Crassiers d'alumine : l’héritage pas si invisible

Classés « déchets à radioactivité naturelle renforcée », des terrils historiques de
« boues rouges » tentent de se faire oublier à Marseille et Vitrolles. Des polluants à suivre à la trace.

Plus facile d'oublier 

Commentaire

Plus discrets que les rejets en mer d’Altéo, il reste leurs pendants terrestres issus de l’industrie de l’alumine, le site de stockage de Mange-Garri encore en activité et les quatre anciens dépôts de Montgrand, Saint-Cyr, Vitrolles et les Aygalades.
Des « collines » artificielles qui témoignent d’une industrie marseillaise performante, d’une véritable mémoire ouvrière, le secteur ayant embauché jusqu’à 3 000 personnes de 1908 à 1970. Cet héritage, certains souhaiteraient définitivement l’enterrer. Parce que l’avenir de ces vastes terrains pollués reste embarrassant pour des collectivités qui s’en sont retrouvés propriétaires. Parce que ces terrains qui ont souvent changé de main rendent compliqué leur statut juridique. Parce que l’État tente d’imposer pour la dernière fois aux industriels, une nécessaire surveillance avant que la prescription trentenaire ne fasse son office. Parce que le même État pourtant garant d’une information transparente aux citoyens selon la circulaire du 18 juin 2008 de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, peine à s’appliquer ses propres règles : il nous aura fallu près d’un mois pour obtenir des informations publiques.
À l’heure des grandes résolutions environnementales, alors que les solutions de traitement de ces déchets tardent à venir, les conséquences sanitaires de la présence de ces terres polluées de métaux lourds et de radionucléides sont réelles. Et pourraient bien vite se rappeler à ceux qui trouvent plus facile d’oublier.
Mireille Roubaud

Témoins gênants d'une époque non révolue

Des forages ont eu lieu cet automne avec installation de piézomètres destinés à évaluer le niveau de déstabilisation de l'ancien crassier du vallon de la Barasse et de suivi des eaux souterraines. L'État étudie les modalités de surveillance à imposer sur ce terril acquis par le Département et situé dans le coeur du parc national des calanques. photos D.C. / DR

Alors que le gouvernement a accordé à Altéo Gardanne six années supplémentaires de rejets de ses « boues rouges » au large de Cassis, des terrils historiques dans Marseille légués par Aluminium Péchiney ont du mal à se faire oublier. Leur impact radiologique et chimique sur l'environnement et les populations interroge les autorités. Ces déchets d’exploitation fortement concentrés en radionucléides naturellement contenus dans la bauxite, se diffusent lentement dans les eaux souterraines. Récemment, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a inscrit à son inventaire national ces « dépôts de déchets à radioactivité naturelle renforcée ». 

L’alumine a été dès la fin du XIXe siècle une industrie provençale florissante de niveau mondial. Mais le procédé Bayer d’extraction d’oxyde d’aluminium a généré des quantités considérables de déchets. Leur évacuation à la mer par un sealine à partir de 1966 n’a pas réglé le sort des terrils anciens contenant plusieurs centaines de milliers de mètres cubes de « boues rouges » qui décantent à Vitrolles, à Saint-Louis-les-Aygalades (15e) et sur deux terrils à la Barasse (11e). La radioactivité naturelle dégagée par ces crassiers est une préoccupation nouvelle depuis les recommandations faites en 2008 par le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). 

En mars 2010, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a inspecté ces emprises foncières rachetées par Alcan, reprises ensuite par Rio Tinto Legacy Management qui en a -à des degrés divers- la responsabilité « post-exploitation ». L’ASN et l’Inspection des installations classées avaient alors prescrit des analyses (que Rio Tinto a jugé inutiles de faire) pour évaluer la présence en radium, uranium 234 et 238, plomb, thorium et radium ainsi qu’une étude hydrogéologique de chacun des sites. En mars 2014, le préfet a dû ordonner à Rio Tinto d’effectuer ce bilan d’activité radiologique et chimique des déchets. Les premiers résultats semblent écarter tout impact direct sur les populations mais une surveillance des eaux souterraines devrait être imposées. Les modalités sont à l’étude.

Le plus important de ces terrils est dans les collines de Saint-Cyr. C’est par un téléphérique Blondin que de 1947 à 1987, l’usine de la Barasse a évacué 2,5 millions de mètres cubes de « boues rouges » pour les faire décanter dans une lagune tenue par une digue en haut du vallon de la Barasse. Au début des années 1990, Rio Tinto a cédé au conseil départemental ce cadeau empoisonné qui a été recouvert de 2,5 mètres de terre. Reboisé de pins d’Alep, c’est un joli site où les familles pique-niquent le dimanche. Il fait même partie intégrante du parc national des calanques qui le regarde pudiquement comme son « héritage industriel » avec le dépôt enfoui de marc de café de l’ancienne usine Nestlé. Problème, de fortes pluies ont déstabilisé le crassier. Un cratère de 3 mètres de diamètre et de 2,5 mètres de profondeur est apparu. D’importants travaux sont programmés. En septembre dernier, Rio Tinto y a posé des piézomètres de surveillance des eaux souterraines collectées par des drains. Le second crassier est lui coincé entre la voie ferrée Marseille-Aubagne et l’Huveaune. C’est un vaste terril dont le plateau offre un incroyable panorama. Exploité de 1908 à 1947, il contient 600 000m³ de résidus chargés lui aussi d’oxydes de fer, d’aluminium, de silicium, de sodium, de titane, de calcium. Cédé à la société d’aménagement du Parc de la Valentine en 1991, il s’est partiellement effondré en 1992 (déjà en 1943) du fait de l’apport excessif de terres. Rio Tinto l’a racheté et sécurisé. 


 Au bord du ruisseau des Aygalades, à deux pas de la cité Bassens, se trouve l’ancien terril exploité par Alusuisse de 1906 à 1953. L’usine a fermé en 1968 laissant 1,1 million de tonnes de résidus d’alumine et de scories de charbon. Radioactivité naturelle mesurée du terril : 54 milliards de becquerels (source Andra). La Ville de Marseille a acquis en 1982 cette butte de 20m de haut sur 7ha à la vue imprenable, pensant y réaliser une zone d'activités. Bel achat : non seulement le terril s’est affaissé mais le Conseil d’État l’a frappé de prescription trentenaire : aucun acte administratif ne peut plus être imposé à Rio Tinto sur ce site ni sur celui de Vitrolles derrière le Stadium qui fut lui le déversoir de 1953 à 1968 de 2 millions de mètres cubes de boues rouges, un site que Vitrolles a cru bon aussi racheter... 

 David COQUILLE 

« Un léger marquage radiologique » 

S'agissant des analyses effectuées sous le terril de la Barasse-Montgrand au voisinage de l’ancienne usine Nestlé, « même en aval, les concentrations en uranium 238 et 234 restent inférieures aux concentrations de référence », nous a répondu la direction régionale de l’environnement (Dreal). « Les activités décelées correspondent à une concentration d’environ 3 microgrammes d’uranium/litre là où la moyenne des eaux françaises est de 4,52 microgrammes/litre. » L’inspection des installations classées qui instruit actuellement les résultats d’analyses note à ce stade qu’un « léger marquage radiologique est présent dans l’environnement sans toutefois engendrer de risque sanitaire pour les populations environnantes ». Quant au crassier du vallon de la Barasse qui s’est légèrement affaissé avec les pluies, il nous est indiqué : « Bien que ces eaux [des drains du dépôt] soient un peu plus marquées que celles de la nappe d’accompagnement de l’Huveaune, l’inspection de l’environnement note à ce stade que les critères de potabilité sont respectés et que l’état actuel du site n’engendre pas de risque sanitaire pour les populations environnantes. »
 D.C.

« Il n'y a rien, rien ne s’échappe »

À la Barasse, en héritière des sites d'Aluminium Péchiney, la responsable « post-exploitation » de Rio Tinto réfute toute pollution radioactive des eaux souterraines sous les terrils de « boues rouges ». 

Isabelle Raignault est la responsable des sites « post-exploitation » chez Rio Tinto Management Legacy, héritier d'Aluminium Péchiney. En pleine polémique sur les « boues rouges » de Gardanne, nous l’avions interrogée en octobre sur la situation des anciens terrils marseillais, en particulier les deux sites de la Barasse. D’abord sur la réserve - « Je me méfie toujours des journalistes » et « la radioactivité est un sujet sensible même quand il n’y a pas forcément de risques » -elle avait répondu à nos questions, là où l’administration a mis des semaines pour nous livrer finalement des « éléments de langage » parcellaires. « Les prélèvements des résidus de bauxite effectués sur les crassiers de Montgrand et de Saint-Cyr montrent globalement des concentrations en éléments radiologiques très faibles, du même ordre de grandeur que le minerai de base, la bauxite. Les teneurs en radioactivité sont inférieures à ce qu’il y a dans les eaux potables. L’oxyde d’uranium présent dans la matrice sol est très peu soluble et ne passe pas dans les eaux », explique-t-elle. De résumer : « On a une petite radioactivité naturelle de l’ordre de 500 becquerels par kilo, dix fois moins que la radioactivité naturelle dans l’eau que l’on boit. » 

« Les niveaux de radioactivité sont très faibles » 

 Sur l’apparition d’un cratère en 2014 : « Le conseil départemental nous avait alerté de ce trou. On pense que des événements pluvieux intenses ont creusé cette cavité. Des piézomètres ont été posés. Ce sont les forages que vous avez vus. Ils sont destinés à vérifier la stabilité de la digue, à contrôler les eaux souterraines. » Des « travaux correctifs » sont programmés pour 2016. « On projette de détourner les eaux qui viennent du bassin versant amont et qui s’infiltrent. L’espace reste ouvert au public. Les lixiviats récupérés par un drain au pied du barrage de Saint-Cyr ne partent pas dans la nature. Ils sont évacués sur la station d’épuration de Marseille qui les retraite en profondeur. » Peut-on concevoir d’évacuer ces terrils ? « Si vous vouliez déplacer ces sites, cela coûterait 50 ou 100 millions d’euros mais surtout pour les mettre où, alors qu’il n’y a pas d’enjeu sanitaire. Je rappelle que la Barasse-Saint-Cyr est un lieu naturel ouvert au public. Intrinsèquement, les niveaux de radioactivité sont très faibles et pas de nature à générer un risque sanitaire. Les boues sont complètement recouvertes de deux mètres de terre. L’Autorité de sûreté nucléaire est venue il y a quelques années avec un compteur. Il n’y a rien, rien ne s’échappe », assure la responsable scientifique qui envisage d’organiser une réunion d’information de la population. Elle dit réfléchir à des hypothèses d’aménagement du terril de Montgrand comme par exemple l’installation de panneaux photovoltaïques. 

 D.C.