la peste:  patrimoine du désastre 

A l'occasion des pages Un été, Une histoire, La Marseillaise 
revient sur l'un des épisodes les plus meurtriers de Marseille.

Sur le chemin 
de "l'Ire de Dieu"

En 1720, la peste contamine Marseille et Jacques Chataud, écrivain, est aux premières loges. Par Charles-Alexandre Louaas

" Tout a commencé lors de notre retour des pays du Levant. Nous venions de charger une cargaison de toiles de soies et de sacs de cendres destinés à conserver les précieuses étoffes appartenant aux négociants propriétaires du navire. Durant la traversée, un Turc trouva la mort de façon étrange alors que nous faisions vent vers Chypre. Lors du retour vers Marseille, cinq autres passagers périrent dans des conditions qui commencèrent à alerter l’équipage tout entier. La peste se serait-elle invité parmi nous ? Prudent, notre capitaine, et accessoirement mon cousin, Jean-Baptiste Chataud, s’isola sur le navire et décida de faire halte à la rade du Brusc au Port de Toulon, afin de prendre conseil auprès des propriétaires de la cargaison, et non à Marseille comme prévu. Un détour vers l’Italie, à Livourne, nous fût imposé afin de rendre compte de l’état de notre escouade. Méfiants, les Italiens nous interdirent d’entrer au port, nous confinant dans une crique gardée par des soldats. Le lendemain, nous comptions trois nouveaux morts.

La discrétion quant à l'état de notre équipage nous fût imposé. Les corps furent analysés par les médecins italiens qui en déduisirent que la mort était due à une fièvre pestilentielle. Le terme « pestilentiel » ne désignant pas à proprement dit la maladie de la Peste, à cette époque, nous pûmes envisager notre retour en direction de Marseille, munis de patentes nettes comme lors des escales à Seyde [ville de Syrie NDLR], Tripoli et Chypre. Évidemment la discrétion quant à l’état de notre équipage nous fût imposé à tous. Mais comment expliquer ces nouveaux cas de contamination ? Pour recevoir de nouvelles instructions, nous devions de nouveau faire escale au port de Brusc mais nous reçûmes ordre de repartir à Marseille. À l’approche de l’île de Pomègues, notre capitaine se rendit à l’intendance sanitaire afin de faire sa déclaration. Après moult discussions et un mort de plus, les marchandises furent directement transférées aux infirmeries et nous, mis en quarantaine. Nos patentes nettes ainsi que l’appui de Jean-Baptiste Estelle, grand échevin de Marseille et propriétaire d’une partie de la cargaison, en faveur d’une simplification des formalités sanitaires, suffirent à nous éviter l’incendie de la cargaison. Notre capitaine, avait également falsifié sa déclaration, justifiant la mort de cinq membres de notre équipage par intoxication alimentaire.

La veille de la fin de notre quarantaine, le gardien de santé de notre bateau fut retrouvé mort. En contact avec la marchandise, les portefaix furent contaminés. Le bureau sanitaire, alerté par ces morts en série décida de brûler notre vaisseau sur l’Île de Jarre. Trop tard. Des fraudeurs furent également touchés en volant des ballots issus de l’infirmerie, tout comme des femmes de l’équipage chargées par leurs maris de faire de même.

Le premier cas de peste avéré fut observé rue de l’Échelle [aujourd’hui rue de la République NDLR]. Un mois plus tard, plus d’une douzaine de cas furent constatés. Le doute n’était plus permis : la peste était rentrée dans la ville. Le reste ne fut plus qu’une succession de propagation au sein du vieux Marseille. Le Cours Belsunce, méconnaissable, donnait lieux à des scènes de chaos immortalisées par le peintre Michel Serre. Le quartier de la Tourette et de la Major devinrent des cimetières géants avec des charniers improvisés où les corps des pestiférés furent jetés à la hâte comme des cargaisons avariées. L'Abbaye de Saint Victor, le Fort Saint Nicolas et le Fort Saint Jean se cloîtrèrent. Les prêtres interprétèrent ce fléau comme une sanction divine, assurant que Dieu punissait la ville pour son appétit du commerce à tout crin.


Progressivement, en octobre 1720, la pandémie recula grâce à l’incendie des corps, jusqu’à un regain en 1722. Mais la maladie fût définitivement stoppée au mois d’août. Car si les remèdes délivrés par les médecins furent inutiles, leurs tabliers de cuirs enrayèrent le mode de contamination par les piqûres de puce. Quelques semaines plus tard, la vie reprit son cours et la cupidité ses droits."


Certains membres de l'équipage du Grand-Saint-Antoine, navire qui amena le terrible fléau dans la ville du plus grand port d'Europe du XVIIIe siècle, sont néanmoins épargnés dont Jacques Chataud, écrivain de bord ... Pas moins de la moitié de la population marseillaise succombe à la grande peste de 1720.

Les fantômes de la Peste

Près de trois cents ans après, les traces de la pandémie sont toujours présentes artistiquement, historiquement et scientifiquement dans les quartiers du « Vieux Marseille ». Par Charles-Alexandre Louaas
Crédit: David Coquille

La peste de 1720 a marqué à tout jamais la mémoire des Marseillais. Près de trois cents ans plus tard, l'héritage du dernier fléau que l’Europe ait connu est présent dans toute la ville. Que ce soit au niveau de son art, de son architecture ou bien de sa collection de reliques humaines et urbaines, Marseille est un trésor pour quiconque souhaite en apprendre d’avantage sur la maladie qui a divisé par deux la population en moins de deux ans. La rue Leca et le quartier de la Major, dans le 2e arr., ont dévoilé une part de leur mystère, lors de fouilles respectueusement effectuées en 1994 et 2008. 

Stéphan Tzortszis, archéo-anthropologue au Centre National de la recherche scientifique, a travaillé sur certaines.          « Ces découvertes nous ont permis de faire une étude démographique sur la population. Ce n’est pas pareil qu’un cimetière, là, nous avons la chance de pouvoir étudier des squelettes de tout âge, de toute condition. C’est l’étude de la réalité d’une population vivante. Nous avons pu grâce à la pulpe des dents, tirer des conclusions confirmant que les squelettes trouvés étaient bien ceux de pestiférés. Notamment grâce au stress alimentaire, lié à la famine. Ce stress fait des stries sur les dents et si nous constatons ce phénomènes sur un nombre conséquent de squelettes, nous arrivons à une telle conclusion » explique-t-il.

Ces fouilles ont permis également d’envisager les techniques avec lesquelles les croque-morts et autres forçats, vérifiaient les décès. Ces derniers par exemple, enfonçaient une aiguille d’une vingtaine de centimètres sous l’ongle de l’orteil de l’hypothétique macchabée. Si aucune réaction n’apparaissait, il était jeté dans un charnier. Les objets en rapport avec la contamination, la décontamination, la prévention de la peste sont présents au Musée d’Histoire de Marseille, tout comme certaines peintures de Michel Serre, véritable « reporter » du XVIIIe siècle.

« La symbolique de la religion était fondamentale ».


Ses illustrations du Cours Belsunce ou encore de l’Hôtel de Ville ont permis à la population française de prendre la pleine mesure du désastre que représentait le fléau en Provence. Sur le tableau de l’Hôtel de ville, est d’ailleurs présent le Chevalier Roze. Ce dernier fut l’instigateur des créations de charniers dans le quartier de la Tourette (2e). Il est célèbre pour avoir été l’un des nobles à donner de sa personne pour éradiquer la maladie. Un buste sculpté à son honneur est toujours présent dans le quartier de la Tourette, il trône au milieu d’un jardin d’enfants... 

Monseigneur de Belsunce, évêque de Marseille durant la peste, est également une figure marquante de cette triste époque. Il lutta contre la propagation de la pandémie en faisant des prières du haut du clocher des Accoules (2e) afin d’exorciser la malédiction de Dieu. Sa dévotion sera appréciée à sa juste valeur à la fin de l’hécatombe. Une statue à son effigie est située devant la cathédrale Sainte-Marie-Majeure de Marseille, en clair, la Major.

Marie-Paul Vial, directrice du Musée des Beaux Arts de Marseille raconte que le mythe de la religion était un élément très important dans la société et l’art à cette époque. « La symbolique de la religion était fondamentale. Sur les façades des maisons, les gens plaçaient un Saint Sébastien, un Saint Roch ou simplement une vierge pour veiller sur le foyer. La représentation de ces saints était incontournable. Dans chaque ville de Provence, on retrouvera des représentations de ces saints qui luttent contre la peste. Il y a notamment un Saint Roch à la consigne sanitaire de Marseille ». Aujourd’hui existe encore une rue « Chevalier Roze » (2e), un quartier « Belsunce » (1er), ainsi qu’une rue « Jean-Baptiste Estelle » (1er), du nom du grand échevin de Marseille qui fut propriétaire d’une partie des étoffes qui ont amené la peste à bord du Grand-Saint-Antoine. L’ancre du navire fait d’ailleurs partie de ce patrimoine marseillais de la peste.

Découverte dans les années 1980 au fond d’une calanque de l’île de Jarre, elle est restée plus de trente ans dans le bassin de l’institut national de la plongée. En 2012, elle a été sortie pour être restaurée par un institut spécialisé, à Arles. Aujourd’hui elle est prête à prendre sa place dans le musée d’Histoire de Marseille, reste à trouver son socle. Et à résoudre une équation de taille et de poids.