Promenade au Thabor

Le parc rennais,
dessiné par Denis et Eugène Bühler,
souffle cette année ses 150 bougies.
L'occasion de (re)découvrir son histoire.

Associant un jardin à la française, un jardin paysager et un jardin botanique, le parc du Thabor est unique en France. « Si Denis Bühler revenait, il y retrouverait quasiment toutes ses créations », rappelle l'historien Louis-Michel Nourry. Voilà pourtant 150 ans que ce paysagiste, parmi les plus renommés de son époque, a dessiné le parc, dont les origines remontent au XIIe siècle.

Ouvert au public en 1868, le parc, qui s'étend sur près de 10 ha, est devenu la star des Rennais, et bien au-delà, puisqu'il accueille chaque année près de 1,5 million de visiteurs. Une renommée que l'on doit aux soins attentifs que lui prodiguent depuis des décennies les services des Jardins de la Ville de Rennes.

150 ans d'histoire

Promenade au Thabor, 1897. Archives de Rennes, 26Num23, don Maignen.

Les premières mentions du Thabor remontent au début du XVIIe siècle, selon
les archives de Rennes. Il désignait le jardin contigu à l'abbaye Saint-Melaine, bâtie hors les murs d'enceinte sur le coteau le plus élevé, et dominant la vallée de la Vilaine, comme on le voit sur le dessin ci-dessous, daté de 1624. Le nom « Thabor » aurait été donné par les moines bénédictins en référence au mont du même nom surplombant le lac de Tibériade, alors en Palestine.

Ce « jardin des moines » occupait l'emplacement actuel du carré Du Guesclin. Mais laissons Gilles Brohan, responsable du service Rennes, Métropole d'art et d’histoire et animateur du patrimoine, nous conter l'histoire du Thabor en vidéo :

Promenade au XIXe siècle

Le Thabor voir le jour sous le Second Empire, dans un contexte de développement des jardins publics. Grâce aux nombreux documents conservés aux Archives de Rennes, imaginons-nous dans le parc du Thabor tel que les Rennais le connaissaient à la fin du XIXe siècle. Voici donc, ci-dessous, le parc dessiné par Denis Bühler, auteur également du parc Oberthür, alors privé. Il s'étend sur près de 6 hectares et comprend une rivière, qui sera supprimée en 1904, lors de l'aménagement des Catherinettes (voir plus bas).

L'aménagement du parc imaginé par Denis Bühler s'appuie sur l'orangerie et les serres préexistantes. Les premières furent réalisées dès 1807, à la demande des botanistes et jardiniers pour protéger les plantes rapportées lors des explorations scientifiques. Cinquante ans plus tard, en 1862, de nouvelles serres sont construites selon les plans de l'architecte de la Ville, Jean-Baptiste Martenot. Celles-ci, en verre et métal, seront malheureusement détruites pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le kiosque, réalisé en 1875, est aussi dû à Jean-Baptiste Martenot. Il accueillait
le dimanche après-midi des concerts de musique militaire de la garnison rennaise, auxquels se pressait un public nombreux.

Qui connaît le Thabor connaît aussi l'Enfer. L'origine de cette excavation remonte à l'incendie de Rennes de 1720, la Ville ayant envisagé d'y aménager une réserve d'eau. Projet abandonné qui fit un temps le bonheur des moines, heureux d'y pratiquer le canotage, jusqu'à ce que l'évêque ne mette fin à cette activité jugée impie et digne de... l'enfer !

Au début du XXe siècle, le parc est agrandi au sud, sur des terrains de l'ancien hospice des Catherinette, rachetés par la Ville en 1881. Des cascades et une grotte sont aménagées et une nouvelle entrée est créée rue de Paris. L'ensemble du parc s'étend désormais sur 10 hectares.

Envie d'en savoir plus ? Retrouvez  l'histoire du site et des différents lieux
sur les lutrins répartis au sein du parc.

La star des Rennais

Photo Didier Gouray
 

Connaissez-vous le parc du Thabor et tous ses secrets ? Visite en images du troisième parc le plus visité de France, après le jardin du Luxembourg, à Paris, et celui de la Tête-d'Or, à Lyon, dessiné lui aussi par les frères Bühler.

à chacun son parc

Si le parc n'a pas vraiment changé depuis le début du XXe siècle, les usages, eux, se sont transformés. « À sa création, et pendant de nombreuses décennies, le parc du Thabor est d'abord un lieu de contemplation et de représentations publiques : on s'y promène, on vient y écouter de la musique », rappelle Bertrand Martin, responsable du service Exploitation Jardins et Biodiversité. Interdiction d'entrer avec un cabas, un chien - sauf avec une laisse de courte dimension -, les courses et autres jeux sont interdits, les enfants de moins de douze ans et leur gouvernante n'y sont reçus qu'avec leurs parents, il est défendu d'entrer les serres... la liste est longue !

Mais les usages et la demande sociale évoluent. Les joggeurs côtoient désormais les promeneurs, les chiens - tenus en laisse - sont autorisés de même que les vélos - tenus à la main -, et le jardin botanique est ouvert à tous. Les pelouses interdites sont peu à peu laissées libres d'accès. « Nous avons progressivement autorisé l'accès à certaines pelouses,  la dernière étant celle du carré Du Guesclin. Mais ce n'est pas le cas pour la partie française et la grande pelouse, cela afin de préserver un équilibre entre les attentes des différents publics. »

Fini aussi les musiques militaires dominicales. De nombreux festivals de toute nature y prennent désormais leurs quartiers : Mythos, les Tombées de la nuit, Les Mercredis du Thabor, au théâtre de verdure, Un dimanche au Thabor, au kiosque, I'm From Rennes. Des événements qui attirent un public toujours plus nombreux. Les propositions musicales et artistiques présentées au théâtre de verdure attirent parfois plus de 2 000 personnes !

Un patrimoine vivant

Photo Didier Gouray

Au début des années 2000, près de cent ans après l'ouverture au public, le parc fait l’objet d’un diagnostic. « Si le patrimoine végétal était en bon état, ce qui était autre était à bout de souffle. Ce que l’on nomme les fabriques, comme les cascades, déjà fermées, les bassins des jardins à la française ou encore la grotte, ont mal vécu le passage du temps. Quand à l’Enfer, il sert alors à tout, d’espace chiens comme de lieu de stockage des déchets verts pour les jardiniers, relate Bertrand Martin. Aussi, fin 2000, un programme de restructuration du parc sur dix ans est envisagé « en conservant l’esprit dans lequel les frères Bühler l’avait imaginé, tout en l’adaptant aux nouveaux usages ainsi qu’aux nouvelles contraintes ».

Dix ans de travaux

Depuis 2010, se sont ainsi succédé la remise en eau des deux bassins à la française, la réfection totale du kiosque, « à l'identique, en utilisant les techniques d'époque », l'aménagement du site de l’Enfer, la réfection de la colonne de Juillet, le remplacement du mobilier, bancs et corbeilles, la remise en eau de la chaîne de cascades du secteur dit « des Catherinettes », au sud du parc, et la réhabilitation de l'aire de jeux. S'agissant des cascades, celles-ci fonctionnaient initialement en eau perdue. Un fonctionnement impensable aujourd'hui !

Dernière réfection en date, en 2018, celle de l'entrée Saint-Melaine, élargie, avec restauration de l'allée principale, la destruction des sanitaires et d'un appentis, et la création de deux murets d'assises.

Les années à venir verront trois autres rénovations importantes : le remplacement dans le jardin botanique des 3,6 km de linéaire de buis de bordure (2019), atteints par la maladie du dépérissement et de la pyrale ; le réaménagement du théâre de verdure (2018-2019), très fortement sollicité lors de l'accueil de grandes manifestations, pour améliorer les conditions d'accueil du public ; enfin, la réfection complète de la grille de l'entrée Saint-Melaine (2020), à l'identique.

Les réfections des serres, de la grotte et de la statuaire ne sont pas encore programmées mais feront l'objet d'études dans les prochaines années.

Le patrimoine arboré, lui, se porte bien. « Le parc arboré compte 1 005 arbres, dont 900 en bonne santé », détaille Bertrand Martin. Les autres sont bien surveillés, comme le majestueux cèdre en bas de la grande pelouse ou le plus vieil arbre du parc, un chêne qui surplombe la volière et qui a dû voir passer quelques tonsures… Le climat, trop sec (si ! si !)  n'est lui pas favorable aux séquoias, les plus grands arbres du parc, qui peuvent vivre des milliers d'années dans leur milieu d'origine, à 1 500 mètres d'altitude, où il pleut dix fois plus qu'à Rennes. 

L'art de la mosaïculture

La composition et la réalisation des massifs fleuris est un travail minutieux auxquels s'attellent deux fois par an les douze jardiniers affectés au parc. D'une année sur l'autre, les compositions sont renouvelées. « Le massif doit être beau du printemps jusqu'en automne, les premières plantes disparaissent, d’autres arrivent.
Au-delà de l'évolution dans le temps, il faut aussi prendre en compte l'harmonie des couleurs, des textures et de la hauteur »,
précise Bertrand Martin. A côté des classiques annuelles et vivaces, d'autres plantes apparaissent : potagères, grimpantes, tropicales, des graminées... Près de quatre cents espèces sont ainsi disponibles, « soit des milliards de combinaisons possibles ». C'est le centre horticole de la Ville qui gère l'ensemble des besoins de culture, acquiert ou prélève des boutures, achète des graines... Le jardin connaît deux temps forts : la plantation de printemps, de début mai à mi-juin, puis celle d'automne soit,k à chaque fois,
40 000 plants. La nature ne tolère aucun répit : « Les jardiniers préparent actuellement le millésime 2019. »

 un jardin botanique d'exception

Ville universitaire, Rennes est dotée très tôt, dès la fin du XVIIIe siècle, d'un jardin des plantes, destiné aux étudiants en pharmacie. Situé à l'origine à l'emplacement du jardin à la française, il est déplacé à l'est en 1868.

« Le jardin botanique comprend une collection de plus de 3 200 taxons (un taxon correspond à un individu végétal unique) classés par familles suivant la classification de Jussieu et De Candolle », précise Hervé Tiger, jardinier-botaniste. Particularité de cette classifiaction, qui ne se retrouve plus qu'au Thabor : les plantes les plus anciennes, et aussi les plus basses, sont à l'extérieur de la spirale, tandis que celles apparues plus récemment, les arbres, sont au centre. Ce qui nécessite un travail régulier d'entretien et de taille !

Chaque famille débute par une étiquette bleue, et chaque plante a une étiquette de couleur selon ses propriétés : verte = sans propriétés particulières ; rouge = plante officinale ; blanche = plante alimentaire ; jaune = plante industrielle ; noire = plante toxique.

Outre l'entretien du jardin et le suivi du pollinarium, les trois jardiniers-botanistes gèrent une riche collection de graines : 2 000 espèces, conservées à la grainothèque, dont une partie récoltée dans la nature. Un catalogue est édité chaque année. « Nous échangeons régulièrement des graines avec 158 correspondants dans le monde entier. » 

Textes : Monique Guéguen