Terres d'innovations, la série
de ceux qui font
l'agriculture de demain

Portraits intimes d'agriculteurs aux démarches innovantes. Une illustration de la noblesse
de ce secteur essentiel dans nos départements.

Une série de portraits d'agriculteurs de nos territoires qui évoluent dans leur métier avec une démarche innovante. Que ce soit dans leurs techniques, dans leurs outils ou dans les technologies qu'ils intègrent, ils sont déjà lancés dans l'agriculture de demain.
Avec cette série intitulée 'Terres d'innovations', L'Indépendant est parti à la rencontre de ceux qui, dans l'Aude et les Pyrénées-Orientales, s'adaptent aux nouvelles donnes pour faire perdurer ce métier fortement ancré
dans nos départements.

Mickaël Sire, un viticulteur
à l'offensive face
au "fléau de la sécheresse"

Au Domaine des Schistes à Estagel, l'avoine et la féverole cohabitent avec la vigne. Fort de ses recherches, Mickaël Sire a tenté l'expérience de la couverture végétale hivernale sur son exploitation afin d'améliorer la fertilité des sols. A 34 ans, ce passionné de la culture insuffle une dynamique innovante à l'exploitation familiale. De l'observation de la nature à la vinification en passant par la valorisation du produit, il marche sur les pas de ses ancêtres.

 "Le manque d'eau, la sécheresse ! Tout part de là ! Ces fléaux stressent le travail biologique du sol. La fertilité et du coup nos cultures, en pâtissent. Avant d'irriguer, il faut trouver des solutions en attendant que la planète aille mieux. C'est un instinct de survie." Les yeux plein d'espoir, Mickaël Sire se tourne vers une parcelle de vigne enherbée. A l'heure où l'héritage ancestral incite encore à lutter contre la pousse d'autres végétaux sur des terres cultivées, Mickaël, lui, en plante. "On passe vite pour un fainéant si on n'a pas des vignes 'propres' ". 

Pourtant, ce jeune Estagellois sait ce qu'il fait. Inquiet du changement climatique, il décide d'expérimenter une technique utilisée sur les grandes cultures. "Les céréaliers ont trouvé le moyen de valoriser le sol. Ils augmentent la fertilité de la terre grâce à des organismes vivants". 

Aidés du CIVAMBIO et d'une consultante agronome sur grandes cultures, Mickaël et quatre viticulteurs du département ont créé un groupe de travail afin d'expérimenter la culture de plantes de couverture. "Chacun essaie des semences différentes. On partage ensuite nos expériences. C'est une formation constructive".

 La féverole d'hiver et l'avoine accompagnent ainsi les ceps de vigne sur 26 des 50 ha de l'exploitation de la famille Sire. "La féverole stocke et fixe l'azote présent dans l'atmosphère, explique-t-il, l'azote est un des éléments majeurs pour favoriser la fertilité. Quant à l'avoine, elle joue le rôle de colle. C'est une graminée qui permet de consolider les sols et de limiter l'érosion lors des fortes pluies. Cet humus supplémentaire permet de lutter contre la sécheresse". Depuis les premiers essais en 2012, Mickaël a constaté des vignes plus vigoureuses et espère une répercussion sur le rendement d'ici deux ans.

"Je ne suis pas un chef d'entreprise
mais un entrepreneur" 

Sur les hauteurs de Tautavel, au lieu-dit Fouradade, le soleil couchant embrase maintenant le vignoble. Les mains dans les poches, Mickaël observe, satisfait, le travail accompli. Derrière ce visage juvénile, se cache un père de famille de trois enfants. A 34 ans, si Mickaël est épanoui dans sa vie professionnelle c'est aussi grâce à Jacques et Nadine, ses parents. Après un BTS viticulture-oenologie à Montpellier et des stages en France et à l'étranger, il s'installe avec eux, à 22 ans, sur le Domaine familial. "Il a fallu que je fasse mes preuves, mon père m'a même laissé faire des bêtises. Aujourd'hui encore, c'est un travail collégial. Nous sommes trois associés." 

Des parents qui lui ont aussi fait confiance. Sa présence sur l'exploitation a encouragé Jacques à tenter à nouveau, l'expérience du bio. "Déjà convaincu, mon père avait essayé la conversion bio mais à l'époque il y avait moins d'accompagnement qu'aujourd'hui. Travailler en bio est plus dur techniquement mais c'est plus intéressant. On se retrouve dans la peau du vrai paysan, celui d'observateur de la nature". 

Nourri de ses expériences en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud, il apporte aujourd'hui un oeil neuf et des convictions. "En Nouvelle-Zélande, la production s'adapte au commerce, alors que moi, je veux garder mon côté français, m'adapter à mon lieu de vie et pas travailler pour faire du business. D'ailleurs je ne suis pas un chef d'entreprise mais un entrepreneur". Mickaël reconnait pourtant, préférer la culture à la commercialisation. "Nous ne sommes pas assez performant au niveau commercial, heureusement on a trouvé de bons partenaires et de bons clients comme les restaurateurs ou les cavistes".

De génération en génération... 

Il y a quelques années Mickaël et Jacques ont restauré la cave de l'arrière grand-père au sein du village d'Estagel. Une bâtisse en pierres apparentes construite en 1906. A l'intérieur, de grandes cuves en inox et en dur se côtoient. La part des anges laisse une odeur enivrante. C'est ici qu'il travaille, seul, la vinification. En face, une petite boutique avec un numéro d'appel en cas d'absence. "A l'époque, les coopératives n'existaient pas. Mon arrière grand-père travaillait son vin ici. C'est pour ça qu'on n'a pas voulu partir à l'extérieur du village. Je ne pouvais pas parler d'une histoire de famille avec une bâtisse sans âme. ça n'allait pas avec le personnage". Et même s'il espère qu'un jour, l'un de ses trois enfants perpétue la tradition, il souhaite seulement, "qu'ils vivent une passion. Comme moi."

Laurent Estève, la technologie
au service de l'agriculture
à Saint-Nazaire

Une irrigation guidée par satellite, une taille mécanique, des traitements biologiques préventifs, l'agriculture du XXIe siècle s'est installée dans les champs d'abricotiers de Laurent Estève, à Saint-Nazaire. Il y a 10 ans, cet ancien technicien agricole a pris en fermage 12 ha d'abricotiers, dans l'espoir d'acquérir "une meilleure qualité de vie". Un parcours pourtant jalonné de difficultés, surmontées à force de persévérance et de respect pour la nature. 

Un large chemin de terre serpente entre les vignes et les vergers. Le soleil d'automne éclaire d'une douce lumière la plaine du Roussillon, du côté de Saint-Nazaire, dans les Pyrénées-Orientales. Au détour d'un virage, une aigrette s'envole. Au loin, au milieu des abricotiers, un bâtiment blanc. Laurent nous accueille avec un large sourire. Le bureau improvisé dans l'un des garages offre une jolie perspective sur le verger. "Je me suis installé en 2008, à l'âge de 40 ans, commence-t-il, on m'a proposé de prendre un fermage d'abricotiers. Je devais investir dans l'achat du matériel, je ne pouvais me permettre d'acheter aussi le foncier. C'était donc un bon compromis."

"La bio n'est pas un effet de mode"

Travaillée en culture raisonnée, il convertit rapidement l'exploitation à la culture biologique. "La bio était pour moi une évidence. D'abord pour ma santé et celle de mes employés, je voulais que l'exploitation soit exempte de chimie. Ensuite pour préserver la faune et la flore... sans oublier mes voisins, quand ils ouvrent leurs fenêtres ils ne respirent pas les produits agricoles ! Enfin pour une raison économique. Les fruits bios intéressent une clientèle de plus en plus importante. La bio n'est pas un effet de mode !"

Au fil des années et des difficultés, Laurent a adapté sa manière de travailler, alliant gain de temps et protection de l'environnement. Pas de désherbant mais un labour de surface. Une pollinisation aidée par des abeilles installées dans les vergers. Une taille mécanique des arbres. "Le lamier permet de réduire le temps passé à ce travail lourd et fastidieux. Il permet de couper les branches verticalement pour libérer le passage entre les rangs, horizontalement, pour maîtriser la hauteur, et à l'intérieur de l'arbre, en oblique, pour faciliter le travail de la récolte, explique l'arboriculteur. Je veux apporter un confort de travail et une rentabilité améliorée. Je ne veux pas d'arbres qui portent exagérément des fruits mais des fruits plus gros et de qualité. Ainsi mes arbres sont semi-piétons, la récolte peut quasiment se faire sans monter sur une échelle".

Mais le poste le plus innovant est celui de l'irrigation. Depuis 2014, les 12 ha d'abricotiers sont arrosés grâce à un tensiomètre. "C'est un système muni de sondes placées au pied de chaque arbre qui permettent de connaître le taux hydrique. Toutes les données sont transmises via un satellite en temps réel. Ainsi, je gère la fréquence et la quantité d'eau depuis mon ordinateur. Elles peuvent être différentes d'une parcelle à l'autre. Je fais des économies et respecte les réserves souterraines. C'est très important dans notre région où les pluies se font rares en été. Ce n'est pas un gadget".

"Quand je me suis installé en bio,
on m'a pris pour un kamikaze"

Né au sein d'une fratrie de trois enfants, Laurent était le seul à suivre son père, agriculteur, dans l'exploitation familiale. "Après une carrière dans l'armée, il avait repris les pêchers de mon grand-père à Prades et Toulouges. Grandir dans ce milieu m'avait donné l'envie de suivre la voie. J'ai donc passé un BTS en production fruitière à Avignon". Durant près de 20 ans, il fut technicien agricole pour différents organismes. Il aurait pu continuer ainsi encore longtemps mais l'appel du verger fut plus fort.

Dès la première année, Laurent apprit, à ses dépens, à quel point l'agriculture est dépendante des incidences climatiques. Un dimanche soir de mai 2008, quelques jours avant la première récolte, la grêle s'abat sur les vergers. Les abricots abîmés seront transformés en confiture, les autres partiront sur le marché. Heureusement pour le catalan, cette année-là, la France connait une pénurie d'abricots et les distributeurs sont moins regardants sur l'aspect du produit.

Deux ans après le premier incident, les arbres reprennent doucement de leur vigueur. Mais le 9 mars 2010, 60 cm de neige couvrent la plaine du Roussillon. S'ensuivent deux nuits de gel. L'humidité persiste et favorise la prolifération de la Monilia. Ce petit champignon, friand des fleurs, est le fléau le plus difficile à combattre. "En agriculture biologique, nous utilisons des produits préventifs et non curatifs comme en conventionnel. Dès que la pluie ou le brouillard menacent, nous sommes obligé de traiter pour freiner le développement de la Monilia. C'est un problème majeur car non seulement la récolte de l'année est diminuée mais celle de l'année suivante également, continue-t-il. Il faut également tailler les rameaux infectés et les brûler." Cernés d'un étang et de la mer, l'humidité est quasi constante sur les vergers de Saint-Nazaire. "Quand je me suis installé en bio, on m'a pris pour un kamikaze". La prévention et une observation méticuleuse ont permis à Laurent de s'adapter au climat Méditerranéen.

Et comme si le ciel voulait vraiment le décourager, 2011 a eu son lot de difficultés et pas des moindres... "Cette année-là, la grêle a touché mon verger à trois reprises ! J'ai donc pris la décision d'assurer mes parcelles... depuis, la grêle n'est plus tombée !" rajoute-t-il avec un sourire fataliste.

Mais les aléas climatiques sont devenus tout à coup secondaires. En août 2011, Laurent fait un AVC. Le côté droit de son corps est paralysé. Il doit se faire opérer d'urgence. "Aujourd'hui, j'ai encore des séquelles" explique-t-il. Après six mois de convalescence, il reprend les rênes de l'exploitation. "Je n'ai pas fait tout ça pour rien. Alors on continue".

"Même si c'est dur, je n'ai aucun regret"

Ce précurseur de la culture biologique a pu observer le changement des mentalités. Celles des agriculteurs mais également des consommateurs. "Les produits bio français sont reconnus aujourd'hui. Surtout quand on remarque que l'interdiction des pesticides n'est pas appliquée de la même façon en Europe et notamment en Espagne. En France nous avons beaucoup de contrôles et c'est tant mieux ! Je suis content qu'il y en ait !"

Des projets, Laurent Estève n'en manque pas, mais il tient à garder une qualité de vie pour profiter de ses trois enfants. "Je pourrais planter des variétés qui produisent au mois d'août mais je refuse. Ce mois d'été, je le consacre à mes enfants. Je travaille assez le reste de l'année. Je ne compte pas mes heures. C'est un travail intéressant car je ne fais jamais la même chose. Même si c'est dur je n'ai aucun regret, mais si j'ai réorienté mon parcours professionnel, c'est pour avoir une meilleure qualité de vie. Je ne veux pas avoir une exploitation immense, je veux juste profiter..."

Jacques Gaux à Pia
"l'agriculture est un beau métier
mais il faudrait qu'il soit rémunéré
à sa juste valeur"

Diversification de cultures, adaptation du matériel, élimination de pesticides, invention de nouvelles techniques de travail, Jacques Gaux consacre sa vie à l'innovation pour tendre vers le bio et garder le rendement d'une culture conventionnelle. Sa dernière trouvaille ? du paillage biodégradable avec goutte-à-goutte pour cultiver en bio ses sillons d'artichauts.

"Ce plastique biodégradable, souple et solide, sert de paillage aux artichauts". Tracteurs, bennes, gyrobroyeurs, enrouleurs, pailleuse et autre camions, ornent l'entrée de la propriété de Jacques Gaux, à Pia, petit village de la plaine du Roussillon. "Le goutte-à-goutte installés aux pieds des plans permet de ne pas inonder les rangs. De cette façon la récolte se fait plus facilement et les maladies sont maîtrisées". Convaincu que l'agriculture peut se passer de pesticides, il cherche, par tous les moyens à le prouver. Dure tâche aux vues des pertes de production que le "tout bio" engendre. Mais il ne baisse pas les bras Jacques. "Je suis catalan, je suis têtu !" lance-t-il avec un sourire.

Dépoussiérer les procédés ancestraux, son père s'y activait déjà dans les années 70. Aidé de techniciens de la Chambre d'Agriculture des Pyrénées-Orientales, il a participé à la création de nouveaux cépages améliorateurs de rendements sur des vignes cultivées en espalier. L'un des premiers dans le département à travailler de la sorte.

Jacques se souvient "Quand je me suis installé en 1981, nous avons eu l'idée, mon père et moi, de tester la culture de l'asperge sous serre avec chauffage au sol. La première année a été un carton ! Nous avions réussi à avoir des asperges à Noël !" Mais l'exploit fut de courte durée. L'année suivante, nourri par la chaleur et l'humidité, un parasite trouva refuge sous les tunnels. La désinfection de la terre ne vint pas à bout du champignon ravageur. Les agriculteurs acharnés se sont alors tournés, vers la culture des salades et des melons. Nouvelle déception, cette fois économique. La culture des salades n'était pas assez rentable. L'artichaut, l'abricot et la vigne devenaient les seules options.

"Un pays qui n'investit plus dans la recherche
est un pays qui meurt"

Derrière son bureau, lunettes vissées sur le nez, Jacques doit aussi se plonger dans la paperasse. Une table jonchée de dossiers laisse sous-entendre de longues heures de travail. Avec pour seul bagage, un Brevet Professionnel Agricole, l'adolescent d'alors, allergique à l'école, ne s'imaginait pas devoir endosser, un jour, le costume de comptable. "Un travail nécessaire si on veut pouvoir remplir son caddy".

A 55 ans, Jacques Gaux fait un constat amer de la politique agricole française. "J'ai l'impression que la France ne prête plus d'importance aux agriculteurs. L'Etat s'implique de moins en moins dans l'évolution des technologies agricoles. Un pays qui n'investit plus dans la recherche est un pays qui meurt ! Pendant des années on nous a vendu à coup de publicité, que le désherbant était révolutionnaire, continue-t il, ce n'est pas notre faute si on a utilisé du glyphosate. Aujourd'hui on se rend compte que ces produits sont nocifs mais il faut bien trouver une alternative pour les remplacer."

Mais la culture bio a un coût. Jacques a dû investir dans l'achat d'une rasette pour couper l'herbe entre les rangs d'artichauts, l'installation du goutte-à-goutte sur tuyaux rigides pour maîtriser les maladies comme l'oïdium ou le mildiou... Tout est réfléchi pour diminuer au maximum l'utilisation des produits phyto avec le minimum de perte de rendement. "Si tout ce qui est mis en place fonctionne, ça va être intéressant".

La culture raisonnée et bio se mêlent sur les 35 ha de vignes, 18 ha d'artichauts Sambo, 5 ha d'abricotiers, 2,5 ha de figuiers, des asperges, des épinards et maintenant des butternuts. Le Pianenc est toujours en mouvement pour se renouveler.

Tel un enfant dans un magasin de jouets, il use de toutes les possibilités que ce métier lui offre. "Il y a toujours des pistes à explorer". Mais ce rude labeur, aux revenus faibles laisse peu de place aux loisirs. "A part les matchs des Dragons, je n'ai pas trop de temps pour les vacances, au grand désespoir de mon épouse et mes deux fils" explique-t-il avec un sourire résigné, "C'est dommage, aujourd'hui, nous sommes moins fatigués physiquement mais beaucoup plus psychologiquement. L'agriculture est un beau métier mais il faudrait qu'il soit rémunéré à sa juste valeur".

Dans le Carcassonnais,
David Vincent oeuvre pour l'environnement

Des vallons verdoyants, une bâtisse en pierres apparentes. Des volets vert amande. C'est dans cet environnement que vit le chat Petit Lait, gardien du Domaine des Rougeats à Alairac, dans l'Aude. Son maître David Vincent travaille 160 ha de grandes cultures en utilisant une agriculture de conservation et de précision. Un parcours entre économie et écologie qui lui a permis de vivre de sa passion.

"L'agriculture ne peut avancer que sur deux jambes : la production agricole ET la protection de l'environnement, l'une ne va pas sans l'autre". L'analyse de David Vincent sonne comme une certitude dans le grand salon de cet agriculteur d'Alairac, à 20 mn de Carcassonne. Un agréable fumet flotte dans la pièce, Karine, son épouse, s'active dans la cuisine et prépare le repas pour leurs trois petites filles qui vont bientôt rentrer de l'école. Dehors, le soleil inonde les 160 ha de grandes cultures qui constituent le Domaine des Rougeats.

"Ma réflexion sur l'économie agricole m'a emmené à travailler aujourd'hui avec les méthodes de l'agriculture de conservation et l'agriculture de précision, explique-t-il, le principe du Semi direct sous Couvert Végétal (SCV), est assez innovant et peut surprendre le monde agricole. Il consiste à stopper totalement le travail du sol, de garder une couverture permanente sur le sol et de semer des cultures différentes. L'autre nouveauté est l'agriculture de précision, elle, me permet d'apporter la bonne chose, au bon endroit, au bon moment".

Toute l'année, des cultures de blé, de pois, d'orge, de sorgho, de tournesol se développent. Après la récolte, pour ne pas laisser les sols nus, David sème, sans travailler le sol, plusieurs couverts végétaux qui se développent avant la culture suivante. Les racines explorent le sol et permettent à la terre de se recharger en eau mais également en matières organiques, ou en oxygène.

"Si le sol est travaillé mécaniquement ou laissé nu, la pluie l'érode, la chaleur l'assèche et devient imperméable. L'eau ne s'infiltre plus et non seulement provoque des inondations lorsqu'elle ruisselle mais en plus elle ne se stocke plus dans mes parcelles. Malheureusement, tout les avantages que la culture de conservation apporte à l'environnement ne sont pas reconnus. On préfère nous brider avec des réglementations absurdes alors que le département de l'Aude est très souvent en sécheresse. Les écoulements de nitrate ne sont pas du tout les mêmes qu'en Normandie par exemple !" s'insurge le quadragénaire.

"Je vais chercher les filles à l'école", lance Karine avec un sourire taquin, remmenant son passionné de mari dans le salon douillet.

"Quand on voit toutes ces friches dans l'est
du département audois ça fait de la peine"

C'est un peu grâce à elle si le Domaine des Rougeats en est là aujourd'hui. Travaillée par un régisseur, la propriété appartenait à ses parents.

A la sortie de l'école d'ingénieur de Purpan, le jeune Aveyronnais d'origine, se perfectionne avec un Master en management de l'innovation. Après deux années à Toulouse, dans une entreprise de développement de logiciels agricoles, un choix capital se présente au jeune couple : accepter une offre d'emploi pour David, dans une société de consultants à Paris ou reprendre le domaine d'Alairac... "Nous ne voulions pas fonder une famille à Paris".

C'est ainsi qu'en 1998, la famille Vincent s'installe dans la campagne audoise. "A l'époque, 24 ha de vignes complétaient la propriété. Mes beaux-parents s'occupaient de l'atelier viti et moi des grandes cultures. Mon épouse, elle, trouva un poste comme professeur d'agronomie et de mathématiques dans un lycée professionnel à l'Ecole Supérieure La Raque".

Mais en 2012, l'heure de la retraite sonne à la porte des anciens. A contre-coeur, David et son épouse décident d'arracher les vignes. "Ça a été difficile de prendre cette décision, surtout que nous avions investi pour moderniser le vignoble. Mais la politique de la coopérative d'Arzens avait changé. les difficultés de trouver de la main d'oeuvre et le calcul en terme de travail a été rapide : pour travailler un hectare de vigne il me fallait 100 heures contre 1h30 pour la même superficie de grandes cultures..."

Avec un pincement au coeur mais un enthousiasme certain David vit ce changement comme une évolution. "Aujourd'hui je pense que j'ai bien fait, je ne pense pas que le marché du vin en Languedoc se soit amélioré. Quand on voit toutes ces friches dans l'est du département audois ça fait de la peine. Si on avait aidé les viticulteurs on aurait pu développer des filières locales de lentilles ou de luzerne par exemple. Malheureusement il n'y a pas de réelle volonté politique de redonner un visage à l'agriculture du département. J'ai bien peur qu'on refuse à l'agriculture sa vocation économique".

"Ce serait dommage de renoncer à tout ça
parce que M. Hulot a décidé du tout bio
sans trouver d'alternatives"

Le pari joué du tout céréales aurait pourtant pu être perdant si David n'avait pas mis en application l'expérience acquise en début de carrière. En 2002, l'électronique embarquée vient prendre place sur les tracteurs et autre moissonneuse batteuse du domaine. L'apport d'engrais, de phospore, de potasse, d'azote est ainsi modulé en fonction des besoins des cultures. Les idées innovantes se multiplient dans la tête du jeune ingénieur reconverti et, depuis 2012, il module même le nombre de graines semées.

"Je n'ai pas les moyens de travailler de façon irraisonnée. Ainsi, en apportant la juste dose, je fais une économie de 80 à 160 e/ha, sur 160 ha ça commence à devenir intéressant. Je veux bien me mettre au bio mais pas pourbde mauvaises raisons : les rendements bio sont environ deux fois plus faibles Demain, sans gazole, comment fait-on ? Je sème avec un cheval ? Il n'y a qu'à Paris qu'on a des idées comme ça. Et pendant ce temps, personne ne s'intéresse à l'agriculture de conservation qui pourtant est bien utile à l'environnement !...".

Aujourd'hui, le Domaine des Rougeats est mené avec une précision d'horloger. Pour David, son travail ne doit pas être une contrainte ni pour sa famille ni pour lui. "Je veux transmettre un outil qui permet d'avoir une qualité de vie certaine. Ce serait dommage de renoncer à tout ça parce que M. Hulot a décidé du tout bio sans trouver d'alternatives. L'avenir est de rendre service à la société en luttant contre le réchauffement climatique et l'acteur principal, c'est sûrement l'agriculteur".

Les filles rient autour de leur repas. Petit Lait, se roule dans l'herbe devant la porte en miaulant comme si lui aussi voulait raconter son histoire. En traversant ces champs de grandes cultures dans le Carcassonnais, une phrase raisonne..." L'agriculture innovante ne peut avancer que sur deux jambes : la production agricole ET la protection de l'environnement"...

Quand un dandy parisien
ramène sa fraise au coeur
de la campagne audoise


Des champs de blé, des semences de céréales, du maraîchage, des serres photovoltaïques, tel est l'environnement de Grégoire de la Roussière au Domaine des Mercières à Villasavary. Ex-ingénieur du son à Paris, ce jeune reconverti de 38 ans a épousé le monde rural il y a une dizaine d'années. Un monde où il évolue aujourd'hui au rythme de la nature et du biocontrôle.

Pantalon de couleur rouille, chemise bleu ciel surmontée d'un pull marine, lunettes à grosse monture noire, l'allure précieuse de Grégoire de la Roussière ne correspond pas aux clichés, souvent trop ancrés, de l'agriculteur français. Pourtant, il y a dix ans, ce dandy parisien est devenu un acteur du monde agricole audois. "J'ai embrassé l'agriculture comme un converti, avec l'impression de me réapproprier quelque chose d'important".

Avec près de 90 ha de cultures diverses, Grégoire a trouvé son équilibre au Domaine des Mercières à Villasavary, dans l'Aude. "Aux céréales en sec, déjà présentes sur le domaine, j'ai ajouté deux ateliers de production pour ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier. L'agriculture de multiplication de semences à haute valeur ajoutée est ainsi devenue le pôle principal de mon exploitation. Puis je me suis lancé dans le maraîchage local à vente directe" explique-t-il.

Il y a quatre ans, ce partisan de la diversification s'est également lancé dans la culture de fraises et d'asperges. "Ce sont des fruits et légumes de saison qui complètent bien les autres cultures". C'est sur ce pan-là de l'exploitation que l'innovation a vu le jour. En 2014, 3 ha de serres photovoltaïques ont poussé au milieu des champs du Lauragais. "La culture sous serres me permet de travailler en biocontrôle mais aussi d'avoir des fraises précoces sur le marché, vendues à des prix intéressants."

"La nature au service de la nature"

Même si la culture sous abri est protégée des éléments climatiques, des maladies se développent dans cet espace clos. "Une véritable armée verte m'est livrée une fois par semaine ! Ce sont des insectes tel que les chrysopes par exemple, qui, lâchés à juste dose, viennent manger les pucerons, acariens et autres nuisibles. Ainsi, les ravageurs ont leurs propres prédateurs. C'est la nature au service de la nature". Grégoire profite également de l'hygrométrie des serres pour lutter contre l'oïdium ou le botrytis. Il dispose sur les rangs des assiettes en carton dans lesquelles il jette une pincée de soufre qui reste en suspension au dessus des plants tel un nuage.

Mais Grégoire ne s'est pas arreté là pour bénéficier des éléments naturels. Les serres abritant ses cultures permettent de fournir de l'électricité grâce aux panneaux photovoltaïques installés sur le toit de la structure. "J'ai la chance de travailler avec un partenaire technique et économique à qui j'ai mis à disposition mes terres. Pendant 30 ans l'entreprise récupère l'électricité fournie." Pilotées par une station météo, il peut gérer le paramétrage des ouvrants des serres en fonction de l'hygrométrie, la pluviométrie, la température extérieure, intérieure et la vitesse du vent. "Je sais exactement quel paramètre va prendre le pas sur l'autre, le seul inconvénient est l'ombrométrie des panneaux qui réduit la photosynthèse. Il y a moins de rendement que sur les plants cultivés en pleine terre. Mais ce point est compensé par la précocité des fraises. Je peux les mettre sur le marché très tôt dans la saison. Le prix des fraises de qualité est donc plus élevé."

Ce passionné a choisi la vente de proximité. Les Gariguette, Cléry, Magnum et Darselect sont ainsi distribuées par ses soins sur un réseau d'épiceries fines, de grossistes et de grandes et moyennes surfaces. "Je crois que c'est sur ce point que l'agriculture peut s'en sortir : avec la vente locale. Je suis inquiet pour les cultures traditionnelles dans notre région. Les dispositions prises par les pouvoirs publics nous empêchent d'être compétitifs. Je ne comprends pas, par exemple, pourquoi la France interdit la commercialisation de produits phytos alors que les grandes surfaces distribue des fruits et légumes d'importation qui en sont gavés ! Il serait plus juste de travailler à armes égales pour être compétitifs et interdire ces produits. La France a l'art de casser les plus belles oeuvres que l'on possède...".

De Versailles à Villasavary

En 2008, quand Grégoire de la Roussière s'est installé comme Jeune Agriculteur à Villesavary, les locaux n'auraient pas parié sur son avenir dans l'agriculture. Pourtant, son implication dans le monde rural et sa volonté de bien faire lui ont permis de s'intégrer. "Aujourd'hui encore je ne suis pas adopté je suis toléré" dit-il en souriant.

Il y a une quinzaine d'années encore, rien ne laissait présager un changement de vie aussi radical. Le Versaillais travaillait dans l'industrie de la musique à Paris. Son épouse, Delphine, audoise d'origine, était ingénieur en agronomie tropicale. "J'étais déjà admiratif de ses racines rurales. Nous avions une culture et un mode de vie différents". Le projet d'abandonner leur vie confortable en région parisienne a pris forme progressivement. "Je ne serais pas parti uniquement sur la base de la passion. J'évite de me mettre en danger. Je savais qu'il y avait la possibilité de vivre de l'agriculture de niche".

Il leur aura fallu beaucoup de courage, d'énergie et d'enthousiasme pour franchir le Rubicon. Les envies d'espace, de calme, de simplicité, de connexion avec la nature ont pris peu à peu le pas sur une vie parisienne. "Nous avions un projet de vie global : professionnel, personnel mais aussi philosophique. Ca m'a permis de mettre les pieds sur terre, au sens propre comme au figuré. Je suis passé du monde du dire au monde du faire".

L'hiver 2008 a vu s'installer le jeune couple au Domaine des Mercières à Villasavary. Une propriété agricole posée au milieu de cultures verdoyantes. Le chant des oiseaux et du vent d'Autan ont remplacé le brouhaha urbain. Les jouets de Jules, leur petit garçon de 8 ans, décorent un coin du salon. La musique est maintenant adossée à un mur avec ce piano recouvert de livres d'art. "Un jour, je construirai un studio d'enregistrement dans un des bâtiments" lance-t-il les yeux rêveurs.

Trois années ont été nécessaires pour que Delphine trouve elle aussi sa voie. En 2011, l'ingénieur agronome, passionnée d'oenologie, est devenue viticultrice. Elle mène aujourd'hui d'une main de maître le Domaine des Cèdres de Robert* à Villesiscle où elle élève un vin de l'appellation Malepère. Et pour réunir les deux activités du couple, une épicerie paysanne a pris place au sein du vignoble. "C'est passionnant mais ce n'est pas évident d'être deux agri-parents. Les végétaux ignorent les week-ends et les jours fériés. Heureusement que les grands-parents sont là".

"J'ai pêché par excès de confiance"

Durant ces 10 années, Grégoire a déjà appris sur la loi de la nature. "Quand je suis arrivé j'avais plein d'idées reçues. Il a fallu que je m'adapte à la réalité du terrain. Je pratique donc une agriculture du compromis". Sociable et avide de savoirs agricoles, le trentenaire s'est engagé rapidement chez les Jeunes Agriculteurs. "C'est un syndicat agricole dédié aux agriculteurs de moins de 35 ans. C'est un engagement apolitique. Je suis convaincu que l'essentiel c'est le collectif. Je ne voulais pas d'un engagement syndical dur".

Enthousiasmé par les premières années fastueuses, pris dans le tourbillon de sa vie syndicale, Grégoire a été rattrapé par la réalité du marché fluctuant. "En 2015 et 2016 les prix mondiaux des céréales ont chutés. J'ai été touché par le cycle climatique culturo-économique. J'étais moins sur mon exploitation à cause de mes responsabilités syndicales et je me suis rendu compte que j'avais trop peu d'expérience pour mener les deux sujets de front. Il fallait que je trouve un équilibre. Déjà que la vie est une découverte permanente alors là... J'ai pêché par excès de confiance".

Optimiste, le jeune reconverti a su garder la tête froide. Il s'est alors recentré sur la base de son travail. "il y a un proverbe qui dit : il faut avoir une récolte dans le champs, une dans les silos et une à la banque, j'ai appris à mes dépens qu'il fallait une réserve de trois années pour pallier aux aléas climatiques". Aujourd'hui, il fait partie d'un groupement d'employeurs pour embaucher la main d'oeuvre nécessaire. Le matériel agricole est celui d'une CUMA, une société agricole qui permet à plusieurs agriculteurs de mettre leurs outils de travail en commun. "Mon seul projet maintenant est de pérenniser mon exploitation. J'ai appris que l'essentiel est de savoir sécuriser le domaine dans le temps."


Textes, photos, vidéos et webdoc réalisés par Virginie Vals/L'indépendant.