Harsco

Imphy - Sauvigny-les-Bois
Des citoyens contre la multinationale

Enquête : Jean-Michel Benet
Textes : Jean-Michel Benet et Alice Chevrier
Images : Alice Chevrier, Jean-Michel Benet, Christophe Masson et Fred Lonjon
Réalisation du long-format : Alice Chevrier

Décembre 2015
Des habitants alertent sur leur situation

Photo Alice Chevrier

Roger et Christelle Martin habitent la rue Daniel-Petit, à Imphy. A quelques mètres des premiers tas de poussières entreposés sur le site Harsco Metals & Minerals, sur la commune limitrophe de Sauvigny-les-Bois. L'air de leur maison en bord de Loire est devenu « irrespirable » à partir de l'année 2010, deux ans après l'installation de la multinationale canadienne. Incommodés par les poussières, ils ont dû abandonner l'idée de profiter de leur jardin. Les bords de fenêtres se noircissent. Les aérations sont obstruées. 

L’inquiétude s'ajoute à la gêne. Roger, en effet, est un ancien ouvrier de l'aciérie Aperam. Il connaît donc bien la composition des poussières. Amiante, chrome VI, nickel, arsenic... Et puis il y deux hospitalisations pour « pneumopathie atypique » en 2011 et 2012. Christelle souffre pour sa part de la thyroïde.

Les époux Martin se mobilisent. Ils tentent de sensibiliser la population. Ils multiplient tracts et mails. Au printemps 2015, seize autres habitants d'Imphy et de Sauvigny-les-Bois, également incommodés par les poussières et le bruit de l'activité de l'entreprise riveraine, les rejoignent. Ensemble, ils forment le Collectif Stop Pollutions Imphy-Sauvigny-les-Bois. En décembre 2015, des articles de presse leur sont consacrés.

« Oui, nous sommes au courant de l'existence de ce collectif. Depuis peu, beaucoup de personnes souhaitent avoir des informations de notre part. Ma société ne souhaite pas communiquer pour l’instant. Cette position pourrait bientôt évoluer. » Ces mots sont de Frédéric Bernhard, dirigeant du site nivernais de la multinationale Harsco Minerals France. Mais sept mois plus tard, force est de constater qu'il n'y a pas eu « d'évolution ». Harsco garde le silence malgré nos sollicitations répétées.

A côté de la maison des Martin, il y a celle des Chignard. Alexandre et Joëlle ont trois enfants. Adrien a 6 ans, Alicia 5 ans et Aurore 2 ans. Leur état de santé est alarmant. « Depuis un an, l'aîné souffre de rhino-asthmatiformes à répétition », précise la maman. Les deux petites sont affectées elles aussi, depuis l’âge de 3 ou 
4 mois, d’une même toux d’irritation, qui les mène à chaque fois au vomissement. « Si nous n’avions qu’un de nos trois enfants atteint par ce phénomène, nous pourrions invoquer la malchance. Mais les trois ? », s’interrogent les parents, d’autant plus inquiets que leurs petits n’ont pas de prédispositions particulières et qu’il n’y a d’antécédent de ce type dans aucune de leurs familles respectives. 

Ils ont remarqué aussi que ces rhinites et ces fortes et interminables quintes de toux sont particulièrement présentes et violentes durant les périodes sèches, quand les camions passent devant chez eux et que les vents dominants d’ouest soulèvent le plus de poussières.

Ce n'est pas ce qu'espérait le couple en s'installant dans la Nièvre. En 2006, venant de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise) dans le cadre d'une reconversion professionnelle, Alexandre Chignard a choisi d'habiter Imphy. Là, tout près du pont de Loire. Jetant, avec son épouse Joëlle, son dévolu sur cette maison autrefois occupée par le café ouvrier « Chez Vovonne ». « Une bâtisse comme nous en voulions une. Pour y fonder une famille… » 

Le jeune couple appréciait alors de se retrouver à la campagne. Avec son air réputé pur et le fleuve à côté. Alexandre, amateur de pêche, se pensait ainsi comblé. Mais, en 2008, le ballet des camions a commencé. « Au début, il nous a été dit que tout ça s’arrêterait dès que les terrils anciens auraient été traités. Que cette zone, nettoyée, pourrait alors accueillir des résidences. » 

Au lieu de cela, le couple a vu l’activité perdurer et s’intensifier. « À chaque demande d’information de notre part auprès de l’entreprise Harsco, nous obtenions des détails vagues, des réponses qui n’en étaient pas. Ça a duré. On nous a pris, et encore aujourd’hui, pour des imbéciles. » Peu à peu, d’une volonté de dialoguer entre voisins, ils sont passés à la défiance.

André Septier habite rue des Grands-Champs, à Sauvigny-les-Bois. Près de la rue du Val-de-Loire et du même nom. Vue imprenable sur le site d'Harsco. Ouvrier à la retraite, il habite ici avec son épouse Jeannine depuis 1967. « J'ai toujours aimé faire mon jardin. Cette année, je n’ai fait qu’un petit carré. » La confiance n’y est plus. Il y a des choses qui dérangent. « Cette année 2015, il n'a pas été possible de sortir, ne serait-ce que pour nous asseoir au salon de jardin. » Jeannine précise : « Tous les jours, partout, une couche épaisse de poussières. Sous vent d’ouest, c’est le summum ! ».

Depuis quatre ans, André ne peut se passer d’aérosols broncho-dilatateurs. Ses yeux piquent, « ça doit être la silice… ». Jeannine a dû subir une ablation de la thyroïde. « J’aimais pourtant ma voix… », regrette-t-elle dans un sourire. 

André sort de ses gonds : « Si on ne peut pas forcément faire le lien, ça suffit pour inquiéter. Les exploitants du site se moquent de la population. On se croirait aussi en Corse. Personne n'ose parler ».

Les témoignages des riverains du site d'Harsco alertent Victor C. (son identité a été modifiée pour respecter sa volonté d'anonymat). Cet ancien intérimaire originaire du Nord a travaillé un an pour l'entreprise canadienne. Depuis, sans qu'il puisse prouver un quelconque lien, il souffre de douleurs et d'anxiété. 

À son arrivée au sein de l'entreprise, Victor C. raconte s’être vu remettre une paire de gants, un casque, des lunettes, des bouchons d’oreilles. C’est tout. « Pas de protection devant la bouche. Pas de masque. Un peu plus tard, quand ils ont vu que je tenais le coup, ils m’ont équipé d’un casque avec lunettes intégrées. Des collègues sympas m’ont dégoté des bottes. Patauger toute la journée dans cette boue juste avec des chaussures de sécurité… Je ne vous dis pas le résultat ! » 

Le jeune homme se rappelle combien la chaux, omniprésente dans les boues traitées après broyages, pouvait douloureusement tenir compagnie s'il négligeait de garder ses gants au sec ! Aujourd’hui, Victor C. ressent des douleurs « partout ». Pas un matin, non plus, sans tousser très longtemps, jusqu’à vomir. Quasiment sans ressources, il attend de pouvoir prendre en charge les examens prescrits par son médecin : échographie des poumons, examens de la thyroïde, analyses de sang… « Je n’ai pas dit à mon médecin où j’avais travaillé. » Victor C. dit craindre beaucoup pour sa santé depuis cette étape professionnelle.

Une industrie qui s'installe à côté des habitations

Images Alice Chevrier

Que fait Harsco Metals & Minerals à Sauvigny ?

Harsco Minerals France recycle les résidus de coulées des aciéries dans le but de récupérer des métaux qui ont de la valeur. 

Ces résidus, appelés laitiers, regorgent de métaux lourds. Après la coulée, de la magnésie, de la chaux ou de la silice sont en effet projetés sur le métal. S’ils ont l’avantage d’en éviter un refroidissement trop rapide, ils ont aussi la particularité d’en absorber tous les déchets, à forte teneur en métaux lourds, comme le chrome VI connu pour son haut niveau de toxicité. 

« Le traitement du crassier d'Imphy ne changera pas la face du monde, mais c'est notre contribution modeste à la construction d'un monde plus propre »
Jean Brodeur, PDG du groupe Harsco, lors de l'inauguration

L’opération de recyclage est motivée par la possibilité de retrouver encore, dans ces déchets, des fragments entiers de métaux précieux, récupérables et valorisables. Bien que ne représentant que 3 % du volume de laitiers traités, la seule valeur du nickel sur le marché donne encore de la rentabilité à l’opération de recyclage. 

La matrice minérale, chargée de métaux lourds est transformée en poussières, qu'Harsco valorise ensuite. Par exemple, sous forme de remblai.

                      D'où viennent les laitiers ?

Le site de Sauvigny longe la Loire, juste à l'aval du pont d’Imphy, sur près d’un kilomètre. Il a été dédié, à sa création entre 2008 et 2009 (sous le nom d’Excell Minerals) et jusqu’en 2012, au recyclage des crassiers historiques de l'aciérie locale, auxquels s’ajoutaient des résidus contemporains. 

A partir de 2012, environ 100.000 tonnes de la plateforme de Saint-Eloi (composés des laitiers issus d'Aperam) ont également été apportés sur le site d'Harsco. Environ 4.000 camions de 25 tonnes ont donc été mobilisés. Roger Martin assure que ces poids-lourds ont roulé, non-bâchés, devant ses fenêtres. 

Ces laitiers avaient été emmenés sur le site de Saint-Eloi pour créer une aire pour les gens du voyage. Mais le projet a été stoppé après que des analyses ont montré l'incompatibilité de l'usage de tels matériaux avec l'accueil de population. Les remblais ont été ramenés sur le site d'Harsco, pour y être traités en 2013 et 2014. 

Le site de Sauvigny est donc unique en son genre en France. Il y a eu un projet d'implantation d'unité de traitement de laitiers en Autriche. Mais celui-ci a été finalement empêché, en raison notamment d'un problème de débouchés. La législation autrichienne interdit en effet l'usage qu'avait prévu d'en faire Harsco.

Désormais, l'activité se concentre sur le recyclage d'actuels résidus de coulées de l’aciérie Aperam située tout près et dont Harsco est le locataire. Mais peut-être pas seulement. 

Roger Martin a remarqué « l'exotisme » de certaines plaques d'immatriculation de camions entrant sur le site de Sauvigny. Certains numéros de département pourraient laisser penser que ces poids lourds ont des cargaisons venant d'autres aciéries : Le Creusot (Saône-et-Loire), Firminy (Loire), Les Ancizes-Comps (Puy-de-Dôme)...

Un rapport de l'INVS (Institut national de veille sanitaire) en date du 15 avril 2016 confirme que des laitiers extérieurs à la Nièvre ont bien été amenés à Sauvigny pour y être traités. Il évoque Les Ancizes et Feurs (Loire).

La société Harsco a voulu investir dans la création d'une unité de traitement à Firminy. Un projet à dix millions d'euros. Qui devait aboutir au plus tard au début de l'année 2015. La population et l'opposition municipale sont montées au créneau. Pour l'heure (juillet 2016), Harsco n'est pas implanté à Firminy. Le projet n'est « pas enterré » pour autant. Comme le laisse entendre le maire Marc Petit dans la presse locale (Le Progrès, 11 mars 2015).

L'enquête publique et l'arrêté d'autorisation

En 2008, au moment de l'installation de la société, qui se nommait alors Excell Minerals, il y a eu une enquête publique sur le territoire des communes de Sauvigny, Chevenon et Imphy. La Diren (Direction régionale de l'environnement) a émis un avis défavorable en vertu de la proximité avec la Loire classée Natura 2000. Mais cela n'a pas empêché la délivrance, par la préfecture de la Nièvre, de l'autorisation d'exploiter en août 2009.

Danièle Auclin présidait Décavipec, une des rares associations environnementales agréées dans la Nièvre siégeant au Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst). A ce titre, elle avait été consultée au moment de l'enquête publique et se souvient : « Comme ça, sur le papier, ça paraissait être un très bon projet. Il était question, pour la première fois en France, de traiter des laitiers d’aciéries contenant de la chaux et du fer… ».

Depuis, elle estime avoir été « trompée ». Au début de l'année 2016, elle a rejoint le Collectif.

Michel Petiot, habitant du quartier du Val-de-Loire depuis 1974, regrette aussi
« d'avoir manqué de vigilance au moment de l'enquête publique ». Il se rappelle qu'il leur avait été dit que « l'activité du site pourrait s'arrêter en 2012-2013 », après le traitement des crassiers historiques d'Imphy.

Cette communication aux riverains a été retranscrite à la presse. Comme en témoigne Le Journal du Centre, dans un article du 24 avril 2009, à l'occasion de l'inauguration du site : « D'ici 2012, le laitier aura donc été traité [...] ce qui pose la question de la pérennité de l'entreprise après 2012 ».

L'enquête publique évoquait-elle la suite de l'activité après 2012 ? La possibilité du traitement des crassiers historiques d'autres aciéries hors du département ? Le recyclage de leurs crassiers actuels ? Le traitement des remblais de Saint-Eloi ? Ou bien ceux qui l'ont consultée n'ont-ils pas repéré l'information ?

L'arrêté d'autorisation fait en tout cas mention de la possibilité de traitement de déchets d'aciéries extérieures, dès août 2009, de manière un peu elliptique.

Par ailleurs, l'entreprise s'engageait à produire des analyses deux fois par an, une fois en été, une fois en hiver. Danièle Auclin soutient que cela n'a pas été fait. 
« Aucune analyse réalisée au début de son activité, quand elle a éliminé les terrils historiques. Soudain, des analyses sont faites en 2012, dont on nous dit qu'elles sont bonnes… ». Mais qui ne lui ont pas été fournies. Elle ironise : « Elles étaient sans doute tellement bonnes que l’entreprise n’a pas jugé utile d’en refaire d’autres en 2013 et 2014 ».

Une fiche des constatations établie à la suite d'une visite d'inspection des services de l'Etat en septembre 2013, relève, dans le chapitre « Non-conformités relevées par rapport aux référentiels utilisés » : « Les analyses de retombées de poussières doivent être effectuées deux fois par an ». Deux ans plus tard en 2015, l'entreprise a fait l'objet de mises en demeure de la part de la préfecture de respecter les prescriptions inscrites à l'arrêté d'autorisation d'exploiter, notamment en matière de maîtrise de la dispersion des poussières, puis de compléter les campagnes de mesures de retombées de poussières, par de nouveaux paramètres (diamètres des particules et nouveaux types de composants). 

Mardi 2 février 2015, Danièle Auclin a été contactée par Jean-Yves Brebion, PDG d'Harsco Minerals France. « Il a reconnu des négligences », précise-t-elle. « Mais aussi ce qu’il considère comme des améliorations : le lavage des pneus des camions… (voir plus loin) Il m’a dit aussi que les poussières viendraient de la balayeuse ! Qu’il ne faut pas croire toutes ces photos qui circulent… Ça s’est fini comme ça : "Avez-vous les analyses de tout ce qui était traité ?". Réponse : “Oui". “Alors envoyez-moi les résultats". Il a conclu : “Non, venez. On pourrait vous les donner”. La manière était très déplaisante. J’ai dit non ».

Finalement, à l'été 2015, des analyses sont réalisées et fournies en fin d'année à Danièle Auclin. Mais celle-ci soulève trois problèmes : les prélèvements ont été effectués au moment où l'activité de l'entreprise était réduite ; les jauges Owen ne captent que les plus grosses particules, pas les plus petites qui sont aussi les plus redoutables, car elles s'introduisent dans les alvéoles pulmonaires ; les jauges Owen permettent de rendre des résultats en terme de particules sur une surface, alors qu'il n'existe de réglementation que pour des analyses de présence de particules dans un volume d'air. « Qui trompe qui ? », se scandalisait l'ancienne présidente de Décavipec, pointant du doigt la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) : 

La Polémique enfle

En 2015, l'année où le Collectif a commencé à faire entendre sa voix, une avancée est constatée : le bâchage des camions et le lavage de leurs roues. C'était une réclamation du maire d'Imphy, Joëlle Julien. 

Considérant les « choses anormales » vécues par la population, notamment les riverains de l'usine Harsco, Joëlle Julien a écrit au préfet de la Nièvre fin 2015. Précédemment, en juillet, elle est intervenue auprès des responsables de l’usine de traitement de déchets et laitiers d’aciéries pour que les camions soient enfin et entièrement bâchés et pour que soit installé, à l’entrée de l’usine, un système de nettoyage des pneus. « Je ne ferai pas le procès d’Harsco. Mais l’entreprise a visiblement fait peu de cas de ses engagements initiaux. Ça n’est pas normal. » 

« Imphy est couverte de poussières. Les camions traversent la cité. Avec aussi des soucis de sécurité liés à leur vitesse. L'apport de déchets à l’usine se fait par campagnes de six à huit semaines. Les chauffeurs font des tours, roulent vite, pour en faire le plus possible. Je suis déjà intervenue à ce sujet. La santé des habitants passe avant tout. Il semble que l’entreprise n’ait pas respecté tous ses engagements. J’ai déjà dit au directeur que la situation ne serait pas tenable. Ces grands groupes doivent résoudre leurs problèmes. Je souhaite que le préfet, auquel j’ai écrit, mette tout le monde autour d’une table. »

Dans la commune voisine, le silence du maire de Sauvigny exaspère le Collectif. Jean-Pierre Peuvot, adjoint municipal et membre du Collectif, déplore, en février 2016, le manque de transparence :

L'édile Alain Lecour finit par s'exprimer, peu après. Il explique être concerné à double titre par le problème Harsco. En tant que maire et en tant que riverain du site. Il a eu peur que ses administrés lui reprochent d'agir pour sa situation personnelle. Mais il prend désormais fermement position : « S'il y a des problèmes de santé, il faut fermer ». Il rappelle néanmoins que ce n'est pas le maire qui est décisionnaire et qu'il a sollicité, en vain assure-t-il, le préfet de la Nièvre, pour avoir accès aux analyses.

Finalement, les réclamations des édiles portent leurs fruits. Deux réunions en préfectures sont organisées. Qui ne signent pas la trêve pour les riverains.

La lutte, le début ?

Images Alice Chevrier

Un collectif
et une association 

L'association Décavipec a donc été sensibilisée aux problèmes des riverains. Pour leur permettre de lancer une procédure de crowdfunding sur la plateforme Citizencase.org, l'association s'est rapprochée du Collectif. Ses 18 membres ont intégré Décavipec au début de l'année 2016. L'opération de financement participatif en ligne a dépassé son but. Les 7.300 euros récoltés (6.900 euros étaient demandés) vont servir notamment à financer les frais d'avocat. Et pas n'importe lequel : Me François Lafforgue. Le cabinet Teissonnière-Topaloff-Lafforgue et Andreu a fait de l'indemnisation des victimes de catastrophes industrielles, sanitaires et environnementales son cheval de bataille. Le Mediator, AZF, Monsanto, c'est eux. Et maintenant, Harsco.

Au sein du Collectif, ils sont donc dix-huit à avoir individuellement déposé plainte au civil contre la société Harsco Metals & Minerals. Ils s'appuient sur un procès-verbal d’inspection du site industriel par les services de l’État. PV constatant le non-respect de plusieurs règles relatives à la protection de l’environnement, pourtant inscrites en termes obligatoires, à l’arrêté d’autorisation d’exploiter ce site.

Le Collectif multiplie les réunions pour définir la marche à suivre, comme celle-ci, en janvier 2016 :

Ils veulent d'abord mettre fin à la rumeur, qui s'est répandue à Imphy, selon laquelle ils souhaiteraient voir fermer l'usine Aperam. L'ambiguïté tient en ce que les laitiers d'Aperam sont évacués sur le site d'Harsco et que le terrain que loue Harsco est propriété d'Aperam. Mais un certain nombre des membres du Collectif, pour y avoir travaillé, sont très attachés à cette entreprise nourricière. C'est aussi pour cela qu'ils connaissent bien la composition des crassiers.

Leur objectif, ils le crient haut et fort : ce n'est même pas de faire fermer l'usine Harsco. C'est de la délocaliser en zone non-urbaine, où la population serait moins exposée aux risques.  

Deux réunions
en préfecture

Devant la mobilisation des habitants et les réactions des maires concernés, la préfecture de la Nièvre organise deux réunions avec les principaux acteurs du dossier, notamment les dirigeants d'Harsco, des représentants de la Dreal et une délégation Décavipec/Collectif. 

Le préfet n'a, jusqu'ici (juillet 2016), jamais voulu s'exprimer sur le dossier. Les défenseurs des habitants (une délégation composée, la première fois, de Danièle Auclin, Roger Martin, Jean-Claude Martin et Guy Clerc) ont donc été les seuls à rendre compte de ces échanges.

La première réunion, le 16 février 2016, ne les a pas satisfaits. Ils en sont même sortis scandalisés, après avoir entendu que les poussières pouvaient être confondues avec de la vapeur d'eau ! 

                             L'INVS saisi par l'ARS

Malgré ces réserves, un protocole est enclenché pour déterminer et analyser d'éventuelles pollutions. Ce dispositif a été confirmé lors de la deuxième réunion. Mais, sans arrêt préventif de l'activité d'Harsco, « le principe de précaution n'existe pas dans la Nièvre », commentait avec amertume Danièle Auclin.

La deuxième réunion a lieu le 27 avril. Depuis la première, la situation a évolué au sein des plaignants. Une défiance est apparue entre Roger Martin, président du Collectif, et Danièle Auclin, présidente de Décavipec. Elle aboutit, quelques semaines plus tard, à la destitution de Danièle Auclin de son statut de présidente, et à l'élection de Virginie Dupeyroux, représentante du Collectif, à la tête de Décavipec. Dans cette scission, quelques membres initiaux du Collectif l'ont quitté en soutien à Danièle Auclin.

Toujours est-il que, le 27 avril, les représentants des riverains abordent la deuxième rencontre en ordre dispersé. Danièle Auclin accepte l'invitation du préfet et assiste à la réunion. Roger Martin, dénonçant « une mascarade » et désormais focalisé sur son action en justice, refuse de s'y rendre. 

A la sortie, Danièle Auclin parle de décisions « constructives ». Le préfet entouré de proches collaborateurs, avait convié des représentants d'Harsco et d’Aperam, des représentants des ICPE (Installations classées pour la protection de l'environnement), de la Dreal, de l’ARS, de l’INVS et des élus des communes de Sauvigny et Imphy. 

Les participants se sont vus proposer par François Clinard, toxicologue pour l'INVS, un protocole de mesures. Harsco devra confier la réalisation de prélèvements à un bureau d’étude agréé tout autour de son site d’exploitation : dans les quartiers de la Turlurette et du Val-de-Loire à Sauvigny-les-Bois, dans la rue Daniel-Petit et dans tout le quartier du pont de Loire à Imphy. 

Les prélèvements, pour analyses et interprétations en matière de risque pour la santé humaine, seront de deux sortes. Ils concerneront l’air avec, pour Danièle Auclin, la satisfaction de voir mise en oeuvre « une nouvelle méthodologie analysant la présence de particules dans l’air ». Méthode dont les résultats pourront être comparés à des normes existantes. D’autres prélèvements seront effectués dans les sols. Y compris chez les riverains du site. 

Pour la présidente de Décavipec, les prélèvements d’analyses de l’air auront une valeur actuelle et celle des sols pourra révéler des dépôts plus anciens. « La superposition des résultats des deux types d’analyses, avec toute une liste de molécules recherchées, permettra de déterminer une valeur toxicologique de référence. Et pourra être comparée avec les normes en vigueur », estime-t-elle. Des analyses complémentaires - des prises de sang par exemple - pourraient être requises. 

Les prélèvements d’air devaient durer une semaine. Bien sûr en période normale d’activité de l’entreprise. Point sur lequel Danièle Auclin dit avoir « eu des assurances. » Le 15 mai, Harsco recevra le cahier des charges de ce protocole, validé lors de la réunion, selon Danièle Auclin.

Pour la première fois représentée, l’entreprise Aperam a aussi été alertée sur les
« fortes et récurrentes nuisances sonores
» liées aux traitements de ses déchets métalliques sur le site Harsco. « La remarque semble avoir été prise en compte », a souligné Danièle Auclin.

                                             « Pas d'accord avec la méthode »

En revanche, il n'y aura pas d’analyses en profondeur des tas de déchets sur le site même d’Harsco Metals. Point que déplore tout particulièrement Roger Martin.  Du document qui a été présenté en amont, il en a tiré des conclusions. Même une semaine ne sera pas suffisante pour réaliser des mesures atmosphériques représentatives. 

« Il faudrait des relevés pendant un mois minimum », précise-t-il. Il craint que l’entreprise Harsco ne ralentisse son activité pendant les mesures de l’air, même si elle est censée poursuivre une activité normale. « Tout dépend de ce qu’ils appellent "activité normale" ! »

La météo peut aussi avoir un impact, selon lui. Quant aux prélèvements dans les sols, il assure qu’ils n’apporteront rien. « Parce qu’on va en trouver, des substances toxiques : du chrome, du nickel, etc. Puisque, jusqu’aux années 1980, avant qu’Aperam installe des aspirateurs, l’aciérie rejetait quatre tonnes de poussières par jour. Donc Harsco pourra se défendre en disant que ces poussières datent de cette époque. Et rien ne pourra prouver qu’elles viennent de son activité récente. »

Ce qu’il souhaiterait, ce sont des carottages directement dans les tas. Mais ils sont refusés. Pourquoi ? « Parce que cela révélerait tout ce qu’il y a dedans ! Je ne vois pas d’autre explication. Or, si on trouvait de l’amiante, ce serait l’arrêt immédiat de l’activité. » 

L'aide d'un laboratoire indépendant

Ne comptant plus sur les analyses « officielles », le Collectif a utilisé une partie de l'argent du crowdfunding pour faire analyser des prélèvements de poussières par un laboratoire indépendant, Analytika, situé dans le Var. Ce sont les poussières déposées sur les aérations des maisons et sur les pare-brises des véhicules qui ont été envoyées au docteur Bernard Tailliez.

Le laborantin relève « une forte teneur de l'échantillon expertisé en divers contaminants organiques semi-volatils toxiques préoccupants, en particulier trois phtalates. [...] Ces molécules sont aujourd'hui reconnues comme des perturbateurs endocriniens, susceptibles d'interférer avec le fragile équilibre hormonal des organismes vivants, en particulier celui des enfants. [...] Figure principalement la molécule DEHP, dont les propriétés de perturbateur endocrinien sont particulièrement préoccupantes et bien documentées. Il nous semble donc tout à fait vraisemblable que ce phtalate est présent dans l'air atmosphérique de votre localité, vraisemblablement sous la forme de particules fines, inévitablement inhalées. Cette hypothèse pourrait être vérifiée par un prélèvement d'air atmosphérique sur capteur passif - à exposer pendant un mois ».


André Picot est l'un des rares chimistes spécialisés dans les matières toxiques (toxicochimiste). Son implication en tant que scientifique auprès des riverains d’une ancienne mine de plomb dans les Cévennes a fait démarrer le scandale. Le Collectif l’a sensibilisé à sa cause. Egalement expert auprès de l'Union européenne, André Picot est venu, le 30 juin, à Imphy, donner une conférence sur l'impact des produits toxiques sur la santé et l'environnement et répondre aux questions des habitants.

Avant cela, en avril, Le Journal du Centre lui avait envoyé les analyses du laboratoire varois Analytika et celles délivrées par la société Harsco en 2015 (laboratoire Eurofins). 

Lui ne s'affole pas des phtalates, car il estime qu'on n'en trouve partout. En revanche, de nombreux autres composants l'alarment. « La présence de chrome VI est préoccupante, c'est un élément très dangereux. Un mutagène, cancérogène, toxique pour la reproduction, sous les fourches Caudines de l’UE. Je vois aussi du manganèse qui, à l’état de poussières, peut ne pas être très bon, car il pénètre dans le cerveau par le nez. Je vois du cobalt et du nickel, dans des concentrations relativement importantes, il ne faut pas les ignorer. Les produits chimiques peuvent aussi, mélangés, "faire des synergies", c'est-à-dire accroître leur toxicité. » Il accrédite aussi les craintes du Collectif selon lesquelles la très petite taille des poussières les rende néfastes, au-delà de leur composition. « Les poussières fines sont très dangereuses », confirme le toxicochimiste. « Il faudrait savoir s’il s’agit de nanoparticules, car celles-ci pénètrent dans le cerveau par la voie nasale et les alvéoles pulmonaires causant des maladies cardiovasculaires et des cancers. »

Quand nous lui avons posé la question « S'agit-il d'un nouveau scandale sanitaire selon vous ? », André Picot a répondu : « Oui, mais localisé. Dans les Cévennes, le périmètre pollué s'étalait sur 150 km de long, 40 de large. Ce n'est pas ce genre de proportions. Mais quand il y a des gens malades… »

Et maintenant ? 
Interrogations en suspens

Photo Alice Chevrier

Le dossier Harsco ne fait que commencer. Nous continuerons de le suivre. En nous battant pour obtenir des informations de parties souvent peu communicantes.

De nombreuses questions restent en suspens :

Les riverains parviendront-ils à retrouver un cadre de vie qui les satisfera ?

L'activité de l'usine a-t-elle un impact sur leur santé ? Si oui, réussiront-ils à le faire reconnaître ?

A observer la position de l'usine par rapport à la Loire, y-a-t-il un impact environnemental sur le fleuve ? Sur la flore, la faune, la nature environnante ?

Des laitiers traités ont-ils été utilisés en remblais quelque part dans la Nièvre ? Certains témoins rapportent qu'ils ont vu des cargaisons partir pour des chemins forestiers ou des terrains appelés à accueillir des bâtiments agricoles... 

Est-on allé jusqu'à une utilisation des laitiers traités comme engrais agricole comme il était suggéré par le PDG du groupe Harsco lors de l'inauguration de l'usine en 2009 (Le Journal du Centre du 24 avril 2009) ?

Nous tenterons d'apporter des réponses.