La Société
des régates rennaises

Une vieille dame qui rame depuis 150 ans

Le tout premier club sportif de Rennes est sorti de l'eau à la fin du Second Empire, porté sur les fonts baptismaux par une poignée de jeunes gens de bonne famille, férus de courses et de fêtes nautiques.
A l'aube de son 150e anniversaire, retour sur l'histoire mouvementée et passionnante de la Société des régates rennaises. 

trois siècles sur l'eau

En 1867, la Société des régates rennaises naissait.

Le club a vu passer les crues, les guerres et des générations d’étudiants. Il a été le témoin privilégié des mues de la société rennaise, du sport et de l’urbanisme local. Son histoire au long cours est aussi - un peu - celle de sa ville.

Du canotage à l’aviron, 150 ans plus tard, la Société des régates rennaises mène toujours sa barque sur la Vilaine. De l’eau a coulé sous les ponts mais la vieille dame est toujours verte.

À l’heure où les Rennais redécouvrent leur fleuve avec les grands projets urbains de Baud Chardonnet ou de la vallée de Vilaine, la rame fait émerger une mémoire encore vive. 

Les « amateurs
du bout de bois »

Ils s'appelaient eux-mêmes avec dérision les « amateurs du bout de bois ». Comme le matériau employé pour tailler ces avirons qui leur collaient tant à la peau.

Naviguer sur la Vilaine pour le plaisir ? Drôle d’idée !

Nous sommes au mitan du XIXe siècle. Les Rennais utilisent leur fleuve pour le commerce et l’industrie. Sauf qu’une poignée de jeunes hommes issus de la bourgeoisie marchande a bien envie de s’amuser et de briller en public ! Eux savent nager…

Une douzaine d’embarcations au maximum constitue le noyau historique de la Société des régates rennaises, fondée en 1867 pour "encourager le goût des exercices et des courses nautiques".

Sous le pont Saint-Cyr, l’actuel jardin de la Confluence, un garage de planches disjointes et sol en terre battue servait de QG aux canotiers, à la confluence de l’Ille et de la Vilaine.

Entre les écluses du Moulin-du-Comte et de la Chapelle-Boby (vers l'actuel pont de Strasbourg), les rameurs vont organiser pendant trente ans de folles régates. Les spectateurs vont affluer en nombre pour applaudir les périssoires, les canots à voile et les yoles sur le bassin de la Prévalaye, long de 600 m.

Deux fois par an, c’était la fête. Le soir, les Régates rennaises allumaient les feux de Bengale, les lampions et les orchestres pour faire danser Rennes. L’aviron était roi.

De guerres en galères

En 1914, les Bretons sont appelés sous les drapeaux de la Première guerre mondiale.
À cette date, la Société des régates rennaises est devenue un club étudiant. Environ ¾ des adhérents du club montent au front. Vingt n'en reviendront pas.


En 1940, l’armée du IIIe Reich occupe Rennes. Comme la population française, la Société des régates rennaises est divisée. Le club doit accueillir des soldats allemands dans ses bateaux. Jean Borotra, ministre des Sports du gouvernement de Vichy, vient poser la première pierre d’un nouveau centre d’entraînement, qui ne verra jamais le jour. On fait la quête pour le Secours national. Mais des rameurs sont exclus pour faits de désobéissance.


Le 4 août 1944, les troupes d’occupation font sauter le pont Saint-Cyr. Le garage de l’association et ses bateaux sont fortement endommagés.
Rennes et les Régates font corps encore un peu plus. 

« J'ai vu flotter
des cadavres de chien » 

Jean-François Botrel est la mémoire du club. Il y a adhéré en 1952, à l'âge de 10 ans. Professeur émérite de l’université Rennes 2, un temps président de l’association (2008-2012), il sort encore une fois par semaine dans un canoë deux places. Précision : Jean-François Botrel a 74 ans. L’aviron, ça conserve.

« Dans les années 50, il ne faisait pas bon tomber à l’eau. Certains utilisaient encore la Vilaine comme égout. On traversait la mousse chlorée des Papeteries de Bretagne, la lessive des lavandières. J’ai vu flotter des poissons morts et des cadavres de chien… Mais personne ne s’en plaignait. Il fallait partager le fleuve qui avait d’autres usages que les loisirs. »

jeune, festive
et internationale

Dans le sillage de la municipalité, la Société des régates rennaises a suivi les vagues successives de jumelage de la capitale bretonne. Dès 1956 pour Exeter.

Pendant trente ans, les rameurs bretons et britanniques vont se rendre visite pour s'affronter en gentlemen lors de galas et de challenges sportifs. Idem pour Erlangen (Allemagne), Brno (République tchèque) et Poznań (Pologne). Jusqu’à baptiser quelques bateaux du club aux couleurs des villes jumelles.

Jusqu’à la création du REC en 1999, la Société des régates rennaises constituera le seul club d’aviron de la ville. Les étudiants (sciences, médecine, beaux-arts, agri…) formeront l’essentiel de ses équipages. Le club vivra au rythme de l’université et de ses examens. Ses adhérents joyeux se distingueront en organisant de nombreuses fêtes, bals, galas sportifs et autres « mi-carêmes nautiques ».

Le sport en miroir

L'histoire des Société des régates rennaises, transformée en association sportive en 1901, illustre les évolutions de la pratique sportive au fil de l’eau. Davantage tournée vers la compétition, les femmes et les classes moyennes. L’aviron pour tous s’impose.

On formalise le cycle des entraînements et le calendrier des compétitions. Les équipiers disputent des régates hors de Bretagne. On crédite les courses rennaises de prix alléchants pour attirer des rameurs de renom.

Dans les années 1920, les femmes se font une place dans les bateaux. L’aviron féminin cesse d’être un tabou. Aujourd’hui, elles représentent 40 % des effectifs du club.

La société rennaise se démocratise. Les ouvriers aspirent eux aussi aux loisirs. Après la Seconde guerre mondiale, les apprentis de l’imprimerie Oberthür seront les premiers à mettre un pied dans la porte.

En 1985, la Société des régates rennaises accueille une section Citroën. Des lignes de production aux lignes d’eau, l’usine de la Janais marque la Vilaine de sa griffe.

« Le loisir est devenu un sport. Mais à rebours d’autres disciplines, l’aviron reste amateur. Notre club vit grâce ses bénévoles. Ce sont eux qui encadrent les entraînements. Le club n’emploie un salarié que depuis 1999. À Rennes, on rame pour la gloire ! » Jean-François Botrel

Lucie Richard,
l'Atlantique à la rame

La Société des régates rennaises ne possède pas le plus grand palmarès sportif des clubs français d'aviron. Le club ne court pas après les titres ni les médailles. Ce qui n’empêche pas certains de ses membres de se distinguer.

Lucie Richard (23 ans) pratique l’aviron aux Régates rennaises depuis 2004. En mars 2016, l’étudiante a traversé l’Atlantique à la rame pour relier les îles Canaries à la Guadeloupe en 48 jours et 22 heures. L’équipage composé de six marins - deux femmes et quatre hommes - n’a pas réussi à battre le record du monde. Le gros temps, les vents fort, la panne du pilote automatique et le dos bloqué de Lucie ont eu raison de ses ambitions. Peu importe.

« Ce fut une aventure sportive et humaine extraordinaire, hyper forte en émotions et en rebondissements. J’ai appris à dépasser mes limites comme jamais. Quand tu en as marre de ramer dès le deuxième jour, accroche-toi… Cette traversée, c’est un an et demi d’engagement à 100% pour s’entraîner, trouver des sponsors, apprivoiser la mer… L’océan Atlantique, c’est autre chose que la Vilaine ! »

Dans le lit de la ville

À la fin du XIXe siècle, au bout du mail François Mitterrand, les Régates naviguaient presque à la campagne avant que la ville et ses industries ne grignotent progressivement les berges de la Vilaine.

Puis l'ère du tout-automobile triompha.

Au début des années 1960, on prolongea la couverture du fleuve depuis la place de la République jusqu'au pont de la Mission. On rectifia ensuite son cours pour aménager une voie nouvelle de circulation - l'actuel axe Est-Ouest - quitte à réduire le plan d’eau des rameurs au minimum syndical.



Finalement, la construction de la base nautique de la plaine de Baud (1969), suivie du déménagement des Régates rennaises dans leur nouveau garage (1977), ouvrent un nouvel horizon aux rameurs. Semi-industriel mais regardant vers la campagne de Cesson-Sévigné…

En 2017, la Société des régates rennaises suit toujours du coin de l’eau cette ville qui redessine son paysage nautique.

Aux portes de la base, le quartier Baud Chardonnet amorce sa renaissance avec de futures plages vertes. Les rameurs voient les berges revivre.

Dans la vallée de la Vilaine, archipel de 370 étangs, un grand projet d’aménagement prévoit de sortir de l’eau 25 km de voies navigables, de nouveaux lieux de baignade et de loisirs nautiques, jusqu'à Laillé.

« Si j’étais élu, je consulterais tous ceux qui ont l’expérience du fleuve. La nôtre est le fruit de 150 ans de pratique. Nous savons la difficulté d’accéder à l’eau et d’en sortir. Nous savons comment aménager ces accès de manière écologique, sans bétonner. Avec d’autres, nous avons une expertise d’usager et une capacité à animer l’espace public fluvial ». 
Jean-François Botrel


Tout le détail des animations et festivités du 150e anniversaire sur
Le site de la Société des régates rennaises


A NOTER : Les Archives de Rennes préparent actuellement une exposition exceptionnelle intitulée ""Rame, rameurs, ramez. La Société des Régates Rennaises, 1867-2017". Celle-ci sera ouverte du 16 septembre 2017 au 6 janvier 2018, à l'Opéra de Rennes, Carré Lully

Textes Olivier Brovelli
Photos : collection de la Société des régates rennaises.

Le projet d'aménagement du quartier Baud Chardonnet prévoit une zone de loisirs en bords de Vilaine