Front Populaire :
Pour l'avenir, le choix d'une vie plus belle


Il y a 80 ans la gauche unie remportait les législatives. Et le Front populaire écrivait une belle page de l'histoire de France.

Les leçons de 36

Éditorial

Le télescopage est saisissant : alors que la France laborieuse gronde, que les députés débattent d'une loi qui, si elle est adoptée, signerait une régression sociale sans précédent, on célèbre les 80 printemps du Front populaire. Le 3 mai 1936, le souffle du progressisme fait la peau au conservatisme, on relève la tête et on tend le poing vers l’horizon pour exiger de meilleurs salaires et de trimer moins, bref de vivre mieux, de vivre bien. Le Front populaire ne fut pas une parenthèse : après les années noires et la Révolution nationale du collaborateur Pétain, le programme national de la Résistance renoue avec le programme du Front populaire pour remettre sur pied un pays exsangue. Il est temps en cet anniversaire de se replonger dans cette page de l’histoire de notre pays. Elle n’appartient pas uniquement à la gauche mais ce sont les convergences entre un projet politique réellement de gauche et ce que l’on n’appelait pas encore le mouvement social qui a permis la conquête de nouveaux droits.

Le printemps 1936 est né d'une riposte au fascisme 

Comme les congés payés. 15 jours pour commencer. Ce qui nous semble évident aujourd’hui a été gagné dans la lutte et le rapport de forces.  Il y a des analogies frappantes avec notre époque. Car le printemps 1936 est né d’une riposte au fascisme et, dans son projet, la défense des libertés allait de concert avec les revendications sociales et les choix économiques. Comme le souligne l’historien Serge Wolikow, « le Front populaire a été un mouvement collectif mais également de promotion de l’individu ». C’est la grande leçon à tirer non pas pour singer 36 mais pour s’en inspirer et en nourrir les combats d’aujourd’hui. L’héritage de 36 tient à sa grande modernité, à sa force propositionnelle et à sa capacité à tisser du commun dans la diversité.

Françoise Verna

"La vie est à nous"

Mémoire 

Rien n'est jamais écrit d’avance dans la vie, surtout politique. Rien n'est jamais perdu d'avance, mais rien n'est non plus jamais acquis définitivement. Qui aurait dit en effet qu’entre février 1934, date à laquelle la France a failli subir un coup d’Etat fasciste et juin 1940 où le maréchal Pétain humilia le pays dans la Collaboration, allait s’écrire une des plus prestigieuses pages de l'histoire de la gauche française. C’était au soir du 3 mai 1936. Le Front populaire, composé du Parti communiste, de la SFIO (parti socialiste) et du Parti radical-socialiste -avec l’appui de la CGT et d’organisations antifascistes- remportait les élections législatives. 

Le Parti communiste, dirigé par Maurice Thorez, à l'initiative de la stratégie, réussit à passer outre la ligne de l’Internationale communiste qui, dans sa stratégie contre le fascisme rejetait les alliances avec les socialistes. La victoire des urnes aura évité à ce choix courageux du leader communiste français d’être contesté par Moscou.
 Les conditions politiques étaient enfin réunies dans le pays pour mener une politique de transformation sociale. Avec l’aide du mouvement social. Car à peine la victoire électorale acquise, plutôt que d'attendre tranquillement que les réformes arrivent, la classe ouvrière se renferme dans les usines. Pour les occuper. 

Les reculs sociaux ont été tels depuis des années qu'il serait suicidaire de lâcher le morceaux après les crises du début des années 30 ainsi que la montée du nazisme en Allemagne et du fascisme en Italie.
Comme en Espagne, où a triomphé la République face à la monarchie, la société française est en mouvement. Le temps s'accélère, dans le bon sens.
En quelques semaines seulement, les travailleurs dans les entreprises et les campagnes, les petites gens en général, obtiennent le droit aux congés payés, la réduction du temps de travail, la reconnaissance de l’élu syndical dans l’entreprise...
Mais c’est littéralement un « Esprit de 36 » qui s’élève dans le pays. Outre les mesures économiques et sociales, la France change. On voit fleurir des Maisons de la culture, le sport se démocratise à travers la création de fédérations directement liées au monde du travail (FSGT). Sur les écrans ou à la radio, des artistes accompagnent le mouvement : les films La Vie est à nous ou Le Temps des cerises en sont quelques exemples.

Le Front populaire permettra également à des personnalités politiques de s'affirmer : Léon Blum, Maurice Thorez, Paul Vaillant-Couturier Jean Zay, Léo Lagrange, Roger Salengro, etc. La diversité de leurs caractères confirme que si depuis 1934 la gauche est unie, elle est également diverse. Elle l'apprendra à ses dépens. Le dénominateur commun initial, l’antifascisme, n’a plus suffi lorsqu’il s’est agi de choisir l’orientation politique sur le long terme. 

Si la victoire du 3 mai 1936 a été nette, elle a n’a pas éteint les velléités de la droite parlementaire et de l’extrême droite à user de tous les moyens (fuite de capitaux, antisémitisme, calomnies, campagnes de presse...) pour renverser ce qu’elles considéraient comme une « bolchevisation » de la France. Cela restera le grand échec du Front populaire : ne pas avoir eu, dans l’unité, le courage de soutenir la République espagnole face au fascisme, pensant que la neutralité épargnerait l’Hexagone des horreurs de la guerre. On encore de ne pas avoir su mettre fin au double jeu d’une partie de la coalition, lorsque les grandes fortunes ont commencé à faire pression pour éviter de contribuer à la collectivité nationale par l'impôt.

 Quand «36» influence le Conseil national de la Résistance 

A ce moment, les mouvements réactionnaires lancent « Plutôt Hitler que le Front populaire ». La France l’aura et plusieurs figures du Front populaire seront inquiétées, persécutées, voire assassinées. Heureusement, à la Libération, le Conseil national de la Résistance n’a pas la mémoire courte et on lit dans son programme Les Jours heureux l’héritage de ceux de 36. De Gaulle en fera rarement référence. Mais les faits sont là : un mouvement social fort, une gauche politique rassemblée sur des contenus de transformation sociale (avec l’appui des gaullistes) et un antifascisme déterminé permettent à la société française de se relancer, d’aller de l’avant. De progresser. Un concept qui, aujourd’hui, semble bien loin pour certains à gauche. Le Front populaire c’est des leçons à apprendre et un exemple pour l’avenir. Un avenir mettant la gauche face à ses responsabilités en termes d’écoute du mouvement social et de courage à contester l’ordre établi. Tout un programme. Pour une vie plus belle. 

Sébastien Madau

"Un mouvement collectif et de promotion de l'individu"

L'historien Serge Wolikow revient sur le contexte dans lequel le Front populaire est arrivé au pouvoir et a mis en place des mesures de transformation sociale. Et, malgré sa mise à mal et les renoncements, sur son héritage encore présent dans la société française actuelle.

Dans quel contexte, le Front populaire accède-t-il au pouvoir en 1936 ? 

Le Front populaire a d'abord été un mot d’ordre, puis un projet politique, puis un mouvement social et enfin un gouvernement. A l’origine c’est une réaction contre la droite et le fascisme. L’extrême droite menait la riposte face à la faillite de la gauche au pouvoir dirigée par les radicaux. En février 1934, les ligues d’extrême droite vont vouloir en finir avec la République. Mais le 12, des grèves lancées par la CGT, la CGT-U et l’appui de forces politiques (PC, PS), vont défendre les libertés démocratiques et contrer les ligues. Politiquement, au sein du PS et du PC, les courants pour l’unité l’emportent. Le PC prend l’initiative de l’unité d’action et propose le 27 juillet 1934 un pacte contre le fascisme. Les responsables communistes Marcel Cachin et Maurice Thorez lancent le mot d’ordre : Front populaire pour le pain, la paix et la liberté. Ce mouvement obtient le feu vert de l’Internationale communiste. Il englobe aussi les radicaux, même s’ils gouvernent avec la droite. En 1935, ce mot d’ordre devient un programme politique aux Municipales. Les organisations antifascistes se rassemblement autour du 14-Juillet pour prêter serment contre le fascisme. Dans cet élan, on assiste à la réunification entre CGT et CGT-U. Un programme électoral est signé. Il porte sur des aspects sociaux (diminution du temps de travail, hausse des salaires), économiques (réforme fiscale) et politiques (défense des libertés, interdiction des ligues).

C'est cet esprit qui l’emporte au soir du 3 mai 1936 ? 

Oui, même si ce n’est pas un raz-de-marée de la gauche. Elle bénéficie du mode de scrutin qui lui donne une majorité de fait. On assiste de plus à un nouveau rapport de forces au sein de la gauche. Le PC double ses voix et passe de 10 à 72 députés, les radicaux perdent un tiers des voix et des députés. Le PS devient le premier parti à gauche.


Pour quelles raisons les usines se mettent alors en grève ? 

Les tractations pour former un gouvernement durent trois semaines. Pendant ce temps, il ne se passe rien. C'est là que les grèves éclatent, avec occupation. Ce n’est pas une grève générale mais une généralisation de la grève à partir de protestations contre les licenciements de syndicalistes après les défilés du 1er mai 1936. Les revendications incorporent le programme du Front populaire mais vont au-delà. Début juin, le gouvernement invite patronat et syndicats à négocier. Les Accords de Matignon permettent l’entrée en vigueur des premières mesures. 

Quelles sont-elles ? 

L’accord prévoit : revalorisation de salaires, diminution du temps de travail à 40h hebdomadaires, reconnaissance des représentants du personnel, conventions collectives par branche obligatoires, deux semaines de congés payés, création d’un office public pour garantir le prix du blé. S’ajoutent la prise de contrôle de l’Etat sur le conseil d’administration de la Banque de France et des nationalisations. Très vite, à l’été 36, le Parlement vote les lois. La grève durera jusqu’à mi-juin, pour accompagner la mise en place du gouvernement que les communistes soutiendront, sans participation.

A quand remontent en revanche les premiers signes de reculs ? 

La guerre d'Espagne est l’exemple le plus révélateur des difficultés du Front populaire. Franco lance un putsch le 18 juillet 1936. Léon Blum défend la non-intervention, ce qui favorise les franquistes qui bénéficient, eux, de l’aide de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. L’argument de Blum est qu’il ne faut pas généraliser la guerre. Les radicaux sont aussi sur cette position. Les communistes et la CGT en revanche défendent les Républicains espagnols et s’engagent dans les Brigades internationales. Mais d’autres facteurs expliquent les difficultés du gouvernement : le manque de moyens pour réaliser son programme. Dès l’été 36, le gouvernement ne parvient pas à endiguer la fuite des capitaux et abandonne sa réforme fiscale qui reposait sur des prélèvements sur les grosses fortunes. La balance commerciale est négative. Le gouvernement va dévaluer le franc, recevant les critiques des communistes. Blum décrète une pause dans les réformes. Cela crée une nouvelle division. Au printemps 1937, il demande au Parlement des moyens financiers pour mener sa politique. Le Sénat refuse, il démissionne. A partir de là, les radicaux vont diriger au nom du Front populaire mais selon une politique de stagnation. L’aggravation de la situation en 1938 conduira à l’éclatement du Front populaire.


Malgré tout, l'héritage du Front populaire va-t-il perdurer ? 

Les militants de 36, qui avaient défendu le Front populaire, vont garder ces références dans la Résistance puis dans le programme du Conseil national de la Résistance. Le régime de Vichy avait, lui, fait le procès de 36. 

Le programme du CNR tire les leçons du Front populaire en associant cette fois réformes sociales et structuration économique nouvelle (nationalisations dans l’énergie, les banques…). A la Libération, le monde ouvrier se réconcilie avec la République et bénéficie de meilleures conditions d’existence. Il n’oublie pas et montre un attachement aux idéaux progressistes et démocratiques. Il fait confiance aux organisations syndicales et politiques qui portent ces valeurs.

Aujourd'hui, cet héritage est disputé, notamment à gauche. 

Oui, il subit souvent une instrumentalisation en associant les réformes à Blum et au Parti socialiste, en oubliant ses erreurs ainsi que le rôle des communistes. La principale leçon à retenir est que pour mobiliser contre l’extrême droite il faut proposer des contenus politiques et sociaux, contre la misère et l’individualisme. Il faut mobiliser pour et pas uniquement contre. Le Front populaire a démontré qu’il était possible de défendre à la fois le progrès social et le progrès économique. Aujourd’hui on a tendance à opposer les deux, à réduire les formes collectives de mobilisation. Alors que le Front populaire a été un mouvement collectif mais également de promotion de l’individu. 

Entretien réalisé par Sébastien Madau