Paroles de réfugiés 

Ils ont fui la guerre pour l'Auvergne et le Limousin

« J'étais morte
si je ne quittais
pas mon pays »

Naïra,  
de Géorgie à Aurillac

Naïra Makharadze et sa fille, alors âgée de 3 ans, ont quitté la Géorgie fin 2008. La famille s'est installée, un peu par hasard, à Aurillac, où elle mène aujourd’hui une existence paisible. 

Après la révolution des Roses, le régime Saakachvili réforme la police géorgienne. Des centaines de fonctionnaires se retrouvent en prison. Des milliers d'autres sans travail. Naïra Makharadze, policière, en fait partie. Elle n’a plus le choix. « J’étais obligée de quitter la Géorgie. Ma famille est restée, mais elle a compris ma décision. Elle préférait me voir dans un autre pays, même loin, en sécurité. » 

Le billet coûte cher : plusieurs milliers d'euros et le voyage est long : quatre jours, en train, en bus et en voiture, direction Aurillac, préfecture du Cantal. Destination du hasard. « Je ne cherchais pas spécialement à venir en France, mais je savais que plusieurs familles géorgiennes vivaient déjà à Aurillac. C’est une petite ville, alors j’ai pensé que ce serait plus facile pour ma fille et moi », justifie la jeune maman, qui ne parle pas un mot de français à son arrivée.

« A l'époque,
la parole raciste
n'existait pas »

Lucien, 
d'Espagne à Prémilhat

Né le 2 mars 1925, dans le petit village de Yesero, dans la province d'Aragon, au coeur des Pyrénées espagnoles, Lucien Bandrès, réfugié espagnol vivant aujourd'hui à Prémilhat (Allier), vivait une vie heureuse avec ses parents et ses quatre frères et soeurs, lorsque l'Histoire les sépara brutalement. « On s'est retrouvé avec d'un côté les fascistes et de l'autre les républicains qui recrutaient parmi les nombreux ouvriers de construction d'un tunnel routier qui vivent dans le village ».

Alors que sa famille se réfugie en France, dans la région d'Agen, va commencer pour le jeune Lucien et 700 autres enfants une longue errance en direction de la Catalogne, puis pendant l'hiver 1938-39 vers la France, « dans des conditions de malnutrition et d'hygiène épouvantables, avec la teigne, la gale, les furoncles ».

Il se souvient avoir vu mourir quatre de ses compagnons. Il s'est alors retrouvé à Sées, dans l'Orne et il se souvient que la population, victime de la propagande, regardait ces gamins sales et dépenaillés sans beaucoup de sympathie. 

« Pour nous la France, 
c'était la liberté »

Jewad, 
de Syrie à Montluçon

Cela fait trois mois qu'il a obtenu la nationalité française. Et près de dix ans après son arrivée en France depuis la Syrie, Jewad Alkhaznawi est son propre patron. Avec son épouse Caroline, il fait tourner Le Bahut d’Alibaba, un kebab à quelques dizaines de mè­tres du lycée Paul­-Constans de Montluçon. 

En l’espace de quelques années, avec la guerre en Irak, la situation devient de plus en plus dangereuse. En deux mois, il prend la décision de quitter le pays. « Ce ne sont pas des immigrés. Ce sont des réfugiés qui fuient la guerre ». Et début 2006, il arrive en France par avion, et débarque à Besançon où vit un oncle. Rapidement, il obtient le statut de réfugié politique. Rien à voir avec la marée humaine qui quitte les zones de guerre aujourd’hui et dans des conditions dangereuses. 

« Je ne le souhaite
à personne »

Marine, 
d'Azerbaïdjan à Vichy

Originaire d'Azerbaïdjan, Marine Kaprelova, 60 ans, a connu deux migrations en Arménie puis en France en 2003. Elle vit aujourd'hui paisiblement à Vichy. Partageant sa vie entre son travail d’aide soignante et le chant, sa passion. 

« En février 1988, la guerre entre l'Arménie et Azerbaïdjan a commencé. » Marine a travaillé à l’école de musique de Mingechaour en Azerbaïdjan à partir de 1975. « Nous avons été obligés de quitter l’Azerbaïdjan. Mais en Arménie, on ne nous aimait pas. Un passeur m’a amené à Paris en traversant l’Ukraine ». 

Paris, Nevers, Blois, puis à nouveau Nevers avant d’arriver à Moulins et enfin Cusset en 2004, Marine a navigué de foyer en foyer avant de se fixer à Vichy en 2006. Pendant six mois, elle s’est rendu à Clermont-Ferrand pour apprendre le français : « Je voulais être intégrée ». Elle a commencé à travailler par intérim dans une maison de retraite au Vernet, près de Vichy, en tant qu'agent des services hospitaliers qualifiés.

« Enfermés 36 heures
 dans un camion »

Nawzad et Perwin, 
d'Irak à Bourg-Lastic

Bahzad et sa sœur Perwin sont originaires de Duhuk, au Kurdistan d'Irak, où la population a subi, dans les années 80, les persécutions du régime de Saddam Hussein, comme le massacre de Halabja, en mars 1988, qui pousse les survivants à fuir. 

Une question de vie ou de mort. « Notre père nous a dit qu’il fallait qu’on parte tout de suite. On est allé se cacher dans les montagnes, sans rien emmener » Enfermé 36 heures dans un camion, Bahzad et Perwin avaient respectivement 5 et 13 ans. Près de trente ans après, ils n’ont rien oublié. Cette même année de 1988, la famille transite dans un camp en Turquie. «Là­ bas, on a reçu la visite de Danielle Mitterrand. Grâce à elle, on a pu être réfugiés en France. C’est pour ça qu’on l’appelle la mère des Kurdes. »

Arrivée dans l’Hexagone en avion, la famille Menaf passe d’abord par le camp de Bourg­-Lastic (Puy-­de-­Dôme) avant d’être installée dans des logements sociaux à Auzon (Haute­-Loire). « On avait des lits, un canapé, des fruits, on était tellement contents et rassurés. » Si, peu à peu, le traumatisme de la guerre s’est estompé, aujourd’hui encore, les souvenirs restent. 

« Pour boire, on récupérait l'eau de pluie »

« Quand on part, on prend un billet sans retour, sans savoir ce qui va nous arriver. Au début, quand je voyais un avion, je courais pour aller me mettre à l’abri », témoigne Bahzad. Un réflexe conditionné qu’il a progressivement perdu. Avec le recul, il est conscient de la « chance » qu’il a eue d’être réfugié en France. 

Il travaille désormais dans le commerce crée en avril 2014 par sa sœur et son époux Nawzad, qui lui aussi a fui le Kurdistan, en 1999, dans des conditions aussi dramatiques. «Je suis parti à pied jusqu’à Istanbul et j’ai réussi à passer en Grèce avec des amis. Là-­bas, j’ai trouvé des passeurs. On a passé trente­-six heures enfermés dans un camion, jusqu’à ce qu’on nous dépose sur une autoroute en Italie. On a marché longtemps sans se nourrir. Pour boire, on récupérait l’eau de pluie dans les empreintes des animaux au sol. » Nawzad errera finalement entre la France, l’Angleterre et la Belgique avant de retrouver Perwin, qu’il épouse. 

Aujourd’hui, le couple retourne parfois au Kurdistan voir la famille et s’efforce de transmettre la langue à ses enfants. « Pour ne pas oublier notre culture. On ne peut pas retourner s’y installer, c’est de pire en pire, les gens meurent de faim et il n’y a aucune sécurité. » Bahzad, lui, a toujours été terrifié à l’idée d’y retourner. Face au drame vécu par les réfugiés syriens, ils se veulent solidaires. «Ils méritent d’être protégés. Si certains sont accueillis à Brioude, on les aidera. »

« Je suis sorti de l'enfer »

Alhafis, 
du Tchad à Guéret

Quatre ans de sa jeunesse se sont consumés en prison : le tort d'Alhafis ? Etre le fils de son père, un opposant au régime tchadien assassiné en 2008.

C'est un gars élancé et posé qui parle d’une voix douce un français parfait. Alhafis, 28 ans, a débarqué fin 2012 en France. A N’Djaména, il est allé au lycée, mais les circonstances l’ont empêché de poursuivre ses études. À 21 ans, il a été jeté dans les geôles d’Idriss Deby, le président qui est au pouvoir au Tchad depuis vingt-cinq ans et qui ne semble pas pressé de le quitter. 

Or, le Tchad, où les forces françaises stationnent depuis 1986 (Opération Épervier), est aujourd’hui un allié solide, comme il l’a prouvé au Mali. Ce pays de 10 millions d’habitants s’affiche comme une oasis, stable et laïque, dans la poudrière du Sahel. En 2008, la rébellion, qui avait ses bases arrières aux Soudan, a bien failli renverser Déby, qui s’en est sorti grâce au soutien militaire des Occidentaux. Cette année­-là, la vie d’Alhafis a basculé : «Mon père, qui était un opposant politique, a été assassiné. Quelques jours plus tard, les gendarmes sont venus me chercher et m’ont jeté en prison ». Il était alors âgé de 21 ans : « Je n’étais pas spécialement militant et mon père n’était pas un leader politique de premier plan. » 

Après l’assassinat, sa mère et ses sœurs se sont installées au Cameroun. Alhafis a croupi en prison quatre ans durant. Quand on lui demande s’il a été maltraité, il ré­pond calmement qu’il y a des souvenirs qu’il ne peut pas remuer. La France a besoin de Deby. Elle n’est donc pas très regardante sur le respect des Droits de l’Homme au Tchad. 

« Pour me nourrir, je faisais les poubelles »

Alhafis a obtenu le statut de réfugié. Paradoxe ou façon de sauver l’honneur : depuis novembre 2014, il est protégé par un pays ami… du régime qui a liquidé son père. « Au Tchad, je ne pensais pas du tout demander l’asile politique en France », reconnaît le néo-limousin. Sa libération ? Il ne la doit à nulle grâce présidentielle mais à « la corruption ». Au fil de la conversation, Alhafis confie qu’il a réussi à s’en tirer en offrant la maison familiale en gage à un «ami » de son père. 

Acte de survie qui lui vaut aujourd’hui d’être mis au ban par sa propre mère. « Je ne pensais pas aller en Europe » Dans le contrat avec l’« ami » de la famille, il y avait la sortie du territoire et un faux passeport : « Il fallait que je quitte le Tchad, mais je pensais aller dans un pays voisin, pas en Europe. » 

Alhafis a atterri à Roissy Charles­ de­ Gaulle : « Un type m’attendait, il m’a pris mon passeport, m’a donné un sandwich et m’a dit qu’on allait venir me chercher. Personne n’est jamais venu, je ne savais pas où aller. J’ai regardé les trains en partance et j’ai pris un billet pour Limoges, une ville dont je n’avais jamais entendu parler. » 

Durant l’hiver 2012­-2013, Alhafis Alio a sur vécu deux mois, dans la rue, à Limoges : « Pour me nourrir, je faisais les poubelles ». C’est dans la rue qu’on lui a suggéré de se présenter à l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). La procédure de demande d’asile s’est enclenchée et il a été aiguillé vers le Cada de Guéret. 

Dans la Creuse, Alhafis s’est reconstruit : « Dans cette petite ville, je me sens bien ». Depuis novembre 2014, il peut circuler où bon lui semble, mais il a choisi de rester. Il a pris un appartement, travaille ponctuellement pour le magasin Noz et a engagé un processus de formation dans le cadre d’un Pass’projet régional. Alhafis voit son avenir positivement, même si tenter d’oublier le passé implique qu’il doive se priver du confort mental qu’offre la promesse d’un retour au pays natal : « Je suis sorti de l’enfer. Alors, pour moi, ici, c’est le paradis. »

Textes : Maëlle Hamma, Sophie Garnier, Seher Turkmen, Julien Rapegno, Marielle Bastide, Denis Lorut

Photos et vidéos : Thierry Lindauer, Bernard Lorette, Fred Marquet, Cécile Champagnat, Christian Stavel, Cléo Chabrou