Il y a 40 ans, la difficile naissance du métro marseillais
En retard sur son temps
Inquiétant comme le Marseille d'il y a quarante ans résonne avec la ville de 2017... A se demander ce qui a vraiment changé pour notre usager marseillais toujours assis dans des rames toujours couleur orange « seventies ». A l’époque déjà, si l’arrivée du métro mettait enfin la cité phocéenne au niveau des autres grandes villes, ce dernier était l’objet des mêmes critiques qu’aujourd’hui. A la fin des années 70, on souligne à quel point le kilomètre de métro coûte cher à la municipalité faute d’engagement de l’État. Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé. Le réseau s’est étendu en surface mais avec des tramways et des bus à haut niveau de service (BHNS), moins chers à mettre en place. Et le plan de déplacements métropolitain peine toujours à être financé dans un contexte austéritaire. Autre réserve de l’époque : le tracé. Le réseau souterrain oublie les quartiers Nord notaient déjà politiques et syndicalistes. Là encore, le métro jusqu’à l’hôpital Nord reste un cheval de bataille, notamment des militants communistes de ce secteur. Pétitions et interventions dans les hémicycles n’ont pour le moment rien changé. « L’accès aux personnes handicapées reste d’actualité » Le maire des 15e et 16e arrondissements, Samia Ghali (PS) a bien obtenu de la métropole une étude de faisabilité jusqu’au lycée Saint Exupéry... Mais en tramway. Seule évolution notable : la mise en place de lignes de BHNS sans vraiment l’être, puisqu’elle ne sont pas toujours séparées du reste de la circulation.
L’accès aux personnes handicapées reste aussi d’actualité.
Faute de place, il reste impossible pour un usager en fauteuil roulant de prendre le métro au Vieux-Port. Sauf qu’aujourd’hui la saturation des axes routiers oblige à regarder la situation d’un autre œil. Au point que le patronat local insiste sur la nécessité de mettre en place des transports performants pour permettre aux salariés de se rendre au travail. Au point que la pollution atmosphérique entraîne la diminution de l’espérance de vie. Au point qu’il est devenu urgent ... De ne plus attendre encore 40 ans.
Mireille Roubaud
Aucun ministre pour l'inaugurer
Espéré, attendu, toujours repoussé, le métro de Marseille est né dans la peine. Defferre l'inaugure le 26 novembre 1977 en décochant des flèches.
Il n'a convié aucun ministre. « S’ils étaient venus, j’aurais dû me montrer désagréable » fait savoir Gaston Defferre, en inaugurant le 26 novembre 1977 à 9h38 le premier tronçon de la ligne 1 de ce métro qu’il a eu tant de peine à percer et qui le conduit à présent de la station la Rose à la gare Saint-Charles.
La date est historique. C’est la première ville à se doter du métropolitain après Paris en juillet 1900. Le chantier a été pharaonique. Il a fallu creuser 36 mètres sous la gare, l’équiper de l’escalator le plus haut d’Europe avec 19 mètres de dénivelé. Au printemps suivant, la ligne de 9 km le tout sur 12 stations atteint le Vieux-Port sous le niveau de la mer puis Place Castellane.
Ce 26 novembre, Defferre est heureux mais il grimace car Giscard lui avait promis d’en financer la moitié. Or l’aide n’a été que de 280 millions de francs (25%) sur une ardoise colossale de 1,250 milliard de francs. Comme c’est le jour des règlements de comptes, à son arrivée station Saint-Charles, Gaston Defferre dénonce aux micros qui se tendent une entente des industriels de la sidérurgie : « Le métro aurait coûté moins cher si nous n’avions pas dû payer les rails à un prix anormalement élevé. Nous nous sommes heurtés à une coalition des fournisseurs. » Plus de 100 000 Marseillais se jettent dans le métro gratuit pour le premier dimanche. Déjà fuse la critique du métro le plus cher avec un ticket à 3 francs l’unité ramené à 1,75 avec le carnet de six. La ville exonère certes les plus de 65 ans mais l’accessibilité aux handicapés pose déjà question ce qui vaut une volée d’injures du maire au journaliste Noël Mamère qui ose porter la contradiction.
Marseille en rêvait depuis la fin de la guerre. On envisageait déjà en 1883 de relier en « tramway souterrain » la gare de Noailles au cimetière Saint-Pierre. Les projets ont fleuri en 1920, 1937, 1943 et fané faute de sous. Sa construction est votée à l’unanimité du conseil municipal le 15 juin 1964. Les trémies de forage sont posées le 10 août 1973 aux Réformés. On abat la moitié des platanes de la place. Paul Gamaire, le responsable du syndicat CGT des traminots porte une critique restée valable : « Si la ligne couvre des banlieues populaires elle laisse totalement de côté le grand axe des quartiers nord pour lesquels le métro ne va rien changer ». La deuxième ligne du métro dans l’axe nord-sud arrive en février 1987 mais s’arrête à Bougainville.
Trente ans plus tard, le Nord de la ville attend toujours sa station.
Florent de Corbier et David Coquille
« On était les pionniers de ce nouveau mode de transport dans la ville »
Georges Labrousse, l'un des 30 premiers conducteurs du métro marseillais. Aux manettes pendant 8 ans, le fringant octogénaire natif et résident d'Allauch, retraité depuis 22 ans, confiesa fierté d’avoir participé à cette aventure et évoque ses souvenirs et habitudes toujours intactes.
Comment en êtes vous arrivé à devenir conducteur du métro?
Après avoir travaillé dans la métallurgie et la chaudronnerie, à 27 ans, je me suis dirigé vers les transports. Mon père travaillait déjà aux ateliers du tramway au dépôt des Chartreux. En 1963, j'ai conduit, pendant 15 ans ensuite, la ligne 41, à l’époque Saint-Giniez / Chartreux. Quand il y a eu l’opportunité de présenter le concours pour le métro, je l’ai fait. La circulation en surface devenait déjà de plus en plus difficile, la technicité m’a toujours attiré, j’avais des connaissances en électricité. J’ai beaucoup potassé avant. On était 200 candidats pour 30 places. J’ai fait partie de cette première fournée sur le tronçon La Rose - Saint-Charles. J’ai suivi trois mois de formation, on a été formés par des cadres partis en stage à la RATP. On a reçu au fur et à mesure les rames, on a commencé à les déplacer sur le site de La Rose, en connaissant toute la signalisation, les organes de la rame... Puis de la marche à blanc, en temps réel mais sans voyageurs.
Gardez-vous un souvenir particulier du premier jour?
Je n’ai pas d’anecdote précise, je ne me souviens pas de l’heure de ma prise de poste ce jour-là. Mais c’était totalement différent de la conduite en surface. Les gens se sont mis à courir rapidement comme des Parisiens, de peur qu’ils manquent leur correspondance ou, profitant de la rapidité du transport, se disaient "je vais pouvoir arriver plus tôt". Ils étaient un peu maladroits, essayaient d’ouvrir les portes malgré la sonnerie. Les gens étaient bougons ou réticents car les lignes de banlieue ayant été rabattues sur La Rose, il fallait descendre du bus, ce qui entraînait un rupture du charge vers le métro. Ça perturbait un peu les gens, mais après ils s’y sont fait.
Vous êtes resté 8 ans en poste, cela reste une fierté professionnelle?
Oui, j’ai participé à une aventure très enrichissante, on était les pionniers de ce nouveau mode de transport dans la ville. Des gars qui étaient de la première fournée n’ont pas pu rester car il ne se faisaient pas au métro, peut-être parce qu’ils ne pouvaient pas parler. Et il y en a qui s’ennuyait. Je ne m’ennuyais jamais car je calculais toujours des trucs que j’avais à faire, j’anticipais. Un peu comme le couvreur sur le toit, ça ne l’empêche pas de siffler ou de chanter.
On évoque souvent la « rivalité » entre les chauffeurs de métro et de bus...
Il y a toujours eu un antagonisme avec les conducteurs de surface mais plus eux envers nous, que nous à leur encontre. Certains n’ont pas osé franchir le pas. C’est vrai que sur la ligne 41, on changeait 2 ou 3 fois de genre de voyageurs : on avait des gens des banlieues qui le prenait aux Chartreux ou au cours Jospeh- Thierry, ensuite vous aviez ceux du Vieux Port qui allaient travailler rue Paradis, une clientèle différente comme les employés de banques, et puis, vous aviez les visiteurs qui se rendaient dans les cliniques ou vers les consulats, donc on vous demandait une foule de renseignements toute la journée. C’était agréable. Dans le métro, le contact direct avec les clients manque, si ce n’est la radio avec le poste de commandement.
Vous prenez encore le métro aujourd’hui?
Cela m’arrive de temps en temps. Je suis venu vous voir en métro. J’ai laissé ma voiture à la Croix-Rouge, j’ai pris le 2 puis le métro. Je ne m’enquiquine pas à venir en ville avec le stationnement, les embouteillages. On a gardé les réflexes, bien que les conducteurs ne sont plus ceux que j’ai connus. Je reconnais les rames que j’ai conduites. Il m’est arrivé de monter dans la loge en faisant signe au conducteur. On garde les réflexes. Quand je suis passager, je ne prends pas le métro comme tout le monde. On est attentif, on se met à la place du conducteur dans la loge.
Le métro a-t-il bien vieilli?
Les premières années, on avait des sièges très inconfortables, il y a avait des courants d’air de partout. Quand vous vous engagiez dans les tunnels, vous poussez l’air devant, qui cherche à entrer. Les portes étaient des passoires, on se gelait. Ça s’est bien amélioré. On a essuyé les plâtres pour tout.
Avez-vous eu à gérer un grave accident?
Non, je n’ai pas eu d’incident ni eu d’évacuation à faire. Je me souviens d’épisodes de quelques chiens perdus sur les quais qui pouvaient sauter sur les voies. Il fallait ensuite les attraper au lasso! Une fois, j’ai assisté à un suicide d’une dame d’environ 40 ans à la station Périer mais j’étais passager et attendais sur le quai. Cela m’a beaucoup touché. C’est d’ailleurs moi qui ai actionné le bouton pour couper le courant car, peu de gens le savent, mais il y a une armoire de sécurité sur chaque quai avec ce bouton. Je m’y installe toujours à côté dès que je suis sur un quai.
Réalisé par Florent de Corbier
Plongée dans l'atelier du métro, le garagiste des rames du réseau
À l'occasion des 40 ans du métro, la RTM nous a ouvert les portes de l’atelier à la Rose, qui entretient les 36 rames du réseau. Visite guidée avec Michel Melicucci qui chapeaute une équipe d’une cinquantaine d’agents.
Terminus du métro ligne 1 à la Rose. Les derniers passagers vident la rame. Une fois désertée de ses voyageurs, elle poursuit pourtant un autre voyage. Celui-ci est variable en fonction des heures de la journée ou des éventuels ajustements techniques à réaliser dessus. Quand la rame ne repart pas dans le sens inverse, elle peut être amenée à stationner dans l'atelier du métro. Un immense bâtiment jouxtant la station la Rose qui nous a ouvert ses portes avant-hier. Une cinquantaine de personnes sont chargées de l’entretien des 36 rames, qui sillonnent les 28 stations et les 21,5 km du réseau. Quand on affiche 40 ans au compteur, le suivi est de rigueur. « Il y a trois parties, expose Michel Melicucci, chef de l’atelier.
La première, c’est la maintenance, une révision programmée tous les 7 500 km, un peu comme le contrôle technique d’une voiture. Il y a la partie dépannage et enfin celle de la réparation d’organe. » Chaque pièce déposée est étiquetée avec un code couleur qui change en fonction de l’avancement de la réparation. « On s’est beaucoup amélioré sur la qualité du service avec la certification ISO », vante le chef d’atelier. Chaque mois, un bilan est effectué avec la partie exploitation. « On doit fournir 30 rames par jour, pendant l’Euro on tournait avec 35 et une fréquence d’1 minute 30 », rappelle Michel Melicucci.
En 40 ans, les rames ont tout de même évolué. « Au départ, il n’y avait que 3 voitures, deux motrices et une remorque. En 1983, on a ajouté une 3e motrice », retrace le responsable de l’atelier. Pilotage automatique, relooking intérieur des rames et des sièges, vidéo-surveillance, informations sonores aux voyageurs ont agrémenté la vie du métro, parfois brutalisé par les voyageurs (vitres, tags). Le système de fermeture automatique des portes est aussi mis à rude épreuve quand on essaye de les retenir, si ça casse, la rame ne repart pas », prévient-il.
D’ici à 2026, ce genre d’incident ne devrait plus se produire avec la grande opération de modernisation des rames et des quais. « L’atelier va se transformer, il va y avoir une technique différente et de nouvelles formations », reconnaît le chef. Une période intense avec des rames mixtes en circulation. « Et au milieu on recevra la coupe du monde de rugby 2023 et les JO 2024, se projette-t-il. Mais on y arrivera ! »
Florent de Corbier
Un avenir certain
2017. Le métro fait son âge. Couleurs surannées, pas de climatisation, tout juste un soupçon d'informations vocales dans les rames et un matériel coûteux et difficile à entretenir. Décision a donc été prise de renouveler toutes les rames qui seront automatisées. Un chantier au long cours qui s’étalera en plusieurs phases de 2021 à 2026 avec la contrainte de maintenir l’activité du métro pendant les travaux. Près de 600 millions d’euros d’investissements sont annoncés pour à la fois installer des façades de quais pour protéger les voyageurs de la chute sur les rails ou changer les 38 rames. Quant aux quelques 120 conducteurs de métro, ils seront réaffectés dans d’autres services, la RTM louant volontiers leur « polyvalence ». Cette seconde vie du métro devrait s’accompagner de son extension.
Si les finances de la Métropole suivent, l'agenda de la mobilité retient trois projets : une extension de Dromel vers Saint-Loup, le prolongement du métro à Château-Gombert et la création d’une 3e ligne pour les secteurs difficiles à desservir en tramway (Belle-de-Mai, le Merlan, Endoume ou Bonneveine). Le réseau en serait presque doublé à l’horizon 2036. Pour l’heure, seul le prolongement de la ligne 2 au-delà de Dromel est dans les tuyaux : fin 2016, la Métropole a voté le lancement d’une étude d’avant-projet vers Saint-Loup (4,1km). Une variante y a été ajoutée pour atteindre l’ancienne usine Rivoire et Carret (4,6km). Les travaux pourraient débuter en 2022 pour une mise en service en 2026.
Florent de Corbier et David Coquille