Jacobus Van Nierop
leur cauchemar

Mutilées par le dentiste néerlandais, elles racontent leur histoire

Entre 2008 et 2012, ils sont nombreux à s'être allongés dans le fauteuil du cabinet dentaire de Château-Chinon, dans le Morvan. Ils sont plus d'une centaine à avoir subi le bistouri du dentiste néerlandais Jacobus Van Nierop. Beaucoup en portent encore aujourd'hui les stigmates. 

A chacun sa croix. A chacun sa souffrance. En théorie. Car les blessures de Sylviane Boulesteix, Danièle Wezemael, Nicole Martin et Thérèse Zbinden présentent toutes une similitude originelle. Mutilations, infections, abcès, diabète, etc. : les souffrances physiques et psychologiques endurées par ces quatre Nivernaises - et par tant d'autres - émanent des mauvais traitements infligés par la main de Jacobus Van Nierop. Et d'une médication hasardeuse selon certains. 

En attendant l'issue - pour l'heure incertaine - du procès de l'ancien dentiste de Château-Chinon, elles sont quatre à avoir accepté de livrer leur histoire. Construite dans la douleur, les larmes, la honte et la culpabilité. 

Sylviane Boulesteix
Château-Chinon

Photo : Emilie Petit

Chaleureuse et souriante, Sylviane Boulesteix ne laisse rien paraître des nombreuses souffrances qu'elle a dû affronter pendant des mois après son effroyable épopée. 

« J'ai décidé d’aller chez le dentiste parce que je venais de partir en retraite, et je me suis dit que maintenant, j’avais du temps. Jusque-là, je n'avais jamais eu de véritable soucis de santé. 

Lorsque j’y suis allée la première fois, il m’a fait des radios panoramiques et des empreintes. Quand il m’a fait les empreintes, il a posé la pâte à dent puis il est parti je ne sais où. Il était peut-être au premier étage. Je ne sais pas. Bref, quand il est redescendu, il a voulu m’enlever l’appareil à empreintes. J’ai cru qu’il allait m’arracher la mâchoire ! Parce que c’était bien collé ! Et quand il faisait les empreintes, ma pauvre, c’était plus des empreintes. C’était de la pâte, mais alors à vous porter au coeur ! A cause du goût. Et non seulement le goût mais en plus, il en mettait un paquet ! Il en mettait beaucoup trop. »

Le 13 mars 2012, le téléphone de Sylviane Boulesteix sonne. « Vos appareils sont arrivés » lui annonce la secrétaire du dentiste. Elle se souviendra longtemps de ce coup de fil.

« Je suis restée trois heures dans le cabinet à pisser le sang »

« J’ai trouvé ça bizarre car je me suis dit :"mes appareils sont là ? Mais j’ai encore les dents…" 

Quand je me suis installée, ça a été piqûres sur piqûres. Et hop ! Il m'a arraché huit dents d'un coup ! Je suis arrivée à 11 h chez lui. Quand je suis revenue chez moi, il était à peu près 15 h. Et jusqu'au soir, j’avais la bouche qui était encore sensibilisée !

Je suis donc restée trois heures dans le cabinet à pisser le sang. Entre temps, le midi, ils sont partis manger avec sa secrétaire et son assistante dentaire, et ils m’ont laissée toute seule. Ils ne se sont souciés de rien ! Bon, heureusement, je suis solide, ça va (elle rit). Mais c’est vrai que j’aurais pu faire un malaise. Ils sont revenus une ou deux heures plus tard et ils m'ont dit : “ah ben nous on a bien mangé, Madame Boulesteix. Vous n’avez pas trop faim ?”. Ils se foutaient de moi !

Quand il m'a arraché les dents, il m'a tout de suite mis l’appareil. Alors évidemment, ça s'est mis à saigner encore plus. Après, ça a été de la souffrance. Beaucoup de souffrance. Ça a mis du temps à cicatriser.

S'il m'avait arraché deux dents par deux dents, j’aurais peut-être moins souffert. Mais quand on vous injecte sept ou huit piqûres dans la mâchoire… Pendant deux trois jours, j'ai pissé le sang. Mais le pire, ça a été après. Les douleurs... »

S'ensuivent alors quatre mois de souffrances physiques. Mais aussi psychologiques. Sylviane Boulesteix, édentée, n'ose plus se montrer en société.

« Quand vous vous retrouvez sans dent comme ça, vous n'osez plus sortir. Vous avez honte. Vous êtes complexés. Quand on vous invite quelque part, vous refusez… Même si les gens qui vous connaissent sont au courant de votre situation. On se sent gêné. Et puis il y a la souffrance morale, physique et financière.

Je devais y retourner car, quand je lui ai dit que je ne supportais pas les appareils, il m’a dit d’attendre que ça cicatrise. Tu parles, je ne pouvais plus manger ! Et puis quand j’y suis retournée, c'était fermé ! »

« Jamais plus un truc comme ça ! »

Malheureusement, même si elle ne le sait pas encore, Sylviane Boulesteix n'est pas la seule à avoir été maltraitée par Jacobus Van Nierop.

« Quand je suis revenue de Moulins-Engilbert où mon fils m’avait emmenée chez un autre dentiste, j’ai vu dans le Journal du Centre qu'un collectif de victimes s’était créé. Au début, j’étais pas très très chaude pour y aller. Mais mon fils m’a dit "mais maman, qu’est-ce que tu risques ?". Donc j’y suis allée. Le lendemain ou le surlendemain, je ne sais plus. C'est là que j’ai rencontré Mme Martin. Et je dois lui dire un grand merci parce que franchement, elle et les autres m’ont bien aidée dans les papiers. Surtout pour écrire au procureur, à l’Ordre des dentistes, etc. »

Quatre ans plus tard, Sylviane Boulesteix se sent plutôt bien. Mieux, en tout cas. Elle peut enfin rire et sourire. Sans complexe. 

« L’année dernière, le 9 mars très exactement, on est allé au tribunal à Nevers pour rencontrer les juges en prévision du procès. Ils nous ont expliqué comment ça allait se passer. Et là, c’est vrai que j’étais drôlement angoissée. Maintenant, ça va un peu mieux. Bon, j'ai pas des dents de starlette, c'est sûre. Ça ne vous choque pas ? (elle rit) Bon, c’est que ça va alors. Si j’avais mis les autres appareils [ndlr : ceux confectionnés par Jacobus Van Nierop] ça vous aurait peut-être choquée... 

Enfin là, je me sens bien. Par contre, je souhaite qu’il soit jugé comme il faut. Jamais plus un truc comme ça !

Danièle Wezemael
Bucherolles

Photo : Emilie Petit

La cafetière encore fumante et des bouquets de fleurs disposés un peu partout dans la cuisine, Danièle Wezemael s'assoit tranquillement une tasse à la main. Son histoire, elle a l'habitude de la raconter. Ce n'est pas la première fois. Sans chichi, elle se livre volontiers. Avec aisance et bonhomie. 

« Mon dentiste habituel à Châtillon-en-Bazois était parti à la retraite donc je n’avais plus de dentiste. J’avais demandé plusieurs fois des rendez-vous chez le dentiste de Moulins-Engilbert mais je n’arrivais jamais à en avoir un avant deux ou trois mois. Donc je patientais. 

Et puis un jour, je monte à Château-Chinon de bonne heure le matin faire mes courses, et je croise une dame que je connais. On commence à discuter. Elle me dit :
- "Et ben, t’es de bonne heure le long des rues ? 
- Toi aussi. 
- Je viens de chez le dentiste. 
- Justement, comment il est le dentiste ?
- Pour l'instant, je le trouve pas mal.
- Parce que moi j'ai mal à une dent. Et à Moulins-Engilbert, ils ne peuvent pas me prendre.
- Ben écoute, pour une dent abîmée, il va bien te soigner. Vas-y !"

J'ai donc appelé, et j'ai eu un rendez-vous presque tout de suite. »

« On ne m'arrache pas de dent ! »

C'était en 2010. La première rencontre entre Danièle Wezemael et le dentiste néerlandais se passe bien. Elle y retourne trois jours plus tard. 

« En arrivant, je ne sais pas pourquoi, je lui ai dit "Je viens pour cette dent-là, la canine qui est la "dent de l’oeil" et qui s’abîme. Mais on ne m’arrache pas de dent !". Je ne sais pas pourquoi je lui ai dit ça. Il m’a répondu "non, non, non. Pour vous, pas de dent arrachée". 

Il a pris un petit outil, il a gratté un peu la dent, et il me dit "dévitaliser, la dent. Mais vous savez, pour dévitaliser une dent, il faut des fois une semaine, voire un mois, voire des années !". Et ben bon sang, je l’avais trouvé un peu drôle mais bon... »

Si le doute commence lentement à s'instiller chez la Nivernaise, désert médical oblige, elle n'a d'autre choix que de poursuivre les soins à Château-Chinon. Jusqu'à ce jour qui marquera le début d'une interminable procession de soins pour réparer les maladresses de Jacobus Van Nierop. 

« J'étais à peine installée qu'avec son petit outil pointu il a commencé à gratter mes dents. Il m’a dit "vous savez que vous avez le droit à un, voire deux détartrages par an ?”. J’ai dit "Ouhhh", et avec ma main j’ai fait ça (elle lève la main). Je lui ai dit "non, pas de détartrage. Ça abîme les dents. Ça les déchausse. Non". Il m’a répondu : "oui, mais vous savez, pas beau". 

Et ben, il m’a pas demandé mon avis ! J’ai bien cru que ma tête allait sauter. Et ça a duré un moment ! Et puis c’est là, après, que j’ai vu… j’ai senti... Il m’avait limé les dents ! Et puis il m’avait coupé ce truc devant (Elle apprendra quatre ans plus tard qu'il s'agissait de la papille maxillaire). Maintenant, je n'ai plus de hauteur de dent ! Là, ça se voit moins (elle touche sa lèvre et ses dents du haut). Heureusement l’autre dentiste a arrangé ça, et m’a mis un bridge. Mais elles étaient râpées !

Les rendez-vous s'enchaînent malgré tout. A chaque fois qu'elle arrive au cabinet, elle tente de prendre à partie la secrétaire. « Regardez, là... le docteur m'a râpé les dents ». La réponse, laconique - « Mais non, Madame Wezemael » - est toujours la même. Elle insiste auprès du dentiste. Lui montre. Il nie. Il ne voit rien. Et poursuit les traitements de choc.

« Un jour, il arrive la main cachée derrière le dos. Je lui demande "qu’est-ce que vous avez derrière le dos ?". Il me dit "rien, rien". Alors j’insiste. Je lui dis "enfin, vous avez bien quelque chose derrière le dos ! Vous allez pas me prendre pour une imbécile quand même !". Alors il me dit "pour vous, petite piqûre parce que sensible là, la dent" (elle montre du doigt la canine pour laquelle elle était venue se faire soigner la première fois). Je lui ai dit que je ne craignais pas la roulette, et que ce n’était pas la première fois que je me faisais plomber une dent.

Jacobus Marinus tient en fait, dans sa main, une seringue d'anesthésiant. Une dose tellement forte, qu'elle laissera Danièle Wezemael brumeuse pendant plusieurs heures. 

« Quand il nous endormait, on en avait jusqu’au soir. Et on bavait comme des escargots. Il pouvait faire ce qu’il voulait de nous ! 

« j'ai encore plus mal à ma dent maintenant qu’avant ! »

Après chaque anesthésie, (trois au total pour Danièle Wezemael) j'avais quand même 15 km à faire en voiture pour rentrer chez moi. Et je ne pouvais pas ! La première fois, je me suis dit que c’était sans doute parce que je m’étais énervée, et que j’avais peut-être un étourdissement. Mais la deuxième fois, j'ai compris qu'il y avait un problème. Il a fallu que je m’arrête car je faisais des zig-zag sur la route, comme quelqu’un qui est ivre. C’est ce que j’ai dit aux gendarmes quand j’ai été porter plainte : "vous savez, si vos collègues m’avaient suivi, on m’aurait fait souffler dans le ballon". Il m’a répondu “ça aurait peut-être été une bonne chose, car on aurait fait une prise de sang et on aurait su avec quel produit il vous avait anesthésiée".

Enfin le 9 septembre 2010, il m’a dit : "pour vous maintenant, repos." Et là, j’ai pensé tant mieux. » 

En partant, la secrétaire de Jacobus Van Nierop lui tend quand même un post-it avec un nouveau rendez-vous. Danièle Wezemael est invitée à revenir le 15 novembre 2010. Elle ne repassera jamais les portes du cabinet dentaire.

« Quand la secrétaire m'a appelée la veille pour me demander de confirmer mon rendez-vous du 15 novembre, je lui ai dit que je viendrai plus. Elle m’a demandé pourquoi. Je lui ai répondu "attendez, j’ai encore plus mal à ma dent maintenant qu’avant, et il ne m’a rien fait !" Elle m’a dit : "bon, ben ça ne fait rien". »

Mais la fin des consultations ne signe pas la fin des problèmes pour Danièle Wezemael. Malgré les antibiotiques que le dentiste lui prescrit en nombre - « c'était devenu comme des croquettes ! » - les infections se multiplient.

« J’ai pas mal de problèmes de santé depuis. Et j’ai dans l’idée que ce sont les produits qu’il nous a injectés qui en sont la cause. Ou alors les infections. 

A l'approche du procès de son ancien dentiste, elle se dit toujours aussi sensible même si elle raconte son histoire sans honte, ni larmes.

« Je voudrais bien que ce soit passé. On appréhende quand même. Je suis encore assez sensible donc ça risque de me faire de la peine de le voir un peu détérioré. Mais bon, les amis du collectif m'ont dit "tu vas pas nous casser les pieds alors qu’il nous a amochés." C'est vrai que c’était un homme qui avait de la prestance et de l’allure. Quand on le voit sous le capuchon des gendarmes, amaigri. Et puis bon, c’est la première fois qu’on a affaire à un truc comme ça !

 Enfin, moi je serais contente s’il prenait déjà 10 ans. Parce que quand même, il devait savoir ce qu’il faisait. Si on avait su que c’était un truc pareil… »

Nicole Martin
Moulins-Engilbert

Photo : Emilie Petit

Nicole Martin est une femme plutôt organisée. Méticuleuse même. Sur la table de sa salle à manger, soigneusement empilés dans un coin, s'amoncellent les classeurs contenant tous les documents qui la lient inexorablement au passage de Jacobus Van Nierop dans le Morvan. Depuis sa première consultation en février 2011. Jusqu'à la délivrance quelques mois plus tard. Et le début du combat qu'elle mène depuis maintenant cinq ans.

« Ce n’était pas mon dentiste du tout, mais je n’en avais pas à cette époque-là. Je suis allée voir Van Nierop en l’absence de mon dentiste de famille, car j’avais un composite sur ma dent qui était parti, et je voulais à tout prix la sauver. J’ai pris rendez-vous le lundi soir, et le mardi matin, j’avais rendez-vous.

Je suis arrivée dans un cabinet assez grandiose. Tout était refait à neuf. Je me suis retrouvée face à un homme assez impressionnant, taille rugbyman, toujours un sourire en coin dont on ne sait pas si c’est parce qu’il veut nous recevoir correctement, ou qu’il se fout de nous. Avec le recul maintenant, je dirais que c’était presque un sourire un peu mesquin. 

J’étais à peine assise sur le siège, j’ai à peine eu le temps de lui dire que c’était pour un plombage, que j’avais droit à la "petite piqûre", comme il disait si bien. Petite piqûre pour un plombage ? Bon… Il a fait une radio panoramique. Et après, évidemment, tout était à refaire... Alors que je sortais il y a très peu de temps de chez mon dentiste, dans la mesure où j’y allais à peu près deux fois par an !

« Je me trouvais chez un gourou »

Je vais vous dire très honnêtement que ce jour-là, je ne sais pas trop ce qu’il a fait. Tout simplement parce qu'on ne sent rien ! On est tellement anesthésié. Et on est à peine reparti, on est toujours dans le gaz, qu’on a déjà un post-it pour le rendez-vous suivant... »

Si Nicole Martin a toujours trouvé étrange l'attitude de Jacobus Van Nierop, elle fait confiance. Elle est chez un chirurgien-dentiste comme la plaque apposée à l'entrée du cabinet dentaire l'atteste. Il n'y a donc aucune raison de douter. Pourtant, quelque chose chez le Néerlandais la dérange. Et la met mal à l'aise.

« Avec le recul, je me dis que je me trouvais chez un gourou. C’est à dire qu’on arrive plus à sortir de ses mains dans la mesure où à chaque fois, il s'écrie "ah, c’est grave, ah c’est grave." Il instille le doute.

J’en arrivais presque à me dire que mon dentiste de famille était peut-être passé à côté de quelque chose. Est-ce qu’il avait trouvé quelque chose de grave avec des méthodes modernes dans son pays ? Si bien qu’on essaye de lui faire confiance.

Les doutes de Nicole Martin quant aux compétences du dentiste se confirment douloureusement quelques jours plus tard. 

« Donc, il m’a dévitalisé la dent, toujours voulant la garder à tout prix. Et par la même occasion, j’ai su bien longtemps après qu’il m’avait dévitalisé celle d’à côté… Puis il m’a fait faire un devis de 900 € pour deux couronnes. Il faut savoir que pour mettre une couronne, il anesthésiait. On était assis, on avait une “petit piqûre” comme il disait. Quand l’anesthésie n’a plus fait effet, il m’a semblé que sa couronne était trop petite pour ma dent. Je la sentais comprimée comme quand on met une chaussure trop petite.

Je suis restée plusieurs jours comme ça. J’ai avalé plein d'anti-inflammatoires. Enfin tout ce que j’ai pu trouver pour essayer de faire taire la douleur. Et comme ça ne passait pas, trois jours plus tard, je suis retournée au cabinet. Je lui ai dit "il faut impérativement m’enlever cette couronne". Il m'a répondu, ce qui m’a fort surpris, "moi faire un petit trou, donc anesthésie, et le pus va sortir". J'ai pensé "Et c’est nouveau ça…" Mais bon, comme j’étais complètement à l’ouest, j’avais tellement mal, j’avais tellement pris de trucs, je ne savais plus trop où j’en étais. Et le soir-même, quand l’anesthésie a fini de faire de l’effet, ben ça y est, c’était reparti.

Le lendemain, j’y suis retournée. Et je lui ai dit "maintenant, vous m’enlevez la couronne". Donc il a fait comme d’habitude, une "petite piqûre". E là, hop, il a enlevé la couronne.. et la dent ! Une dent saine ! Et en plus, ça faisait déjà une couronne que j’avais payée que je ne voyais pas.

Ce ne sera pas la seule fois. Le même jour, il lui dévitalise la dent d'à côté. Lorsque Nicole Martin y retourne, Jacobus Van Nierop lui annonce, après lui avoir fait passer une radio panoramique, qu'il faut qu'elle se fasse hospitaliser "à cause d'un petit point noir" à la racine de l'une de ses dents... En attendant, elle se fait arracher une deuxième dent. Le cauchemar se poursuit.

« Il m'avait fait très mal »

« Je suis retournée le voir en lui disant "attendez, là je vous ai donné 900 euros, et pour l’instant, de ces 900 € je n’ai rien. Donc je veux que vous me remboursiez". Il m'a répondu "Non, pas possible, pas possible. Mais pour vous, joli dentier." Alors comme il ne voulait pas me rembourser, j’ai accepté le dentier. 

Mais je savais d’avance que ce dentier, je ne le porterai pas, car les conditions dans lesquelles il avait été fait étaient catastrophiques. Et parce que psychologiquement, il y avait eu un gros problème. Il m’avait fait très mal. 

Il m’a mis le dentier et il m’a dit "vous ça va pas, revenir." Et je lui ai dit non. J’ai pensé "de toute façon, je ne reviendrai pas".

J’y suis quand même retournée le lundi suivant pour récupérer mon dossier. Mais cette fois, j'ai vérifié les remboursements. Ce que je ne fais jamais. Et bien, j’ai bien fait, car le 11 février, il m’avait compté 15 soins ! Et ainsi de suite. Même des jours où je n'y étais pas allée ! Van Nierop a même noté des frais sur une dent qui avait été arrachée plus de dix ans avant. Donc il avait le vice total quoi. »

Là, j’ai vu rouge et j’y suis retournée. Je lui ai dit "il y a un problème". "Ah non, pas moi". "Ah si, il y a un problème et c’est bien vous ! Vous ne m’avez pas soigné toutes ces dents pendant une séance". "Non, les filles trompées, secrétaire trompée". Je pense qu’il a fait le nécessaire pour que ce soit sa secrétaire qui se fasse ramasser et non pas lui. Il a dû se protéger.

« Avec lui, j'ai découvert la haine »

En janvier 2012, Nicole Martin décide d'alerter l’Ordre des chirurgiens dentistes de Nevers. Ils sont les premiers à lui répondre et à accepter de la croire. Six mois plus tard, grâce à l'aide d'une assistante-dentaire de Jacobus Van Nierop qui la mettra en relation avec d'autres patients eux aussi mutilés par le dentiste, elle fonde un collectif. Celui des victimes du Néerlandais. En juin 2012, ils sont déjà une dizaine. Aujourd'hui, une centaine. Représentés par l'avocat de l'affaire du Médiator, Me Charles-Joseph Oudin depuis 2013.

« A partir de là, on a eu l’impression d’être vraiment pris au sérieux. Par tout le monde. On avait interpellé les politiques, mais on avait installé un messie à Château-Chinon, et voilà que nous, les illuminés de bases, nous osions dire qu’il y avait un problème médical. 

Le plus catastrophique, je pense que c’est qu’il y a un fort pourcentage de femmes. 

Aujourd'hui, j’appréhende de le retrouver dans le box et de le revoir. Avec lui, j’ai découvert la haine que je ne connaissais pas. Ça m’angoisse. »

Thérèse Zbinden
Château-Chinon

Photo : Emilie Petit

Si Thérèse Zbinden reste en toutes circonstances souriante et avenante, son regard en dit plus que ce qu'elle ne veut dévoiler. Pudique sur ce qu'elle a vécu, avant et après Jacobus Van Nierop, la chaleur de son salon atténue un peu les souffrances qui se lisent sur son visage. Un peu seulement. Au contact du sachet duquel elle extirpe les prothèses amovibles ratées de Van Nierop, la colère revient. 

« Je suis arrivée avec ça (elle sort d’un sachet, une prothèse). Van Nierop m’a dit qu’il fallait le refaire. Mais vous voyez la différence ? Ça (elle sort du sachet en plastique la première prothèse), c’est ce que j’avais quand je suis arrivée. Et ça (elle pointe du doigt la deuxième prothèse, réalisée par Van Nierop, deux fois plus épaisse), c’est celle qu’il m’a fait. On dirait vraiment de la boîte à conserve…

C’est impensable hein ! Comme ça n’allait pas, il m’a dit qu'il faudrait faire une prothèse totalement amovible. Alors j’ai eu des prothèses. Mais je ne supportais pas les prothèses amovibles. Alors je lui ai demandé ce qu’il fallait faire. Il m’a dit des bridges. J’ai dit ok. On est parti pour des bridges. Quatre bridges. Et donc il m’a enlevé toutes les dents. Mais les bridges ne tenaient pas. J’étais pratiquement toutes les semaines dans son cabinet à recoller, renfoncer, limer, etc. »

« J'ai eu de grosses infections »

Outre la douleur post-traumatique, c'est son incapacité à se nourrir correctement puisque désormais "sans dent", les infections à répétition et le coût, surtout, de chaque opération, qui marqueront le plus Thérèse Zbinden. Et les relances incessantes de la CPAM face à un problème de facturation récurrent qui interpellent très vite la Franco-Suisse.

« La CPAM a fini par me demander de prendre rendez-vous avec leur dentiste-conseil pour régler ce problème de facturation. Quand je suis allée chez le dentiste conseil, il m’a dit "puisque vous êtes là, on va contrôler ce qu’il a fait". C’est là que j'ai découvert le pot aux roses : des quatre bridges posés par Van Nierop, deux devaient être remplacés. Sans compter que toutes les matières qu'il avait employées venaient de Thaïlande. Je lui ai donc fait remplacer un des deux bridges avec de la matière française. Européenne en tout cas. Je n'ai jamais pu lui faire remplacer le deuxième bridge qui devait lui aussi être changé. Le cabinet venait de fermer. C’était le 31 juillet 2012...

Je suis donc allée chez un nouveau dentiste, à Moulins-Engilbert. Il a dû tout enlever ! Le bridge inférieur, le bridge supérieur... Et il m’en reste encore un de Van Nierop. Celui-là, pour l’instant, il tient. Je ne vous dis pas combien tout ça m'a coûté ! »

Une grosse facture. C'est ce qu'a légué à Thérèse Zbinden le Néerlandais Jacobus Van Nierop. De l'amertume et du chagrin aussi. Et la douleur, toujours lancinante. Toujours présente.

« A l’heure qu’il est, j’ai eu de grosses infections. J’ai dû manger beaucoup d’antibiotiques. Et dû à ces infections, l’os s’est nécrosé. J’ai dû aller en janvier de cette année chez le stomatologue faire enlever de l’os nécrosé, et deux implants. Maintenant, il faut attendre que ça cicatrise. 

Et pour tout ça, je n’ai pas touché un seul centime de l’assurance maladie, ni de ma mutuelle. J'ai dû tout payer de ma poche. »

« J'étais loin de penser qu’un dentiste pouvait nous massacrer de cette manière ! » 

La facture s'élève aujourd'hui à 32.000 €. Un listing que Thérèse Zbinden a réussi à récupérer révèle la facturation d'une même dent plusieurs fois. Partagée entre l'incompréhension de tels actes et le ressentiment envers son ancien dentiste, elle essaye malgré tout de reprendre sa vie en main. Mais n'abandonne pas la bataille. Qu'elle espère bientôt finale. 

« Je me sens toujours très fatiguée. Je fais actuellement une fibromyalgie [ndlr : syndrome caractérisé par des douleurs diffuses dans tout le corps]. Est-ce que c’est dû aux infections dentaires ? A la tension nerveuse ? Difficile de savoir. 

Enfin, j'étais quand même loin de penser qu’un dentiste pouvait nous massacrer de cette manière ! Jamais, jamais, jamais ! Je lui faisais confiance ! A chaque fois, il me convoquait. Ça tenait pas. Il me téléphonait :"ah ben faut venir, oui, il faut venir." 

Si je revenais, c'est parce que je voulais qu’il fasse ce qu’il m’avait promis. Il devait poser un deuxième bridge. Et j’attend toujours, puisqu’il a fermé son cabinet à ce moment-là. Et ça, ça devait être gratuit… »

Depuis, Thérèse Zbinden s'est engagée. Elle est désormais trésorière au sein du collectif de victimes, érigé en association en 2013. En attendant le verdict à la fin du procès de Jacobus Van Nierop qui lui permettra peut-être de toucher enfin quelques subsides. Même si, elle en est consciente, tout n'est pas encore gagné.

« Si on touche quelque chose ce sera pour nous indemniser en totalité ou au moins partiellement. Mais ça ne remplacera pas la souffrance qu’on a vécue ni le préjudice qu’on a subi. Parce que, quand vous devez renoncer à des repas, à des sorties parce que vous n’avez pas de dent... Le temps que ça cicatrise... Les appareils que vous ne supportez pas, qui vous donnent des haut-le-cœur… Ça a été des épreuves…

Van Nierop va être jugé pour les actes qu’il a faits. Nous, on ne peut pas faire grand chose. On a été mutilé et puis c’est tout. Les séquelles, ont les a à vie de toute façon. Même si on est indemnisé, ça ne va pas remplacer ce qu’on a perdu. Physiquement. Et puis psychologiquement évidemment… »

Emilie Petit