Aimer Marseille
et la quitter

Près de 2 jeunes Marseillais sur 3 sont prêts à quitter leur ville. Enquête sur le malaise d'une génération.


ÉDITORIAL

En publiant cette semaine une enquête exclusive sur les jeunes marseillais – réalisée en partenariat avec l'Ifopnous avons révélé une radiographie précise de l’état d’une jeunesse en mal d’avenir. C’est un fait majeur en soi. Mais La Marseillaise ne serait pas La Marseillaise si elle s’était bornée à analyser les résultats de cette enquête et si nous nous étions simplement arrêtés au constat des chiffres.

Nous sommes allés voir plus loin en donnant tout au long de la semaine la parole aux premiers concernés. Ces jeunes, que nous avons rencontré, se sont dits heureux que l'on s’intéresse – enfin – à eux, à leur vie et à leur avenir. À leurs solutions aussi. Ces jeunes, que nous avons rencontrés sont des citoyens acteur de leur propre vie, conscients du monde qui les entoure.

Puis, nous avons continués ce travail de révélation en ouvrant nos colonnes aux élus de Marseille dont son maire, Jean-Claude Gaudin. Ces élus nous livrent leur analyse et leurs propositions pour arrêter l'hémorragie : comment retenir les jeunes ?

 Bref, comment créer les conditions pour leur permettre de vivre bien dans leur ville et de s’y épanouir ? En menant cette enquête, en posant ces questions, en ouvrant ses colonnes, La Marseillaise tient pleinement son rôle de journal d’information et de débat. Il confirme ainsi sa place d’acteur engagé dans la cité.

Françoise Verna

Retiens l'ennui

Le chiffre ne souffre pas la discussion mais promet de faire parler : 67% des jeunes marseillais se disent prêts à quitter la ville. C'est la donnée majeure de l’enquête Ifop-La Marseillaise qui relève pourtant un paradoxe : 85% des 18-30 ans affirment aimer leur ville et quand on leur demande de se définir, 47% d’entre-eux répondent « Marseillais » spontanément et en premier lieu.

Le nœud du problème ne relève donc en rien du désamour mais réside, d'après le reste des résultats, dans le manque de perspectives, les difficultés du quotidien et tout particulièrement l’impossibilité de trouver un emploi (60%).

Si 52% des jeunes citent le cadre de vie (paysage, ensoleillement, climat) ou la présence dans la ville de leur famille (58%) comme des raisons qui les inciteraient à rester à Marseille, ils s'accordent pour regretter le manque de perspective d’avenir. 25% seraient prêts à tenter leur chance à l’étranger, 10% dans une autre ville du département, 9% dans une ville de la région, 10% dans une ville du reste de la France et même 4% dans la rivale parisienne.

La génération Gaudin attend qu'on la retienne

Après le manque d'emploi, l’insécurité est citée par 35% des jeunes interrogés, de même que le sentiment que Marseille est en déclin (33%) comme étant à la source de leur envie de prendre le large.

La génération Gaudin attend qu'on la retienne et le soleil n’y suffira pas. Dans les prochains jours, La Marseillaise ouvrira largement ses colonnes aux jeunes eux-mêmes, aux acteurs de la vie culturelle et sportives et aux responsables politiques pour engager le débat et apporter des solutions. 

Léo Purguette

"Leur première raison de partir est l'emploi"

Les résultats sont préoccupants pour Marseille. Je suis frappé par le décalage entre une forte identité marseillaise et une envie de départ pour 67% d'entre-eux. 

Frédéric Dabi, IFOP

« 33% des jeunes ont le sentiment que Marseille est en déclin.

Entretien avec Frédéric Dabi, politologue et directeur général adjoint de l'Ifop. Il analyse les résultats de l’enquête réalisée pour « La Marseillaise ».

Comment avez-vous procédé pour cette étude ?

La méthodologie de l'enquête est très fiable. Nous avons composé un miniMarseille de 508 jeunes entre 18 et 30 ans, en tenant compte des tranches d’âge et des sexes et en travaillant par quotas dans tous les arrondissements. Nous avons réalisé ces entretiens en face à face.

Que retenez-vous de cette enquête ?

Les résultats sont préoccupants pour Marseille. Je suis frappé par le décalage entre une forte identité marseillaise et une envie de départ pour 67% d'entre-eux. Quand on demande aux jeunes comment vous définissez-vous, il est rare que l’on cite sa ville en premier. C’est le cas ici chez les jeunes qui se définissent à 47% comme Marseillais avant tout. Donc une identité revendiquée, forte, mais plutôt nostalgique, liée à la ville, à sa famille, mais qui ne permet pas pour autant une projection dans l’avenir. J’ajoute que 59%des jeunes s’imaginent vivre hors de Marseille dans les cinq prochaines années, c’est à dire à un horizon temporel de court terme.

Quels sont les motifs d'insatisfaction chez les jeunes ?

Ce qui est saisissant c'est que cette insatisfaction est majoritaire dans presque tous les domaines. 59% quant à la possibilité de trouver un emploi. 65% sur la sécurité, 65% s'agissant de la politique de la jeunesse, 67% sur la lutte contre la corruption, 71% pour la lutte contre la criminalité, 83% sur les déplacements... Ce sont des chiffres très hauts si on les compare aux autres grandes villes françaises.

Ces sujets de mécontentement sont-ils autant de raisons de partir ?

Pas dans les mêmes proportions. La première raison qui inciterait les jeunes à partir de Marseille est clairement l'impossibilité de trouver un emploi pour 60% des jeunes interrogés.

À l'intérieur de la jeunesse avez-vous relevé des contrastes dans les réponses ?

Oui. Il y a plusieurs clivages. Un clivage géographique, avec plus de jeunes enclins au départ dans les arrondissements du Nord et de l'Est. Un clivage social avec 69% des ouvriers et 84% des jeunes en recherche d’un premier emploi qui sont prêts à partir . Des chiffres nettement au dessus de la moyenne déjà haute de 60%. Un clivage d’âge aussi. Les 25-29 ans sont 55% à être prêts à quitter Marseille pour un emploi contre 64% des 18-24 car c’est le moment de l’insertion dans la vie active qui ne se fait pas. Enfin, un clivage de genre. Parmi les 47% de jeunes qui se définissent en premier comme Marseillais, il y a en effet un écart entre les hommes avec 55% et les femmes avec 39%.

Comparés à ceux des autres grandes villes, les Marseillais présentent-ils des différences majeures ?

Le sentiment d'appartenance est beaucoup plus marqué que pour les Parisiens ou les Lyonnais. Ils sont aussi plus sévères avec leur ville, c’est très net par rapport aux Lillois par exemple. Dans l’ordre des raisons qui inciteraient les jeunes marseillais à quitter la ville, il y a l’emploi, l’insécurité et ensuite le sentiment que Marseille est en déclin à 33%. C’est un élément très important qui empêche les jeunes de se projeter dans un avenir sur le territoire. À Bordeaux (dont Alain Juppé est le maire ndlr.), ce n’est pas du tout le même ressenti. Pour se projeter dans une ville, il faut un cadre de vie, une action municipale et une incarnation. 

F.D. et L.P.

"Je ne me projette pas ici, ni même en France"

Au centre de formation de l'Association départementale d’études et de formation (Adef), les jeunes donnent suite à l’enquête. Ils expliquent à la Marseillaise comment ces questions d’avenir résonnent en chacun d’eux.

« C'est rare que les médias nous donnent la parole », intervient Maëva, 18 ans, en ouvrant l’édition de mercredi. « Quand on met des jeunes à la Une, c’est pour les trafics ou pour le foot. Là, c’est nos vies, des questions qu’on se pose », apprécie la jeune fille. Loin d’intimider ces jeunes en formation, la présence de La Marseillaise au sein de la classe de bac pro délie les langues. Emmanuel se penche sur les graphiques et hoche la tête : « Je fais partie des 16% qui ne veulent pas quitter leur ville parce que je suis Marseillais avant tout, mais ça me parle les problèmes soulevés ». Pour la quinzaine d’élèves qui prend connaissance de l’enquête, « pas de surprise » à la vue des chiffres.

Selon Lauriane, 22 ans, la raison première de prendre le large tient bien à la recherche d'emploi, de formation. « Si on s’en va c’est pour trouver ce qu’on ne trouve pas ici ». L’offre est trop maigre et « beaucoup d’écoles sont privées » déplore cette apprentie graphiste qui veut mettre toutes les chances dans la balance : « il faut un max de bagages pour affronter un employeur, je vais jusqu’à la licence même si je dois partir pour ça ». Dans la même formation, Mégane, née à Marseille, n’a pas d’hésitation : « La ville est devenue trop pénible, conformiste. Je pense à la Nouvelle Zélande, pour le dynamisme et le travail graphique à la pointe ».



Contrairement à ses camarades, Emmanuel refuse de conditionner sa vie à l'emploi. Il a choisi sa filière : « Dans la climatisation, il y a des offres ici ». Maëva, quant à elle, trouve l’idée de se projeter dans l’avenir « un peu angoissante ». Elle a donc privilégié « la sécurité » et postulera à un concours de la fonction publique.

Mieux desservie, plus verte

Pour Souhela, 26 ans, en bac pro gestion administrative, « bouger est compliqué quand on a un enfant ». La jeune maman a enchaîné les CDD, les emplois avenir et autre « aide à la personne » pour pouvoir rester dans la région. Sa solution pour sortir des contrats précaires tout en restant sur place : « avoir un logement agréé pour être assistante maternelle ».

Originaire des Hautes-Alpes, Nicolas Le Roy ne restera pas « dans une ville sale, trop dense » où « les jeunes sont mal vus, les gens mal polis » et où « on vit l'enfer dans les transports collectifs ». C’est avant tout « un style de vie » que cet amoureux du grand air recherche. « Je fuis le côté métro, boulot, dodo ». Il pense à l’Afrique, l’Inde. De même, la ville « répugne » la jeune Vicky, de Brignoles, qui a « senti la pollution à la sortie du train » et souligne le manque d’espaces verts.

Marseille perd sa jeunesse. Ses retards en infrastructures handicapent les jeunes qui rêvent « d'une ville bien desservie, avec des espaces verts et du respect » décrit Céline, 22 ans. 

Myriam Guillaume

Du centre-ville à la Busserine, leurs pistes pour rester ici

En prise avec le problème, les témoins interrogés par « La Marseillaise » sont unanimes : la question de l'accès à l'emploi est le problème central pour les jeunes de Marseille. Mais qu'est-ce qui pourrait donc les faire rester ?

Jeunes et moins jeunes, travailleurs précaires ou sans emplois, acteurs associatifs, du monde sportif ou culturel. S'il y a bien une chose sur laquelle les Marseillais que nous avons interrogés s’accordent, c’est que l’enquête parue mercredi dans La Marseillaise « colle parfaitement à la réalité ». À leurs réalités, dans lesquelles s’entrechoquent deux constats : « L’attachement viscéral à Marseille » mais aussi « le manque criant d’embauches » dans leur ville.

Moubarak Abdallah dépasse à peine la tranche d'âge des 18- 30 ans. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il en a vu défiler des jeunes, pour un grand nombre passés par les terrains du club de football de l’Association Sportive Busserine dont il est le président depuis 5 ans. Il abonde dans le sens de l’enquête : « Les jeunes de mon club travaillent beaucoup à Fos ou Martigues. Il n’y a pas beaucoup d’emplois sur Marseille. Après on ne va pas se mentir, ici, on n’est pas jugé sur ce qu’on fait mais plutôt à travers ses connaissances ». Une propension des employeurs au « piston » « propre à Marseille », corroborent les habitants du centre-ville, Adel et Antony, 28 et 29 ans, respectivement en quête d’emploi dans le secteur « transport-logistique » et en CDD dans une banque. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le chômage chez les jeunes dépasse les 15 % à Marseille alors qu’au Havre, on est sur du 6-7% », rappelle le premier, comparant ainsi deux ports avec lesquels il a pu travailler. Tout en mentionnant le fait qu’il a dû faire le cursus de son BTS transport à ... Égletons, en Corrèze. Avant d’en préciser les raisons : « Je suis passé par l’AFPA. Si je voulais le passer à Marseille, il y avait une année d’attente ».

Titulaire d'une licence en marketing et management effectuée en Belgique il y a quelques années - « à Marseille, il n’y avait pas beaucoup de licences professionalisantes proposées par les écoles et les entreprises » - Antony explique : « Quand je suis revenu ici, je me suis retrouvé à faire des jobs sans rapport avec mes études. Et quand tu trouves des offres qui correspondent, tu passes des entretiens d’une journée entière avec 15 autres candidats. » Il finit par déplorer : « Quand tu arrives, ils t’expliquent qu’ils ne recrutent que des enfants de salariés. Qui sont parfois au-dessus de toi hiérarchiquement. » Autant d’exemples illustrant l’urgence, pour la Ville, de ne pas laisser la jeunesse à l’écart.

« Il faudrait améliorer le réseau des transports dans la ville, aider les entreprises à s'installer ici tout en faisant en sorte qu’elles acceptent la mixité », espère Latifa Remadnia, directrice de l’Association de Promotion de l’Espace Culturel Busserine. Une structure dans laquelle elle encadre notamment des ateliers de pratique artistique auprès de jeunes des 13e et 14e arrondissements. « Hormis pour trouver des boulots type Mcdo, les jeunes de nos quartiers, même diplômés, galèrent. Certains sont tentés d’aller à Dubaï. Ils postulent par Internet. S’ils savent parler l’arabe et le français, ils sont acceptés à 80 %. Marseille est la porte de l’Afrique. Et pourtant, on dirait que les employeurs sont plus ouverts à Paris », ajoute-t-elle.

Moubarak Abdallah réaffirme pour sa part la nécessité de « donner les moyens aux associations duterritoire, à condition qu'elles le méritent. C’est le système clientéliste qui a tué les quartiers. Et il faudrait aussi plus de mixité. Mélanger les familles dans les quartiers, ne plus parquer les pauvres entre eux », énumère-t-il, indigné. En résumé, mépris social, racisme structurel et piston piratent le fonctionnement de Marseille ainsi que l’embauche dans les entreprises établies. Habitant du centreville, Adel émet une solution : « les pouvoirs publics devraient imposer des critères de sélection aux entreprises selon l’âge, le secteur et peut-être même les origines, bien sûr dans la mesure où les gens sont qualifiés », indique-t-il à propos des marchés publics notamment. « Avec le modèle libéral, l’État est de moins en moins sur le dos des entreprises. Il faudrait plus les fliquer sur la réception des CV par exemple », conclut-il. 

P.A.

Comment Marseille 
peut-elle retenir 
sa jeunesse ?

Le maire, Jean-Claude Gaudin et quatre personnalités politiques réagissent et livrent leurs solutions face à l'exode programmé de la jeunesse marseillaise.

Jean-Claude Gaudin, maire LR de Marseille et président de la Métropole AixMarseille-Provence, réagit aux résultats de notre enquête. En défendant son bilan, il tente de tempérer l'ampleur du phénomène. Et contredit le sentiment de 33% des jeunes selon lequel « Marseille est en déclin ». Lui, qui insiste sur les grands projets économiques, le développement du tourisme et la création des zones franches urbaines, estime que le territoire est sur de bons rails, et qu’il faut maintenant plus et mieux y associer la jeunesse.

Clivages

De son côté, Renaud Muselier, l'actuel président LR de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui fut son premier adjoint durant les deux premiers mandats est en revanche cinglant. Sur le ton qu’il a adopté vis à vis du maire depuis le début de l’année, il tacle « ceux qui devraient présenter des excuses » en se plaçant dans le camp « du renouveau ». Il appelle à développer l’apprentissage et à agir contre l’insécurité, citée par 35% des jeunes comme une des raisons qui les inciteraient au départ, car « on ne peut pas tout attendre de l’État ».

Le sujet préoccupe également Samia Ghali, sénatrice PS et exmaire des 15-16. Elle préfère parler du bilan de « la majorité » plutôt que de « Jean-Claude Gaudin tout seul ». Elle met l'accent sur le manque de vie dans la ville. Un problème qu’elle préconise de traiter « dès le plus jeune âge » en développant les équipements et les activités disponibles.

Martine Vassal, la présidente LR du conseil départemental, se garde bien, quant à elle, de critiquer le bilan de celui qui est le président de l'association qui la soutient. Elle met en avant les actions entreprises pour la jeunesse par le Département et se projette dans le futur du territoire en affirmant sa candidature à la présidence de la Métropole en 2020. Son credo ? Ne pas chercher à retenir les jeunes mais à leur donner le choix de rester.

J e a n - M a r c C o p p o l a , conseiller municipal PCF, dénonce pour sa part les logiques libérales qui laissent une partie des jeunes sur le bord du chemin voire qui en fait les cobayes de la précarité. Il appelle à faire le choix de la mixité scolaire, du développement industriel, des transports publics de l'ouverture au monde, « pour donner à ces jeunes les moyens de construire un projet de vie ». 

L.P.

« Je veux associer la jeunesse au mouvement de ce territoire »

D'après notre enquête Ifop-La Marseillaise, 67 % des jeunes Marseillais se disent prêts à quitter la ville, quelle est votre réaction ?

JC. Gaudin : Soyons prudents ! En dépit du sérieux des instituts de sondage, la lecture et l'interprétation sont à géométrie variable. Je relève ainsi, dans vos résultats, que près d’un jeune sur deux se définit tout d’abord comme Marseillais, ce qui révèle un fort sentiment d’appartenance à une ville avec laquelle ils sont légitimement sévères et exigeants. Nous partageons avec eux ce désir d’exemplarité et nous multiplions les actions avec Aix Marseille Université, qui est la plus grande université francophone avec ses 78 000 étudiants. Nos liens avec les acteurs socioéconomiques pour favoriser l’innovation et l’insertion professionnelle fonctionnent puisque 87% des étudiants trouvent un emploi après leur master ou leur licence. Après, le fait que les jeunes étudiants envisagent des expériences ailleurs que sur leur territoire de formation me paraît relever d’un désir de mobilité commun à la jeunesse dans son ensemble et parfaitement normal, partout en France et pas seulement à Marseille, à l’heure de la mondialisation et des facilités de transport.

Les jeunes d'aujourd’hui sont la « génération Gaudin », 85 % d’entre eux déclarent aimer leur ville. Comment expliquer le décalage entre ces deux chiffres ?

J-C. G : Cette statistique confirme mon raisonnement, à savoir que pour s'enrichir et approfondir leurs connaissances, les jeunes misent sur des stages ou des expériences professionnelles dans d’autres régions, voire d’autres pays grâce aux programmes d’échanges d’étudiants et d’enseignants entre les universités ou les permis vacances/ travail.

C'est bien, on s’enrichit toujours en multipliant ses expériences. Leur attachement profond à leur ville les pousse ensuite logiquement à revenir chez nous pour trouver des emplois correspondant à leur formation. D’où la nécessité pour nos collectivités de soutenir l’aide les entreprises et l’emploi en cimentant toutes nos filières d’excellence et en développant notre attractivité internationale.

Comment les retenir et ouvrir pour eux les perspectives d'avenir ?

J-C. G : L'emploi reste le maître-mot pour capitaliser sur l’excellence de nos formations. Dans cette optique, j’ai souhaité depuis 1995 soutenir nos entreprises et développer l’attractivité économique des quartiers Nord en y créant deux zones franches urbaines en 1997 et 2004. Plus de 13 000 emplois y ont ainsi été créés, pendant que nous investissions aussi plus de 600 millions d’euros dans les 3e, 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements pour la réalisation d’équipements culturels, sportifs et sociaux. Sans parler de l’école de la Deuxième chance qui va fêter ses 20 ans en ouvrant prochainement une nouvelle antenne. Nous avons aussi fortement développé la filière touristique qui offre des emplois à tous les niveaux de qualification, dans les domaines de la culture, de l’hôtellerie, de la restauration…

Une majorité relative (28%) se déclare « indifférente » à l'état de la société. Comment redonner goût à la vie citoyenne, à la chose publique ?

J-C. G : Même si l'engagement, quel qu’il soit, vient le plus souvent avec le temps, ce résultat est selon moi davantage lié à une tendance générationnelle qui s’observe partout. Peut-être serait-il temps que les hautes sphères politiques au niveau de l’Etat engagent une véritable réflexion citoyenne sur le sujet. Par ailleurs, l’ampleur prise par les réseaux sociaux nécessite que l’on étudie leur impact sur la société et, plus précisément, sur la manière dont les jeunes les utilisent aujourd’hui pour s’engager.

Quel est votre message sur l'avenir du territoire à la jeunesse marseillaise ?

J-C. G : C'est un message d’enthousiasme, d’espoir et de confiance dans l’avenir car nos 92 communes, première zone exportatrice vers la Méditerranée, se donnent les moyens de voir loin, avec de grands projets à l’échelle internationale comme Iter, Euroméditerranée, les labels French Tech et French Fab, le technocentre Henri-Fabre, le réseau d’entreprises Marseille Immunopole ou encore la plateforme industrielle d’innovation Piicto. Je souligne aussi notre volonté de développer les énergies vertes du futur avec l’éolien offshore ou la filière hydrogène. La force de notre territoire consiste justement à offrir un panel d’offres d’emplois extrêmement fourni et pérenne dans des secteurs d’activités en développement. S’ajoutent bien évidemment l’attractivité touristique de notre territoire, qui s’appuie sur un patrimoine unique, un climat privilégié, des événements mondiaux, un tourisme d’affaires en plein développement et les retombées économiques du premier port de croisières français. Ces atouts, parmi tant d’autres, doivent permettre à la jeunesse d’envisager de participer ou de s’associer à ce mouvement sur ce territoire auquel ils sont tant attachés.

Vous avez annoncé votre volonté de ne pas vous représenter, voyez-vous aujourd'hui à Marseille une nouvelle génération politique se dessiner ?

J-C. G : En 2017, avec la mise en place de l'interdiction du cumul, j’ai décidé de laisser ma place au Sénat après 40 années d’activité parlementaire. En choisissant de rester maire de Marseille et président de la Métropole Aix-Marseille-Provence, j’ai voulu mettre chaque jour toute mon énergie au service de cette ville et de son aire urbaine pour leur offrir toutes les perspectives qu’ils méritent. Parallèlement, j’ai déjà impulsé une nouvelle génération de quadragénaires. Nous verrons d’ici 2020 lequel ou laquelle d’entre eux saura rassembler pour faire en sorte que notre majorité conserve la mairie. C’est ma volonté et ma priorité. Mais au final, ce sont les Marseillais qui choisiront le prochain maire. Propos recueillis par Léo Purguette

De droite à gauche, des solutions tous azimuts

« Créer une attractivité pour leur permettre de choisir leur avenir »

Martine Vassal (LR)
présidente du conseil départemental

« Cette enquête livre un constat décevant, affligeant. Ce qui me rassure un peu dans ce sondage, c'est l’amour des jeunes pour ce territoire. On a au moins pu le leur inculquer. Je crois qu’il y a d’abord une inadéquation entre les formations et les offres d’emplois qui empêchent les jeunes de trouver une perspective d’avenir. Et si je suis votre sondage, ils se sentent obligés de partir pour trouver en job alors que leur attachement est ici. Depuis 3 ans que je suis en responsabilité au conseil départemental, j’ai ajouté un pilier, celui de la jeunesse à notre politique parce que les jeunes sont notre avenir, parce qu’on travaille pour eux. L’important pour moi est de leur permettre de choisir leur avenir. Aujourd’hui ils ne l’ont pas.

3 points de plus de chômage sur ce territoire sont une réelle difficulté. En tant que présidente du conseil départemental, j'ai essayé de mettre en place une coopération entre tous les acteurs politiques et économiques. J’ai financé des plans, notamment le plan Charlemagne pour les collèges qui représente 2,6 milliards d’euros sur 10 ans. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de Départements à avoir investi autant dans la construction, le numérique, les actions éducatives. Pourquoi ? Parce que le collège c’est là où ça passe ou ça casse. 

« On a embauché 300 personnes quand le gouvernement a décidé de couper les contrats aidés »

C’est fondamental que nous soyons aux côtés de ces jeunes pour leur donner la meilleure scolarité possible qui prépare leur vie d’adulte. On a embauché 300 personnes quand le gouvernement a décidé de couper les contrats aidés. Nous avons mis en place de nombreuses actions et je suis particulièrement attachée au conseil départemental des jeunes dont les membres sont choisis parmi les collégiens. Il nous a remis son rapport jeudi qui démontre qu’ils sont de très bons ambassadeurs du territoire.

Pour le futur, il faut faire cesser l'éloignement entre le monde politique et le monde économique. Si lors des prochaines échéances de 2020, notamment au niveau de la Métropole, les électeurs me font confiance, je conjuguerai ce qui se fait au niveau départemental et au niveau métropolitain pour offrir à ces jeunes des filières et des débouchés professionnels. Ma propre fille a eu son bac, est partie à l’étranger, et puis elle est revenue. Elle est attachée à sa ville mais surtout, elle a eu la chance de pouvoir trouver un travail sur place. Ce constat date mais il dure. Certains tombent dans la facilité, les familles ont du mal à les en sortir. Je suis convaincue qu’il n’y a pas de fatalité, c’est à nous les institutions de créer de l’attractivité pour leur donner du travail. Je dis à tous les jeunes : vous avez raison d’aimer Marseille, c’est un territoire qui en vaut la peine. Si je me suis engagée, c’est pour changer les choses et leur permettre d’avoir le choix de leur avenir ». 

L.P.

« Il faut voir le malaise et la soufrance en face »

Renaud Muselier (LR)
président de la Région Sud PACA

« Les résultats de cette enquête sont affligeants, ils me désolent mais ils m'étonnent peu. Ils devraient surtout alerter tous ceux qui ont pris la responsabilité de laisser le désespoir être aussi présent dans la ville. C'est vraiment un sentiment de gâchis. Quand en début d’année, j’ai parlé de deux mandats de trop je le pressentais. C’est la rançon d’une politique sans ambition et d’une gouvernance médiocre. Ce laisser-faire, ce manque de volonté politique, cette autosatisfaction benoîte, ce manque de vision ont produit des résultats déplorables. Je lis « j’aime ma ville et je pars », J’aurais préféré lire « J’aime ma ville, j’y vis, j’y reste ».

À l'heure où certains devraient présenter leurs excuses, il appartient au camp du renouveau de présenter des solutions pour éviter la poursuite de cette catastrophe tout autant qu’une aventure politique extrémiste. Avec d’autres j’y travaille car croire qu’on peut éviter les extrêmes en continuant à ne pas voir le malaise et la souffrance, on se trompe. Bienvenue à tous ceux qui croient à Marseille. Il faut une nouvelle dynamique pour la ville et je vais y apporter ma contribution.

« Il appartient au camp du renouveau de présenter des solutions pour éviter la poursuite de cette catastrophe »

Honnêtement ces jeunes, je peux les comprendre. L'absence d'énergie, de volonté, pèse. Je crois que nous sommes dans une fin de règne extrêmement difficile pour la population en général et la jeunesse en particulier. Quand on est jeune on a faim et soif d’avenir. On a envie de dévorer le monde. Ils ont l’impression de ne pas pouvoir s’épanouir à Marseille. La classe politique se doit d’avoir de l’ambition en termes de développement économique, d’emplois, de formation. C’est ce j’essaye de faire à la Région. Nous avons l’objectif de porter le nombre d’apprentis de 32 000 aujourd’hui à 50 000 en fin de mandat parce que les jeunes qui entrent en apprentissage ont 95% de chances d’avoir un emploi. Mais aujourd’hui le gouvernement, croyant bien faire, est en train de casser la filière de l’apprentissage. Sur la sécurité, qui apparaît comme un élément important dans le sondage, chacun dans ses compétences peut agir. J’ai en charge les trains, les parcs et les lycées. Nous avons mis en place une garde régionale de façon à apporter une partie de la réponse. Au delà des compétences régionales, j’ai financé le branchement des caméras de la gare Saint-Charles, au commissariat central. De manière générale, on ne peut pas tout attendre de l’État même s’il ne doit pas être défaillant.

Je veux dire aux jeunes : « La vie est devant ! Vous avez la chance d'être jeunes, de vivre dans un pays en paix, sur un continent en paix. Ayez confiance en vous, l’avenir vous sourira. Marseille ne doit pas perdre sa jeunesse, vous l’aimez, Marseille doit être à la hauteur de vos espoirs » ».

L.P.


« Réléchir avec les jeunes, les responsabiliser, les aider à construire un projet de vie »

Jean-Marc Coppola (PCF)
 conseiller municipal de Marseille

« Je retiens du sondage la fierté d'appartenir à Marseille qui est un repère commun dans un monde de plus en plus compliqué. C’est positif. Il y a aussi bien sûr, ce chiffre : 67% des jeunes qui se disent prêts à partir avec en préoccupation numéro 1, l’emploi. C’est la traduction de la précarité de vie, de la précarité sociale et du parcours du combattant auquel ils sont confrontés. La situation économique de Marseille est marquée par les conséquences de la désindustrialisation. C’est ce que nous avions pointé quand j’avais demandé le conseil municipal extraordinaire sur l’emploi. Le développement de l’emploi passera par le développement de l’emploi productif. Il y a de la place pour l’industrie liée à la mer, au Port, aux nouvelles technologies, à la recherche. Les jeunes qui n’ont pas de formation, pas de diplômes rencontrent des difficultés. Mais c’est aussi le cas pour ceux qui ont fait des études et qui subissent trop souvent une discrimination. Combien en ai-je rencontré qui, parce qu’ils ont un nom d’origine étrangère ou habitent un quartier populaire, sont stigmatisés ?

«Les grandes entreprises en contact avec la municipalité pour un marché doivent engager des jeunes du territoire»

Au-delà du jeune lui-même, les frères, sœurs, cousins, cousines qui le constatent se disent « à quoi ça sert de faire des études ? » Ça n'encourage pas à faire grandir l’estime de soi. Plus largement la situation économique est mauvaise. Ceux qui conduisent les politiques libérales n’ont aucune bienveillance pour les jeunes. Au contraire, ils expérimentent souvent sur eux la précarité qu’ils veulent généraliser à tous. Ils ont tort, les jeunes sont l’avenir. Il est crucial de les aider à construire un projet de vie. Ça passe par leur donner un statut social et de nouveaux droits à commencer par une formation de qualité et une ouverture sur le monde. À l’échelle d’une ville la première chose à faire c’est d’écouter les jeunes, de réfléchir avec eux et de les responsabiliser. Marseille est la seule grande ville de France où il n’y a pas de conseil municipal de la jeunesse. Ce n’est pas un gadget. J’en ai fait l’expérience au niveau de la Région.

Les jeunes connaissent leurs problèmes et sont à même de les pointer. Il faut un outil municipal unique et cohérent pour l'emploi et un volontarisme sur le développement économique. Les grandes entreprises qui sont en contact avec la municipalité pour un marché, un projet, un terrain, doivent s’engager sur la question des stages et des embauches locales. Je suis pour la mixité scolaire. Au lieu d’un lycée international, je propose des sections internationales dans tous les collèges et les lycées. Il faut faire cesser la stigmatisation de l’enseignement professionnel. Pourquoi ne pas mélanger les filières dans de mêmes établissements ? Les déplacements sont aussi un problème épineux. Il faut développer les transports et la gratuité pour les moins de 26 ans. Je dis aux jeunes que l’austérité c’est empêcher de voir l’horizon, de relever la tête. Pour en sortir, Marseille a besoin de leur énergie pour voir loin ». 

L.P.

« Quand on veut une carrière ici, oui c'est compliqué »

Samia Ghali (PS)
sénatrice et conseillère municipale de Marseille

« Je comprends aisément les résultats de l'enquête. Je suis aussi une maman. Je sais que la jeunesse a du mal à trouver sa place. Ce n’est pas qu’elle rejette Marseille, les jeunes disent souvent qu’il est plus agréable d’y vivre qu’ailleurs mais c’est surtout au niveau économique que le problème se pose. Quand on fait des études supérieures, c’est difficile de trouver un emploi. Les grandes boîtes sont dans la capitale, les sièges sociaux sont parfois même dans les grandes villes européennes. Quand on veut une carrière ici, oui c’est compliqué. Et puis sur un autre aspect, il faut le dire, quand on est jeune à Marseille il n’y a rien à faire. La jeunesse marseillaise sort aux mêmes endroits tout le temps. Pour d’autres jeunes, les discriminations ou la recherche d’une ouverture d’esprit peuvent aussi les pousser à vouloir partir.

« Il devrait y avoir des quartiers étudiants, des quartiers de jeunesse, de vie où on puisse se mêler à la masse étudiante »

La question des transports aussi compte beaucoup pour l'emploi mais aussi pour la vie sociale, les sorties, les amis. Quand on est jeune on a besoin de s’évader. Marseille est ressentie comme un village. Quand on a de l’ambition, on préfère aller ailleurs. Je connais beaucoup de Marseillais à Paris, à Londres... Il faut attirer des entreprises, des start-up dans des lieux dédiés. On a le chômage le plus élevé de France, ce n’est pas anodin. La sécurité aussi pose problème. Mercredi j’ai reçu la famille du petit jeune qui a été tué à l’Estaque. Vous vous rendez compte que le type l’a pris pour s’en servir de bouclier en pensant que les balles allaient s’arrêter au jeune ! Et pourtant c’était un travailleur. Ça fait peur. Les mamans me disent « on a un fils de 18 ans, on ne veut plus qu’il sorte ». Ce n’est pas possible !

Marseille ne calcule pas sa jeunesse, c'est vraiment dommage. Je suis pour une ville complètement connectée et vivante avec des lieux d’ambiance, des restaurants, des bars qui fonctionnent, qui peuvent mettre de la musique. Dans cette ville plus personne ne peut faire la fête. La façon dont on traite les étudiants est aussi un scandale. Il devrait y avoir des quartiers étudiants, des quartiers de jeunesse, de vie où même si on n’est pas étudiant on puisse se mêler à la masse étudiante. Il faut des équipements culturels à la mesure de Marseille. Quand on prend Lyon, Bordeaux, Strasbourg, on voit qu’ils ont compris ce qu’il fallait faire en la matière. Ici, le seul lieu qu’on a : le Dock des Suds, la ville est prête à le sacrifier et la Fiesta avec, il y a de quoi se poser des questions. Les équipements sportifs sont franchement obsolètes. Je veux dire à la jeunesse que Marseille a besoin d’elle. Même les personnes qui vieillissent ont besoin des jeunes. Il y a des choses à réfléchir sur le développement de l’emploi lié aux seniors. Marseille a besoin de l’intelligence des jeunes et de leur vivacité. Il faut que la ville redevienne attractive et repenser la vie dans la ville y compris dès le plus jeune âge. » 

L.P.

Notes

Textes : Léo Purguette, Frédéric Durand, Françoise Verna, Philippe Amsellem

Vidéos : Manon Ufarte

Vidéo de Marseille en drone : Nouha Hale (Chaîne Youtube ici )

Photos : Robert Terzian et Migué Mariotti

Infographies, cartes et mise en forme : Paul Goiffon

L'enquête commandée par La Marseillaise à l'IFOP est disponible ci-dessous