VIVE LE CLUB MAD !

UBU 1987-2017

À l'image de son logo en forme de « gidouille », l’Ubu club aspire les Rennais dans un tourbillon musical depuis octobre 1987. Plongée rétroactive dans l’infernale spirale. Cela tombe bien, l’Ubu se lit par les deux bouts ! 

LA SPIRALE INFERNALE
1987-1997

© Christophe Le Dévéhat

2 octobre 1987 – 20 novembre 1997. Dix années de musique à l'Ubu, cinq cents damnés concerts au bas mot : de Noir Désir aux Pires, le petit club rennais verra la vie en rose, offrant le meilleur de la scène internationale, hexagonale et locale (à moins que ce ne soit l’inverse) à ses visiteurs.

Une page d’agenda jaunie, datée du 2 octobre 1987. Les Rennais se doutaient-ils en pénétrant dans cette petite salle sombre et un poil biscornue, que l’Ubu club allait devenir le laboratoire des musiques actuelles pour les trente années à venir ? Savaient-ils que les jeunes Bordelais invités sur scène pour porter un toast à ce nouveau lieu deviendraient le plus grand groupe de rock français ? Noir Désir et sa cantatrice rock habitée, un inconnu nommé Bertrand Cantat… Qui a été à l’Ubu retournera à l’Ubu, pourrait dire le dicton, et l’auteur de Tostaky restera un fidèle parmi les fidèles. La gidouille (une spirale en langage ubuesque) placée au-dessus de la porte avait quant à elle prévenu : les trente prochaines années aspireraient
le public dans une spirale musicale infernale.

« Les années 1990 à l’Ubu, c’étaient systématiquement trois lives par semaine,
les jeudi, vendredi et samedi »,
en souffle encore Jean-Louis Brossard.
Le programmateur de l’Association TransMusicales (ATM) se demande sûrement comment lui-même et sa petite équipe de technos réussirent à tenir l’infernale cadence. « À l’origine, l’idée était de créer un club à l’anglaise, ou dans l’esprit du CBGB, ouvert en 1973 à Manhattan. Hormis quelques salles parisiennes, nous étions la seule scène où la jeunesse française avait l’occasion de pouvoir écouter de la musique qui ne soit pas de la variété. C’était l’époque où l’on venait de Nantes ou de Saint-Nazaire pour voir Johnny Thunders ou Maceo Parker.

Surtout, l’Ubu avait sa propre équipe de techniciens et garantissait un vrai son aux groupes programmés. » Loin d’être usurpée, cette réputation ne tardera pas à faire
le tour des caves de répétition de l’Hexagone : « Nous sommes très vite devenus potes avec la grande majorité des groupes français. Ces derniers savaient qu’à l’Ubu,
les premières parties étaient traitées avec le même respect que les têtes d’affiche
. »

« À l’origine, l’idée était de créer un club
à l’anglaise, ou dans l’esprit du CBGB,
ouvert en 1973 à Manhattan. »

Infernales décades

Refaire ces dix années de concerts à l’Ubu revient un peu à vouloir uniformiser les six faces d’un Rubik’s Cube, mais avec neuf couleurs. De 1987 à 1997, le club fera en effet feu de toutes les voix et tendances musicales, un don d’ubiquité se révélant tel un palimpseste sur les programmes pliables de l’époque. Un exemple puisé dans les archives de l’année 1989 : The Inmates le 16 mars, The Legendary Pink Dots le 17, Dr. John et Bill Pritchard le 18, My Bloody Valentine et Happy Mondays le 22, Noir Désir les 24 et 25… Qui dit mieux ?


Pause vidéo : Johnny m'a dit, Johnny m'a dit... Que Christian Dargelos et les Nus enflamment la salle Jarry un soir de mai 1987. Ici, le célèbre titre Johnny Colère repris par ailleurs par Noir Désir (vidéo TV Rennes).

Les anecdotes fusent, aussi légères qu’éphémères, mais nombre de relations d’amitié solides comme le rock se noueront également dans les coulisses de l’Ubu. Avec Noir Désir, par exemple : « Je me souviens qu’on a fait une photo avec eux. Elle est d’ailleurs toujours sur mon bureau. » On retrouvera d’ailleurs Cantat et consorts à de nombreuses reprises sur le devant de la scène rennaise, mais aussi dans la fosse, comme simples spectateurs. « Ils faisaient partie des cinquante personnes à assister au premier concert de Jon Spencer Blues Explosion. »

« Nous sommes très vite devenus potes avec
la grande majorité des groupes français. »

De la scène punk-rock à la fameuse horde brit'pop en passant par de nombreuses soirées blues, les groupes d’horizons les plus divers ne cessent de se croiser, transformant l’Ubu en lieu de tous les possibles. On y apercevra notamment Théo Hakola, d’Orchestre rouge, en pleine discussion avec les membres de Sloy, alors domiciliés à Rennes… dans un camion. Ou le Breton Érik Marchand monter sur scène pour improviser un bœuf avec les Albanais de la Famille Lela de Permet.
En février 1988, Jean-Louis Brossard décide de modifier l’ordre de passage des groupes initialement prévu, et intercale le Rennais Dominic Sonic entre Biff Bang Pow! et Momus. « Les deux autres groupes anglais étaient sur le label Creation, et je voulais faire en sorte qu’Alan McGee, son boss, assiste au concert de Dominic. »

Happy Mondays, réveil triste

En quinze jours, courant octobre 1993, Magic Slim and The Teardrops, James Taylor Quartet, Nova Nova, That Petrol Emotion, Blur, Dominique A et FFF se passent successivement le témoin. Pour la Fédération française de funk, le tout-Paris vient chercher Marco et sa bande. C’est Epic qui tirera finalement son épingle du jeu et les signera le soir même. L’Ubu, lui, est plein comme un œuf.
Ce soir-là, tout Rennes tape le bœuf !


Pause vidéo : Ubu, novembre 1987. Groupe israélien formé en 1981 à Tel Aviv, le groupe post-punk/new wave Minimal Compact et Samy Birnbach (DJ Morpheus) ont accompagné l'histoire de l'Ubu et des TransMusicales (vidéo TV Rennes).

Souvenirs, souvenirs… Rappels, rappels. Équipage cher à l’équipe de l’Ubu, Yargo reviendra six fois sur scène. « Les groupes étaient tellement satisfaits par les conditions techniques qu’ils n’hésitaient pas à faire du rab. Les soirées à l’Ubu, c’était un tout. Il y avait un DJ, Gégé à l’époque, qui assurait l’entrée en matière. Et les choses ne s’arrêtaient pas là. À la fin du concert, le club ne fermait pas, on pouvait donc rester pour discuter. Il y avait un côté très humain dans tout ça. » Très humain, malgré quelques regrettables et vilains jeux de mains. Le concert des Happy Mondays, par exemple, qui tournera court : « Ils ne respectaient rien ni personne. Leur live a très vite dégénéré, et cela a fini en bagarre générale. Je crois qu’ils ont été longtemps placés sur la liste noire des scènes françaises suite à cela. »


You be you at the Ubu !

You be you at the Ubu. Floqué sur les tee-shirts portés fièrement par les aficionados de la petite salle rennaise, le slogan résume assez bien ces dix années de Folies rennaises, pour reprendre le nom d’un autre festival qui connut à l’époque son heure de gloire. Un âge d’or où Jean-Louis Brossard n’hésite pas à aller chercher le son dans les niches musicales les plus pointues. « Je me souviens de Troy Turner, un artiste énorme, quelque part entre Stevie Ray Vaughan et Jimi Hendrix. Ce mec collectionnait les chaussures, et quand nous sommes allés le chercher à la gare, il en avait une valise entière ! » Ignorant les coups de pompe, le programmateur de l’Ubu n’hésite pas à se mettre à genoux devant John Mayall pour avoir droit à son petit Walkin’ on Sunset. « Ce mec était étrange… Nous n’avions pas le droit de toucher à ses instruments, il lui fallait des glaçons en permanence, et aussi deux chapons grillés dans sa loge. Au moins, cela signifie qu’il se renseignait avant sur les us et coutumes locales. » À propos de planter les choux à la mode de chez nous, il y eut les Washington Dead Cats « qui balançaient des poireaux sur le public ». Les gays belges du groupe électro à;GRUMH, eux, « c’était de la viande ». Les fameux pavés… de rumsteack !

« À la fin du concert, le club ne fermait pas,
on pouvait donc rester pour discuter. Il y avait
un côté très humain dans tout ça. »

Pour finir sur les plus belles notes de musique, rappelons que nombre de groupes, parmi lesquels The Tindersticks ou Calvin Russel ont donné leur premier concert dans la salle rennaise. Dix ans pendant lesquels furent donnés rendez-vous avec les légendes passées et les gloires à venir. Aujourd’hui, à l’heure où les complexes fleurissent comme des champignons, l’Ubu est resté le même, immuable.


L’abus de rock n’est pas interdit, même si l’Ubu n’est « pas un salon de thé »

L’Ubu déroule sa partition depuis maintenant trente ans, fort de sa recette testée
et approuvée par des générations de mélomanes rennais et d’ailleurs. Le club est toujours une vitrine des musiques actuelles, et tous les styles y ont droit de cité. On pourrait presque entendre encore la voix de Tune, régisseur mythique des lieux, résonner sur les murs de la salle de concert : « L’Ubu, le soir, c’est pas un salon de thé ! » Trente ans que ça dure, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les Rennais adorent !


Pause vidéo : Ambiance, ambiance ! Un soir de TransMusicales 1987 (vidéo TV Rennes).

L'UBU À L'ÉTHYMOTEST

En toile de fond de l'Ubu, il y a Alfred Jarry et son roi de Pologne. © Christophe Le Dévéhat

Pourquoi l'Ubu ? La salle de concert rennaise doit son nom et son logo en spirale au surnom donné jadis à un professeur de physique du lycée Émile-Zola, situé de l’autre côté de la rue. L’excentrique monsieur avait pris l’habitude de rater ses expériences face aux élèves, dont le futur écrivain Alfred Jarry, qui décida de le ridiculiser en l’affublant d’une gidouille. Le père Hébert inspirera le texte
Les Polonais à ce dernier, ainsi qu’une comédie considérée comme la plus ancienne version d’Ubu roi. Avant de devenir le héros ridicule mondialement célèbre,
le père Ubu imaginé par Alfred Jarry fut donc d’abord un « chemical brother » raté. Peu importe, la gidouille tourne aujourd’hui au-dessus de la porte de l’Ubu, et l’expérience musicale fait mouche depuis maintenant trente ans.

SI VOUS AVEZ MANQUÉ LE DÉBUT

1990... Une équipe de jeunes gens modernes et bien décidés à faire danser Rennes. © Bruno Chiron

Aux origines de l'Ubu, il y a bien sûr Alfred Jarry, l’élève du lycée Émile-Zola devenu écrivain génial (voir ci-dessus). Mais aussi et surtout une histoire d’homme, d’âme et d’amour de la musique qui naît à la fin des années 1970. Parallèlement à l’explosion du rock rennais, qui cherche un écrin à sa mesure, et à la reconnaissance des musiques actuelles comme discipline artistique économiquement porteuse, les appels des organisateurs de concerts tombent dans l’oreille attentive des pouvoirs locaux.

Hervé Bordier, le père de l’Ubu

Avant que les sirènes de « Rennes ville rock » ne résonnent aux six coins de l’Hexagone, et que les décibels ne montent à l’Ubu, il y a d’abord eu des petites pierres, jetées au cours des années 1970, et qui rouleront jusqu’au début des années 1980. Des petites histoires dans la grande, incarnées notamment par un jeune homme de 16 ans nommé Hervé Bordier.

« J’ai commencé en vendant des vinyles dans une boutique nommée Disc 2000, d’abord située à Bourg-l’Évêque, puis rue de Clisson. Le truc, c’est que le maître des lieux, Hervé de Bélizal, importait des 33 tours des États-Unis et de Grande-Bretagne, une pratique rarissime en France pour l’époque. » Le disquaire fera l’éducation des oreilles qui deviendront plus tard le fidèle public des salles rennaises. Bleu du blues lui aussi - « j’étais inculte » -, Hervé Bordier y fera également ses gammes, avant de créer le Groupe d’Action Musicale, puis l’association Terrapin, bientôt rejointe par Béatrice Macé et Jean-Louis Brossard, l’actuel binôme des TransMusicales.
Le jeune homme a alors 22 ans, les artistes français comme Higelin et Téléphone répondent à l’appel du succès, et Terrapin se fait la main en programmant des artistes puisant l’inspiration aux racines de la musique (Sonny Terry, Brownie McGhee…) ou carrément planants (Can, Gong…).

« En 1984, j’avais monté un nouveau festival,
"Les Nuits de Jarry", qui préfigurait l’Ubu. C’était le lieu parfait pour monter un laboratoire des musiques actuelles. »

« La rupture, c’est l’arrivée du punk en Angleterre. Et puis j’ai vu ce jeune groupe, dans un amphi de la fac, nommé Marquis de Sade. À partir de 1978 est née l’envie de créer un festival lié aux nouveaux groupes rennais : Les TransMusicales sont nées l’année suivante. » La rencontre avec François Paul-Pont et Pascal Letellier, alors employés à la Maison de la culture (l’actuel TNB), accélère les choses. « En 1984, j’avais monté un nouveau festival, "Les Nuits de Jarry", qui préfigurait l’Ubu. Je trouvais scandaleux qu’une garderie d’enfants devenue café-théâtre à une époque soit un lieu vide. C’était le lieu parfait pour monter un laboratoire des musiques actuelles. Pierre Jean-Valentin, nouveau directeur de la Maison de la culture, m’a demandé de devenir programmateur musical… »

L’équipement d’un lieu dédié aux musiques actuelles était un axe défendu par la Ville pour le Grand Huit, salle de spectacle alors située dans le giron de la Maison de la culture. « En 1986, c’était mon envie majeure : une salle équipée d’un studio, d’une salle de concert, d’un bar… Je suis resté à la Maison de la culture pour que l’Ubu ouvre, en 1987. » Commençait pour Terrapin la permanence d’un lieu au sein du Grand Huit.

De son côté, l’ancien élu à la culture, Martial Gabillard, note dans son livre référence La Politique culturelle à Rennes : « Les musiques actuelles devaient entrer dans le champ des politiques culturelles publiques, qu’elles fussent locales ou nationales. Si l’association Terrapin et ses "militants" ont mené un combat, c’est d’abord celui-là. »

Pendant que des musiciens Rennais inventent le rock français, la municipalité, elle, imagine la politique publique des musiques actuelles.

« Pendant que des musiciens rennais inventent
le rock français, la municipalité, elle, imagine
la politique publique des musiques actuelles. »

La vie avant l’Ubu…
et après

Les musiques actuelles ont déjà trouvé leur Espace et ont droit de Cité…

Au début des années 1980, Terrapin doit surtout défendre les TransMusicales et faire entrer les musiques actuelles dans les mœurs et les cœurs des édiles. Le rock n’a pas encore gagné ses lettres de noblesse, mais cela n’empêche pas l’association de programmer des concerts, surtout à l’Espace, un lieu entre salle anglaise et Palace de l’époque. The Cure y jouera devant moins de 100 personnes, et Simple Minds y réveillera le sain esprit des musiques actuelles…

Bien sûr, il y a la Cité, la si respectable maison de peuple et de la pop. Avec sa situation géographique privilégiée en centre-ville, la salle municipale attire les foules et fait la différence avec beaucoup d’autres villes. Certes, le rock est dur et il y a souvent de la casse, mais l’édifice tient bon, « jusqu’à devenir la salle mythique à Rennes, indétrônée ». (Christophe Brault, 1988).


« Je ne sais pas si notre action était courageuse, mais je sais qu’en France, à la même époque,
elle était exceptionnelle, voire unique. »

Rock against Tarzan : la reconnaissance des musiques actuelles

En 1984, l’événement Rock against Tarzan, est labellisé par le ministère de la Culture « Coup de talent de l’Hexagone ». Le coup de projecteur sur la jeune création rennaise mettra notamment en avant le groupe Niagara (qui compte dans son chœur Étienne Daho). Tarzan peut lâcher un cri de victoire, les musiques actuelles entrent dans le dictionnaire des disciplines artistiques respectables. « J’ai voulu faire une vitrine de la culture rock, c’est la première fois qu’on parlait officiellement de culture rock », se souvient Hervé Bordier. Martial Gabillard note à l’époque : « La musique actuelle (…) représente à notre avis une véritable action culturelle » qui ne doit pas être soumise « à la seule exploitation commerciale. »
Et l’élu à la Culture d’ajouter rétrospectivement : « Je ne sais pas si notre action était courageuse mais je sais qu’en France, à la même époque, elle était exceptionnelle, voire unique. »


Pause vidéo : 13 avril 1992. L'action culturelle a toujours été dans l'ADN de l'association ATM. La preuve avec cette soirée Ragamophyne haute en couleurs, programmée dans le cadre de l'opération Trans Quartiers (vidéo TV Rennes).

Parallèlement, les missions dévolues à la Maison de la culture sont mises en débat. Un projet se dessine, consistant à mettre au cœur de l’institution rennaise les cultures nouvelles, les jeunes et les nouvelles technologies.

Grâce à Rock against Tarzan, les musiques actuelles rennaises ne tardent pas à avoir la banane. Le ministre Jack Lang se fend d’une visite, la presse s’emballe :
« Rennes, capitale du rock » ; « Le nouveau rock est arrivé. La capitale bretonne vibre avec la génération du rock contemporain, la bichonne, la materne pour mieux la faire connaître. » (journal Murs-Murs, Pierre-Henri Allain, août 1985).

Au cours des années suivantes, les trois pilotes des TransMusicales (Hervé Bordier, Jean-Louis Brossard, Béatrice Macé) commencent à rêver plus grand pour les musiques actuelles. Rennes deviendra bientôt une étape obligée pour les musiques du monde. L’équipe des Trans’ s’organise, Terrapin disparaît, Jean-Louis Brossard rejoint Hervé Bordier à la Maison de la culture pour assurer la programmation de l’Ubu, bientôt suivi par Béatrice Macé. Fallait-il y voir un signe ? Le 2 octobre 1987, le petit club rennais ouvre ses portes avec Noir Désir, qui allumera par la suite un « grand incendie » dans l’Hexagone. Pendant ce temps-là, la presse locale s’émerveille : « Cocorico de toute la France, on nous envie de plus en plus la salle de l’Ubu. Rennes confirme ainsi son titre de capitale rock », (Ouest-France, 4 mai 1988).


Pause vidéo : 4 mai 1990... Si vous avez manqué le début, l'Ubu a bien failli fermer, deux ans à peine après avoir ouvert ses portes. C'était sans compter sur la mobilisation des Rennais (TV Rennes).

Une parenthèse en chantier s’ouvre, pour faire de cette salle un des lieux privilégiés de la musique rock et permettre une programmation annuelle permanente. Devenu indépendant du Grand Huit, l’Ubu sera entièrement transformé en 1991, après avoir été repeint par des peintres Chicanos pendant les Trans’.


« Fallait-il y voir un signe ? Le 2 octobre 1987,
le petit club rennais ouvre ses portes avec
Noir Désir, qui allumera par la suite un
"grand incendie" dans l’Hexagone. »

ALORS, LA FORME ?

L'Ubu relooké avec des affiches à l'occasion des Journées du patrimoine, et surtout, pour célébrer les 30 ans du club. © Christophe Le Dévéhat

Parmi les sujets de conversation préférés des abonnés de l'Ubu, la forme singulière de la petite salle, évoquant peu ou prou un « Y », tandis que d’autres évoquent une oreille. L’occasion d’enlever ses boules Quiès pour ouvrir le dialogue et mettre les points sur les « I ».


« On va au bar », sur la droite, qu’il me dit. Mais moi, je préfère aller directement devant la scène, sur la gauche, pour assister au show et ne pas en louper une miette. D’où je suis, j’aperçois la régie en arrière-plan, et puis, je ne vais pas me couper en deux, à moins que je ne reste au milieu de la salle où un écran retransmet le concert, à deux mètres à peine des musiciens en chair et en os !
Car l’avantage du club rennais réside surtout dans la grande proximité entre musiciens et spectateurs, jamais à plus de trois mètres de leurs idoles. Le concert est fini, le public a battu le rappel. L’heure de se désaltérer en débriefant ou en admirant l’expo en cours a sonné. Mon ami, lui, cherche le concert…


Pause vidéo : Janvier 1997, le folk singer Joseph Arthur nous emmène dans sa "Mercedes" à l'occasion d'une ultime répétition (TV Rennes).

ANTOINE « TONIO » CANAT, 
UN JACK DANS LA BOÎTE

Lenny Kravitz, un pur moment de rock'n'roll... aux TransMusicales 1993 © Dominique Levasseur / Archives municipales

En tant qu'assistant bon à tout faire ou régisseur général, Antoine « Tonio » Canat a œuvré dans l’ombre des stars, pour faire en sorte que chaque concert de l’Ubu soit une fête réussie. Retour en backstage, dans les souvenirs d’un technicien incontournable, historique, et artiste lui aussi.

En tant que technicien, Tonio Canat a fait les 400 coups à l’Ubu. Après des années de bons et loyaux services rendus à la petite salle, le mécano de la générale vient de raccrocher sa casquette « Ubu » au vestiaire, pour se concentrer sur la machinerie des festivals de l’Ouest (TransMusicales, Vieilles Charrues, Trois Éléphants…). L’occasion était belle de se raconter quelques souvenirs pour le moins riches en décibels.

« Je suis arrivé à l’Ubu le 1er octobre 1988 comme assistant son, soit un an après l'ouverture officielle avec le concert de Noir Désir. L’étincelle, ça avait été un stage de trois ou quatre jours organisé par ATM, quelques mois auparavant. Je revois encore Frank (Darcel) intervenir sur la partie son. Puis Béa (Macé) pour l’aspect administratif, sans oublier les deux passionnés Jean-Louis (Brossard) et Hervé (Bordier) pour évoquer ce qu’on n’appelait pas encore les musiques actuelles. »

Avant de prendre son pied en coulisses, le quinqua a d’abord participé comme spectateur aux mémorables vagues de foule dans la salle (« il y avait tellement de monde qu’on ne pouvait que suivre le mouvement »), puis les a provoquées depuis la scène, avec son groupe. Le Lavallois se souvient aussi de sa première comme spectateur : l’agenda marque 1985, l’Ubu ne s’appelle pas encore l’Ubu mais la salle Jarry ; les groupes End of Data et Blurt trustent l’affiche… Et Antoine Canat fait connaissance pour la première fois « avec cette salle toute petite et tellement singulière. Je venais régulièrement à Rennes avant d’être embauché. En fait, j’ai vu l’Ubu se monter, et son histoire s’écrire. » Le chanteur-bassiste y participera même quand, un soir de 1986, il assure avec son groupe de rock garage sixties la première partie des Died Pretty.

Antoine, vas te faire couper les cheveux

« J’ai d’abord fait le café, passé le balai, branché les câbles… » Tonio fait ses gammes comme assistant, avant de devenir technicien spécialisé dans le retour son.
Il occupera ce poste jusqu’en 1998, année de sa promotion au poste de régisseur général.

Le rex régisseur sourit… « J’ai une petite histoire avec l’Ubu. Quand j’étais ado, à Laval, j’allais chez un coiffeur de quartier. À chaque fois, je ne pouvais pas m’empêcher de regarder ce drôle de portrait en pied, représentant un dandy excentrique : Alfred Jarry, Lavallois comme moi, et donc lui aussi très lié avec la petite salle rennaise… À mon arrivée à l’Ubu, la plaque de la salle Jarry était toujours là, à l’entrée de la salle ! Ça a fait tilt dans ma tête, et ça m’a conforté dans l’idée que j’avais fait le bon choix, que c’est là que tout allait se jouer dans les prochaines années. »

« Entre 1988 et 1995, l’Ubu, c’était le must »

Comment s’explique-t-il rétrospectivement l’éclatante réussite de l’Ubu club ?
« Au-delà de la qualité de la programmation, le mot clé pour moi a été celui de "convivialité". Outre un lieu de live, Jean-Louis Brossard désirait ardemment que
la salle soit aussi, et avant tout, un lieu de vie. »

La technologie a bien sûr joué les premiers rôles dans cette pièce aux milliers d’actes. « La salle avait été dotée d’une console retour et de matos performant.
Le
catering sur place, l’accueil des artistes…, tout cela a énormément compté. »

« Entre 1988 et 1995, l’Ubu, c’était le must, et cela m’a bien sûr permis de beaucoup progresser. »

À ses débuts à l’Ubu, « Tonio » a tout juste vingt ans, et une autre corde à son arc : « Je parlais couramment anglais, ce qui était plutôt pratique pour communiquer avec les groupes. » La vague brit'pop des années 1990 emporterait en effet bientôt le monde et donc Rennes sur son passage. Petite anecdote : « C’était un concert d’Inspiral Carpet. Il y avait un roady qui se tenait dans l’escalier, un gus plutôt étrange. » L’avenir lui apprendrait qu’il s’agissait de Noel Gallagher, futur leader du groupe Oasis.

Les tops de Tonio

Roi des jacks et des bitonios en tout genre, Antoine Canat est aussi tout simplement un amoureux de musique. Le mélomane nous livre son top 3 des lives inoubliables à l’Ubu.

« Mon premier est sans hésiter Jeff Buckley. Même si je ne me rappelle pas bien l’année, 1994 je crois, le souvenir demeure impérissable pour moi, même si tout ne s’est pas bien passé. Je pense que Jeff Buckley a eu du mal à gérer son succès fulgurant, et que la pression était un peu forte pour ses épaules. Quoi qu’il en soit, l’auteur de Grace
a tout de suite dépassé son père, Tim Buckley ; sa voix était tout simplement énorme… Je vois un peu dans cette histoire de génie précoce un destin similaire à celui de Kurt Cobain (Nirvana). Les poils se hérissent toujours sur mes bras quand j’y pense. »


« Mon deuxième souvenir, c’est le concert de Lenny Kravitz, en 1989. C’est la tournée de l’album Let Love Rule. Un concert magique à tous les niveaux : imaginez juste quelques secondes un tel artiste dans cette mini-salle. Sa première date en Europe ! Pour la régie, ça a un peu été un casse-tête, car il y avait beaucoup de matériel sur scène… Un des membres de l’entourage de l’artiste n’en revenait pas qu’une « discothèque » comme la nôtre ait autant de ressources au niveau du son. »

« Screamin’ Jay Hawkins complète mon podium. Je me revois encore lui rendant visite dans sa loge, puis lui montrant la signature de Lenny Kravitz sur le mur. Je lui propose d’en faire autant, mais ce vieux monsieur black très accessible me répond simplement en souriant : "J’ai passé l’âge de faire ça."

Au final, des meilleurs concerts de l’Ubu, j’en ai plein. Je pense que la proximité du public avec les artistes crée une certaine magie, qui fait que les concerts de l’Ubu ne ressemblent pas aux autres. »

Dans la boîte d’Antoine Canat, quelques jacks, donc, mais surtout beaucoup de souvenirs.

30 YEARS PARTY PEOPLE

©Christophe Le Devehat

De même que l'Ubu se lit dans les deux sens, l’histoire du célèbre petit club rennais peut être dégustée par les deux bouts. Pour fêter ses trente ans, l’association ATM propose notamment une programmation résolument moderne revisitant les chaudes heures passées du côté de l’avenue Janvier.

Une soirée thématique. L’habitué des lieux Rubin Steiner a tenté le pari de remixer trente ans de programmation à l’Ubu. Une boum pas nostalgique pour deux sons, la preuve ici

Deux murs du son. Pour donner à l’Ubu des habits de circonstance, un mur de la salle a été tapissé de programmes dépliants d’époque, tandis qu’un autre invite à revisiter trente ans d’affiches de concert. De jolis papiers peints pour l’esprit !

Un webdoc rock. La société rennaise Vivement Lundi ! pose ses caméras à l’Ubu tout au long de la saison 2017-2018. À la clé, un an de concerts, de répétitions et d’émotions… Et surtout un constat : le club rennais est très occupé. La diffusion prendra quant à elle la forme d’une web-série d’une dizaine d’épisodes.

Une exposition photographique. À l’occasion des prochaines TransMusicales, l’Ubu invite à redécouvrir quelques images fortes de sa déjà longue existence.

Pense-bête : une interview de Jean-Louis Brossard parlant de Portishead, dans l’émission « La chronique du vendredi » sur Canal B ? Une rencontre avec des artistes à l’affiche ? Pour revisiter trente ans de fêtes, un réflexe : www.memoires-de-trans.com

BÉATRICE MACÉ :
LA COMÈTE TRANS'
ET LA LUNE UBU

À l'occasion des 20 ans des TransMusicales, l'ATM a exhumé de ses archives la matière d'une exposition pour le moins originale. © Bruno Chiron 

Habitante de la première heure de la planète Trans', Béatrice Macé était également dans le vaisseau spécial Ubu qui décolla le 1er octobre 1987. Portrait d’une actrice historique des musiques actuelles rennaises.

Si l’on devait brosser le portrait de Béatrice Macé en une phrase, l’on dirait que la directrice des TransMusicales pense la musique et joue de l’esprit. Et si elle entend souvent des notes s’échapper des instruments, celles-ci finissent le plus souvent dans les marges et en bas des pages de ses carnets de notes. « Béa » est comme ça, laissant les joies du groove aux autres pour s’occuper des questions plus graves, telles que la démocratisation de la culture, l’écoresponsabilité…

« Une salle, c’est d’abord un territoire. »

1987… « C’est le moment où, comme Hervé Bordier et Jean-Louis Brossard, je suis salariée du Grand Huit. Je me souviens que nous avions déjà commencé à travailler les responsables de la ville au corps. Nous voulions faire passer l’idée que les TransMusicales étaient une bulle artistique limitée dans l’espace et dans le temps. »
Le message ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : la municipalité se montre réceptive, et une cellule musiques actuelles voit le jour à la Maison de la culture.
À cette époque, la membre historique de l’association Terrapin est chargée de production des tournées de Yargo et Fishbone, mais rêve déjà d’élargir les frontières du festival. « L’ouverture de l’Ubu est la conséquence de toute cette réflexion. Ce fut une période très intéressante, un peu utopique, car nous avons réalisé que notre modèle de club à l’anglaise, grande nouveauté dans le paysage musical hexagonal, pouvait voir le jour à l’intérieur d’une institution publique. »

Mais la crise est venue… Alors que la tempête balaye la grande Maison, l’Ubu ferme ses portes pendant six mois, de mars à septembre 1990. Béatrice Macé postule avec Jean-Louis Brossard pour reprendre l’Ubu dans une version associative. « Rétrospectivement, ce moment a été très important : la reprise de l’Ubu nous a permis de disposer de deux outils, une salle de concert et un festival, très complémentaires dans la durée, la densité… » Si les TransMusicales sont une étoile filante dans le ciel rennais, l’Ubu sera la lune qui éclaire les nuits rennaises chaque jour. Au festival la fulgurance et l’éphémère, au club du centre-ville le quotidien et la permanence.

Les lieux de concert, du désert à l’oasis

Pour que la planète musique tourne, encore faut-il que tous les rouages soient parfaitement huilés. Si la notion d’action culturelle est encore une idée sans corps à l’époque, l’Association TransMusicales (ATM) pense très tôt à l’environnement des musiques actuelles : « L’accompagnement des associations est une réalité dès le début des années 1990. Celui des artistes arrivera un peu plus tard… Quant à notre premier plan d’action culturelle, il sera mis en place avec les Trans' 1999. Nous avions constaté que le public nouveau sur le festival ne possédait pas tous les codes. Nous avons décidé d’aller vers lui. »

« Aujourd’hui, on recense entre 150 et 200 salles de concert. À la naissance de l’Ubu, elles tenaient sur les dix doigts des mains. Cela peut sembler anodin, mais cela change toute notre approche. Cela dit, notre chance est de disposer d’un festival et d’un lieu, cela reste notre originalité et notre force. » Nous sommes en 2017, quelle est la place de l’Ubu dans ce nouveau paysage ? « L’Ubu, c’est d’abord un club de centre-ville. Connaissez-vous beaucoup de villes pouvant s’enorgueillir d’un tel privilège ? Sinon, c’est une salle hybride, entre la première génération de salles (avec un bar dans la salle, mais de statut privé) et la seconde génération (des bâtiments municipaux). »

Demain, l’Ubu

« Daté historiquement », le club rennais devra évoluer : faire avec le projet de nouvel Antipode et la restructuration architecturale du Jardin moderne, deux équipements avec lesquels l’Ubu forment une SMAC. « Une réflexion est en cours, il faut penser l’articulation et la complémentarité des trois lieux, dans leurs missions. »

Si elle devait retenir quelques moments clés de ces trente années passées, Béatrice Macé ne choisirait pas forcément un concert : « C’est d’abord en 1990, l’installation de nos bureaux dans l’appartement des concierges de la Maison de la culture, Jean et Lulu. C’est ensuite la tournée de Yargo en 1987. Avec Fishbone, ce groupe nous a aidés à monter notre projet. C’est enfin l’exposition réalisée pour les 20 ans des Trans' à l’Ubu, en 1998 : nous avions transformé les lieux avec les archives du festival. » Les Trans' envahissant l’Ubu, une belle image pour finir. « Les deux sont indéfectiblement liés (elle vérifie le sens du mot dans le dictionnaire), oui, c’est exactement ça ! »

JEAN-LOUIS BROSSARD PARLE DE NOIR DÉSIR...

« Noir Désir c'est un groupe que j'ai connu par l'intermédiaire de Théo Hakola, qui était le chanteur d'Orchestre Rouge, qui avait joué aux Trans' en 1980 puis après avec Passion Fodder. C'est lui qui était en train de préparer la production de leur premier album et donc il m'avait envoyé une cassette marquée Noir Désir mais pas écrit vraiment de la même façon, je crois qu'il y avait un "s" à l'époque. Donc j'avais reçu cette cassette et tout de suite elle m'avait interpellé ; j'aimais beaucoup l'énergie que dégageait le groupe, la voix de Bertrand, alors j'ai décidé de les faire passer aux Trans. 

C'était à l'Ubu, avant même que le groupe ait sorti un album et c'était un concert d'anthologie parce qu'en France il n'y avait pas vraiment de groupes qui sonnaient comme ça, avec cette énergie qui était quelque part assez proche des groupes de Detroit: MC5, Stooges... D'ailleurs, ils reprenaient des morceaux d'Iggy Pop. Je me rappelle qu'à l'époque ils reprenaient aussi Helter Skelter des Beatles, ils avaient une version absolument apocalyptique ! »

Écoutez l'intégralité de l'interview : 

... ET DE PORTISHEAD

« Portishead, c'était en 1994 à l'Ubu. C'était en début de TransMusicales parce que j'avais découvert le groupe alors que ma prog était pratiquement déjà bouclée. J'avais découvert ça chez une copine, Barbarian, qui était journaliste à Libé et qui venait souvent aux Trans'. C'est d'ailleurs là qu'elle avait rencontré son mari Damian O'Neill, qui faisait parti de That Petrol Emotion, pour la petite histoire...

Le groupe a joué 45 minutes et ils ont quand même accepté de faire un rappel, alors que c'est un peu le style groupe anglais "We have no more song". C'est classique, ils n'aiment pas jouer, quoi. Mais Beth Gibbons avait envie de refaire un titre et j'ai dit oui, j'ai viré les gens dehors, je suis remonté dans la loge... et ils sont revenus pour un morceau. C'était complètement magique ce concert, absolument extraordinaire. Je ne suis pas sûr de les avoir revus depuis et je ne suis pas sûr d'avoir envie de les revoir depuis ce moment exceptionnel. Beth Gibbons est revenue aux TransMusicales pour les 25 ans faire deux morceaux avec le Peuple de l'Herbe, qui étaient très réussis.

C'était un son assez différent, il se passait quelque chose de nouveau chez les Anglo-saxons à ce moment-là, ça se sentait. Massive Attack, j'aimais leur premier album, mais j'aimais surtout beaucoup le deuxième. Il y avait Tricky, enfin une palanquée de gens qui commençaient à faire de la musique en s'inspirant d'une part du jazz et de l'électro de l'autre pour arriver à faire cette musique. C'était des gens qui travaillaient beaucoup le son. »

Écoutez l'intégralité de l'interview : 

Pause vidéo : Ubu, mai 1997. Un dernier rappel ? Et pourquoi pas avec Babybird ?

Réalisé par Jean-Baptiste Gandon. Tous nos remerciements à TV Rennes et à l'Association TransMusicales pour leur aide précieuse.