1968 - 2000 : les années Clapier 

Durant plus de trente ans, l'orchestre Edmond Clapier a fait danser des générations de Cantaliens 

En 1976, la carrière des Clapier décolle quand le journaliste Pierre Bonte vient les interviewer, chez eux, pour un épisode mémorable de l'émission La Lorgnette. "On a fait un bal à Murat devant 3.000 personnes. Et quelqu’un en a parlé à Pierre Bonte. Et après La Lorgnette, on faisait sept départements en plus du Cantal. On était devenu comme des vedettes, se souvient Mireille Clapier. Les gens nous attendaient pour signer des autographes. Cette année-là, on a fait 27 bals en juillet et 28 en août. Je me souviens, à Apchon, il y avait tellement de monde que le parquet salon menaçait de s’effondrer. Le comité des fêtes a tout démonté pour que tout le monde puisse nous voir. Le 14 juillet sur la place d’Armes à Saint-Flour, c’était noir de monde. Le public nous suivait partout. Là où on jouait, il pouvait y avoir André Verchuren ou Yvette Horner en face, on les tombait ! (rires)." À la demande des téléspectateurs, l’émission sera rediffusée. Aujourd’hui, elle reste très vue sur les plates-formes de vidéo.

Trois membres de ce groupe rendu mythique par l'émission de télévision La Lorgnette nous racontent leurs souvenirs.  

"On était devenu comme des vedettes"
Mireille Clapier
         

Elle se concentre un instant. Sa main gauche glisse sur le manche de guitare. Ses doigts pincent timidement quelques cordes. Puis les premières notes s'échappent et l'étincelle brille à nouveau dans ses yeux. "Ça y est, je l’ai retrouvée, cette chanson s’appelle Aux plaisirs des bois". À l’évocation des soirées passées sur scène, en famille avec Marie et René, ses parents, et son frère Edmond, Mireille est submergée de souvenirs heureux. À eux quatre, ils formaient le célèbre orchestre Edmond Clapier.

Quand et comment a débuté l'aventure avec l’orchestre Edmond Clapier ? 

Mon père avait appris la musique quand il était prisonnier en Allemagne pendant la guerre, mais il jouait déjà de l’accordéon et faisait des bals. L’orchestre Edmond Clapier a été créé à l’automne 1967, quand un copain nous a fait faire un mariage. Mon père était à la batterie, ma mère au tambourin, mon frère à l’accordéon et moi je chantais, je jouais de la guitare et de l’orgue. Mais notre premier bal date de décembre 1968, pour le banquet des pompiers à Paulhac. Après, on faisait un bal par mois pendant l’hiver chez Madame Pichon à Tanavelle et au café de Paulhac, sans compter les banquets. 

Vous étiez très jeune à l’époque. 

J’avais 13 ans et demi. Je préparais mon certificat d’études. Papa m’a appris les bases de la musique en une veillée. On travaillait les morceaux le soir et pendant les vacances. On avait les partitions de musique qu’une dame vendait à Saint-Flour. La chanson sortait le lundi et on la jouait le samedi dans les bals. Plus tard, Jean Ségurel nous prêtait les cahiers de son répertoire. 

 Vous n’aviez jamais le trac ? 

Pas lorsqu’il s’agissait d’un bal car les gens dansaient. Mais on a eu fait des banquets où le public était assis et là, j’étais tétanisée. 

La formidable carrière de l’orchestre Clapier a duré plus de 30 ans. Mais c’est avant tout une très belle histoire de famille. 

C’est ça. Quand papa est décédé en 1986, on a eu un batteur de remplacement et mon fils Alain a pris la suite. Déjà, à 5 ans, quand on allait jouer en juillet et août les mercredis après-midi à Prat­-de-­Bouc et les samedis à Coltines, il prenait la guitare (rires). Puis il a appris la musique en 6 e et rejoint le groupe. On a joué comme ça jusqu’en 2000. 

Il fallait tout faire, installer les instruments, jouer et repartir pour rejouer le lendemain… 

Après on avait un fourgon, mais au départ on avait une traction. Une fois en hiver,à Cézens, on avait une DS break noire et il est tombé 80 cm de neige. Le comité a arrêté le bal. Les gens nous ont aidés pour partir, comme à Laveissenet, pour le bal des pompiers où il avait fallu mettre les chaînes. On jouait le vendredi de fête, le samedi, le dimanche et le lundi, pour le retour de fête, comme à Chaudes-­Aigues où on montait sur un char fleuri. Le seul souci en trente ans est arrivé à Neussargues, lorsque des jeunes avaient jeté des boules de neige sur la scène et que ça a grillé les amplis. C’est la seule fois. 

Qu’est-ce qui a fait votre succès ? 

L’ambiance et une véritable amitié avec le public. On est toujours resté simple, malgré la notoriété. Les gens dansaient tout le temps sur du moderne, du musette ou du folklore. On connaissait la cadence et on entraînait les gens avec nous. On jouait de 20 h 30 à 2 h 30 du matin, sans interruption. Maman roulait des cigarettes tout en jouant du tambourin, et parfois, elle réveillait papa qui s’endormait à la batterie. Les gens nous disent que c’était la bonne époque. Il y en a même qui se sont mariés grâce aux Clapier. 

Beaucoup de spectateurs aimeraient danser une fois encore avec l’orchestre Edmond Clapier. Pensez-vous que cela soit possible ? 

Tout le monde a dit qu’il faudrait jouer à nouveau, remonter l’orchestre pour une soirée. Ça se fera peut-­être.

"Il fallait que ça bouge, que ça secoue"
Edmond Clapier 
                                                                  

De 1968 à 2000, l'orchestre Edmond Clapier écume en famille toutes les salles des fêtes et parquets salons de la région. Le succès est colossal. On se bouscule pour les voir et les entendre jouer sur scène. La figure de proue, c'est Edmond et son accordéon. « Quand il jouait du Verchuren, se souvient sa sœur Mireille, impossible de savoir si c’était Edmond ou lui qui était à l’accordéon ». Musicien accompli et talentueux, il évoque pour nous cette vie passée sur les routes du Massif Central.

De quand date cette passion pour la musique et l'accordéon ? 

Jouer de la musique était en moi depuis toujours. Mon père avait ramené un accordéon diatonique à son retour d’Allemagne où il avait été fait prisonnier. J’ai donc commencé comme ça, vers l’âge de 12 ans et ça m’a donné du goût. 

Au départ, l’objectif n’était pas d’en faire votre métier. 

J’ai passé mon CAP de menuisier à 17 ans et le brevet de compagnon l’année d’après, et comme on s’est mis à la musique, je n’ai pas pu passer le brevet de maîtrise. Mais je ne regrette pas. 

Le succès est-il arrivé rapidement ? 

On n’arrêtait pas ! Les bals à Prat­-de-­Bouc, Coltines, Gourdièges... Les gens ont fait notre succès. Nous, on jouait mais si le public n’avait pas suivi, on n’aurait rien fait. Pour la fête des quartiers à Murat, les organisateurs faisaient plusieurs milliers d’entrées dans la soirée. À l’époque, les organisateurs retardaient même le bal des pompiers de plusieurs mois en attendant qu’on ait une date de libre. 

Et vous étiez demandé plus encore après la diffusion de l’émission La Lorgnette. 

Ah oui ! On jouait sur sept départements. On allait à Guéret dans la Creuse ou à Saint-­Pourçain-­sur-­Sioule dans l’Allier. Il n’y avait pas assez de jours dans l’année ! On a eu joué treize jours d’affilée. Et là c’est dur, parce qu’il fallait changer de lieu à chaque bal. Les heures de sommeil n’étaient pas longues. L’année de naissance de mon fils, je ne l’ai pas vu durant un mois. C’est bien simple, pendant 25 ans, je n’ai fait que ça ! 

Les soirées étaient longues. 

Normalement, c’était de 21 h 30 à 2 h 30 du matin. Mais s’il y avait du monde, et c’était souvent le cas, la salle était déjà à moitié pleine, on commençait plus tôt. Et à la fin du bal, s’il y avait encore du monde, on les gardait encore un peu sur la piste. On n’était pas à un quart d’heure près. L’été surtout, on poussait un peu plus loin. Il y avait un programme défini, mais si quelqu’un voulait une bourrée supplémentaire, on acceptait. On jouait plus de 100 morceaux dans la soirée.

 L’hiver, c’était plus compliqué ? 

Il y avait moins de bals en effet. Et parfois, on avait du mal à repartir avec la neige. Une fois, à Billom dans le Puy­-de-­Dôme, on n’a pas pu rentrer. On poussait la neige avec le nez de la CX. On a dormi à l’hôtel à Lempdes. On ne pouvait pas aller plus loin. On avait un bal à Mur­-de­-Barrez dans l’Aveyron le lendemain qu’on a annulé. 

"Les parents de ma future épouse venaient souvent danser mais elle fréquentait déjà quelqu'un à l’époque. Son copain lui a dit : "il faut qu’on regarde les Clapier qui passent à la télé". Le soir même, on jouait à Saint-Paul des-Landes et on n’a pas failli entrer dans le village. Il y avait tellement de monde. Des gens s’accrochaient à la voiture. On signait des autographes. Et elle était là. J’ai commencé à discuter avec ses parents, et une chose en entraînant une autre..."
Edmond Clapier

Quels morceaux fonctionnaient le mieux dans les bals ?

Je faisais surtout du Ségurel et du Verchuren, c'est ce qui marchait le mieux. D'ailleurs, notre guitariste Camille Addéo me disait "De toute façon, la seule musique qui marche, c’est la musique agricole" (rires). Il ne fallait pas chercher du sophistiqué. Il fallait que ça bouge, que ça secoue. Et généralement, l’ambiance était bonne. Les gens payaient leur entrée et ils ne la payaient pas pour rien en principe. J’en connaissais qui commençaient la première chanson et quittaient le bal à la dernière. Ils prenaient juste le temps de boire un coup et c’est tout. J’ai le souvenir du bal des routiers à Cusset, dans l’Allier, où il y avait plus de 3.000 personnes. Ce soir-­là, les organisateurs avaient gagné 3.500.000 anciens francs (environ 51.800 euros). Notre cachet à l’époque était de 3.000 nouveaux francs (1.400 euros). Ils faisaient bien un peu de bénéfices.

Cela n’a pas été difficile de mettre un terme à l’aventure ?

Non, pas pour moi. Mais ma femme était plus ennuyée, car elle aimait ça les bals, elle aimait danser. Nous avons joué pour la dernière fois le dernier weekend de juillet en 2000. À la fin, j’en avais ras­-le-­bol.

Est-ce que vous pourriez reformer pour un soir l’orchestre Clapier ?

Je fais encore quelques galas. Mais je ne peux plus jouer aussi longtemps. Après une demi-­heure, je dois poser l’accordéon quelques minutes.

"J'ai baigné dans la musique"
Alain Martin
         

Il n'aurait échangé sa place avec aucun autre. Alain Martin, fils de Mireille, neveu d'Edmond, a grandi au rythme des bals populaires et de l’orchestre Clapier. Une vie de famille exceptionnelle, les étés à Prat-de-Bouc et Coltines, lui ont donné le goût pour la musique et l’animation de soirées dansantes. Chauffeur-taxi le jour, DJ la nuit derrière les platines de la disco mobile MagicNight, Alain incarne la troisième génération de musiciens et acteurs des soirées cantaliennes chez les Clapier.

A quand remonte votre premier souvenir avec l'orchestre Clapier ?

Ce dont je me souviens avant tout, ce sont les caméras pour l’émission de La Lorgnette, avec Pierre Bonte. J’avais quatre à l’époque. C’est assez vague, mais j’en ai des souvenirs. Je me souviens également d’un reportage sur FR3 Auvergne au début des années 1980. Plus tard, moi aussi je suis passé à la télévision grâce à l’orchestre Clapier, c’était pour la chaîne Planète, sur le câble. Le reportage s’intitulait "Les baluchards".

L’orchestre Clapier, c’est toute votre enfance. 

J’ai baigné dans la musique depuis tout petit. Tout gamin, avec mon cousin Jean-Philippe, on était content de grimper sur scène, même sans jouer. On aidait à installer le matériel, les instruments. Les étés à Prat-de-Bouc et Coltines étaient incroyables, mythiques. Il existe une photo sur laquelle j’ai quatre ans, et je suis avec une guitare dans les mains, sur la scène. Je fais le clown. C’était une véritable fierté d’être avec l’orchestre. Ça ne m’intéressait pas d’être en bas avec le public. Malheureusement, ils ne pouvaient pas tout le temps nous emmener, car parfois il n’y avait pas assez de places dans le camion, et pour moi, c’était une véritable punition (rires).

Quand pour la première fois avez-vous fait réellement partie de l’orchestre ?

Le 1er août 1989, à Prat-de-Bouc, j’avais 16 ans. Après le décès de mon grand-père René en 1986, nous avions eu deux batteurs. Il y en avait un avec qui je m’entendais bien. Il m’a appris les bases de la batterie. Mais j’ai surtout appris en le regardant faire et un jour, mon oncle Edmond m’a dit : “si tu veux faire partie de l’orchestre, il va falloir t’y mettre franchement”. C’était fin juin. On est parti acheter une batterie. Je n’ai pas arrêté de répéter pendant un mois et demi, et en août, c’était parti !

Qu’avez-vous fait de votre premier cachet ?

Avec l’argent que j’ai gagné la première année, j’ai acheté une nouvelle batterie. Il fallait acheter un peu plus gros (rires). En plus, la première batterie n’était pas adaptée. À la fin elle ne tenait plus debout.

Multi-instrumentistes, quasi autodidacte, il vous arrive aussi d’accompagner Mireille au clavier.

Je sais lire les partitions de musette mais je fais tout à l’oreille. Je jouais de la batterie avec l’orchestre mais j’ai touché un peu à tout, notamment le clavier. J’accompagnais ma mère sur les slows quand elle interprétait du Michèle Torr, elle l’adore ! Et comme je suis le seul de ma génération à avoir joué avec l’orchestre, elle était fière de moi.

Quelle était la recette du succès ?

J’ai joué avec d’autres orchestres de musette. Avec Edmond, on arrêtait une chanson et on en commençait une autre. Il fallait que ça dépote ! On savait ce qu’il y avait à faire et on enchaînait. Il n’y avait pas de temps mort. Les gens étaient tout le temps dans l’ambiance. Par contre, les gens pensaient que c’était à la bonne franquette mais il fallait aussi que ce soit droit, vraiment carré. Mon oncle était très exigeant.

Arrêter l’orchestre Clapier n’a pas dû être facile ?

C’était bizarre cette dernière soirée à la salle des fêtes de Paulhac. C’était au mois de novembre, en 2000. L’orchestre Jean-Marc Delorme était là et Edmond a fait ses adieux à la scène. C’était fort en émotion. Et puis, on était obligé d’arrêter car ça diminuait un peu et mon oncle, qui ramassait le lait, ne pouvait plus jouer les week-ends parce qu’ils avaient modifié les horaires de nuit. Il avait des soucis de santé aussi.

Vous n’avez jamais souhaité monter votre propre orchestre ?

On avait essayé avec mon cousin de créer un petit groupe. On jouait dans le grenier mais ça n’a pas fonctionné.

Vous n’avez pas abandonné la musique pour autant.

Après les années 2000, j’ai joué avec les orchestres Jean-Marc Delorme et Laurent Mallet. Je faisais quelques remplacements et après j’ai arrêté. En mai 2004, je voulais recommencer avec la musique, mais reprendre un orchestre était compliqué. Je me suis lancé dans l’animation repas dansants en créant Magic Night.

Quelle expérience retenez-vous de ces années passées avec l’orchestre Clapier ?

Je sais quand et comment passer les morceaux de musette pour les repas dansants.Puis, de plus en plus, les gens ont écouté du disco et je me suis adapté. J’ai appris aussi à ne pas avoir la grosse tête. Les gens savent qu’ils peuvent me demander de leur passer un morceau dans la soirée. Il y a même des personnes qui retardent la date d’une fête ou d’un mariage pour être sûr de nous avoir. Aujourd’hui, mon activité principale, c’est le taxi, mais je ne peux pas m’empêcher de faire de la musique et d’animer des soirées. En plus, mon fils et mon beau-frère m’accompagnent. Même ma fille vient me voir sur scène. La relève est assurée !

Textes, vidéos et photos : David Allignon