Plongée 20 000 cieux sous les mers

Le télescaphe de Marseilleveyre a desservi durant deux ans Callelongue. Retour sur l'histoire de cette invention un peu dingue et totalement anachronique.

Se balader entre posidonie et poissons, bien au sec. De cette idée qui agite encore l'esprit humain, il ne reste aujourd’hui que de grosses roues en train de rouiller à même la roche de Callelongue, tout au bout de Marseille. Les vestiges d’une invention que d’aucuns n’ont pas manqué de qualifier de géniale pour l’époque : le « télescaphe », contraction de télécabine et bathyscaphe. En clair, un téléphérique sous-marin, « le premier du monde » et apparemment le seul, qui reliait voilà un peu moins de 50 ans, la calanque à la pointe de l’île Maïre.

Alors que le commandant Cousteau révèle les secrets du « monde du silence », un champion du monde de ski, James Couttet, et un ingénieur polytechnicien, Denis Creissels (lire également ci-contre), veulent le mettre à la portée de tous et se lancent dans la construction de ce mode de transport hors norme. Les premières mines tirées dans les rochers fin mars 1966 annoncent le début des travaux de ce « petit train sous-marin » résume le journaliste de la Marseillaise dans notre édition du 1er avril de la même année. Et d’insister sur le sérieux de cette histoire.

A raison d'un mètre seconde par 10 mètres de fonds maximum, les 4 petites cabines jaunes vitrées, d’une capacité de 6 personnes, vont permettre de découvrir faune et flore « en toute sécurité » lors d’un voyage d’une quinzaine de minutes pour une traversée de 450 mètres sous l’eau. Tout est prévu : l’étanchéité assurée par « un couvre-joint de 10 mm », les moteurs doublés, la bouteille d’oxygène de secours et l’accompagnement tout au long du trajet par des hommes-grenouilles. Il y aura bien, néanmoins, un incident, « un père de famille, sa femme et ses deux filles » qui prendront l’eau et s’en sortiront avec l’aide des plongeurs à la nage, mais ce sera le seul répertorié. Mis en service le 1er juillet 1967, les engins remportent d’emblée un vif succès, comptabilisant 9 000 visiteurs en un mois. Un chiffre « d’autant plus remarquable que les installations extérieures (...) sont d’une vétusté et d’une incommodité peu compatibles avec une entreprise unique au monde », tacle le journaliste de la Marseillaise dans son papier du 30 août 1967, dénonçant l’absence de buvette et de hall d’attente. Les visiteurs doivent donc patienter en plein cagnard ou préférer les plongées nocturnes de 21h à minuit.

Mais les Marseillais et surtout les touristes qui constituent l'essentiel de la clientèle, venus d’Allemagne, de Suisse, d’Italie ou d’Angleterre, sont près de 300 par jour à tenter l’aventure pour la somme de 10 francs (quant l’installation a nécessité un investissement de 2 millions). Il faut dire que les affiches de campagne sont alléchantes : « 20 000 yeux sous les mers » la première année, « Le monde sous-marin dans un fauteuil » la seconde. Chaque courageux utilisateur se voit même décerner pour l’occasion un « baptême » de plongée.

Quatre minutes de gloire en Mondovision

Mais la consécration sera sans nul doute cette journée du 25 juin 1967 où le télescaphe est exposé à la face du monde lors d'une émission en « Mondovision ». Deux heures de diffusion dans 30 pays où la France est représentée avec trois séquences, dont une de quatre minutes en direct depuis Marseille sur le thème « L’aspiration à la perfection physique ». Pour l’occasion, la Marine nationale illumine l’île Maïre avec deux gros projecteurs, raconte Pierre Paret dans la Marseillaise. Même si notre journaliste s’étonne de ce choix « un peu curieux », estimant que cette « attraction foraine (...) ne méritait pas une telle publicité à l’échelle internationale ».

Peut-être branchée développement durable avant l’heure, si notre rédaction ne manque pas de soulever le caractère innovant de l’installation sous-marine, elle regrette, dès le départ, « que cette installation assez hideuse en soi vienne détruire en partie le magnifique site de Callelongue ».

Faute de moyens et de volontaires pour faire tourner les cabines, l’aventure s’arrêtera de toute façon au bout de 2 ans, en 1969, alors que ses concepteurs imaginaient déjà pouvoir « meubler les fonds sous-marins d’amphores, d’épaves de navires », voire créer un « véritable aquarium à l’image de ceux que nous connaissons en Californie », annonce la Marseillaise lors du lancement des cabines. Autre temps...

Mireille Roubaud

Un pari fou au goût d'inachevé

Crédit marcovdz sur flickr

Tout jeune ingénieur à l'époque, Denis Creissels n’a pas hésité à se lancer dans un projet qui peut aujourd’hui paraître loufoque mais dont il pourrait parler des heures. Morceaux choisis.

Infatigable malgré ses 80 printemps et intarissable sur son invention, Denis Creissels, ingénieur aux multiples brevets, travaille toujours au siège de son entreprise spécialisée dans le transport par câble, à Meylan, en Isère. Polytechnicien, c'est aussi lui qui a conçu le téléphérique de la Meije à La Grave et les bulles de la Bastille qui font la renommée de Grenoble. Il se souvient avec nostalgie de ce temps, où « en France, on n’avait pas la trouille d’innover ». Et revient volontiers sur la genèse d’un projet un peu fou. « Je suis celui qui a bâti l’idée d’un champion du monde de ski, mon voisin du dessus, James Couttet, raconte-t-il. Il exploitait un petit télésiège qui allait au glacier des Bossons [à Chamonix. Ndlr] et un jour il m’a dit : "Je viens encore de monter une dame en talons et moi qui nage moyennement je ne peux pas visiter les fonds sous-marins. Pourquoi nous ne faisons pas un télécabine sous l’eau ?" » 


Celui qui n’est encore qu’un jeune ingénieur, sans expérience et sans un sou, qui travaille pour son premier poste sur le téléphérique de l’Aiguille du Midi, le prend au mot. Trois ans plus tard, en 1968, le télécabine sous-marin voit le jour à Callelongue. Le père de Denis n’a pas hésité à vendre la propriété familiale pour financer le projet. « C’était l’époque où on parlait énormément du monde sous-marin, notamment à l’initiative d’un dénommé Cousteau, très brillant dans les résultats. On a choisi cet endroit parce qu’il convenait bien, c’est un coin formidable » explique Denis Creissels, non sans regrets. « On aurait dû le tenter ailleurs car Marseille, à l’époque, n’était absolument pas ouverte au tourisme, il a fallu attendre qu’elle rate l’America’s cup pour qu’elle se prenne un coup de pied au cul. » Et de se prendre à rêver d’un complément au télescaphe avec « un petit téléphérique qui montait au sommet de l’île Maire avec un restaurant tournant en haut » pour admirer « une vue ahurissante sur la rade ». Les 100 hectares nécessaires de terrain étaient même disponibles « à un prix dérisoire ». Mais l’aventure a tourné court. 

 Personne pour prendre le relais 

 Si l’exploitation n’a duré que deux ans, « c’est parce que si tout le monde nous a aidés au départ, on n’a jamais pu trouver une société intéressée pour reprendre la main à Marseille, déplore Denis Creissels. On ne pouvait plus continuer comme ça. On se relayait tous les 10 jours pour assurer le fonctionnement mais James travaillait avec son télésiège, plus en été qu’en hiver, moi j’étais devenu ingénieur conseil, il fallait que je trouve des clients. Malgré toute notre ambition, notre jeunesse, notre dynamisme, on ne pouvait pas continuer. » Cette drôle d’idée de transport sous-marin n’a jamais refait surface même si ce n’est pas faute d’avoir essayé. 



 « Cela ne s’était jamais fait ailleurs dans le monde et cela ne s’est jamais refait, constate l’ingénieur. Au Quatar, il y a bien des aquariums géants qui montrent peut-être plus de poissons que nous, mais bon ça n’a rien à voir. » « A Marseille on a retenté il y a 5 ou 10 ans avec plus de moyens », poursuit-il mais « à l’époque le maire avait des difficultés avec les écolos et les propriétaires de cabanons dans les calanques, l’aventure s’est arrêtée là ». L’autorisation administrative d’exploiter serait pourtant « toujours valable », selon Denis Creissels. Ne restent que des anecdotes, comme celle de ces passagers qui ressortaient mouillés mais « de sueur parce qu’ils avaient peur », « à peu près un sur deux ». Et aussi une « certaine amertume que vous pouvez entendre, là, dans ma voix », reconnaît sans ambages notre interlocuteur. 

« Depuis 4 ans et demi je développe un système de transports urbains que je n’arrive pas à faire émerger alors qu’il y a bien moins d’innovation que dans le télescaphe », précise-t-il. Ses véhicules de 30, 40, 50 personnes, transparents et silencieux, roulant sur des câbles porteurs très tendus, juste au-dessus de la circulation, n’intéressent, selon lui, personne. « Il n’y a aucune ouverture d’esprit », se plaint l’octogénaire qui est revenu à Marseille présenter son système il y a quelques mois. « On m’a proposé un tracé pour monter à Luminy ce qui n’allait pas du tout à mon système », assure ce dernier. Et de conclure plus philosophe : « ça viendra peut-être, mais pour moi le temps passe. »

Mireille Roubaud