FLEUR DE TONNERRE

Une serial killer bretonne à l'écran

Il y a d'abord eu une pâtisserie à l'angélique, puis un livre et un film diaboliques. Des nourritures terrestres aux nourritures spirituelles, voilà "Fleur de tonnerre", sur les écrans à partir du 18 janvier. Il était une fois… un gâteau « garanti sans arsenic », fabriqué par la chocolaterie Durand en souvenir de cette serial killer nommée Hélène Jégado, et guillotinée non loin de là, sur la place du Champ de mars, un jour de 1852. Un biscuit au cœur d'une histoire croustillante, puisqu'il nourrira l’imagination fertile de Jean Teulé, qui décidera d'écrire un livre sur le sujet, « Fleur de tonnerre » (voir ci-dessous). Cerise sur le gâteau, ces pages empoisonnées déclencheront le coup de foudre chez la réalisatrice Stéphanie Pillonca-Kervern, qui en fera un film retraçant l’épopée macabre de la cuisinière du diable. Co-scénarisé par Gustave de Kervern, le road movie mobilise un casting prestigieux, avec notamment Deborah François dans le rôle titre d’Hélène Jégado, Christophe Miossec en curé, Benjamin Biolay ou encore Jean Teulé lui-même. Les amoureux de films noirs, d’épopées historiques et d’histoire bretonne peuvent avoir l’eau à la bouche, ils constateront bientôt qu’arsenic et vieilles dentelles font vraiment bon ménage. La céréale killer « Fleur de tonnerre » noircira les écrans de cinéma à partir du 18 janvier 2017, et les plus pressés auront même droit à un croque-en-bouche avec l’avant-première programmée au cinéma Gaumont, le 11 janvier.

SI VOUS AVEZ MANQUÉ LE DÉBUT : L'INCROYABLE DESTIN D'HÉLÈNE JÉGADO

Fleur de tonnerre est une histoire vraie. C'est précisément le surnom donné à Hélène Jégado, jeune morbihanaise tombée dès le plus jeune âge dans les abîmes de la folie, et qui sèmera la mort sur les routes de Bretagne dans la première moitié du 19e siècle.

À la sortie de son livre, en 2013, Jean Teulé éclairait nos lanternes sur la personnalité obscure de la Jégado : « Ses parents l’ont tellement effrayée avec les légendes bretonnes et les superstitions en tout genre, qu’elle a conjuré la peur en devenant la peur elle-même, c’est-à-dire l’Ankou. »

Parvenant à se faire embaucher comme cuisinière à chaque étape de son périple, la « céréale killer » bretonne a empoisonné nombre de victimes - hommes, femmes, enfants - avec ses tartes appétissantes. L’histoire s’est arrêtée sur le chiffre 36, mais la liste est sûrement plus longue. Inaugurée à Plouhinec, la cavale meutrière de la Jégado s’arrêtera net à Rennes en 1852, place du champ de mars, où elle sera guillotinée à l'aube de ses 50 ans. 

La mémoire locale conserve notamment entre ses murs les sinistres traces de de son périple. À commencer par les minutes de son procès, très détaillées, et le masque mortuaire de la Jégado.

LA FLEUR DU MAL EN BANDE DESSINÉE

Déjà adapté en livre par Jean Teulé et en film par Stéphanie Pillonca-Kervern, le destin d'Hélène Jégado, alias Fleur de Tonnerre, continue de fasciner. Cette fois, le sanglant dessein de la serial killer bretonne, fait l’objet d’une bande dessinée signée Olivier Keraval et Luc Monnerais. Attention aux bulles de poison !

Le duo Olivier Keraval et Luc Monnerais a habitué ses lecteurs à voir les rues de Rennes couleur rouge sang, et ce même si les couleurs dominantes de leurs bandes dessinées sont le noir et le blanc. La preuve avec le très chabrolien « Danse macabre », sorti en 2012.

Macabre, le dessein de leur nouvelle héroïne l’est également. Nous sommes au milieu du 19e siècle, dans une Bretagne volontiers païenne et superstitieuse. Quasiment analphabète et orpheline à 7 ans, la morbihannaise Hélène Jegado absorbera croyances et dictons. Au point de perdre la tête et d’enfiler la cape de l’Ankou. Les sabots d’Hélène sont aussi ceux du diable, et Fleur de tonnerre se fera embaucher comme bonne à droite et à gauche. Le stratagème ultime pour empoisonner ses victimes, riches et pauvres, vieilles et jeunes, à coup de petits plats d’une étrange couleur verte...

Des dizaines de meurtres plus loin, et après avoir répandu sa poudre d’arsenic sur les routes de Bretagne, la psychopathe « Fleur de tonnerre » se retrouve à Rennes ou son périple va s’achever brutalement. Le clap de fin de la guillotine se fait entendre le 26 février 1852, place du champ de mars, après qu’elle eut été démasquée par le maire de l’époque lui-même.

La légende veut que la Jégado ait demandé un miroir pour voir sa tête tomber… Olivier Keraval et Luc Monnerais ont quant à eux préféré y distinguer en reflets le sombre contexte politique de l’époque : la criminalogie se développe et Lumbrosio définit le profil des « tueurs nés » ; la République vacille, et le second Empire s’impose… L’intrigue du tome 1 (Arsenic – Hélène Jégado vers l’échafaud) se resserre sur l’épisode rennais, c’est-à-dire la fin de son périple : le mal est déjà fait, et le procès est l’occasion d’un débat enflammé entre partisans et opposants à la peine de mort.



La dernière case de cette première partie montre la silhouette de Fleur de tonnerre, montant tête baissée les marches vers l’échafaud. Pour connaître la chute, il faudra attendre le Tome 2, annoncé en avril 2018.

À RENNES, SUR LES TRACES
DES SABOTS D'HÉLÈNE    



À l'image de la chatterie « sans arsenic » fabriquée par la chocolaterie Durand, l’amateur de roman noir peut suivre Hélène Jégado à la trace dans les rues de Rennes, où les miettes de son épopée sanglante se ramassent à la pelle. 

Du masque mortuaire de la tueuse en série et autres objets conservés au musée de Bretagne au Parlement de Bretagne où elle a été jugée, en passant par la place du champ de Mars où elle fut guillotinée, l’empoisonneuse invite à un parcours dans la ville pour le moins original. 

À tel point que Destination Rennes propose des parcours, accompagnés d’un guide (http://www.tourisme-rennes.com/fr/les-focus/fleur-tonnerre-jegado). Des visites hautement touristiques, et bien évidemment sans risque.








ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES : LE TOURNAGE

©JBGandon

Co-scénariste aux côtés de sa femme Stéphanie Pillonca, également réalisatrice du film, Gustave de Kervern nous éclaire sur le choix d'adapter « Fleur de Tonnerre » au cinéma. « Je suis un Breton pure souche, à telle point que mon nom s’écrit à l’origine avec une barre de fraction : K/Vern, ce qui m’a d’ailleurs valu des embrouilles administratives et un retrait de permis pendant deux ans. Plus sérieusement, ma femme apprécie beaucoup Jean Teulé. Elle devait déjà adapter « Le petit magasin des suicides » au théâtre, mais ça ne s’était pas fait. Moi, j’ai découvert l’existence de la Jégado avec le livre de Jean Teulé, comme 9 Bretons sur 10, je pense. »

Même si il n’a jamais vécu en Bretagne, le Grolandais d’origine contrôlée se déclare malgré tout « très enraciné dans sa région ». « Je suis né à l’Île Maurice dans une famille de navigateurs brestois ; j’ai vécu à Nice et à Paris. Pour moi, c’était enfin l’occasion de me pencher sur l’histoire de ma région. À l’image des pierres de fertilité, j’ai découvert plein de choses, je me suis régalé. » Le réalisateur de « Mammuth » et de « Near death experience » nous avoue même au passage avoir rêvé « d’un film 100% breton, mais bon… »

Chargé de production, Sébastien Autret plante le décor : « il était trop compliqué de reconstituer le périple de la Jégado en décors réels. Les sites ont trop changé depuis le 19e siècle. Le budget est par ailleurs serré : 1,6 M€, c’est peu pour un film d’époque. Nous nous sommes donc limités sur les extérieurs, et il y a aussi naturellement beaucoup de scènes de cuisine… »

Qu’en pense le Père Miossec qui, dans le film, aura la naïveté de rédiger une lettre de recommandation à la Jégado ? « Fleur de tonnerre, ce sont les vestiges du paganisme. Elle fait partie des figures mythologiques bretonnes, ce sont des choses que tu apprends tout petit, qui se racontent de génération en génération. Le 19e siècle est un moment charnière dans notre région, une époque où la culture païenne et le catholicisme se téléscopent. » « Moi je suis nul en histoire, mais ce croisement des croyances n’en demeure pas moins hallucinant », ajoute le capitaine K/Vern.


Quel curé jouez vous, Christophe Miossec ? « Vous savez, je sais ce que c’est, j’ai un cousin dans les ordres (rires)… Dans le film, je joue un prêtre gourmet à qui la Jégado donne du plaisir ; un curé d’une grande humanité, aussi. Aujourd’hui, c’est mon premier jour de tournage, le plus dur est à venir.

Le choix de l’héroïne ? « Il fallait une comédienne dotée d’une force brute, capable de se rapprocher de l’abîme schyzophrénique, et d’exprimer toute cette folie avec un simple regard. Le choix de Deborah François (« Populaire », « L’enfant »…, ndlr), est vite apparu évident. » Parmi les scènes d’anthologie à guetter particulièrement : celle où Jean Teulé évangélise un menhir ; celle où la Jégado plonge dans l’eau glacée, en plein naufrage ; les scènes d’église sous le regard de l’Ankou (la mort), sculpté sous la forme d’un squelette brandissant un hachoir…

Thriller, comédie, road movie ou drame : tous les registres étaient jouables pour ce film au carrefour de l’histoire et du roman noir. À quelle sauce la Jégado a-t-elle été cuisinée ? « Nous avons constaté que le burlesque de Jean Teulé ne fonctionnait pas au grand écran, l’aspect comique a donc été édulcoré ; de la même manière, nous avons décidé d’atténuer le caractère répétitif des crimes pour n’en conserver que quelques-uns. Notre « Fleur de tonnerre », c’est le parcours dramatique d’une petite fille victime de l’obscurantisme de son époque. » On la disait laide et détestable, mais c’est sous les traits angéliques de Deborah François qu’elle répandra la mort en Armorique.

Les sabots d’Hélène sont aussi ceux du diable

« Stéphanie Pillonca m’a envoyé le scénario, pose l’actrice principale entre deux prises. L’histoire m’est immédiatement apparue très forte. » Comment incarner une personnalité aussi marquée que complexe ? « Même si j’ai déjà joué des personnages étranges, ils n’étaient jamais complètement psychotiques, jamais dans la vraie folie. Ici, la Jégado est incohérente par nature, cela m’a imposé de mener une réflexion et de construire mon personnage en amont. Pour y parvenir, j’ai épluché la littérature sur le sujet et les minutes du procès. J’ai considérablement annoté le texte, rencontré beaucoup de psychiatres… La question, au fond, est : comment jouer quelqu’un dont on ne peut pas suivre rationnellement le fil de la pensée ? »

Sur son périple breton, elle déclare : « l’histoire bretonne, on la sent jusque dans ses vieilles pierres. J’ai plongé dedans, dans tous les sens du terme. Le 19e siècle dans cette région, c’est le remplacement d’une peur (celle des démons) par une autre (celle de Dieu) ».

À qui vous fait penser la Jégado, mesdames et messieurs ? « À Charliz Théron dans 'Monster’ », répond la jeune Déborah François. « Moi, je suis plutôt Thierry Paulin », répond le loup de mer Miossec, histoire de rire quand même un peu. Film ancré dans l’histoire et dans l’Ankou, Fleur de tonnerre est aussi totalement dans le coup, comme pourrait nous le confirmer le chiffre des entrées, après sa sortie programmée dans quelques jours. Arsenic et crêpes dentelles : un mot de la fin justifiant les moyens, et aussi un mot de la faim justifiant les arts scéniques : « Hélène, tu as mis la table ? »

QUAND L'ÉCRIVAIN NORMAND JEAN TEULÉ ÉVOQUE L'EMPOISONNEUSE BRETONNE 

À l'origine du film, il y a d'abord eu un livre : alors que Fleur de tonnerre s'est vendu comme des petits pains à l’angélique confite, la tentation était trop forte de soumettre l’écrivain Jean Teulé à un interrogatoire serré. Qui était la Jégado, la plus grande « céréales killer » de tous les temps guillotinée à Rennes en 1852 ? Ce tableau haut en coulures, bave et vomissures est-il fidèle à la réalité ? Ou bien s’agit-il de simples arrangements avec les sorts, dans une Bretagne du XIXe siècle pas si superstitieuse que cela ? Son Brest-seller a-t-il déclenché un tollé général dans le landerneau ? Une chose est certaine, Fleur de tonnerre est un livre drôle, instructif et sucré, indispensable pour qui veut être complètement dans l’Ankou.

Pour commencer par un jeu de mots, votre livre a dû provoquer un Teulé général chez les Bretons.

Eh bien figurez-vous que non ! Je me suis bien sûr posé la question, car je n’avais pas envie que des gens viennent taguer des insultes sur les murs de ma maison en pierres du XVIe siècle, à Saint-Cast. Mais non, je n’ai pas été obligé de déménager. Pas même un casse-pieds de docteur en bretonnerie n’est venu couiner sur un détail. Cela démontre que les Bretons ont beaucoup d’humour.

Rassurez-moi, tout cela n’est que pure invention ?

Non, non, la seule invention, ce sont les deux perruquiers normands ; et, bien sûr, le déroulement des empoisonnements. La raison en est simple : les témoins sont aussi les victimes, mais au final cela m’arrangeait. Pour le reste, les lieux, les meurtres… mon livre respecte scrupuleusement la cavale meurtrière d’Hélène Jégado. Je voulais que Fleur de tonnerre soit le plus documenté possible. Je me suis par conséquent constamment référé aux minutes du procès, et à tous les livres traitant de la culture bretonne, des légendes celtiques, dans la première moitié du XIXe siècle.

Une étoile filante, c’est un curé qui se pend, le sifflement du vent, un noyé… Même les superstitions ?

Oui, les naufrageurs, Notre-Dame-de-la-Haine, les croyances, tout cela est authentique. En ouverture du livre, il y a une citation de Jacques Cambry, un Breton qui a fondé l’Académie celtique : « Chaque pays a sa folie, la Bretagne les a toutes ». Tout était dit avant que le livre commence.

Le choix de deux Normands comme fil conducteur est-il fortuit ?

Pour paraphraser Flaubert, qui a dit « Madame Bovary, c’est moi », je dirais : « Ces deux coiffeurs, c’est moi ». Ils arrivent en pays à conquérir, dans une sorte d’esprit de rivalité, mais finissent convertis. À la fin, ils ne parlent plus qu’en breton, jouent du biniou… Il m’est arrivé la même chose avec mon épouse, Miou-Miou. Quand je lui ai parlé d’acheter une maison en Normandie, ma région natale, elle m’a répondu : « plutôt crever ! » Au final, c’est moi qui ai cédé, et je ne le regrette pas, car les Bretons sont plus ouverts et drôles que nous, les taiseux de Normands.

D’accord, mais l’authenticité, la convivialité des Bretons, tout cela relève du mythe.

Non, je pense que tout cela est assez vrai. À une époque, je cherchais un artisan pour travailler sur la restauration de ma maison. Eh bien, je dis aujourd’hui : « Je cherchais un plombier électricien, et j’ai trouvé un frangin. » Bon, je suis de gauche, et il est de droite, mais on ne choisit pas sa famille.

Vous connaissez Rennes ?

La première fois que je suis venu à Rennes, je suis allé directement à la prison des femmes. J’écrivais alors un livre qui s’appelle Longue Peine. Eh bien, figurez-vous que j’attendais je ne sais plus quoi, le long des quais de la Vilaine, quand j’ai découvert la chocolaterie Durand : on y vendait des gâteaux à l’angélique confite respectant scrupuleusement la recette de la Jégado, avec écrit au-dessus : « garanti sans arsenic ». C’est ce qui m’a donné envie d’en faire un livre. La patronne m’a dit que, depuis la sortie de « Fleur de tonnerre », ces derniers partent comme des petits pains !

Qui était réellement la Jégado ?

Je me demande réellement si en s’attaquant à Bidart De la Noë, elle commit un suicide ou un péché d’orgueil. En effet, le député-maire de Rennes est aussi un homme de loi, a fortiori spécialiste en affaires criminelles. La Jégado est quelqu’un à qui les légendes bretonnes ont vissé la tête, et c’est vrai qu’il s’agit de vrais trucs de cinglés. Ses parents l’ont tellement effrayée qu’elle a conjuré la peur en devenant la peur elle-même, c’est-à-dire l’Ankou. C’est un peu Dolto avant l’heure : la transmission d’un traumatisme par les parents eux-mêmes. La Jégado n’était pas vraiment méchante, elle était même naïve sur certains aspects. Elle éprouvait parfois de la peine pour ses victimes.

Votre livre est un véritable Brest seller. Comment a-t-il été reçu en Bretagne ?

J’ai fait des dédicaces à Vannes, Quimper… Aux Champs Libres de Rennes, où je suis venu faire une conférence, certains ont attendu trois heures pour une signature ! La plus grande tueuse en série de tous les temps, la première généraliste du crime, aussi, mérite bien ça. Pour finir sur le succès de mon livre, j’ai sillonné le monde pour sa promotion. Un Normand ambassadeur officiel de la culture bretonne aux quatre coins du globe, c’est un comble vous ne trouvez pas ? En tout cas, ça fait bien chier mes copains bretons !

Textes : Jean-Baptiste Gandon / Photographies : Richard Volante (sauf mention contraire)
Fin de tournage à Moncontour. © JBGandon