dédiées au pavillon, 
des vies en poussière

En grève depuis 12 jours, les personnels de la SNCM 
se battent pour l'emploi et le service public 
que leurs actionnaires s’échinent à détruire. 
583 licenciements, autant de familles 
et de passions malmenées.

583 lettres de licenciement vont commencer à tomber. Le plus gros plan social que le département a enregistré ces dernières années. C'est à ce prix que le gouvernement liquide ce qui restait de national dans ce fleuron de la marine marchande. Le groupe Rocca en sera propriétaire le 5 janvier. Les syndicats ont validé dans la nuit de lundi à mardi le PSE. Les négociations ont permis l’ouverture des candidatures aux départs volontaires. Une lettre de la commissaire européenne à la concurrence devra contenter les marins. Mais le mouvement de grève entamé le 21 novembre, malgré le chantage à la reprise de leur direction à ne pas faire capoter un calendrier que l’État a lui-même tardé à avancer, continue. Les marins de la CGT ne lâcheront pas les amarres tant que le dernier point essentiel à la viabilité d’une reprise, à savoir, l’accord d’une subdélégation avec la Méridionale, pour la desserte de la Corse ne sera pas résolu. Les salariés reviennent sur une lutte longue et âpre dans laquelle ils tentent d’arracher quelques emplois au sinistre plan de l’État.

583 lettres de licenciement vont commencer à tomber. Derrière les chiffres, il y a toujours des visages et des vies.

Anthony Agrillo
cuisinier

Photo MG
"Entré en 1992 dans la compagnie, j'ai fait 11 ans de CDD avant ma titularisation. Seules ces dernières années comptent dans le PSE. Mon métier je l’ai choisi par passion, je mets un point d’honneur à faire plaisir aux passagers et aux équipages. Je commence à 3 heures pour la viennoiserie puis je passe à la préparation des repas pour les 50 personnes de l’équipage et quelque 600 passagers. J’ai trouvé un monde de fraternité, de camaraderie à la SNCM. On vit ensemble et on ne laisse personne dans le besoin. Quand est arrivé le décès de ma mère, j’étais en mer et l’équipage a fait une petite cérémonie, ça aide. Mon fils aura 18 ans et je ne l’ai vu que 9 ans en tout si on décompte les jours embarqués. Faire la grève n’est pas un jeu. En 2005 lors de la privatisation, on a eu 45 jours non payés. Il m’a fallu 2 ans pour m’en remettre, car les factures continuent à tomber. Mais on mène un combat de fond, contre le gouvernement qui détruit le service public et des patrons qui servent leurs intérêts particuliers. On est le lien essentiel entre la Corse et le continent."

Isabelle 
lanteri-Miquel
hôtellerie

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J'ai eu la chance d’avoir pour moi la loi favorisant la stabilisation des femmes navigantes car arrivée en 1993, j’ai été titularisée en 97 avec le sentiment d’entrer dans une grande famille avec une réputation sérieuse. Et puis, j’ai vu arriver la concurrence, baisser le nombre de passagers sur une guerre des tarifs. Or on ne se bat pas avec les mêmes armes car ce sont des compagnies low-cost qui ne payent pas de taxes à la France, ni leurs employés décemment. Toutes ces années, l’État actionnaire a laissé faire tout en parlant de priorité à l’emploi. Et au moment où il invite à pavoiser, il fait tout pour nous retirer le pavillon français ! Il faut se demander pourquoi depuis que le tribunal nous gère, on fait des bénéfices, alors que toutes nos directions n’ont enregistré que des pertes. Nous, on n’a pas changé notre façon de travailler. La grève, c’est pour nous faire entendre et alors qu’il a le temps de réagir dès le préavis lancé, le gouvernement laisse pourrir, nous pousse à l’action pour nous salir. La seule bataille qu’il a mené est celle de l’opinion. C’est la solidarité qui nous fait tenir. Beaucoup ont pris des coups, il y a des collègues que je vois les larmes aux yeux, ça fait mal. Cette année, ce sont des lettres de licenciement qui vont arriver au pied du sapin. Car mon mari est aussi dans la compagnie.

Thierry Picherie service pont

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Après un an d'école de marine marchande, j’ai démarré à 17 ans. C’est une vocation, mon père était marin et ça allait de soi. Nous assurons la sécurité du navire, son entretien et les chargements. Pendant deux ans j’ai dû arrêter de naviguer car je me suis retrouvé seul avec mes deux enfants à charge. J’ai vécu mon premier conflit en 1986 contre la mise en vigueur du pavillon de complaisance. On se bat pour l’emploi, pour le service public, pour les droits sociaux. Car cette entreprise a été mise aux mains de financiers, depuis le fond de pension Butler Capital Partners qui arrive avec rien, n’investit rien et part avec plus de 60 millions moins de deux ans plus tard. Jusqu’aux fournisseurs qui facturaient plus cher à la SNCM. Et ça n’a plus arrêté. On nous demande de faire du bénéfice, mais le profit est incompatible avec la notion de service public ! Et tout ça, à base d’intox pour nous dénigrer. Personne ne touche 3 000 euros ici, même en fin de carrière. Si on se bat c’est pour que les jeunes aient un avenir, un métier. On ne demande pas l’impossible, juste le respect du pacte de janvier 2014.

David Raboisson mécanicien

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J'ai commencé mousse à 15 ans, puis novice, puis nettoyeur machine, puis ouvrier de quart aux machines. J’ai deux enfants et j’en ai raté des anniversaires, des mariages, car j’étais en mer. On construit nos vies en fonction de cette particularité. Avant on partait 45 jours, maintenant c’est 21 jours et le téléphone mobile a contribué à diminuer le sentiment d’éloignement. Mais pour le reste, il y a eu beaucoup de casse. Quand je suis arrivé il y avait 11 bateaux, des ferries à Nice... et tout a disparu au fur et à mesure des promesses non tenues. Veolia nous fournirait un navire neuf tous les 2 ans, puis le secrétaire d’État Frédéric Cuvillier nous en commandait deux... en réalité, ils ont pillé la compagnie, il y a eu trop de gâchis dans la gestion de l’entreprise, jusqu’à la vente du siège, bradé. Sur le Jean Nicoli II, acheté à un Grec, il fallait 120 personnes pour naviguer. Nous l’avons fait avec 59 personnes. Et sur le Concordia, un jeune de chez nous y était lors du naufrage, il avait offert une croisière à sa mère. C’est lui qui a dû mettre les chaloupes à la mer car les équipages ne sont pas formés et en urgence, c’est la catastrophe. On a toujours fait en sorte que les bateaux partent, même avec des réparations effectuées de nuit. Et c’est nous qui sommes critiqués.

Bilaly Diagola hôtellerie

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Je suis arrivé en 1983 avec un diplôme de l'armée et j’ai passé un CAP restauration. Ma titularisation n’est intervenue qu’en 2001. Je vais donc perdre pas mal d’années dans le PSE. Mais j’ai opté pour un départ volontaire car depuis 32 ans que je fais un métier que j’aime, je veux le garder. La SNCM est une bonne école, sur le règlement de sécurité, sur le savoir-faire, et quand vous devez gérer 2 600 passagers avec une mer mauvaise... J’ai demandé une formation en création d’entreprise. Mon fils et mon frère sont aussi dans cette compagnie. On va donc se sauver nous-mêmes en ouvrant une entreprise familiale. Je n’ai plus confiance en l’État. Le reclassement promis n’aura pas lieu. Quant à rester, j’ai peur des nouvelles conditions. La mer et l’équipe vont me manquer mais la sécurité de ma famille passe avant tout, j’ai encore deux filles qui font des études. Les usagers aussi vont regretter la SNCM, mais ce sera trop tard.

Propos recueillis par Myriam Guillaume

Vidéo initialement postée par François-Xavier Serafino sur youtube (cliquez ici)