L'IMPRÉVISIBLE JONGLAGE ESTIVAL AUX URGENCES

Pas d'effet canicule aux Urgences adultes de l'Hôpital Nord. Prise de pouls en direct où l'engorgement n'a pas eu lieu mais...

L'épisode de canicule a plombé l’Hexagone du 29 juin au 5 juillet,
avec des conséquences limitées à 700 décès. En Paca, le pic a eu lieu le 8 juillet mais avec une progression de seulement 1% du nombre de passages aux Urgences selon la Cire Sud. La semaine dernière les statistiques ont indiqué 205 passages liés à la chaleur. 

Entre le 13 et le 19 juillet sur 36 825 passages en Paca seuls 205 ont été le fait de coups de chaleur, déshydratation, concernant 52% des plus de 75 ans, qui ont aussi été admis pour des malaises (389 passages). Quelle situation au service des urgences adultes de l’hôpital Nord, tout juste quinquagénaire, (AP-HM) qui comptabilise 50 000 passages par an et une moyenne de 140 par jour ? Engorgement ou pas ? Avec les effectifs ou pas ? Prise de pouls estival en plein cœur des urgences, dans l’un des quatre piliers du CHU.

« Pour avoir vécu 2003 où on recevait beaucoup de patients extrêmement déshydratés, avec une défaillance globale de l’organisme, des comas et donc plusieurs dizaines de décès, on n’a pas eu véritablement de problèmes liés à la chaleur », indique le Pr Roch, chef du service des urgences adultes à l’hôpital Nord. Les plus de 75 ans représentent 40 passages/jour dont « un gros quart sera hospitalisé » pour des fractures, hémorragies, chirurgie abdominale, etc. 

Les trois autres sont liés « à des pathologies aiguës ou des pathologies chroniques, des décompensations ». S’il y avait un marqueur d’impact sur l’activité ce serait le lundi, « notre plus gros jour » en raison « de l’effet rebond du week-end, par rapport aux établissements pour personnes âgées où les médecins découvrent ce jour-là les décompensations intervenues. Honnêtement cela n’est pas survenu ». Vingt patients relèvent d’une prise en charge psychiatrique chaque jour. 

La grippe en revanche « a été majeure cette année entraînant une activité énorme ». Au plan national, 30 000 passages et un excès de 18 300 décès toutes causes confondues, concernant à 90% les plus de 65 ans, selon l’Institut de veille sanitaire. En Paca, le pic de mortalité se situait en février avec une augmentation de 16,3% du nombre de décès. « On a la chance d’avoir une forte capacité d’hébergement, malgré tout on a été saturé, avec aussi le problème d’admettre les patients en chambre seule en raison de la contagiosité et cela a nécessité que des unités d’hospitalisation soient dédiées à la grippe, avec un circuit fléché sur le service des maladies infectieuses et l’unité de médecine interne. » Les urgences ont enregistré 155 hospitalisations entre le 5 janvier et le 28 février dont 5 patients pour grippe par jour. Rien à voir en ce vendredi 17 juillet où même l’asphalte transpire.

 La « routine. Ni le calme ni le feu », résume le Dr Luc Yvart qui se passionne depuis 12 ans pour « la diversité » en termes de pathologies et spécialités médicales qu’offrent les urgences. « On a 37 patients depuis ce matin, c’est une journée correcte. Le problème des urgences c’est le côté imprévisible. Si ça l’était on pourrait le réguler en amont et anticiper. Ça marche par flux. Donc prendre des moyens démesurés pour la fois dans l’année où il y aura un pic catastrophique ça parait aussi aberrant que l’inverse, tourner en sous régime en se basant sur des journées calmes. »

« Mes poumons sont foutus »

Les patients arrivent par leurs propres moyens dans la salle d'attente, ou de l’autre côté via les marins-pompiers ou le Samu. Le sas où l’infirmière d’accueil et d’orientation les réceptionne ne reste pas bien longtemps vide. « Je suis un peu en avance, s’excuse un patient brancardé, sous oxygène. J’avais du mal à respirer. J’ai dû forcer sur la rééducation. Normalement, je rentre demain pour le protocole de la greffe des poumons. Les miens sont foutus... BPCO, infections à répétition… On va voir si mon corps pourra supporter la greffe. » Il se désespère de ne pouvoir « plus rien faire » à 61 ans.

Côté salle d’attente, une vingtaine de patients. Bérénice fait partie des 17 soignants de l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) de 16 lits qui « répond à des impératifs de sécurisation et d’optimisation de la prise en charge », selon le Pr Roch. Elle est conçue pour une hospitalisation de 48 heures maximum.

« beaucoup de patients n'ont plus le réflexe d’aller voir leur médecin » parfois « ils n’en ont pas »

 La distribution des patients s’effectue en fonction de l’état de santé : 3 box de consultation en ambulatoire, 18 box du circuit long pouvant accueillir 36 patients en simultané, l’UHCD et la salle d’accueil des urgences vitales (SAUV) où les patients vont directement, tout comme certains sont acheminés via l’axe rouge par l’héliport au service de réanimation, au bloc opératoire et dans certains services hyper-spécialisés. L’infirmière « adore » le poste d’orientation côté salle d’attente. « Il faut faire attention à tout. Je ne suis pas médecin évidemment mais j’aime bien essayer de faire un pré-diagnostic et prioriser. Je me base sur mes connaissances quand je suis avec les patients dans les box. »

Autre regard avec Régine, infirmière depuis 38 ans au CHU dont 28 aux urgences qui a pris le poste à l’ambulatoire depuis 1 an et demi. Elle arbore avec conviction un badge « Je suis Charlie » parce que « les attentats, la violence, le terrorisme… Ce n’est pas normal. Je vais le garder longtemps par solidarité, pour la liberté d’expression et l’hommage aux journalistes ». 

Elle se souvient de l’afflux de patients pour « drogue, overdose, intoxication médicamenteuse volontaire, ce qui a quasiment disparu avec les dispositifs d’échange de seringues ». Elle juge « ce système mis en place pour la bobologie et désengorger les urgences très efficace » et constate que « beaucoup de patients n’ont plus le réflexe d’aller voir leur médecin » parfois « ils n’en ont pas ». Le rythme est soutenu. « Un jour, 25 personnes et le lendemain 40. »

« La fermeture 
des lits n'impacte
pas les urgences »

Michel, peintre industriel, a chuté sur le dos. Il tient debout mais reconnaît une douleur anormale. « Oui… J'ai bien mal », dit-il. Il attend l’interprétation de sa radio. Comme 30% des patients de l’hôpital Nord, il habite en toute proximité et vient « parce que c’est très bien ici » et qu’il a « tout fait en même temps ». Les urgences disposent d’un service d’imagerie avec scanner dédié permettant la réalisation des bilans initiaux.

En général, au mois d’août, environ 25 à 30% des lits ferment « en simultané et au maximum » sur une période de trois semaines, indique le Pr Roch. « C’est réfléchi de manière intelligente et rendu possible par la diminution de l’activité programmée. La fermeture de lits n’impacte pas justement l’activité des urgences qui représente 25% de toutes les admissions. Et les services qui ont une vocation à l’urgence ne ferment que très peu, voire pas du tout. » Mais il ne cache pas « la problématique majeure des effectifs ». Les cadres consacrent une bonne part de leur temps à « remanier les plannings ». Difficile de ne pas être concerné par les déplacements de jours de repos. « Il y a dans les services entre 10 et 15 jours, je dirais, de jours à récupérer chez les paramédicaux, tout confondu. »

On arrive à 100 patients à 17 heures. Un jour normal, mais lundi et mercredi dernier « c’était la folie », a confié une soignante. Le recours aux intérimaires s’avère compliqué. « L’administration se trouve dans un dilemme car il est difficile d’augmenter les effectifs de titulaires mais en fait on n’arrive pas à combler les manques qui peuvent subvenir lors des pics d’absentéisme », détaille le chef de service.

 Comme l’activité des urgences « est subie », si les effectifs sont diminués, « fatalement l’activité repose sur moins de personnel, la qualité des soins s’en ressent et les gens s’épuisent. Notre job consiste avec l’administration à éviter cela. On y parvient mais honnêtement on n’y arrive pas toujours ». Les urgences de l’hôpital Nord constituent une activité « incontournable et une mission encore plus marquée de service public chez nous », affirme le Pr Roch.

Rabah, brancardier intérimaire

Rabah, depuis un mois au brancardage attend les résultats de son concours d'infirmier pour le 23 juillet et croise les doigts ! « Ici c'est très enrichissant professionnellement parlant. C'est un service riche ou l'on apprend énormément. Tous les jours j'amène les patients aux différents examens ou en hospitalisation. On voit alors les patient hors soin et il est vrai, qu'on fait plus du lien relationnel, du lien social. C'est un travail d'équipe.»

Emilie, aide-soignante

Emilie a basculé sur l'unité d'hospitalisation de courte durée parce qu'elle faisait « des transferts ». « C'est difficile parfois, mais ça l'a été un peu plus quand je suis devenue mère. Je ne sais pas mais ça me touchait plus qu'avant. Un jour j'ai été submergée en voyant un patient en phase terminale. Il ressemblait à mon père... » Avec le temps « ça va mieux ». Énergique, elle nettoie de fond en comble une chambre qui vient de se libérer et assure avec un grand sourire qu'elle « adore son métier. »

Les urgences peuvent accueillir également des patients placés sous surveillance policière qu'ils viennent des établissements pénitentiaires ou pas. Une équipe de paramédicaux (infirmière et aide-soignant) leur est systématiquement dédiée et « on doit se démener qu'ils soient soignés le plus vite possible ». Sont également pris en charge les patients potentiellement porteurs d'un risque infectieux à haute contagiosité. La chambre spécifique à pression négative a reçu « il y a 15 jours un patient en provenance du Koweit suspecté d'être porteur du Coronavirus » indique le Pr Roch. Les échanges avec le patient installé dans la salle d'isolement infectieux s'effectuent via une caméra et haut-parleur à partir du PC. Et c'est dans le service des maladies infectieuses que deux patients avaient été hospitalisés dans une zone de type P3 à haute sécurité. Les potentiels cas de Ebola et coronavirus avaient été infirmés.

Textes: Nathalie Fredon

PHOTOS : NATHALIE FREDON ET LUCAS HOFFET

SONS : NATHALIE FREDON ET LUCAS HOFFET 

MONTAGE : LUCAS HOFFET