Sortir enfin du bidonville

Des Roms aidés par des associations veulent sortir du cercle vicieux expulsion-réinstallation du bidonville.

Il faut se pencher pour le voir. Longer la rue Belliard entre la Porte de Clignancourt et le Pont des Poissonniers dans le XVIIIe arrondissement de Paris. De son passé de voie ferrée, la Petite Ceinture a gardé son ballast et ses rails en contrebas des boulevards des Maréchaux. C'est là que quelques familles Roms ont posé leur vie au début de l’été dernier. Ils sont aujourd’hui 300 selon les associations, tous issus de camps récemment expulsés alentours.


Les conditions de vie sont forcément très précaires. Les maisons de bric et de broc se tiennent les unes, les autres de chaque côté des voies ferrées. Les tapis détrempés facilitent le passage des cadis, chariots, valises, tout ce qui roulent et permet de transporter matériel de récupération et bois pour le poêle.

Il n'y a ni électricité, ni eau, ni toilettes. Pourtant Constantina, trois enfants, ne se plaint pas.

"Ici c'est mieux qu'avant, c'est plus propre et on a des médecins qui viennent nous voir... Pour l'eau ? On remplit des bidons dans le square à côté" Constantina 

Constantina habitait le camp du Samaritain à La Courneuve puis après son expulsion, sa famille s'est abritée près du Stade de France avant une nouvelle évacuation. Deux camps très insalubres : les Roms du Samaritain rencontrés en août dernier par France Inter vivaient sur une ancienne décharge, au milieu des poubelles et des rats.

Après l’évacuation du camp de la Courneuve, quelques familles ont été hébergées dans des hôtels. Une solution temporaire dont ne veut plus Maria :

"L'hôtel ? Non ce n'est pas bien. Ici, si on n'a rien à manger, on peut demander à la famille d'à côté... alors qu'à l'hôtel, tu ne peux pas faire la cuisine, tu restes une semaine puis c'est fini." 

Un projet d'auto construction de cabanes en bois

Le bidonville est en deux parties. La passerelle en bois glissante, seul point d'accès au camp, et la maison des enfants marquent une limite tacite entre « ceux de la ville et ceux de la campagne ». D’un côté se trouvent ceux « de Bucarest », de l’autre, ceux « de Filiaşi », petite commune près de Craiova dans le sud-ouest de la Roumanie.

La distinction n'est qu’artificiellement géographique car ce qui distingue ces deux groupes, c’est surtout la perspective de leur avenir. Les premiers, lassés, se sont réinstallés ici en attendant la prochaine expulsion, les autres se sont constitués en association « Les Bâtisseurs de Cabanes » et se rêvent un avenir dans un camp aménagé.

« On en a marre de toujours changer d'endroit... Nous on veut rester ici ou bien s'installer dans un lieu aménagé » Vasile

Le bidonville de la Petite Ceinture est expulsable. En septembre dernier, la justice a autorisé son évacuation à la demande de Réseau Ferré de France (RFF) propriétaire du terrain. Fin janvier, « les Bâtisseurs de Cabanes » sauront s'ils obtiennent un sursis de quelques mois pour mener à bien leur projet : construire avec l’aide d’architectes et d’entreprises solidaires des cabanes en bois, un camp de transition pour une meilleure insertion.

La mairie de Paris a été appelée à l'aide pour trouver un terrain et des financements. Ce projet est soutenu par le Collectif Roms Paris (LDH, Médecins du Monde, Secours Catholique, Ecole de la Rue, Solidarité Jean Merlin, MRAP… ) Ces associations accompagnent les Roms pour un suivi social et sanitaire. Un diagnostic social a également été fait à la demande des autorités.

Tudor, membre actif des « Bâtisseurs de Cabanes » sait que le projet est très loin d'aboutir. « Il faut un terrain, sûrement pas ici, mais quelque part dans Paris, et puis il faut de l'argent »

André Feigeles du Collectif Roms Paris avance une idée de financement, en complément de fonds européens : « demander à la mairie de Paris de débloquer 1 à 4 millions d'euros car Paris doit prendre sa part de responsabilité dans la résorption des bidonvilles en France. »

Le projet vient d’être envoyé à la mairie de Paris. Déjà à la Courneuve, des anthropologues, sociologues, architectes de renom et associations d’aides aux plus démunis avaient avancé des solutions pérennes pour les Roms du bidonville du Samaritain. Leur expulsion avait mis fin à ces projets.

La semaine dernière, la Ligue des Droits de l’Homme et l’European Roma Rights Center (ERRC) ont rendu leur rapport annuel sur les évacuations forcées des Roms. Les deux associations recensent en 2015, 11 128 Roms évacués par les forces de l’ordre dans 111 campements dont la moitié durant les mois de l’été. La LDH et l’ERRC dénoncent une politique « indigne, inhumaine et dégradante et sans solution de relogement. » Ces chiffres sont en baisse par rapport à 2014 (13.500 expulsions) et 2013 (19.000 expulsions).