Rennes, ville nourricière

Des paysans reviennent en ville,
des urbains réapprennent le jardinage... 
Rennes se révèle être un terreau fertile.

par Anna Quéré et Céline Diais

Tout a commencé le 27 juin 2016. Le conseil municipal de Rennes décidait d'entamer la route vers l'autosuffisance alimentaire de la ville. Labellisée « Ville comestible de France », Rennes rejoint alors d'autres grandes villes dans le monde qui s’inscrivent dans la transition énergétique, comme Seattle aux États-Unis ou Vancouver au Canada, où de grands espaces de culture sont mis à la disposition des habitants. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’agriculture urbaine a de multiples avantages : cultiver des légumes ou élever des animaux en ville contribue avant tout à la sécurité alimentaire des ménages. De plus, les produits, consommés par les producteurs, ou vendus directement aux habitants, sont plus frais, plus nourrissants et à des prix compétitifs, car ils sont transportés sur de plus courtes distances. Lire l'étude de la FAO. 

Rennes est aujourd’hui en douce transformation : des paysans s’installent dans la ville ou à ses portes. Les habitants créent poulaillers et potagers. Une dynamique est en marche.

Daniel Guillotin,
conseiller municipal à l'Écologie urbaine :
"Une dynamique incontestable 
depuis trois ans,
autour du plan alimentation durable." 

© C. Diais


Vous êtes conseiller municipal de Rennes, délégué à l'Écologie urbaine et à la Transition énergétique. Un an après le vote du vœu pour l’autosuffisance alimentaire, où en est-on ? 
Daniel Guillotin : Aujourd’hui, nous parlons d’« agriculture urbaine » plutôt que d’« autosuffisance alimentaire », car cela est en réalité très difficile à quantifier à l’échelle d’une ville, même si une étude a été réalisée en 2012 par l'agro-campus. Nous nous inscrivons dans une dynamique qui existe dans plusieurs grandes villes, comme Paris, Lyon ou Lille. L’objectif est de faire réfléchir les habitants sur leur alimentation, en s’inscrivant notamment dans le plan alimentation durable et la lutte contre le gaspillage alimentaire. 

Une dynamique incontestable s’est développée depuis trois ans à Rennes. À la Prévalaye notamment, les projets agricoles s’inscrivent dans la trame verte et bleue de la vallée de la Vilaine, qui a pour but de contribuer à maintenir la biodiversité sur le territoire. C’est une sorte de colonne vertébrale sur 50 km, de la forêt de Rennes à Laillé, avec de nombreuses ramifications de micro-jardins, comme le Jardin des Mille Pas, ou des parcelles en permaculture à la Prévalaye. 

Quelles sont les autres pistes de développement agricole ?
Daniel Guillotin : À la Prévalaye, il y a environ 450 hectares de terres. Nous allons lancer un appel à projets économiques à l’automne 2017. Les porteurs de projets sont invités à se manifester, plusieurs hectares de terres peuvent être mis à disposition. Nous travaillons avec de nombreux partenaires, comme la Chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine ou Agrobio 35. L’Inra et l’École d’agronomie sont aussi de grands facilitateurs, et tous les ans des étudiants viennent travailler sur le site. Par ailleurs, un nouveau projet va voir le jour aux Gayeulles, sur une ferme de l’autre côté de la rocade. 

Les habitants ont aussi leur carte à jouer ?
Daniel Guillotin :
Bien sûr ! Les projets des habitants se sont énormément développés grâce à un accélérateur incontournable : le budget participatif. Lors de la Saison #1, pas moins de 25 % des projets retenus étaient liés à la "renaturation" de la ville ! Nous avons aussi pu compter sur le travail des Incroyables comestibles et des membres de l’association Vert le jardin, qui accompagnent les habitants pour créer des bacs ou mettre en place des jardins partagés.
Aujourd’hui, on dénombre environ 70 jardins partagés à Rennes !
Et cela, sans oublier la dynamique des jardins familiaux : sur 19 hectares, il y a plus de 1 000 parcelles en culture et 200 personnes sont en permanence sur liste d’attente. À terme, nous souhaiterions aussi introduire des parcelles de jardins partagés dans les jardins familiaux : la réflexion est en cours. Enfin, au printemps 2017, nous avions lancé les permis de végétaliser la ville. Aujourd’hui, environ
2,5 km sont végétalisés à Rennes. Bientôt, des vergers vont aussi voir le jour
dans de nombreux quartiers. Et le long des quais de la Vilaine, suite au budget participatif#2, des jardins flottants seront installés au printemps 2018.

Les paysans dans la ville

© C. Diais

La Prévalaye : un espace agricole reconquis 

À pied ou à vélo, empruntez la petite passerelle qui enjambe la rocade ouest au bout du quartier de Cleunay : vous voilà en pleine campagne. Ici, le bruit de la ville est lointain, les champs sont encore humides de la rosée du matin. En ce début d'automne, la couleur orangée d'énormes potirons égaye les jardins familiaux. Bientôt, l’hiver venu, les jardiniers et les paysans vont ralentir leurs activités. Sur 450 hectares, dont 80 % appartiennent à la Ville, les terres de la Prévalaye retrouvent progressivement leur vocation agricole : jusque dans les années 1970, en effet, de petites fermes aux multiples productions (lait, beurre, fruits et légumes…) étaient encore en activité sur ce site. 

Parmi les projets agricoles qui se multiplient à la Prévalaye, le Jardin des Mille Pas est installé depuis trois ans sur un terrain de 1,2 ha, pour y développer une agriculture vivrière aux portes de la ville. Composée d’une vingtaine de bénévoles et animée par quatre salariés, l'association exploite cet immense jardin pédagogique, en proposant notamment des cours de jardinage au grand public. Elle accompagne aussi des familles ou des collectifs pour créer leurs propres jardins. Trois fois par semaine, le Jardin des Mille Pas vend ses légumes sur place. L’association intervient aussi à la Vieux Ville, une ancienne ferme, pour y organiser des événements culturels et y restaurer une mare naturelle.
L’Inra a également planté des semences traditionnelles du Pays de Rennes sur cette parcelle.


Mais la vocation est aussi d’installer durablement des paysans : il y a un an, Mikaël Hardy, un jeune agriculteur, s’est installé sur une petite parcelle toute proche pour y produire des semences en permaculture. Il ne sera plus seul : cet automne, un "appel à manifestations d’intérêts" sera lancé par la Ville pour installer d’autres paysans sur le site.

La dynamique dépassera peut-être même bientôt la Prévalaye : au nord de Rennes, Marie Ménard,  31 ans, se lance dans un projet agricole à proximité des Gayeulles. Pour le moment, l'agricultrice en herbe est en stage à la Chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine : une formation obligatoire pour bénéficier des aides DJA (Dotation jeune agriculteur), qui lui permettront de démarrer son exploitation. "Le Courtil bio de Marie" aura pour vocation de produire des légumes bio à forte valeur ajoutée et d’accueillir les scolaires.

Mikaël Hardy, le pionnier : 

« Je suis plus un poète 

qu'un agriculteur. »

© C. Diais

À l'été 2016, un jeune paysan s’installe à la Prévalaye, sur une parcelle bordée d’ormes, pour y faire de la permaculture, un système agricole qui cherche à concevoir des installations harmonieuses, résilientes, économes en travail comme en énergie, à l’instar des écosystèmes naturels. 

Grand gaillard aux yeux bleus perçants, Mikaël Hardy vient du milieu paysan : ses parents possédaient une ferme laitière dans le nord de l’Ille-et-Vilaine. Mais le jeune homme s’était d’abord orienté vers les métiers de l’environnement avant de revenir vers l’agriculture. « Je suis plus un poète qu’un agriculteur », sourit-il, en effleurant du bout des doigts les feuilles odorantes d’un plant de basilic. Quand il arrive à la Prévalaye en juin 2017, Mikaël Hardy signe un "commodat" avec la Ville, une convention qui permet la location gratuite de la parcelle pour six ans.

Son projet : cultiver des légumes pour y produire des graines et du plant. Tout est à faire, mais le cœur y est : « Je sentais que les urbains avaient besoin d’un rapport autre que commercial avec les paysans », raconte-t-il. Il ne se trompe pas : pas un jour ne passe sans que des visiteurs et des bénévoles viennent le saluer ou l’aider sur sa minuscule exploitation d’un demi-hectare.
Au marché du Mail, Mikaël retrouve aussi des habitués qui le pressent de questions et achètent ses plants et ses confitures. L’hiver dernier, l’agriculteur a aussi accompagné cinq jeunes qui ont expérimenté la permaculture sur une parcelle toute proche. Fort de cette expérience pédagogique, Mikaël lance désormais une école de permaculture à la Prévalaye. Avis aux amateurs !

En ville, les expérimentations agricoles se multiplient 

Au coeur des villes, l'agriculture commence parfois dans un drôle de terreau. Hébergé dans un incubateur à Rennes Atalante, Fabien Persico crée en ce moment des FarmBox : il s’agit de faire pousser des salades et des plantes aromatiques dans des containers maritimes. Cinq Farm Box seront mises en place à Rennes au début 2018.
À l’Hôtel Pasteur aussi, au milieu des expérimentations artistiques en tous genres, on fait pousser des plantes de manière plutôt originale : il y a un an, Christophe Hébert arrive dans les lieux et y installe une serre de 7 m² pour produire des champignons. 

«L’idée, c’est de produire en circuit extra-court », explique t-il. Deux à trois fois par semaine, Christophe Hébert enfourche son vélo pour se rendre chez des restaurateurs et des cafetiers de Rennes pour y récupérer… du marc de café. Un excellent humus qui fera pousser ses champignons ! Un gain environnemental non négligeable, car selon lui, « il y a 1,2 tonne de café qui sont produites à Rennes et cela demande beaucoup d’énergie pour les incinérer ». Le marc de café a tenu ses promesses : Christophe Hébert a produit jusqu’à 100 kg de champignons par mois ! De nombreux visiteurs se sont pressés pour visiter sa champignonnière. « Ça a créé une demande : les gens sont prêts à acheter de la nourriture produite en ville ! » sourit le producteur. Christophe Hébert est toujours à Pasteur. À terme, il souhaiterait s’installer dans les caves d’une maison ou d’une ferme pour produire davantage de champignons.

Des habitants deviennent paysans

© C. Diais

L'envolée des jardins
en ville

Aujourd’hui, on compte plus de 70 jardins partagés dans la ville de Rennes.
Un exemple parmi tant d’autres : au Landry, un projet de foret nourricière anime les habitants du quartier, qui s’occupent d’un jardin en permaculture depuis déjà trois ans sur 1 400 m². Le jardin, situé au milieu du parc du Landry, va notamment accueillir des poules cet automne. 


Laurent Petremant, habitant du quartier et jardinier averti, se réjouit du succès des jardins partagés : « Demain, il faudra que les villes deviennent vivrières », martèle-t-il. La multiplication de ces jardins à Rennes s’inscrit dans une dynamique régionale : l’association Vert le jardin estime qu’il y a aujourd’hui plus
de 400 jardins partagés en Bretagne, dont s'occupent quelque 5 000 passionnés. 

La carte des jardins partagés et composts à Rennes est consultable sur le site Vert le jardin (pour chaque jardin, un descriptif détaillé et un contact).

Ce foisonnement des jardins partagés n’entame en rien le succès des jardins familiaux : malgré ses 1 009 parcelles, Rennes peine toujours à répondre à la demande des habitants. À l’avenir, il est possible que des jardins partagés soient installés à l’intérieur des jardins familiaux. Des vergers vont aussi être plantés cette année dans différents quartiers de la ville.

Incroyables comestibles essaime de bons conseils

Ceci n'est pas une association. Incroyables comestibles est un mouvement lancé en 2008 par un groupe de citoyens de Todmorden, une ville d’Angleterre de 15 000 habitants. L’idée est simple : transformer les espaces publics en potagers accessibles à tous. Même le jardin du commissariat de Todmorden comporte une jardinière ouverte à tous !

Le mouvement fait des émules et est importé en France en 2012. À Rennes, les Incroyables comestibles existent depuis 2014. En dégustant de délicieuses grappes de raisin provenant du jardin partagé de Saint-Hélier, Gaël Lorin, bénévole, raconte l’essence de ce mouvement citoyen : « L'autosuffisance à 100% est en soi impossible sur l'ensemble des denrées alimentaires. Mais il faut garder cet objectif utopique dans une démarche d'amélioration continue, afin d'être plus résilient face aux crises et au changement climatique. » Lui et d’autres bénévoles interviennent partout dans la ville pour accompagner des habitants, comme à Maurepas, où un projet de jardinières partagées a vu le jour en septembre 2017. « Ces initiatives apportent un nouveau souffle à l'économie locale, par la création d'entreprises de production, de transformation et de commercialisation. Et sera donc créatrice d'emplois non délocalisables », sourit ce passionné. Dans d’autres villes de la métropole, des projets se multiplient à Saint-Gilles, Chartres-de-Bretagne ou Acigné. Cerise sur le gâteau : même l’école d’agriculture du Rheu va démarrer un jardin partagé !

Œufs à volonté

Des légumes et des fruits, mais pas seulement : des créations de poulaillers
et de ruches en pleine ville ont mobilisé une partie du budget participatif.
Aux Ormeaux, les habitants s'étaient regroupés l’an dernier pour construire
un poulailler. 

Les membres du collectif s’occupent désormais des poules à tour de rôle, et la distribution des œufs a lieu tous les jeudis soir entre les habitants du quartier. D’autres poulaillers verront le jour dans les prochains mois, dans le centre-ville et au Landry. Et, qui sait, peut-être que la saison#3 du budget participatif verra d’autres volontaires se manifester, pour élever des gallinacées… 

Se nourrir mais aussi apprendre

© C. Diais

La dimension sociale et éducative est aussi l'un des moteurs essentiels de l’agriculture urbaine. Même les bibliothèques de Rennes apportent leur pierre à l’édifice en constituant des grainothèques. Il s’agit d’une initiative de l’association Graines de troc, qui essaime aujourd’hui dans toute la France afin de mettre des sachets de diverses graines à disposition des jardiniers amateurs de la ville. L'école aussi se met au jardin 

L'école aussi se met au jardin

À l'école Jacques-Prévert, au milieu des grands immeubles du quartier de Bréquigny, l’intérêt pour le jardinage ne date pas d’aujourd’hui : « Cela fait dix ans que je travaille avec les enfants sur le jardin », raconte Liliane Neveu. Dans sa classe, il n’est pas rare de voir des papillons s’envoler soudainement d’un terrarium, et les enfants sont des habitués des légumes et des fleurs. Une fois par semaine, quand la cloche sonne la fin de l’école, Liliane Neveu accompagne quelques enfants de sa classe pour aller entretenir leur petite parcelle, dans un jardin partagé qui jouxte l’école.
Ce jour-là, ils sont cinq petits jardiniers d'à peine six ans, qui suivent avec diligence leur institutrice pour rejoindre leur potager. Chacun tient à la main une bêche, un râteau ou un pelle. « Attention, ça peut être dangereux ! On transporte les outils en mettant la pointe vers le bas », rappelle Liliane Neveu.  « Oh, une tomate ! Je peux la manger, maîtresse ? » demande un petit garçon. Une autre petite fille s’acharne sur les mauvaises herbes avec son petit râteau. « Ah, un ver de terre ! s’écrie un enfant. Maîtresse, j’ai peur ! » Liliane Neveu calme tout son petit monde. « C’est vrai qu’au début ils craignent de mettre les mains dans la terre. Mais au fur et à mesure, ils prennent confiance », explique-t-elle. Prendre soin d’un potager a de multiples avantages pédagogiques, selon l’enseignante : « C’est un véritable petit laboratoire vivant. On observe les animaux et les plantes, on mesure leur cycle de vie. Avec ces petits CP, on apprend aussi à écrire les noms des plantes au fil du temps. »
Les enfants récoltent des piments, une petite courgette de l’été et quelques fraises oubliées par les limaces. Avant de regagner la classe, Liliane Neveu les autorise à déguster quelques grosse et délicates framboises. « Ne mangez pas tout ! On en laisse pour les autres occupants du potager ! » Les gourmands ont les yeux qui pétillent. « C’est trop bon, les framboises ! »