Celui qui faisait rimer critique avec poétique

Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini était assassiné dans des circonstances troubles. Sa disparition a laissé un vide dans la vie politique et intellectuelle italienne.

Au petit matin du 2 novembre 1975, le corps d'un homme écrasé par une voiture est découvert près des plages d’Ostie, dans la périphérie de Rome. Pendant ce temps, un jeune homme est arrêté au volant d’une voiture volée qui s’avère appartenir à l’écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini. Le lien est rapidement fait et le corps identifié : Pasolini a été sauvagement assassiné à l’âge de 53 ans. Quarante ans après, les conditions de son assassinat sont encore troubles et diverses théories s’opposent. Une fin violente, comme un écho à son ultime film ultra-violent Salò qui, sorti après sa mort, avait scandalisé. 

La thèse de la rencontre ayant mal tourné avec un jeune prostitué est paradoxalement la seule retenue après un jugement alors que plus personne ou presque n’y croit. Il faut dire qu’à l’époque, l’homosexualité assumée de Pasolini a permis aux enquêteurs d’orienter leurs recherches sur la piste des mœurs, surtout avec une personne s’accusant du crime.

Mais d'autres, en revanche, ont plutôt penché vers la piste politique. Pasolini dérangeait, notamment le pouvoir de la Démocratie-chrétienne à travers ses derniers textes – son roman Pétrole et ses articles dans le Corriere della Sera réunis dans Ecrits corsaires – et il était devenu une cible. « On savait qu’il risquait beaucoup, en s’exprimant avec autant de liberté contre la corruption des politiques au pouvoir depuis la guerre, contre la pègre et la mafia en liaison avec les puissants, contre l’inertie des observateurs » rapporte son biographe René de Ceccaty. « On savait que sa vie privée le mettait en danger, à cause de ses errances nocturnes et de ses rencontres de voyous et de prostitués. Aussi la réaction fut-elle extraordinairement émotionnelle. 

"Nous avons perdu un poète et de poètes il y en a deux ou trois par siècles", dira son ami intime Alberto Moravia. » La vie et l’oeuvre de ce « marxiste athée » dans cette Italie baignée dans le christianisme sont rythmées par les scandales. La quasi-totalité de ses livres ou films sont passés devant les tribunaux, attaqués par le moralisme ambiant. Jamais la censure n’aura le dernier mot. Pasolini ne sera jamais condamné.

Un critique de la société de consommation

A priori, il est difficile de trouver un fil conducteur entre ses premiers succès romains en librairie ou au cinéma (Ragazzi di vita, Una vita violenta, Accattone, Mamma Roma) et ses oeuvres de la fin des années 65-75 (Uccellacci, uccellini, La Trilogie de la vie, Salò). Mais Pasolini, lui, l'avait certainement à l’esprit. A chaque fois, ses oeuvres rompent avec l’ordre établi qu’il soit politique, intellectuel ou moral. Homme de gauche, dont les liens avec le puissant Parti communiste étaient à la fois teintés d’affection et de ressentiment pour des divergences passées, Pasolini a occupé les plus grands débats de société de l’Italie d’après-guerre (sexualité, divorce, Mai-68...).

Quant à ses dernières critiques de la société de consommation, la comparant à un « nouveau fascisme », à un « génocide culturel », elles s'apparentent à des prophéties si on constate la dérive de l’Italie depuis 40 ans, marquée par les années de plomb, l’arrivée du Berlusconisme et l’explosion de la Première République après l’opération Mains propre de 1992. 

Aujourd’hui, presque honteuse, l’Italie se remet à la page et tente de placer sur le devant de la scène celui qu’elle a eu tant de mal à écouter. Au fil des ans, « Pasolini a fini par devenir un monument national » assure Marco Tullio Giordana, qui a écrit un livre et réalisé un film sur la mort de l’écrivain (Pasolini, mort d’un poète). 


« Tout lui a été pardonné au nom du succès : l’homosexualité, les garçons, l’Alfa GT, le communisme, l’argent.. Mais de là à dire qu’il est enfin compris, je n’irais pas jusque-là. » Et Pasolini disait : « La mort ce n’est pas ne plus pouvoir communiquer, mais c’est ne plus pouvoir être compris. » La phase de réhabilitation est encore à mener. 

Sébastien Madau

Quarante ans de mystères autour de sa mort

Depuis le 2 novembre 1975, un véritable mystère plane sur les conditions de l'assassinat de Pasolini. Dans les faits, un seul homme a été jugé coupable : Pino Pelosi, un jeune marginal romain, 17 ans à l’époque, condamné à une peine de 9 ans de prison. Longtemps, sa version est demeurée inchangée : il a tué Pasolini dans sa voiture en légitime défense suite à une agression sexuelle de la part de l’écrivain et lui a roulé dessus en voiture en fuyant. Toujours défendue par la famille et les proches de Pasolini, la thèse selon laquelle ils étaient plusieurs à s’être acharnés sur lui n’a pas été retenue. 

Jusqu’à ce jour de 2005 où Pino Pelosi est apparu à la télévision italienne pour affirmer qu’il n’était pas seul sur les lieux, qu’il était dans l’Alfa Romeo de l’écrivain pour un rapport sexuel tarifé d’où il a été violemment sorti par une bande qui a lynché Pasolini sous ses yeux avant de prendre la fuite. Pelosi est même allé jusqu’à donner les noms de deux membres de cette bande, proche de la mafia romaine, aujourd’hui décédés et a avoué avoir menti par peur des représailles. 

Restait alors à connaître les noms et surtout le mobile qui écartait de fait la piste de la mauvaise rencontre en privilégiant celle du guet-apens. L’enquête a été relancée en 2009 grâce à l’abnégation d’un avocat et d’une criminologue qui ont permis de certifier que des traces ADN n’appartenant ni à Pelosi ni à Pasolini avaient été retrouvées dans le véhicule. Mais l’affaire a été classée au printemps 2015 après l’impossibilité de mettre un nom sur ces traces ADN. A l’heure actuelle donc, Pelosi reste le seul condamné dans l’affaire. Signe que le trouble demeure, des députés italiens viennent de lancer une pétition demandant la création d’une commission d’enquête pour se donner les moyens d’enfin connaître la vérité. 

S.M.

Pasolini et Totò