Le FN, tu l'aimes et puis tu le quittes

Deux ans après la poussée aux municipales, 40% des élus frontistes des Bouches-du-Rhône ont démissionné du parti. Etat des lieux.

La réalité prise de front

BILLET

Cogolin, Fréjus, Le Luc, Beaucaire, Marseille... Après les municipales de 2014 puis les régionales de 2015, la vague Bleu Marine a largement déferlé dans les hémicycles du Sud de la France. Mais aujourd'hui, de luttes intestines en querelles publiques, les élus FN se heurtent à leurs contradictions. Que ces derniers soient en responsabilité ou pas, reste une constante : la mise en lumière, s’il en était encore besoin, de l’étroitesse de pensée de ceux-là mêmes qui se disent représentants du peuple. Les frontistes ont pourtant mis beaucoup d’énergie à rendre leur discours de haine et de repli sur soi « acceptable », misant sur le populisme et le protectionnisme. Mais les voilà rattrapés par le principe de leur réalité.

« Un parti dont les membres se déchirent pour une once de pouvoir »

Celle d'un parti dont les membres se déchirent pour une once de pouvoir, dont les parlementaires européens sont soupçonnés d’abus de confiance, d’escroquerie en bande organisée. Un parti qui compte parmi ces membres des individus au pedigree chargé comme le conseiller régional Paca Philippe Vardon, un incontournable de la direction de campagne de Marine Le Pen. Ex-chanteur du groupe de rock identitaire Fraction, adepte du salut fasciste, il a aussi été un des principaux dirigeants du Bloc identitaire. Ces désaffections massives marquent finalement l’échec de la stratégie du « chevalier blanc » et l’incapacité pour les frontistes de s’inscrire dans un système démocratique. Question conservatisme et peur de l’autre, il faut dire aussi qu’ils ont trouvé des adversaires de taille à droite de l’échiquier politique. Rappelons par exemple que la majorité de Christian Estrosi et le groupe FN emmené par Marion Maréchal Le Pen au conseil régional Paca se sont disputé la paternité d’une motion contre l’accueil des réfugiés. Comme autant de leçons pour les électeurs qui auraient pu se laisser séduire par le chant des sirènes.

Mireille Roubaud

« Aucun projet concret susceptible d'apporter un quotidien meilleur aux habitants de nos arrondissements n’a été proposé ni réalisé »
Antoine Maggio, ex-deuxième adjoint de Stéphane Ravier

« On est chez nous ! » aiment à scander les militants du Front national. Deux ans après leur élection, nombre de leurs élus municipaux dans les Bouches-du-Rhône ne savent pourtant plus vraiment où ils habitent. Selon le décompte de la Marseillaise, sur les 94 conseillers municipaux gagnés en 2014, 38 ont quitté le FN et/ou renoncé à leur siège. Soit plus de 40% de défection. Un chiffre qui n'intègre ni les démissions en cascade pour faire « monter » des élus de remplacement, dignes de confiance mais un peu trop loin sur la liste, ni les départs des élus d'arrondissements de Marseille. Épicentre du mouvement de départs dans les Bouches-du-Rhône, les 13e et 14e arrondissements de Marseille, dirigés par Stéphane Ravier, occultent les démissions dans 17 des 23 municipalités (73,9%) où siègent des élus FN dans le département. Il est vrai que la formation d’un groupe dissident au sein du conseil municipal de Marseille et la dissolution du groupe FN de la métropole d’Aix-Marseille-Provence causée par de trop nombreux départs ne passent pas inaperçues. Stéphane Ravier, le sénateur-maire FN des 13-14, est aussi le secrétaire départemental de son parti dans les Bouches-du-Rhône. Unanimes, les démissionnaires lui reprochent son autoritarisme. Antoine Maggio, son ancien deuxième adjoint, l’a affublé du surnom de « dictateur nord-phocéen » qui a depuis fait florès. 

« Aucun projet concret susceptible d’apporter un quotidien meilleur aux habitants de nos arrondissements n’a été proposé ni réalisé », taclait-il en démissionnant. Il préside, depuis le mois de décembre, le groupe « Marseille d’abord » au sein du conseil municipal, une tribune pour les dissidents parmi lesquels Marie Mustachia, ex-première adjointe de Stéphane Ravier et mère d’Antoine Maggio. Comme lui, Elisabeth Philippe a en travers de la gorge de ne pas être investie dans son secteur en vue des législatives*. Laurent Comas et Paul Cupolati, tenants d’une ligne dure, étaient déjà depuis longtemps en rupture de ban. Reprochant à Stéphane Ravier d’avoir « lâché Jean-Marie Le Pen », ils avaient en septembre 2015 présenté une liste dissidente lors du conseil municipal qui devait désigner des élus métropolitains supplémentaires pour Marseille. Stéphane Ravier avait alors contraint plusieurs de ses élus à ne pas siéger et à donner procuration pour tuer dans l’œuf toute tentative de rébellion dans l’isoloir. Peine perdue dans la durée. En novembre 2015 c’est Adrien Mexis, son directeur de cabinet, également élu à Istres, qui claquait la porte. Sa mère, Catherine Rouvier, chef de file du FN à Aix, a suivi le même chemin, ulcérée par la composition de la liste aux régionales. Stéphane Ravier s’y était imposé en n°1 quitte à démissionner du conseil régional aussitôt élu pour cause de cumul des mandats... 

Dans la cité du roi René, les dissensions couvaient depuis 2014. Aussitôt élus, aussitôt divisés, les trois élus d’extrême-droite aixois brillent par leur absence plus que par leur présence sur le terrain. Catherine Rouvier demeure aux abonnés absents depuis son élection. A tel point, qu’après avoir eu les faveurs de la maire Maryse Joissains (LR) pour constituer un groupe, les règlements de comptes ont fusé au sein du trio FN, pimentant les relations avec la colistière Josyane Solari, qui fait depuis bande à part après avoir abandonné l’étiquette FN (mais pas forcément le Bleu Marine), pour revendiquer celle du Siel (Souveraineté, identité et libertés). En face, c’est depuis Paris que la maître de conférences à l’Université d’Orsay Catherine Rouvier compte sur Raoul Boyer (enseignant à la retraite, second sur la liste) pour lui résumer les conseils municipaux. Un climat que Maryse Joissains avait même qualifié de « caca nerveux des uns et des autres », invitant les élus à ne pas déballer leurs histoires en pleine séance.

Les élus d'extrême droite aixois, si désunis soient-ils, n’en sont pas moins virulents et influents. Alors que Catherine Rouvier déclare « refuser la dictature du préservatif... indispensable outil des tristes amours anales, précaution recommandée à ceux qui pratiquent vagabondage et tourisme sexuels, protection occasionnelle contre une grossesse non désirée... », plus loin, aux lendemains de l’attentat contre Charlie Hebdo dans une salle déjà endeuillée, Josyane Solari choisit, non sans toupet, de jouer sur la corde sensible animalière de Maryse Joissains : « Avez-vous lu le Coran ? C’est extrêmement violent ! L’abattage halal y est sauvagement prescrit. Je veux qu’on arrête ces pratiques illégales. » La même élue, prise en sympathie par la maire qui avait affirmée être proche des « valeurs de Marine Le Pen qu’elle a toujours défendues », s’attaque aujourd’hui aux associations de quartier, qu’elle juge « politiques » pour tenter de les priver de subventions. Depuis leur élection en 2014, à Aix où il n’y avait jamais eu d’élus FN jusque-là, les 3 conseillers municipaux ont accentué les discours racistes, dénonçant les aides aux plus démunis, aux migrants, refusant de voter pour la construction de logements sociaux, décriant jusqu’au stand de babouches sur le marché d’Aix « un outrage à la veille de Noël »... 

« Cumul sans limites des mandats et des candidatures, favoritismes divers, négociations d'arrière-cour, recyclage d’éléments en délicatesse avec la justice… »
Catherine Rouvier, ex-dirigeante du FN à Aix, claquant la porte en désaccord avec la liste régionale.

À Aubagne aussi, l’instabilité règne. Derrière la tête de liste, Joëlle Mélin, figure frontiste depuis de nombreuses années - multi candidate à tous les scrutins (municipales, même à La Ciotat en 2001, législatives, européennes, régionales, départementales) mais aussi cadre au niveau national sur les questions de santé - le second élu « Bleu Marine » est un poste mouvant. Rappelons que lors des municipales, après un premier tour à 20,63% des suffrages, la liste FN s’était effondrée une semaine plus tard ne récoltant « que » 11,62% des voix lors d’une triangulaire qui a vu Gérard Gazay (LR) triompher devant la gauche unie de Daniel Fontaine (PCF). Résultat, seuls deux élus siègent en séance. Le premier à s’essayer, Albert Novarino-Villecrose. L’histoire retiendra que c’est lui qui a présidé la séance d’installation du maire en avril 2014 de par sa « qualité » de doyen de l’assemblée. Son unique fait d’armes. Début 2015, il cède sa place à Monique Wecker-Margheriti officiellement pour raisons de santé. Cette dernière aura le droit de prendre de temps en temps la parole en séance, sous le contrôle de Joëlle Mélin. Elle sera même suppléante aux départementales, derrière Mélin qui, bien que frappée par le cumul des mandats (conseillère régionale, euro-députée du Sud-Ouest, si, si), s’était présentée en tant que titulaire. 

Las, il y a un an, le 23 février dernier, nouveau jeu de chaises musicales sur les bancs frontistes. Mais cette fois, le 4e et la 5e de liste sont priés de faire place nette au 6e, Nicolas Robine. Enfin quelqu’un qui trouve grâce aux yeux de la patronne Mélin puisque ce tout juste vingtenaire, doctorant en droit, est son assistant parlementaire à Bruxelles. Pratique pour la représenter en séance municipale lorsque cette dernière est retenue par ses obligations européennes comme lors du dernier conseil le 13 décembre. Une marque de confiance pour le nouveau benjamin des élus aubagnais qui semble parti pour s’installer dans le fauteuil du second élu. Fort heureusement, Joëlle Mélin ne devrait donc pas avoir à descendre jusqu’au 43e et dernier nom de sa liste : Micheline Mélin, sa maman… 

À Gardanne, le FN a perdu un élu depuis 2014. Mais cette fois c’est par la volonté des électeurs qui lui ont retiré leur confiance à l’occasion de la municipale partielle de 2015. Cas isolé ou début de prise de conscience de l’imposture que représente le Front national ? Les sondages d'opinion en vue de 2017 plaident pour l'heure pour la première hypothèse. 

L.P., H.B. et F.C.

*Initialement publié dans nos pages, en kiosques, lundi 9 janvier, Élisabeth Philippe a réagi, aposteriori, à cet article. L’élue des 11-12 se défend d’avoir pris ses distances avec le FN parce qu’elle n’a pas reçu l’investiture du parti d’extrême droite pour les législatives. Cela correspond aux « mensonges de monsieur Ravier », affirme-t-elle. « Les vraies raisons de mon départ sont idéologiques. Les décisions prises en plénière ne répondent plus à mes valeurs. Ainsi, je n’ai pas digéré le vote pour du pacte de gouvernance de la Métropole, pas plus les 2 permis de construire de mosquées du 13-14 », ajoute-t-elle. Elle en veut pour preuve la réponse écrite que Stéphane Ravier lui a adressée et dans laquelle il prend acte de son souhait « de ne pas présenter de candidature aux législatives de 2017 et aux municipales de 2020 ».

La Ciotat, règlements de comptes
à tous les étages

Le groupe frontiste a littéralement implosé avec le départ fracassant de son ancienne tête de liste aux municipales de 2014. Et les anciens du FN canal historique dénoncent les « carriéristes et gamelards » de la vague « Bleu Marine ».

« Je donne la parole au premier d'entre nous, même si ce n’est pas le meilleur. » La phrase lâchée en plein meeting des municipales par Hervé Itrac quittant la tribune pour laisser place à Yann Farina, tête de liste FN, en disait déjà long sur les relations entre les deux colistiers. L’avocat ciotaden, qui se définit comme « gaulliste », a longtemps adhéré et milité au sein de la droite locale avant de prendre l’ascenseur Bleu Marine en 2014. La constitution de listes ouvertes allait lui permettre de se mettre sur les rangs et de se voir propulsé « directeur de campagne » pour les municipales. De son côté, Yann Farina, chef d’entreprise et candidat local « historique », pose durant ces élections un discours lisse, sans aspérités, surfant sur le sentiment d’insécurité, la crise du petit commerce et le bétonnage. Fort de cinq élus d’opposition, le FN fait une entrée au conseil municipal en fanfare, pour autant, en quelques mois la tête de liste est mis sur la touche par son principal rival interne. Le conflit éclate au grand jour à l’occasion du psychodrame familial de 2015 au cours duquel Jean-Marie Le Pen est viré par sa fille du FN. Yann Farina démissionne avec fracas et dénonce la stratégie « Bleu Marine » qui a ouvert les portes du parti aux « carriéristes et aux gamelards ». Il tente de se rapprocher de la Ligue du Sud de Bompard avant de fonder son propre mouvement, la Ligue patriotique « à vocation identitaire », reprenant des thèses, telles que le « grand remplacement », qui pullulent dans la fachosphère. 

De cinq à trois élus en six mois 

Deux autres élus ont quitté le banc frontiste durant « la crise ». L’ancien président de l’association des commerçants et néo-converti Bernard Lubrano prend la tangente, dépité par « le fonctionnement du parti », il quitte le FN sans rendre son mandat. Et Dominique Barbieri démissionne pour des « raisons personnelles ». Le groupe passe de cinq à trois élus en l’espace de six mois. Belle prouesse. Le départ de Yann Farina est « un non-événement », selon Joëlle Mélin, l’insubmersible patronne frontiste dans la circonscription. L’intéressé n’hésite plus à répondre, « ses seuls succès électoraux, Joëlle Mélin les doit à des scrutins de liste et notamment à Jean-Marie Le Pen, elle n’a jamais remporté aucune élection sur son nom personnel », balance-t-il. Les relations entre anciens et nouveaux frontistes se sont encore envenimées en octobre dernier lorsque Yann Farina a pu lire sur le blog du FN ciotaden que « le candidat isolé de l’extrême droite (…) nous rappelle, par ses tenues vestimentaires et ses propos, les heures noires du nazisme », et il a aussitôt porté plainte. Depuis qu’il a fait place nette autour de lui, Hervé Itrac déroule ses ambitions personnelles, jusqu’à faire preuve d’une rare suffisance : « Je vous écoute et je me réjouis par avance du score que nous allons faire aux prochaines élections, a-t-il lancé lors du dernier conseil municipal, si la ville devait voter aujourd’hui je serai le maire élu ». En même temps, « n’importe qui se présente avec la flamme fait 15% », commente Yann Farina. Mais de là à prendre ses rêves pour la réalité... S.F.

Bisbilles et démissions en cascade
à Istres

C'est presque un strike qui a eu lieu à Istres. Pour les élections municipales de 2014, le FN avait clairement annoncé la couleur en affirmant vouloir s’emparer de la commune. Adrien Mexis, tout feu tout flamme (c’est le cas de le dire), avait été parachuté pour jouer le dégommeur de François Bernardini. Il faut dire que, jusque-là, son parcours était « exemplaire » : HEC, puis Sciences Po, militant à l'UMP, candidat aux régionales de 2004 sur la liste emmenée par Jean-François Copé, puis embauché dans le cabinet de Xavier Bertrand. Il rentre au FN, devient chef de cabinet de Stéphane Ravier et son attaché parlementaire. Et puis, patatras : en novembre 2015, il rend son mandat de conseiller municipal et démissionne du FN. Il est également lâché par Stéphane Ravier (qui ne manque pas d’ironiser sur lui). 

Beaucoup, à commencer par François Bernardini, y voient une confirmation de son opportunisme : il aurait adhéré au FN pour avoir des postes que l’UMP ne lui accordait pas, et n’aurait pas digéré de n’être qu’en 15e position sur la liste conduite par Marion Maréchal-Le Pen aux dernières régionales. Même si, lui, préfère mettre en avant ses convictions profondes face à « des éléments aigris et haineux » (sic !) dans un parti aux luttes intestines, qui pratique un « cumul excessif des mandats » et dont certains ne seraient pas particulièrement assidus dans leur tâche. C’est pourtant exactement ce que lui ont reproché deux colistiers, Charles Valentin (qui siège en « non inscrit ») et Jean-Michel Mourot, qui ont annoncé leur dissidence à Istres en septembre 2015, confirmant ainsi leurs divergences avec Adrien Mexis, et précisant que « le conseil municipal ne peut plus être le cadre d’un règlement de comptes d’un parti politique ». La démission d’Adrien Mexis a provoqué un « mini remaniement » au sein du groupe FN : Véronique Iorio et Alain Delyannis ont rejoint le groupe « Indépendance citoyenne » avec Jean-Michel Mourot et Sylvie Mourot, qui profite du départ de Mexis pour « monter », d’autres ayant refusé de siéger. Sylvie Brunisholz et Danièle Quesada ayant aussi démissionné, il ne reste plus que deux élus « Istres Bleu Marine » : Paul Mouillard et Boualem Bessaad. 

N.P.