chez béber
la ferraille

Dans la plaine de la Crau, des tonnes de munitions militaires gisent sous un soleil de plomb sur un site classé à l'abandon. « Agir pour la Crau » dénonce l’incurie des pouvoirs publics sur ces espaces naturels violés.

Un no man's land, ambiance zone de guerre afghane. A peine enjambé le portique de l’ex-SIMT, la vue de voitures aux vitres cassées donnerait l’impression d’une casse automobile si des amoncellements d’obus ne captaient pas le regard. Le danger, ce n’est pas la caméra de surveillance déglinguée, levée vers le ciel des Alpilles mais les rebuts sur 35 hectares d’obus en tas, de grenades et de cartouches de tous calibres, de caisses au contenu mystérieux, de bouts de missiles Milan et ces alignements à perte de vue de conteneurs de poudre de 4,5 tonnes chacun. On est à 17 km du dépôt cambriolé de Miramas et à 90 km des stocks de la marine de Toulon qui livrait ses mines et torpilles par camion. 

Des chariots traînent survolés par des hérons, trahissant un abandon précipité des lieux en 2006. 

On peine à croire qu’on est sur le site d’une des cinq sociétés agréées par le ministère de la Défense pour détruire les munitions réformées des trois armées et délivrer des certificats de destruction d’armes des forces de l’ordre. On ne croit pas un instant que des mines antichar, des mines anti-personnel, des obus au phosphore ont été proprement éliminées dans ces frêles casemates. On se croirait chez le ferrailleur du coin. La SIMT, même très affaiblie, faisait encore 1,25 million d’euros de chiffre d’affaires en 2004. Dans ses bureaux dévastés, des lettres jonchent le sol, tel ce courrier du 14 octobre 2004 du pdg Bernard Mas (condamné en 2003 pour dissimulation de munitions) adressant au député Guy Teissier, président de la commission de la Défense nationale, ses « remerciements pour vos interventions » avec cette demande : « Pourriez-vous en votre qualité nous renseigner sur l’importance des programmes de munitions françaises à détruire ? » 


David Coquille

La Crau, fourbi d'obus et dépotoir de la région

La Crau, dernier far-west français ? Alors que la justice se prononce lundi 31 août sur le faible niveau d’indemnisation de la « marée noire » de la Crau en août 2009 (lire ci-dessous), un autre scandale à dimension écologique et sécuritaire éclate sur la dernière steppe naturelle d’Europe. A la suite du vol début juillet de 150 détonateurs et munitions dans un dépôt de l’armée à Miramas, Agir pour la Crau dénonce l’existence d’un stock de munitions de guerre, sans contrôle, à l’abandon, à 20 km de là sur le site de « la Carougnade » (viande pourrie en occitan) à Saint-Martin-de-Crau. « On a là à portée de mains sur 35 hectares entre des serres agricoles et affleurant la nappe phréatique 1 200 obus au phosphore de la Première Guerre mondiale, 100 fûts de 4 200 kg chacun de poudre explosive et plusieurs milliers d’obus de mortier », détaille Joëlle Longhi, porte-parole de l’association, vent debout contre les pouvoirs publics. 

Elle dénonce la carence de l’Etat, l’inertie des administrations depuis l’abandon en 2006 du site de retraitement de munitions militaires par son propriétaire défaillant à la suite de la liquidation de la Société Industrielle de Munitions et Travaux (SIMT) pourtant agréée par le ministère de la Défense. « Les services de l’Etat analysent les solutions pour une dépollution pyrotechnique du site », a réagi mercredi dernier la préfecture qui indique que « plus de 50 tonnes de poudre et de munitions » ont été enlevées depuis 2006. Le dernier arrêté du 10 juillet prescrit « l’exécution de travaux d’office en urgence impérieuse » motivé par « le nouveau contexte résultant de menaces terroristes ». Vendredi, le dépotoir de bombes à phosphore était toujours sans surveillance, à portée de mains. Des panneaux « danger de mort » ont vite été posés par l’Agence de l’environnement (Ademe) le long de la clôture d’enceinte rafistolée. « On est dans le ridicule absolu », commente Philippe Taillefer, militant d’Agir pour la Crau devant 4 conteneurs de poudre au bord de la route de Mouriès sous laquelle passe un oléoduc. 

 2002, des fusées d’amorçage de mine antichar ravagent le site 

 Durant 50 ans, la SIMT en lien avec les états-majors de nos trois armées a pu éliminer dans des conditions dantesques les vieux stocks, de la simple cartouche de Famas au missile Milan. la Marseillaise a pu explorer cet incroyable dépotoir militaire qui en 2008 donnait déjà des sueurs froides aux services de déminage (lire ci-dessous). Le 2 juin 2002, une explosion de fusées d’amorçage de mine antichar ravageait le site sur 500 m à la ronde, révélant les conditions scandaleuses d’élimination industrielle. Des dissimulations de munitions et des malversations financières étaient dénoncées sur une autre société parente de la SIMT, la Société Française de Récupération de Munitions (SFRM), liquidée elle aussi. De quoi s’interroger sur la tenue des registres officiels de destruction... Car loin d’avoir dépollué, le PDG Bernard Mas enfouissait : 160 obus de mortier étaient enterrés et des bombes au phosphore immergées dans une fosse. 

Il a certes été condamné en 2003. Depuis il est mort sans consigner les 7 millions d’euros de dépollution. La Crau, c’est trois autres sites Seveso dont Nitrochimie au lieu-dit la Dynamite (!), sans compter le risque nucléaire de la base d’Istres. Neuf oléoducs traversent sa plaine et bientôt le gazoduc Eridan. C’est aussi le canal Centre Rhône dont le curage a révélé 4 000 m3 de plastiques provenant de l’ancienne décharge d’Entressen. Ils attendent toujours d’être enlevés. Et on est en zone Natura 2000 vous dites ? 

David COQUILLE

Joëlle longhi : 
"on est des citoyens lucides"

« Il y a tellement de responsabilités sur ce site laissé à l'abandon qu’il semble n’y avoir plus de responsables. Au final, c’est l’Etat défaillant qui a agréé cette société qui doit être tenu pour responsable », pétarade Joëlle Longhi, porte-parole de l’association Agir pour la Crau qui alerte sur « tout le potentiel de catastrophes dans cette pauvre Crau ». De rappeler l’existence d’une nappe phréatique alimentant 350 000 personnes sous le site de la Carougnade qui présente « de tels risques potentiels pour la sécurité publique » qu’il apparaît souhaitable « que des mesures de vérification soient faites pour s’assurer de la protection de la nappe phréatique », écrivait l’inspecteur de la Drire en 2008. « La nappe affleure dans cette dernière steppe d’Europe. Si on lui déverse des hydrocarbures, des déchets militaires, du phosphore et des perchlorates, on ne doit pas s’étonner des conséquences. » 

En 2008, un arrêté préfectoral a été pris pour financer « l’étude hydrogéologique nécessitée par la protection de la nappe des pollutions par des déchets du site » (sic) Bilan ? « On n’obtient pas les résultats des expertises. On sait qu’il y a des problèmes de thyroïde aux alentours. On ne veut pas être catastrophiste mais on a des raisons de se préoccuper. » Joëlle Longhi ne s’étonne pas que le maire (ex-PS) de Saint-Martin-de-Crau l’accuse de « jouer avec le feu ». « Ces élus qui pensent qu’il ne faut pas faire de vague ont prouvé leur indigence », répond-elle. « C’est tellement plus facile de mettre de l’argent sur un rond-point avec une fontaine. On n’est pas des ayatollahs mais des citoyens lucides. Plus on bétonne sur la Crau et moins l’eau circule. Le gazoduc Eridan qui doit relier le Qatar au Nord de l’Europe sera d’une dimension exceptionnelle. Son tracé est absurde et sacrificiel. Ils vont bousiller des terres agricoles et tuer le foin de la Crau en cassant le poudingue. Nous sommes un peu le pot de terre contre le port de fer. » 

 D.C.

Marée noire de la Crau : la déception

Après le geyser de brut, la douche en appel pour les parties civiles 

La cour d'appel d’Aix-en-Provence a douché six des dix parties civiles de leur espoir de meilleure indemnisation des conséquences de la marée noire survenue sur la Crau en 2009. Son arrêt rendu lundi 31 août sur le seul volet civil de la condamnation réduit de façon très nette le préjudice écologique déjà très partiellement accordé en première instance.

 L’arrêt va ainsi en deçà des sommes allouées par le jugement de première instance de Tarascon du 29 juillet 2014 qui, condamnant la Société du pipeline sud-européen (SPSE) à 76 950 euros d’amendes pour cette pollution par hydrocarbures, allouait 400 000 euros de dommages et intérêts à dix parties civiles.

 Les communes d’Arles et de Port-St-Louis-du-Rhône sont complètement déboutées de toutes leurs demandes, le sinistre n’étant pas survenue sur leur territoire. Arles se voit retirer les 15.000 euros alloués par le tribunal correctionnel de Tarascon au titre du préjudice moral. La commune de St-Martin-de-Crau sur le territoire de laquelle a eu lieu la catastrophe écologique et qui réclamait 1 240 000 euros de préjudice écologique se voit confirmer pour seulement 50 000 euros. Son préjudice d’image est même réduit de 50 000 à 10 000 euros contre les 400 000 euros réclamés. Le syndicat mixte de gestion de la nappe phréatique de la Crau (Symcrau) est débouté de son préjudice écologique que le tribunal lui avait accordé à hauteur de 50 000 euros. La chambre d’agriculture est débouté de leur demande de préjudice écologique mais confirmé pour ses 20 000 euros de préjudice moral.

 « Les parties civiles appelantes ont largement été déboutées. Le jackpot judiciaire n’a pas eu lieu » considère avec satisfaction l’avocat de la société SPSE, exploitante de l’oléoduc souterrain PL2 reliant le terminal pétrolier de Fos-sur-Mer à Karlsruhe qui s’était déchiré le 7 août 2009, déversant plus 7 000 m3 de brut dans la Réserve naturelle des Cossouls. A ses yeux, la cour a estimé que « le préjudice a déjà été réparé. Pendant 6 ans, la SPSE a dépensé 52 millions d’euros en application des arrêtés préfectoraux. Tout a été réhabilité. C’est une application assez logique par la cour du principe qu’on ne répare pas deux fois »

 Axel Wolff, le conservateur de la réserve naturelle des coussouls de Crau, citée par Maritima Info s’est dit déçu par la décision rendue : « Nous avons finalement obtenu 20 000 euros de dommages et intérêt, une somme identique à celle accordée en première instance. Nous pensions que nos arguments sur les dégâts causés par la pollution avaient été entendus ». Les parties civiles disposent de 5 jours pour se pourvoir en cassation.

D.C.