formation 
sur le thé

Chez Unilever, Marc Decugis était technicien de maintenance. 
Pour SCOP-TI, il est devenu directeur. 
Avec pour seul but de faire fructifier l'humanité en entreprise.

"Désolé, il faut que je réponde". En moins d'une demi-heure, c'est la quatrième fois que Marc Decugis interrompt l'entretien pour régler les problèmes courants. Cette fois-ci, il était question de colle d'emballage qu'il faudrait mettre en quantité supérieure dans une machine au nom barbare. Deux coups de fil plus tôt, il s'agissait des conditions d'organisation de la prochaine AG ou des tests à effectuer pour les nouveaux films transparents.
À quelques jours du lancement de leur marque propre, les ex-Fralibs ont beaucoup de choses à demander à leur nouveau directeur. 

En fait, non, ils ne lui demandent rien. Ils l'informent. "Depuis le début, chacun a toujours pris ses responsabilités et chacun sait ce qu'il a à faire. Avant, Unilever commandait et on exécutait, sans marge de manoeuvre. Aujourd'hui, on essaie de prendre en compte l'avis de tout le monde et de tenir tout le monde au courant de ce qui se fait. Nommer un directeur, un président et un directeur délégué, c'était pour les statuts, pour la loi. Entre nous, il n'y a plus de patrons, de chefs... Certains, m'appellent Monsieur le Directeur uniquement pour plaisanter".


S'il admet que dans la peau d'un directeur, "on dort un peu moins bien et on apprend à avaler des couleuvres", l'ancien mécanicien n'en revient toujours pas de l'aventure à laquelle il participe. De son bureau qui surplombe la cour, seul le portrait du Che, peint sur le local syndical, est là pour rappeler le combat qu'il a fallu mener pour sauver une trentaine d'emplois et un savoir-faire vieux de plus d'un siècle et demi. Car la production de thé et d'infusions à Marseille et dans sa région est une très longue histoire.


"Notre combat était tellement juste, tellement vrai..."

Dès la Société Coopérative Ouvrière Provençale-Thés et Infusions créée, Marc Decugis et les autres coopérateurs ont dû répondre au défi qu'ils s'étaient lancé: proposer une gamme de produits équivalents à ce qu'ils fabriquaient auparavant, avec dix fois moins d'employés. "Avant, ici, on était 200, avec des équipes de nuit. Maintenant, nous sommes 29, avec la volonté d'arriver rapidement à 50. On va donc produire moins en volume mais on va travailler avec une exigence de qualité". Finis ce que les géants de l'agro-alimentaire appellent poliment les "arômes natures identiques", reconstitution chimiques en granulés du tilleul ou de la verveine. Pour ses marques distributeurs comme pour sa marque propre, SCOP-TI a poussé la logique coopérative jusqu'au bout. 


Circuits courts, label bio, coopératives agricoles... Autant de concepts mis en avant pour initier un changement. "Ce que l'on fait au niveau local pour les infusions, on essaie de le mettre en place aussi à l'étranger. La semaine dernière, une équipe était au Vietnam pour visiter une coopérative agricole qui produit du thé sur des pieds vieux de cent ans. On va sans doute travailler avec eux, en leur payant le prix juste pour leur travail". 

Le prix juste. Chez Marc Decugis, ce leitmotiv tourne à l'obsession. Chacun doit pouvoir vivre de son travail dignement, dans une logique où l'humain prend le pas sur les profits. "Ici, à l'époque, il faut savoir qu'il suffisait de faire tourner l'usine 3 heures et demi pour tout payer. Les salaires, les charges, les matières premières, l'énergie... Tout ce qu'on faisait le reste de la journée et de la nuit, c'était des bénéfices. Et ils ont quand même décidé de fermer la boîte. Il faut sortir de ces logiques absurdes et ouvrir de nouvelles voies. Ce qui est rassurant, c'est que ce message est entendu et que même la grande distribution nous appuie en ce sens".


C'est peut-être là le pied de nez le plus délicieux de SCOP-TI à ses anciens patrons. Dès l'annonce d'une reprise d'activité sous forme de coopérative à taille humaine, la grande distribution s'est déclarée très intéressée par ses produits. "Ce qu'on vit est extraordinaire. Il y a 2 ans on allait dans ces chaînes remplir les caddies de produits Unilever afin d'alerter l'opinion sur notre situation et aujourd'hui, on y va en rendez-vous clientèle. Notre passé d'ouvriers dans un grand groupe associé au côté très conscient de notre lutte, sans violences, parle pour nous. Ca les rassure. On n'est pas dupes, on sait qu'ils cherchent aussi à profiter de notre médiatisation, mais on se dit que c'est tant mieux. Parce qu'on pourra certes pérenniser nos emplois, mais aussi relancer des plantations et aider des producteurs."

Ce dont Marc Decugis ne revient toujours pas, c'est la richesse des quatre années qu'il vient de passer. Des années de rencontres, d'échanges et d'humanité. "Ce qui m'a le plus marqué, c'est la bienveillance des gens que l'on a croisés partout. En même temps, notre combat était tellement juste, tellement vrai..."

L'humain en première ligne de production

Quelques interruptions plus tard, Marc Decugis, en guise d'au revoir, nous fait faire le tour du propriétaire qu'il est, de facto et en partie. 

Au détour d'un tapis roulant, voilà Gérard Cazorla, président de la coopérative. Pour lui, voir sortir leurs produits dans quelques jours n'est qu'une étape dans un processus qui prendra encore du temps.

Marc Decugis, lui, continue sa visite guidée. En expliquant le fonctionnement des machines qui tassent, filtrent, empaquettent et filment les produits, réapparaît le mécanicien qu'il continue d'être, en plus de sa fonction de directeur. 

Un technicien de maintenance qui tire une immense fierté d'avoir pu relancer toutes ces machines qui n'avaient pas tourné pendant quatre ans. Et qui attend avec impatience de terminer les tests pour voir, enfin, aboutir le projet qui l'anime. 

Un projet qui place l'humain en première ligne de production.

Images Marie-Laure Thomas
Texte, montage et infographies Paul Goiffon