ENFOIRés au grand coeur

Il y a 30 ans Coluche lançait son appel à aider les démunis. Depuis, les Restos du Cœur sont devenus une institution grâce notamment à ses bénévoles. Reportage dans une antenne à Marseille et entretien avec Olivier Berthe le président national.

La main tendue 

Et dire qu'il appelait cela « une petite idée »… En lançant son appel depuis l’antenne d’Europe 1 il y tout juste 30 ans, le 26 septembre 1985, Coluche mettait volontairement les pieds dans le plat. Une spécialité pour l'Enfoiré préféré des Français. La démarche de Coluche était un pied de nez à l’incapacité des gouvernements successifs à contrer les méfaits de la crise. A donner un peu de soi pour l’autre. L’activité de la distribution des repas est bien évidemment le volet le plus visible de l’action. Mais les Restos du Coeur, comme d’autres associations de solidarité de terrain, ont fondé au fil des ans beaucoup plus. Il ont consolidé le principe que les accidentés de la vie pouvaient à tout moment trouver quelqu’un à leurs côtés pour leur tendre la main : les bénévoles. Ces hommes et ses femmes de toutes origines, de toutes conditions sociales qui ont décidé un jour de ne pas fermer les yeux face à la misère qui s’installait près de chez eux. Par peur de se sentir complices ou, pire, coupables de ne rien faire, de ne pas agir, ils se sont retroussés les manches. En ces temps de crises économique, sociale et de confiance, les appels à l'aide augmentent et n’ont plus de frontières. Les bénévoles doivent être de plus en plus formés et aguerris pour négocier cette détresse aux mille visages. Cent trente millions de repas servis plus tard, chacun devra assumer ses responsabilités. Les militants associatifs seront eux une nouvelle fois au rendez-vous. Mais d’autres solutions émanant de l’État devront aussi rapidement intervenir pour que ce soit un faisceau d’énergies qui en finisse avec la pauvreté de masse dans le pays. La saison 2015-2016 des Restos du Coeur n’a pas encore commencé. Il faudra attendre quelque semaines encore pour voir l’ensemble des antennes et des équipes à pied d'oeuvre. Mais d’ores et déjà, les bénévoles, eux, sont sur le pied de guerre. Coluche, l’idée était peut-être « petite », mais qu’est-ce qu’elle était belle.

Sébastien Madau

Le 26 septembre 1985, Coluche lançait un appel à la solidarité en faveur des plus démunis sur Europe 1. Trois décennies plus tard, les Restos du Coeur accueillent près d'un million de personnes grâce à l'engagement des 69 200 bénévoles. Un engagement dont il faut aujourd'hui reconnaître la valeur comme l'explique Olivier Berthe, président national de l'association. 


Les Restos du Coeur : un nouvel appel à « la reconnaissance du travail associatif »

Que reste-t-il de cette idée de créer à la base une cantine pour les plus défavorisés, lancée par Coluche en septembre 1985 ?
 Beaucoup puisque que les Restos du Coeur sont aujourd'hui le reflet de l'impulsion que Coluche leur a donné il y a trente ans. Trois mois à peine après avoir lancé cet appel, des dizaines de centres des Restos ouvrent et commencent à distribuer des repas. Coluche a lancé l'idée des Restos, puis l'idée des Enfoirés, celle d'une loi pour favoriser les dons, d'ouvrir les frigos européens et enfin celle de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Bref, ce qui continue à être les moteurs de la plupart des associations humanitaires en France.

 Observateur privilégié de la société, comment l'avez-vous vue évoluer ces trois dernières décennies ?
Je commencerai par les aspects négatifs de cette évolution. Et notamment par le nombre de plus en plus important de personnes aidées. Les situations de pauvreté sont plus graves notamment celles qui touchent les personnes vivant dans la rue. Ces personnes sont aujourd'hui des femmes et des enfants. On a également observé l'apparition des travailleurs pauvres. Ces personnes qui, bien qu'elles travaillent ou qu'elles aient une activité, n'arrivent pas à s'en sortir. Celle des retraités, de personnes âgées, parfois aussi de travailleurs indépendants et d'agriculteurs. Des populations que l'on ne rencontrait pas dans les premières distributions des Restos. Nous sommes dans une société où les solidarités familiales ou solidarités de proximité sont moins fortes qu'elles ne pouvaient l'être à l'époque. En revanche, et c'est là un point très positif, il y a sans doute moins d'indifférence à cette situation. Beaucoup de personnes en France ont décidé de s'engager. Le message de Coluche était de dire : les politiques ne font pas forcément ce qu'il faut, donc on se retrousse les manches et on va le faire. Aujourd'hui, on compte 69 200 bénévoles contre 5000 la première année de notre création. Il y a des millions de bénévoles en France qui sont dans les associations et qui travaillent pour les autres. Chacun peut en s'investissant à son niveau déjà faire évoluer les choses. Aujourd'hui, les dons sont plus importants. Tout comme l'intérêt des médias et de l'opinion publique à cette cause, qu'est la lutte contre la précarité. Contrairement aux années 80 durant lesquelles on a pu parler de nouvelle pauvreté, la situation actuelle des plus fragiles de nos concitoyens est connue. Et à partir de là, les Français poussent les politiques à prendre leurs responsabilités. Même si effectivement à certains égards, on peut parler d'échec des politiques publiques. Et c'est bien pour cela que le monde associatif est là pour être l'aiguillon. Les bénévoles poursuivent leur action. Et ils démontrent qu'il ne suffit pas de masquer la pauvreté et l'exclusion. Mais il faut vraiment s'attaquer aux racines.

  
Et pour cela, sur quels piliers les nouvelles solidarités doivent-elles reposer ?
Sur la complémentarité des dispositifs publics et associatifs. Cette idée, ainsi que celle de la multiplication des actions, sont absolument essentielles si on veut que cette solidarité ait des effets positifs sur l'inclusion parce que le but est bien là. L'objectif n'est pas d'assister les gens en permanence et durant toute leur vie. Mais il est de les accompagner sur ce chemin.

 Bénévole depuis 29 ans au sein de l'association, vous en assurez la présidence depuis 12 ans. Quel regard portez-vous sur votre expérience ?

 Une découverte... Quelque chose qui m'a conforté dans l'idée que l'Homme était vraiment capable du pire comme du meilleur. L'Homme est ainsi capable de développer des trésors d'imagination pour venir au secours de ses condisciples. En trente ans, j'ai vu des gens formidables, imaginatifs, impliqués, sincères... Ce qui me rassure sur l'avenir de notre société.  

En 2015, que faut-il faire pour maintenir et encourager cet élan ?
Reconnaître le travail associatif. Le fait qu'il coûte incroyablement moins cher que l'investissement public qu'il représente. Ainsi, quand les pouvoirs publics donnent un euro à une association telle que les Restos, c'est l'équivalent de six euros d'action qui est déployé. Il y a un effet levier. Il faut donc reconnaître l'efficacité et la valeur du travail associatif. Simplifier les procédures, faire en sorte de favoriser l'engagement bénévole mais aussi les dons de toute sorte : les dons de produits agricoles et financiers. Finalement, il est urgent de mettre en valeur le travail associatif et maintenir le terrain favorable. C'est ce qui a d'ailleurs permis à nombre d'associations, dont les Restos du Coeur, de devenir ce qu'elles sont et d'accomplir le travail qui est réalisé aujourd'hui. Le 26 septembre 1985, Coluche lançait un appel à la solidarité en faveur des plus démunis sur Europe 1. Trois décennies plus tard, les Restos du Coeur accueillent près d'un millier de personnes grâce à l'engagement des 69 200 bénévoles. Un engagement dont il faut aujourd'hui reconnaître la valeur comme l'explique Olivier Berthe, président national de l'association.

Entretien Sandrine Guidon

génération Coluche

 Quartier de la Belle-de-Mai à Marseille, l'un des plus pauvres d’Europe. Il y a Danielle, Louis, Régis, Nicole... De vrais Enfoirés. Le cœur bien accroché en haut à gauche.

A l'époque, ils avaient 24, 31, 32, 36 ans… Elles étaient mère de famille ou employée de banque. Ils étaient cadre supérieur ou salarié de la pétrochimie. Lorsque ce 26 septembre 1985, Coluche lançait sa « petite idée comme ça » sur Europe 1. « Si des fois il y a des marques qui m'entendent, s'il y a des gens qui sont intéressés pour sponsoriser une cantine gratuite qu'on pourrait commencer à faire à Paris et puis qu'on étalerait dans les grandes villes de France, nous on est prêts à aider une entreprise comme ça, qui ferait un resto qui aurait comme ambition au départ de faire 2.000 ou 3.000 repas par jour gratuitement. » Trente ans plus tard, c’est dans les locaux des Restos de la Belle de Mai à Marseille (3e) que l’on retrouve cette génération. Ici, tout le monde est accueilli par un sourire. « Autour d'un café, comme nous aimerions tous l’être ». Louis, 66 ans. Bénévole depuis 2013. Responsable du centre depuis un mois. Il a fait ses premières armes à la Joliette. Le local des Restos était ouvert, il a simplement demandé si on avait besoin de quelqu’un. Louis a déchargé les camions, assuré la distribution et les cours de soutien. Puis, il est devenu adjoint de l’ancienne responsable de la Belle de Mai avant de lui succéder. Cet ancien cadre voulait « se sentir utile aux gens qui n’ont plus rien ».


 « Quand la pauvreté ne se voyait pas »

 A l'image de celles et de ceux qui poussent quotidiennement les portes du 14 rue François Barbini. Au rez-de-chaussée, on distribue l'aide alimentaire. Une chambre froide est en cours d’installation. A l’étage, les bureaux y sont toujours ouverts. Dans la cuisine, on pose la climatisation. « Et juste là, la petite scène de l'espace théâtre ». Un peu plus loin, la bibliothèque n’attend plus que des livres. Le vestiaire se prépare à l’hiver.

« Pourquoi être bénévole ? Parce que je suis bénéficiaire l'hiver. Alors j'ai trouvé normal de donner un peu »  Jean-Pierre, bénévole depuis trois ans
La façade, elle, vient d’être repeinte, il y a deux jours. Exit le rose. « C’est grâce à Bouygues dans le cadre de la journée de la solidarité » souligne Louis. L’intérieur aussi aurait bien besoin de quelques travaux. Alors pour parer au plus pressé, Régis n'hésite pas « à faire les poubelles pour récupérer des étagères ! » Régis, 61 ans, adjoint de Louis. Bénévole depuis 8 mois. Il a travaillé trente ans dans les métiers de la chaudronnerie et de la pétrochimie. Dix ans dans une boîte de génie civile. Lui aussi « voulait donner du temps aux autres ». Mais dans une structure « qui bouge, avec l’esprit d’entreprendre ». Régis est devenu un vrai Enfoiré, en charge des approvisionnements et des flux. Entre autres… « Car c’est aussi un peu notre MacGyver » lance Danielle dans un sourire. Elle, c’est à l’administration qu’elle a naturellement trouvé sa place. Le second bras droit de Louis. Danielle, 54 ans. Aux Restos depuis un an mais des années de bénévolat au sein d'associations sportives et notamment de l’organisation du Marseille Cassis. Louis, Régis, Danielle se souviennent de l’appel lancé par Coluche, quand « la pauvreté ne se voyait pas encore ». On préférait alors jeter plutôt que de donner. Les greniers de l’Europe étaient encore pleins. Trois décennies plus tard, ils sont assis au même bureau. Réunis par la volonté de s’engager. Mais pas seulement. Car l’esprit Coluche semble bel et bien encore présent. « L’accueil de tous ». « Ni politique, ni religion ». « Pas de dictature du chef ». « Tout le monde prend la parole, on partage les joies comme les souffrances, les idées et les propositions » rappelle Louis. « Nous sommes 40 bénévoles. Et nous avons tous le même salaire, le sourire ». 





Pour certains, cet engagement est « un don de soi ». Pour d’autres, « une philosophie de vie ». Le tout doublé « d’une bonne dose d’humilité ». Nicole y voit « même une certaine forme de militantisme ». Nicole, 62 ans. Cette ancienne employée de banque est bénévole depuis 2013. Mais pour tous, c’est surtout une « façon de préserver le lien social » Un centre des Restos transformé en « grande surface » 


Fin de matinée, la distribution est sur le point de se terminer. La campagne d’été aussi. Et déjà, celle de l’hiver 2015/2016 se prépare. Sur le bureau, les fiches de pré-inscription sont d'ores et déjà prêtes. La Belle de Mai a été jusqu’à ces dernières semaines l’un des plus gros centres de France. Près d’un millier de familles aidées sur les trois premiers arrondissements de la ville. Demain, cela ne sera plus le cas. Sur décision de la direction nationale, la structure a réduit sa capacité d’accueil durant la période estivale. Une nécessité qui surprend. Mais la limite est atteinte. Le centre est en train de devenir « une grande surface ». « L’erreur a été au départ de concevoir un accueil pour 1200 familles » reconnaît Régis. Dans quelques jours, il faudra faire face aux interrogations, aux peurs et à la colère de celles et de ceux qui resteront à la porte des Restos. Louis assure que le public sera redirigé vers d’autres associations mais avoue craindre « un tsunami ». Le nombre de familles aidées passera de 1059 à 550. Et tout se jouera le 2 octobre prochain. Les premiers arrivés seront les premiers inscrits. Alors dans ces conditions, il est difficile de croire que les Restos doivent encore faire leur place dans le quartier. Mais l’afflux de personnes venues d’autres arrondissements a créé des tensions. Et a quelque peu « perturbé le trafic de drogue ». Des situations douloureuses qu'il faut gérer. « Comme ce jour où un homme a menacé de se tailler les veines si on ne l’accueillait pas » raconte Régis. 



A la cuisine, on prépare le couscous. Et on n’oublie pas de vous inviter à la table des Restos. En bas, les portes se sont fermées. Elles rouvriront dans une heure. Alors, on continue de s’interroger sur la nature de ces liens qui unissent ces bénévoles. Pour Nicole, l’explication tient au fait « qu’il n’y a pas de concurrence ni de rivalité. On se montre tel que l’on est. Si tu viens ici, c’est que tu es convaincu ». Et c’est dans un grand éclat de rire que Louis rappelle l’essentiel. Les compétences de chacun sont mises au service de tous. « Nous sommes tous polyvalents. Et tout le monde fait tout ». Même le responsable « passe le balai et nettoie les WC ».
Humilité et humour. C’est aussi ça la recette des Restos de la Belle de Mai face à aux coups de mou du quotidien. « Parfois, c’est compliqué confesse Danielle. On se dit qu’on va laisser tomber. Et puis ça nous démange et on y retourne ». Cette année, le centre de la Belle de Mai deviendra le premier centre de formation des bénévoles. Ce n'est peut-être pas un hasard.


Aujourd'hui, la pauvreté touche plus de 8 millions de personnes en France.
 Le portable de Louis ne cesse de sonner. On vient de l’informer de la date de la prochaine grande collecte. Une nécessité. En trente ans, les greniers de l’Europe se sont vidés. Le chômage a explosé. Les prix ont flambé. Les salaires ont stagné. Pour le responsable associatif, « les Restos, ce sera bientôt 40% de distribution d’aide alimentaire ». Pas plus. Les trente ans seraient-ils un tournant pour l'association ? 

« L’idée de Coluche est toujours d’actualité pour Danielle. Nous, on sait ce que l’on va manger en rentrant à la maison. Mais pas eux. Les gens peuvent toujours donner certes mais moins. La générosité est là mais le porte-monnaie ne suit plus ». Et voilà que Coluche revient sur le devant de la scène. « Il avait une sacrée dose de courage pour interpeller les politiques à l’époque. Mais aujourd’hui, qui incarne les Restos du Cœur ? » interroge Régis. La photo du trublion, qui est restée accrochée aux murs de l’association aurait-elle un peu trop jaunie ? « On a le concert des Enfoirés, mais quelle est notre figure de proue ? » Pendant ce temps, effectivement, d’autres associations occupent l’espace médiatique. C’est pourquoi « il est temps de refonder les Restos ». Régis a ouvert le débat. Pourquoi, comment ? On évoque la nécessité pour la direction nationale de l’association de coller davantage à la réalité du terrain. 

En 30 ans, les Restos du Coeur ont distribué chaque année plus de 130 millions de repas aux personnes les plus en difficultés durant la seule période hivernale. 
En attendant, ce samedi 26 septembre 2015 à la Belle de Mai, on lance un nouvel appel à la solidarité. En direction « des bénévoles et des mécènes qui veulent s’investir et investir ». A l’image de Danielle, Nicole, Louis et Régis... La génération Coluche.


 Sandrine Guidon  


Edito: Sébastien Madau
Entretien et reportage: Sandrine Guidon et Marie-Laure Thomas
Infographies : ML Thomas
Réalisation: ML Thomas