Couvent des Jacobins: 
2 000 ans d'histoire

Des Romains jusqu'à nous

Quand Rennes a-t-elle été fondée et par qui ? Que mangeaient les frères du couvent ? Comment le bâtiment s'est-il transformé au fil des siècles ?... Avant la construction du centre de congrès dans le couvent des Jacobins, un titanesque chantier de fouilles a été mené, 18 mois durant, par l'Inrap, Institut national de recherches archéologiques préventives. En tout, plus de 130 000 tessons de céramique, 1675 monnaies, plus d'un millier de sépultures, 33 000 restes de faune et près de 25 000 objets en métal ont été retrouvés. De découvertes majeures en trouvailles insolites, plongez dans les 2 000 ans d'histoire du site, qui jettent un éclairage nouveau sur l'évolution de Rennes. 

Nos ancêtres les Romains...

En fait de palissades en bois, une forêt se dresse, au Ier siècle avant Jésus Christ, là où se construit aujourd'hui le centre des congrès. Les toutes premières traces de création de la ville ont été découvertes lors des fouilles. Déboisement, défrichement, nivellement : un travail d'aménagement considérable réalisé par... les Romains. La découverte d'un glaive de l'époque laisse même à penser que Condate - puisque c'est son nom alors - a été fondée par des légionnaires.

Dans le quartier, les habitations coexistent avec des ateliers métallurgiques. Pour se déplacer, pas de métro mais un important carrefour routier avec, en son centre, un monument sacré. Colonne devenue temple sur podium au fil des siècles, c'est le premier bâtiment public antique mis au jour à Rennes, exception faite de la muraille et des thermes. 

Pour faciliter la circulation autour du temple, les angles des îlots sont rognés. Le tout premier rond-point serait-il rennais? De mémoire d'archéologue, c'est du "jamais vu en tout cas", s'enthousiasme Gaétan Le Cloirec, responsable d'opérations archéologiques à l'Inrap.

Fin IIe siècle, le quartier brûle. La découverte des traces de ce gigantesque incendie a permis à l'Inrap d'expliquer des changements d'occupation repérés sur des sites préalablement fouillés dans le reste de la ville. Quand l’urbanisme reprend, le quartier change et se réorganise. Les petites cellules laissent la place à des bâtiments massifs, comme un probable siège d'associations professionnelles de 2900 m². Sa mise au jour est un indice qui permet de placer le Forum à proximité. Il se trouverait derrière l'église de Saint-Aubin, à deux pas. Mais la belle harmonie du quartier n'en a cependant plus pour très longtemps.

Des hordes barbares menacent un Empire romain déjà en crise et la cité va bientôt se recroqueviller sur elle-même. La construction de la première enceinte, fin IIIe siècle, fait péricliter le quartier, non inclus dans ce périmètre protégé. Les bâtiments se déconstruisent, les rues deviennent chemins: la zone revient à la campagne. En lieu et place du quartier commerçant et artisanal florissant des débuts, une décharge y fait même son apparition au IVe siècle. Les archéologues y retrouveront même les restes de deux nourrissons. Il faudra attendre la fin de l'époque médiévale pour les premières reconstructions.

Couvent des Jacobins:
les heures fastes des Dominicains

En 2012 déjà, les fouilles avaient livrées de nombreuses informations sur l'histoire et la vie du le couvent.

Au XIVe siècle, l'ordre des Dominicains monte en puissance. A Rennes, ils rachètent ou se font offrir des parcelles limitrophes sur lesquelles ils projettent de bâtir une église et son couvent: celui des Jacobins. L'opposition du clergé n'y change rien, la première pierre est posée en 1368 par le Duc de Bretagne, Jean IV. La légende voudrait que ce dernier soit à l'origine du projet, ayant fait la promesse, en cas de victoire à la bataille d'Auray, de construire une église en l'honneur de la vierge. Une fable, probablement véhiculée par les Dominicains, fondateurs du couvent, "pour s'attirer les dons des notables", précise Gaétan Le Cloirec. Reste que le couvent demeurera de longues décennies sous protection ducale.

Les années d'occupation défilent. C'est l'heure, pour les archéologues de l'Inrap, de quelques découvertes insolites, comme celle de restes de repas de frères (essentiellement composés de poissons), ou encore d'une incroyable partition musicale du XVe siècle, gravée sur un bloc de schiste. Toujours lisible, elle a été mise en musique.

Au fil de son développement, le couvent devient un lieu d’enseignement privé qui loue, à l’occasion, son réfectoire pour des événements, comme les rassemblements des édiles bretons. Centre des congrès avant l’heure, en somme. On y célèbrera même les fiançailles d'Anne de Bretagne et Charles VIII, en 1491... Du moins, c'est là encore ce que prétend la légende. Les recherches poussées dans les archives, faites à l'occasion de la fouille, n'ont jamais permis de le vérifier.
Un tableau, miraculeux aux dires des croyants, trouve sa place sur ses murs à la même époque, en faisant un lieu de pèlerinage couru au XVIe et XVIIe siècles.

Le couvent s'ouvre au public et les dominicains adaptent les lieux pour pouvoir accueillir les foules. Un passage leur permettant d'avoir un accès direct à l'église, depuis le cloître, sans passer par une partie publique, a été mis au jour lors des fouilles. La partie sud du cloître devient quant à elle une chapelle où les riches familles aiment à se faire enterrer. La location d'espaces funéraires, pour être enseveli au plus près du tableau, est alors une activité des plus lucratives pour les dominicains: plus d'un millier de corps ont été découverts dans le couvent.


Les beaux restes de Louise

Les restes de Louise de Quengo ont été étudiés au CHU de Toulouse. (Inrap)

Si la majorité des défunts étaient inhumés dans un cercueil, enveloppés d'un linceul, quelques tombes plus prestigieuses ont été découvertes, comme celle de Louise de Quengo, dame de Brefeillac, noble du XVIIe, décédée en 1656. Retrouvée intacte dans son sarcophage en plomb, elle a été identifiée grâce à la présence, à ses côtés, du cœur de son mari, enfermé dans une urne gravée d'une épitaphe. En toute logique, son propre cœur, prélevé chirurgicalement, se trouverait dans la sépulture de son époux.

Découverte miraculeuse, alors ? Succession de coups de chance, plutôt. Louise a

échappé à la fonte de son cercueil pour le transformer en balles, lors de la Révolution française. Elle a esquivé l'incendie de l'église et a, pour finir, évité une découverte anticipée qui n'aurait pas permis la complète analyse du corps. Préservée quatre siècles durant, c'est au CHU de Toulouse qu'elle a commencé à se livrer, en 2015. L'occasion d'un premier état des lieux sur son parcours médical avec, pour les chercheurs, l'espoir (déçu) de la découverte du premier génome de la tuberculose, avant l'apparition des antibiotiques.

Décédée à plus de 60 ans, sans enfants, Louise de Quengo a probablement terminé ses jours au couvent des Catherinettes, dans les ordres. Une hypothèse corroborée par les habits de religieuse qu'elle portait au moment de son enterrement. Ces derniers sont désormais conservés au Musée de Bretagne.

Du couvent à la caserne


Au XVIIIe siècle, l'ordre des dominicains décline et seule une vingtaine de frères subsistent dans un couvent devenu trop grand pour eux. Le bâtiment est loué à l’armée, qui y loge ses troupes. A la Révolution, il se transforme en magasins militaires et tout ce qui peut rappeler la religion y est supprimé. Adieu retables, moulures, statues et hautes fenêtres. Les arcades sont murées. Le bâtiment deviendra, pour finir et jusque dans les années 2000, un centre sportif de l'armée.

De cette histoire militaire reste notamment les soubassements d'un bâtiment, construit par l'armée au XXe, dégagés au milieu du jardin du cloître. Ils comprennent quatre fondations circulaires. Support des cuves d'une blanchisserie? Leur usage reste encore incertain.

Le bâtiment est racheté en 2002 par Rennes Métropole et le projet d’un centre des congrès émerge. Une incroyable opportunité pour les archéologues de l'Inrap, qui débutent les sondages en 2007... mais aussi pour les Rennais, qui découvrent un peu plus de l'histoire de leur ville, à travers l'étude des 2 000 ans d'occupation du site.

Lire aussi Un nouveau siècle pour le couvent des Jacobins