La Chine en pince 
pour le Sud

De Marseille à Montpellier, les relations avec la Chine sont au beau fixe. La stratégie de la route de la soie passe par la Méditerranée.  

À Marseille, le pavillon chinois du Parc Borély, don de la ville de Shanghai, comme un symbole. Photo David Coquille

Un pays continent courtisé et courtisan

Il y a des signes qui ne trompent pas pour mesurer l'influence grandissante d’un pays. Dimanche, les joueurs de l’Olympique de Marseille ont foulé la pelouse du mythique Vélodrome vêtus du maillot blanc et bleu « floqué » en... mandarin. Un clin d’œil au Nouvel an chinois mais surtout une manière de célébrer le lancement du compte officiel du club sur le réseau social Weibo, l’équivalent chinois de Facebook de plus en plus incontournable pour qui veut asseoir son influence à l’international. 

Ces maillots floqués dans la langue de Confucius ne sont donc pas du folklore. Dans les tribunes d’honneur (une loge sans nul doute), un hôte de marque aura apprécié le geste : Jun Zhai, ambassadeur de Chine en France. Mais le diplomate avait un autre rendez-vous à son agenda que la geste footballistique : l’inauguration lundi, toujours à Marseille, d’un nouveau marché de gros du textile, le MIF 68, fruit d’une collaboration étroite entre patrons marseillais et chinois installés dans la cité phocéenne. 

Une feuille de route fixée par Xi Jinping Certes, les relations entre les régions du Sud de la France et la Chine ne sont pas nouvelles. Mais la dernière décennie a été celle de la montée en puissance des échanges. La Chine renforce cette stratégie via la feuille de route fixée par le président chinois Xi Jinping qui justement concerne une route, mythique, celle de la soie. Le commerce mais aussi les coopérations de toutes sortes en sont les piliers. Parmi les cinq principes de ce projet systémique baptisé « la ceinture et la route », il s’agit de « faire jouer le rôle du marché ». 

Dans ce cadre, le Sud de la France et sa façade méditerranéenne sont aussi pour la Chine une porte d’entrée supplémentaire vers le continent africain et ses marchés. La présence du plus haut diplomate chinois ces jours-ci à Marseille en est le signe de cet intérêt.

Françoise Verna

Des quartiers Nord à la Route de la Soie

Dans les quartiers Nord de la cité phocéenne, quelque 16 000 mètres carrés seront consacrés à une petite centaine de boutiques de grossistes. Photo OPENFLASH

Le Marseille international fashion center  inauguré lundi en présence d'officiels parmi lesquels l’ambassadeur de Chine, fait de Marseille une nouvelle place forte de l'économie chinoise. Avec ce centre de grossistes de textiles, la cité phocéenne ambitionne de se hisser au rang de plateforme incontournable en Europe du Sud.

Le Cifa d'Aubervilliers, le plus important centre de grossistes du textile situé en région parisienne, a désormais un petit frère. Il se nomme MIF 68 - pour Marseille international fashion center et parce que, selon ses créateurs, ce chiffre porterait bonheur en Asie. Il est Sudiste puisque, comme son nom l’indique, c’est dans la cité phocéenne qu’il a vu le jour. Et il a été inauguré ce lundi en grande pompe, en présence notamment parmi d’autres officiels de Jean-Claude Gaudin, maire de la commune et président de la Métropole, Martine Vassal, présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, et de Jun Zhai, ambassadeur de Chine en France. Signe de l’intérêt porté à ce projet dans une ville qui entend se positionner en bonne place sur la Route de la Soie.

Architecture de conteneurs

Les motivations qui ont prévalu à la naissance de ce projet porté par des professionnels chinois et le groupe immobilier Résiliance, sont similaires à celles qui ont conduit à la création, dans les années 2000, de son prédécesseur de Seine-Saint-Denis. Un peu à l'étroit dans le Sentier parisien où ils étaient essentiellement concentrés, et afin de faciliter l’accès des acheteurs, les grossistes du textile ont peu à peu déménagé vers Aubervilliers. Même scénario ici : jusque-là implantés pour la plupart dans la rue du Tapis-Vert, dans le 1er arrondissement, communément qualifiée de « Sentier marseillais », les grossistes voient plutôt d’un bon œil l’installation du MIF 68. Et pour cause : un certain nombre d’entre eux comptent parmi les initiateurs de cette plate-forme. « Ils sont venus nous voir il y a deux ans, avec la volonté d’exercer leur profession dans des conditions convenables », se souvient Xavier Giocanti, du groupe Résiliance, homme d’affaires bien connu à Marseille et accessoirement compagnon de la patronne du FMI Christine Lagarde. 

« Il s’agissait de cinq grossistes - trois de Marseille et deux de Paris - désireux d’ouvrir une centaine de boutiques pour développer leur activité. Le modèle que l’on a eu en tête était le Cifa d’Aubervilliers. Le MIF 68 est le résultat de la même démarche, dix ans après, qui a vu les grossistes sortir du centre-ville. » Surtout, le groupe Résiliance dispose alors d’un « terrain disponible » pour un tel projet : un site de quelque cinq hectares en face du centre commercial Grand Littoral, dans les quartiers Nord de Marseille. Sauf que le terrain en question est inconstructible. Or cela ne constitue pas un frein et c’est même là que réside l’une des singularités du MIF 68. Compte tenu de la spécificité géologique du site, qui imposait des contraintes particulières, l’architecture de ce centre de 16 500 mètres carrés a été envisagée à partir de conteneurs, colorés et modulables, qui lui confèrent une allure peu banale alentour. Les parois de ces structures peuvent en outre être adaptées en fonction des besoins des commerçants. « En perpétuel mouvement, ce mode constructif nouveau a l’avantage d’être peu onéreux et, cerise sur le gâteau, il est très à la mode », commente Xavier Giocanti qui ajoute que, de par le monde, plusieurs centres commerciaux ont déjà été conçus sur ce modèle. Il cite, à titre d’exemples, ceux de Londres, Las Vegas ou Dubaï.


Échanges commerciaux avec la Chine et le Maghreb

Au-delà de l'aspect architectural, les promoteurs et acteurs du projet insistent naturellement sur sa dimension économique. Tous soulignent ainsi les avantages de son emplacement, à savoir à quelques encablures du port et de l’aéroport. Avec par rapport au centre-ville, les difficultés de circulation et de stationnement en moins. « Ce sera beaucoup moins dur ici pour certains de nos clients qui détestaient venir au magasin », estime cette commerçante installée pendant dix-huit ans sur le cours Belsunce. « Ici ce sera beaucoup plus facile et pratique, pour y venir avec des fourgons, par exemple », poursuit-elle, ne doutant pas d’attirer de surcroît de nouveaux acheteurs. Dans la boutique d’à côté, son voisin est lui aussi optimiste. Grossiste à Paris, il a fait le choix du MIF 68, « parce qu’à Aubervilliers, il y a trop de concurrence, ça devient trop serré ». 

Celui-ci mise en outre sur l’effet nouveauté du centre marseillais. Si les échanges commerciaux avec la Chine sont tout spécialement visés - « Marseille peut se positionner, en Europe du Sud, comme étape ultime de la Route de la Soie », estime Xavier Giocanti -, l’Empire du Milieu n’est pas l’unique cible du nouveau centre. L’ouverture sur le Maghreb est également un objectif avec, selon le propriétaire de Résiliance, « un renforcement des flux d’affaires qui ont tendance à être sectorisés ». Le patron de la société Alpes Expert, qui a fait le choix de quitter Grenoble pour Marseille, s’inscrit dans cette démarche. Avec « un bateau en partance chaque jour pour le Maghreb », se déclarant « très confiant », il voit dans le MIF 68 l’opportunité d’y développer sa clientèle. 

Agnès Masseï

« Les délégations chinoises sont de loin les plus actives »

Frédéric Ronal, vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence Photo DR

Frédéric Ronal est vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence en charge de l’ouverture au monde. Il souligne l’attractivité du territoire pour les investisseurs venus de l’empire du milieu.

Élu consulaire issu du secteur bancaire, Frédéric Ronal est un partisan enthousiaste de l'internationalisation de l’économie du territoire. Il présente la vision patronale de ce levier de développement dont la traduction en matière d’emplois semble pour l’heure difficilement chiffrable.

Que pèsent les investissements chinois dans l'économie régionale ? 

Très concrètement, un investissement tel que celui de Quechen à Fos-sur-Mer [lire ci-contre Ndlr] pèsera entre 100 et 150 millions d’euros et représentera une création de 150 emplois. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui sont capables de cela dans la région. C’est un événement pour le territoire et une réussite collective. Nous avons été capables d’emporter la mise, en mobilisant les différentes institutions, alors même que nous étions en concurrence avec les plus grands ports d’Europe. C’est comme lorsque l’OM a gagné la coupe d’Europe en 1993 face au grand Milan AC. C’est une victoire d’autant plus belle que nous étions en finale contre Rotterdam, le plus grand port européen.

Quels sont les arguments qui ont fait pencher la balance en faveur de Marseille-Fos ? 

M. Que Weidong, le président du groupe Quechen, a senti que l'envie d’accueillir cette implantation n’était pas seulement celle du Port mais de tout le territoire. À Rotterdam, où sont présents tous les plus grands groupes, une fois l’installation décidée de quelle attention Quechen aurait-il bénéficié ? Ici il a compris qu’il serait toujours traité avec égard, en tant qu’investisseur de rang mondial.

L'ouverture du Marseille international fashion center 68 participe-t-elle de la même logique ? 

On travaille sur le projet de la route de la soie qui s’arrête historiquement avant Marseille mais au regard des atouts que lui confère sa positon géostratégique, des investisseurs notamment chinois considèrent que ça vaut le coup de faire un petit détour par chez nous.

Cela vaut-il au-delà des investisseurs chinois ? 

Nous avons reçu l'année dernière une délégation étrangère par semaine dont 25 délégations chinoises qui sont de loin les plus actives. Provence promotion, l’agence de développement économique du territoire, bouge beaucoup avec l’ambition de rendre cette métropole attractive pour les investisseurs étrangers.

Dans votre démarche de promotion du territoire à l'international, mettez-vous plutôt l’accent sur l’industrie ou le commerce ? 

Nous faisons feu de tous bois. Tous les investisseurs décidés à créer de la richesse et de l’emploi sont les bienvenus quels que soient leur pays d’origine ou leur secteur d’activité.

Êtes-vous de ceux qui estiment que l'image de Marseille a un impact dans la prise de décision des investisseurs ? 

Oui. Indéniablement par le passé Marseille n’était pas la ville la plus sexy du monde. D’importants efforts ont été entrepris sur son image. Aujourd’hui c’est une ville très à la mode, une ville touristique. La production audiovisuelle y a beaucoup fait en diffusant une image nouvelle de cette ville. Plus largement, la Provence dispose d’une grande popularité dans le monde. Les Chinois notamment adorent notre région, ils la visitent, ils s’y marient. Beaucoup de nos interlocuteurs nous en parlent. Bien sûr cela ne fait pas tout et notre point fort demeure notre position géostratégique. J’ajoute qu’à l’heure du numérique 14 câbles où transitent des données relient Marseille avec le reste du monde. C’est un atout dans un environnement économique où les data prennent une importance déterminante.

Les entreprises provençales - souvent de petite taille - sont-elles pour leur part réellement orientées à l'international ? 

Nous souhaitons projeter nos entrepreneurs à l’étranger en direction de deux grands types de pays. Premièrement ceux où il faut être présent au regard de la taille du marché. La Chine bien sûr, d’autant que pour le moment nous leur achetons beaucoup plus que nous leur vendons. Les États-Unis, c’était le sens de notre délégation à Miami, mais aussi l’Allemagne qui est la première économie d’Europe. Deuxièmement, nous voulons redevenir le grand hub entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Marseille l’a été par le passé et nous voulons la tourner à nouveau vers l’Afrique dont on dit que c’est le continent du futur. 

Réalisé par L.P.

Le projet de Quechen : silice et « pneus verts » à Fos-sur-Mer (13)

Photo CC

Deux partout : le 9 janvier, deux ministres français (Jean-Yves Le Drian pour les Affaires étrangères et Bruno Lemaire, pour l'économie et les finances) et deux ministres chinois (Zhong Chan, pour le Commerce et Wang Chao, vice-ministre des Affaires étrangères) assistaient, à Pékin, à la signature de la lettre d’intention de Quechen Silicon Chemical sur un projet d’investissement entre la première entreprise chinoise de production de silice, le Grand port maritime de Marseille, le groupe chimique Kem One qui possède deux sites à Martigues-Lavéra et Fos-sur-Mer, et Provence promotion, agence métropolitaine associant la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille et la métropole Aix-Marseille-Provence. 

La nouvelle a aussitôt provoqué l’enthousiasme de nombreux élus et acteurs économiques du territoire, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Martine Vassal (LR), y voyant même « un projet majeur qui illustre le jouer collectif et l’ambition de la Métropole ». Après près de deux ans passés à étudier plusieurs sites potentiels, Quechen a en effet choisi Fos pour son projet de construction d’une plateforme combinée, destinée à produire 90 000 tonnes par an de silice à haute dispersion (HDS), les matières premières associées et à développer un Centre de recherche et développement. La silice rentre dans la fabrication de ce que l’on appelle « les pneus verts » : elle permet de réduire la résistance au roulement des pneus et contribue donc à diminuer la consommation de carburant et à augmenter les performances de sécurité des véhicules. L’investissement de 100 millions d’euros devrait permettre la création de 130 emplois directs. 

J.-F.A.

Entre Montpellier et la Chine, une longue histoire

PhoEn octobre dernier, le maire de Montpellier, Philippe Saurel, et celui de Chengdu, Luo Qiang, ont choisi de renforcer leur coopération. Deux ans après le dernier voyage en terres héraultaises, une délégation chinoise est attendue dans la Métropole de Montpellier au cours du premier semestre 2018. Photo archives montpellier méditerranée métropoleto archives

Jumelée avec Chengdu depuis 1981, la 7e ville de France entretient d'étroites relations avec la Chine dans bien des domaines. Des missions économiques pour la viticulture sont menées régulièrement. Les deux villes collaborent aussi en matière éducative, sportive et scientifique. 

22 juin 1981. Entre Montpellier et Chengdu, capitale de la province du Sichuan qui compte 4 millions d'habitants (14 avec le District), les relations ne datent pas d’hier. Ce jumelage franco-chinois est même le premier de l’Histoire. En 36 ans de partenariat et d’échanges, les ponts n’ont jamais été coupés entre les 7e et 8e villes de leurs pays respectifs. En s’installant dans le fauteuil de maire en 2014, Philippe Saurel a rapidement souhaité développer les jumelages de la ville. Après avoir reçu une délégation chinoise il y a deux ans, qui s’était rendue dans l’école Chengdu de Montpellier, une délégation métropolitaine a fait le voyage inverse du 23 au 27 octobre dernier. « Nous avons été reçus d’une manière extraordinaire. Je suis très optimiste pour l’avenir des relations entre Montpellier et la Chine », assure la vice-présidente métropolitaine Chantal Marion qui salue « l’esprit visionnaire » de l’ancien maire Georges Frêche. Le dernier voyage a été des plus fructueux dans bien des domaines. Côté éducation, les deux écoles où le français est enseigné à Chengdu sont victimes de leur succès. La maternelle et la primaire pourraient bientôt se transformer en un groupe scolaire avec une crèche ainsi qu’un collège. Les bases d’une future collaboration ont aussi été posées entre les universitaires des deux villes.

Côté santé, Montpellier et Chengdu travaillent ensemble depuis 2006. Les maladies du diabète et du vieillissement font l'objet de recherches communes depuis trois ans. La collaboration a été renouvelée d’autant. De nouveaux partenariats ont même été esquissés en matière de cardiologie, rééducation, dermatologie ou étude du sommeil. Sur le plan sportif, Montpellier est connu comme le loup blanc en Chine grâce à son Festival international des sports extrêmes. Depuis 2013, le Fise, qui se tient chaque année début mai sur les berges du Lez à Montpellier, s’est exporté à Chengdu. La société Hurricane organisatrice de l’événement qui accueille des riders du monde entier vient de délocaliser son antenne de Shanghai à Chengdu, profitant de la mise à disposition de locaux d’une tour de l’Eupic, bâtiment totem dédié à l’accueil et l’hébergement d’entreprises étrangères. La Métropole de Montpellier y loue à « prix d’ami » plus de 150 m² de locaux idéalement placés mis gratuitement à disposition des entreprises. Au delà des startups qu’elle accompagne, la Métropole bichonne ses viticulteurs. Sur les 54 producteurs du grand Montpellier, 29 ont déjà participé à des actions à l’export par le biais de la collectivité (coût 36 000 euros par an). « Un euro investi par la collectivité équivaut à 8 euros de retombées pour les vignerons », a calculé Pascal Ribes, chargé du développement international à la Métropole.

Pour l'heure le produit des ventes de vins montpelliérains en Chine s’élève à 1,5 million d’euros. En volume cela correspond à 427 000 bouteilles (35 containers). 95% des ventes sont des AOC et 80% sont conclues par des propriétés (trois caves coopèrent aussi) à un prix moyen de 3,8 euros. Une plate-forme franco-chinoise sécurise les échanges. « On garantit l’identité des produits et les Chinois nous garantissent les acheteurs. Nous n’avons eu aucun impayé depuis 2013 », se réjouit Pascal Ribes. 

Rémy Cougnenc