« Ici, on vit »

Les familles d'accueil,
nouvelle alternative aux EHPAD.

8 heures. 

Il pleut, comme il pleut toujours depuis maintenant 5 jours. Le ciel est gris, et donne bien vite à ce mois de juin des allures de mois de mars. Saint-Gaudens : un village gris, à une heure de route de la Ville rose. Le coq n'a même pas encore osé sortir le bec dehors, sûrement n’est-il même pas encore levé. Pourtant, alors que tout semble avoir été interrompu depuis la veille, le numéro 22 de la rue Mondon s’anime déjà.

Ici, la vie continue, et ne semble pas se préoccuper du reste. 

« Ici », c'est l’Hibiscus. Une grande baraque comme on en trouvait au début du 20e siècle : toit en ardoise, portail en fer forgé, et une grande allée traversant le jardin. Martine, petit bout de femme à l'accent chantant et aux cheveux attachés s’affaire déjà en cuisine tandis que François, son mari, dresse la table. 

Le couple est arrivé là en 2014, poussé par l'envie de quitter la routine et de « voir autre chose ». 


Anciens commerçants, ils ont voulu fonder une famille d’accueil pour personnes âgées. 


Ils cohabitent aujourd’hui au quotidien avec 3 pensionnaires.

Crédits photos : Martin Gausseran


Parmi eux, on trouve d'abord Claude

Derrière ses lunettes en cul-de-bouteille et son embonpoint se cache un jeune homme de 87 printemps, arrivé à l’Hibiscus avec sa femme il y a maintenant 4 ans. Si sa compagne est aujourd’hui décédée, Claude, lui, a décidé de rester. « Par attachement » explique-t-il. « On vit bien ici. On a le sentiment d’être le membre d’une famille qu’on a choisie. La cohabition n’est pas toujours simple, mais on se sent bien. Martine et François font attention à nous. »

À côté de lui, on trouve Jeanine. Une grande dame, aux allures british, à la Angela Lansbury. Du fond de ses grands yeux clairs, on devine qu'elle a gardé de ses jeunes années toute la fraicheur et le sourire. Elle est de ces femmes que le temps effleure mais ne ternit pas. À 89 ans, elle-même vous le dira : « Il faut bien rire ! ». Elle répète d'ailleurs fréquemment ces mots quand elle se met à valser sur des vieilles musiques de Charles Trenet que laisse échapper le juke-box du salon.

« Il faut bien rire ! »

Et en compagnon de valse, elle choisit bien souvent Louis.

Louis, c’est le petit nouveau, arrivé fraichement à l’Hibiscus il y a tout juste un an. De son arrivée, il ne garde que peu de souvenirs. Comme de sa vie d’avant d’ailleurs. Louis, 81 ans, est atteint de la maladie d’Alzheimer.

Une maladie insidieuse, avec laquelle toute la maison a dû apprendre à composer. Mais s’il est malade, il n’est pas pour autant abattu : Louis rit, s’amuse comme un enfant, et aide autant qu’il le peut dans les tâches de tous les jours. De quoi donner tout son sens à cette phrase, inscrite sur le mur de l’entrée et laissée là comme une maxime : « On a toujours vingt ans dans quelque coin du coeur ».

La jeunesse est dans l'esprit

Cette jeunesse, c’est en grande partie à Martine et François que les 3 pensionnaires la doivent. Que ce soit au détour d'un repas ou d'une sortie au bal, le couple a pour seul leitmotiv de faire vivre pleinement leur vieillesse à leurs pensionnaires.

Lui travaille encore dans l’électroménager, mais occupe tout son temps libre à l’entretien et aux travaux de l’Hibiscus. 

Elle est une ancienne employée en chambres d’hôtes.

Dans ses jeunes années, elle travaillait déjà à Saint-Gaudens, avec des personnes âgées, qu’elle aidait au quotidien.

« J'ai toujours eu ça en moi »

« C’est là où j’ai véritablement découvert ce métier, et où j’ai commencé à y prendre plaisir. » explique Martine. « Quelque part, ça ne m’a jamais quitté, alors quand la chambre d’hôtes a fermé et que les pensionnaires sont partis, j’ai recommencé ailleurs, dans une petite ville près de Saint-Gaudens. Puis j’ai décidé de travailler pour l’association ADMR (Aide à Domicile en Milieu Rural) pendant 3 ans, avant d’aider pendant un temps mon mari au magasin dans lequel il travaillait en tant que gérant. »

Mais même aux côtés de son mari, Martine continuait de vouloir venir en aide aux personnes âgées. Alors quand l’occasion s'est présentée il y a quatre ans, elle et François ont investi et ont racheté cette grande bâtisse.





« Les travaux de rénovation et d’aménagement ont demandé beaucoup de temps et d’implication pour pouvoir être aux normes et accueillir le premier sénior. » explique François. « Il a fallu agrandir les escaliers, refaire les chambres, aménager le jardin et installer des dispositifs électriques pour les aider à monter à l’étage. Une fois les travaux réalisés, et l’expérience de Martine ayant été approuvée, on a pu avoir l’agrément, d’abord pour accueillir une personne, puis pour pouvoir en accueillir trois comme aujourd’hui. »

Des proches apaisés

Pour les familles des pensionnaires, notamment pour la fille de Louis et le fils de Jeanine , cet accueil est salvateur.

« Depuis que ma mère s’est blessée chez elle, je ne voulais plus la laisser seule à la maison. » confie le fils de Jeanine. « Je n’ai pas eu d’autres choix que de trouver un établissement spécialisé, mais l’idée de la placer en maison de retraite traditionnelle ou en EHPAD ne m’enchantait pas. Je sais, pour avoir entendu des proches en témoigner, que l'accueil et l'accompagnement y laissent à désirer. Je connaissais Martine et François avant qu’ils ne démarrent l’Hibiscus, et quand j’ai appris qu’ils s’occupaient de cette structure, je me suis laissé tenter. Ma mère y vit depuis maintenant trois ans et elle s’y sent parfaitement bien. »

« Il ne me reste plus qu'à l'aimer »

Même son de cloche du côté de la fille de Louis : « Savoir que mon père est à l’abri près de chez nous, c’est rassurant. Du fait de sa maladie, on ne pouvait plus se permettre de le laisser tout seul chez lui sur Toulouse, dans une maison trop grande pour lui. Aujourd’hui, un an après son arrivée, il est entouré. Je sais que je peux venir le voir à tout moment, profiter de sa présence, et qu’il est en sûreté. Il ne me reste plus qu’à l’aimer. »

Le soutien pour les aidants

Parce que aider c’est aussi donner de soi, il peut parfois être nécessaire pour Martine et François de changer d’air et de souffler un peu, loin de l’Hibiscus.

C’est notamment ce que nous explique Agnès Vives, psychologue à la SICASMIR (Syndicat Intercommunal d'action sociale en milieu Rural) et responsable de La Pause Café des Aidants, qui propose « d’être aidé pour mieux prendre soin de son proche »

Les familles d'accueil : réponse d'avenir ?


Mais du point de vue d’une professionnelle de l’accompagnement, les familles d’accueil sont-elles réellement une alternative viable ?


« C’est une solution d’avenir. » explique Agnès Vives. 

« La situation de l’accueil aujourd’hui en France est telle que les maisons de retraites tout comme les EHPAD sont victimes d'une grande précarité. Le personnel est le plus souvent dépassé par le nombre de séniors hébergés dans ces murs parce qu'ils n'ont pas les moyens adéquats. Derrière ça, c’est tout le service qui en pâti puisque ce surmenage impacte non seulement la disponibilité des aidants, mais aussi le suivi médical dont certains pensionnaires ont besoin. En témoigne les récentes manifestations des personnels d’EHPAD, qui revendiquaient plus de moyens pour pouvoir offrir un service décent. Aujourd’hui quand on voit ça, on est en droit de se poser des questions et de se demander où se trouve la meilleure solution d’hébergement pour nos proches.

Je pense qu’il faut aujourd’hui chercher du côté des établissements tels que l’Hibiscus, qui proposent une réponse adaptée via une réelle présence au quotidien et un suivi des pensionnaires plus adéquat. »

Ce manque de moyens gangrène l'hébergement des séniors en France, et met donc en péril la qualité d'accueil, d'écoute, et d'accompagnement. 

À l'avenir, l'augmentation de la population des plus de 75 ans posera la question de l'accueil des séniors : pourrons-nous continuer à allouer si peu de moyens dans un secteur qui ne cessera de grandir ? Quelle fin de vie voudrons-nous offrir à nos « vieux » de demain ? Chateaubriand disait que la vieillesse était un naufrage. Il ne tient plus qu'à nous de le faire mentir.