Les semeurs d'avenir

À l'occasion du Salon de l'Agriculture, les représentants du monde agricole vont promouvoir l'excellence de nos filières régionales.

Le loup dans la bergerie

EDITO. Malmenés par des crises à répétition, les agriculteurs vont avoir une visibilité médiatique grâce au 55e Salon de l'agriculture. Mais l’heure n’est pas à la fête même si le rendez-vous de la porte de Versailles permet la mise en scène du savoir-faire paysan et notamment aux régions d’exposer les talents de leurs producteurs. Plusieurs menaces pèsent sur le monde agricole. La plus prégnante est un nouvel accord de libre échange que la France s’apprête à accepter. L’Union européenne est en effet en train de négocier avec les quatre pays du Mercosur – Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay – pour permettre l’entrée sur le continent de tonnes de viande à un prix inférieur de 30% à celle produite en France car issue d’animaux qui mangent des farines animales, alerte la FNSEA, pourtant pas le plus progressiste des syndicats. Le désaccord est profond avec le chef de l’Etat Emmanuel Macron qui croit au marché et s’apprête à donner le feu vert de la France. Une position politique en contradiction avec un discours qui assure vouloir défendre les agriculteurs.

UN ENJEU SANITAIRE

L'enjeu est également sanitaire au moment où l’affaire du lait infantile contaminé est encore dans les têtes. Car vu les coupes sombres dans les services publics, la répression des fraudes n’aura pas les moyens de contrôler la qualité de la viande importée. C’est surtout un modèle économique, le libre-échange, qui est en cause. Toujours selon la FNSEA, ce sont entre 20 à 25 000 exploitations qui sont menacées de disparition si l’Europe signe. Dans le même temps, 1400 communes vont sortir de la carte des zones défavorisées et seront privées d’indemnités compensatoires alors que ces aides permettent de maintenir l’activité pastorale. Ce n’est pas l’annonce d’un plan de 5 milliards d’euros qui va rassurer des agriculteurs qui attendent de l’Etat une loi garantissant leur métier et leur juste rémunération.

Françoise Verna

Devenir éleveurs 
à tout prix

TEMOIGNAGES. Au Salon de l'agriculture, quatre jeunes désignés « meilleurs bergers d’Occitanie » participeront à la finale nationale des Ovinpiades.* Rencontre avec trois d’entre eux. En dépit de la pénibilité, des revenus aléatoires, tous ambitionnent de s’installer comme éleveurs ovins. 


« On aimerait changer cette caricature qui nous colle à la peau. Celle de culs-terreux qui râlent tout le temps, alors qu'il y a plein de raisons de râler... », glisse Théo Buerlé. Né en Seine Saint-Denis d’un papa facteur et d’une maman standardiste, le jeune homme de 19 ans, qui a grandi en Seine-et-Marne, région de production de lait de vache pour le Brie de Meaux, suit depuis la rentrée dernière un BTS production animale à Lacapelle-Marival, dans le Lot. Formé en alternance, il fait l’aller-retour entre les bancs de l’école et l’élevage en bio de 180 brebis de race Causses du Lot, dans une ferme, près de Saint-Cirq-Lapopie.

Le mécontentement du monde agricole a en effet fait la Une, début février. En Haute-Garonne, dans le Tarn et l'Ariège, les agriculteurs ont manifesté contre la nouvelle carte des zones défavorisées et la perte de subventions européennes, souvent vitales pour des exploitations fragiles dans des territoires difficiles. Sans parler du nouveau plan loups, qui ne règle en aucun cas le problème des éleveurs...

« Je voulais un métier en contact avec l'animal »

Qu'à cela ne tienne. Après un trimestre en 2nde générale, Théo n’a eu qu’une envie : prendre la clé des champs. « Je voulais un métier en contact avec l’animal », dit-il.

Si l'éleveur amène ses brebis (dites allaitantes pour la production de viande, ou laitières pour le lait) dans des parcelles clôturées pour les faire brouter, ou sur de grands espaces nus, comme dans les Causses; il est également amené à les manipuler. « On les trie par exemple avant la lutte, c’est-à-dire la reproduction. Un mois et demi en amont, on repère les brebis trop maigres, et on essaie de les retaper.Trop chétives, elles perdraient leur agneau... », illustre Océane Benoît. Née à Béziers (Hérault), la jeune femme de 21 ans n’appartient pas non plus à une famille d’agriculteurs. Formée à bac pro canin/félin, elle a d’abord « découvert les chiens de troupeau, puis l’élevage de moutons. » Aujourd’hui en apprentissage au lycée agricole La Vinadie à Figeac (Lot), elle vise l’obtention d’un certificat de spécialisation ovins. C’est aussi le cas de Rémy Roux, 18 ans, le seul des trois à être fils d’éleveur. Son père – lui-même fils d’agriculteur – élève 550 brebis dans le Lot, « une exploitation moyenne » pour la production d’une Indication géographique protégée « Agneau fermier du Quercy ». En plus de cette activité, il travaille dans l’entretien d’espaces verts.

« Pas de garantie de revenus »

La pénibilité du métier d'éleveur ? « J’en suis conscient, mais cela ne m’embête pas », répond Théo. L’amplitude horaire, le peu de vacances ? « On nous apprend à gérer au mieux le troupeau pour se dégager un peu de temps libre. » Même « si employer un remplaçant afin de s’occuper des animaux se pratique dans l’élevage, convient Océane, un éleveur a toujours l’appréhension de laisser ses animaux. Il a peur que cela ne se passe pas bien. Ce sont nos bêtes, on les aime. Et nos bêtes, c’est notre salaire. » Pas encore en activité, Océane ne se fait cependant pas d’illusions sur son futur niveau de vie. « L’ovin, c’est très difficile d’en vivre. Le cours de la viande fluctue, et quand les agneaux ne paient pas, il n’y a pas beaucoup d’argent qui rentre... » Théo renchérit : « Dans ce métier, on n’a pas de garantie de revenus. Cela fait peur, mais pour contrer cela, il faut faire de la qualité, du bio, du label, vendre en circuit court pour mieux valoriser sa production. » Rémy tempère : « On n’est jamais payé pour le travail réalisé. On essaie de diminuer le coût de production, mais le prix par carcasse, 6 euros le kilo en France contre 3 à 4 euros pour l’agneau de Nouvelle-Zélande, n’augmente pas... ».

Et pourtant. Océane, Théo et Rémy n'imaginent pas faire autre chose. Tous mettent en avant ce plaisir « d’être dehors. Vivre en lien avec la terre, dans l’alternance des saisons. Prendre soin des brebis. Avoir une certaine liberté. Etre son propre patron. » Levés tôt, ils sentent, le soir venu, la fatigue gagner tout leur corps. Mais ils ont, une journée encore, senti le vent et le soleil sur leur visage, et leur regard a embrassé un vaste espace... 

Catherine Vingtrinier

 l * 4e édition de ce concours mis en place par la filière ovine pour susciter des vocations.

« Les circuits courts, notre fer de lance »

Entretien avec Claude Rossignol, président de la Chambre régionale d'agriculture Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il sera présent en début de semaine au Salon de l'agriculture. Un rendez-vous important pour mettre en avant l’excellence de la filière agricole provençale, mais aussi interpeller sur les difficultés qu’elle rencontre.

Quels sont les atouts de notre région que vous voulez promouvoir à l'occasion du salon ? 

D’abord, on est l’une des premières régions en terme de signes de qualité, AOP, IGP... C’est quelque chose qu’il faut mettre en avant. On est aussi l’une des premières en terme d’agriculture biologique avec environ 20% de nos agriculteurs concernés. On a une agriculture diversifiée avec beaucoup de production de fruits et légumes, de vins, le second élevage ovin de France... Il est vrai qu’on vit dans une région qui, vue de loin, semble « peu agricole » parce qu’elle est noyée dans la masse économique, mais on n'a pas à rougir de nos filières, au contraire, car elles représentent 40 000 équivalents temps plein et 3 milliards et demi de chiffre d’affaire. C’est pour ça qu’il est important que nous soyons à Paris, au même titre que les autres régions.

Sur quelles difficultés spécifiques sera-t-il important d'alerter les personnalités présentes ? 

Il y en a une qui nous inquiète fortement : j’ai entendu le président de la République essayer de rassurer les jeunes agriculteurs à Paris, mais moi il ne me rassure pas plus que ça, sur l’arrivée du Canada et les accords de libre échange. L’agriculture est le fleuron de notre région. J’ai peur qu’avec des accords comme ça, on devienne les dindons de la farce. Face aux produits qui vont nous arriver n’importe comment, je crains que ces signes de qualité soient mis à mal.

Il y a aussi la concurrence des autres pays, notamment celle de l'Espagne. Est-ce que nos produits tiennent bon, en face ? 

Il y a une demande très forte des consommateurs en produits de qualité et tracés. On développe beaucoup de circuits courts avec l’aide des collectivités. C’est le fer de lance de la chambre d’agriculture. Par exemple, on fait beaucoup de salons, on accompagne les agriculteurs sur les marchés, on essaie de mettre en place des programmes dans les cantines des écoles, de « rééduquer » les enfants à une consommation plus saine et plus proche d’eux. C’est grâce à nos circuits courts, que nos produits s’imposent face à la concurrence.

Un rapport publié récemment par l'ONG Générations Futures alerte sur la présence de pesticides dans près des 3/4 des fruits et de la moitié de légumes non bio. Le gouvernement annonce un plan pour réduire les produits phytopharmaceutiques dans l’agriculture. Est-ce la bonne solution ? 

Il faut toujours être vigilants, mais il y a des normes et dans cette enquête, on nous parle de « traces » de produits, encore loin des normes à ne pas dépasser. Ce qui m’énerve aussi, c’est qu’on mélange un peu tout. Beaucoup de produits phyto sont interdits en France mais sont autorisés dans d’autres pays. Nous, on travaille pour avoir des produits de qualité et des normes sanitaires importantes. Surtout, ne faisons pas peur aux consommateurs et ne les détournons pas des fruits et légumes, garants de notre santé. Dans une région où 20% des agriculteurs sont en agriculture biologique, il y a de quoi être fiers, au contraire !

Les bouleversements climatiques sont-ils pris en compte dans les pratiques agricoles en Paca ? 

On développe beaucoup la recherche, on essaie de trouver des plantes qui s'adaptent aux changements et à l’agriculture bio. Il faut aussi développer l’irrigation. Il y a 40 ans, on n’irriguait pas les vignes ni les oliviers. Aujourd’hui, si on veut une bonne production en viticulture, avec les changements climatiques, on est obligé d’arroser les vignes – pas pour surproduire, mais pour avoir une production de qualité. Il faut accompagner les agriculteurs et trouver des cultures qui s’adaptent à la sécheresse.

Ce thème faisait partie des axes de travail des Etats généraux de l'alimentation en Paca. Ces Etats généraux ont-ils abouti à des projets concrets ? 

On fait partie des régions qui se sont le plus impliquées dans ces Etats généraux et c’est une fierté pour nous. Le plus important est qu’on a pu discuter, avoir un lien avec les citoyens. Beaucoup de personnes de la société civile et beaucoup d’associations y ont participé. ça n’était pas agrico-agricole. Mais heureusement que les Etats généraux n’ont pas fait changer l’agriculture du jour au lendemain, cela aurait été signe d’échec ou de non-remise en cause ! Pour moi, il n’y a pas eu de changement de paradigme, mais cela a été une belle occasion de réfléchir collectivement. 

Réalisé par Sabrina Guintini