola. Les témoignages se mêlent aux questionnements identitaires, prouvant une nouvelle fois que le débat autour de cette problématique n'est pas clos. 



Conférence autour de l'ouvrage Le Grand repli de Pascal Blanchard.
Interview réalisé avec Camille Gillet, article écris par Romane Mugnier.