HLM, l'état d'urgence

Par choix du gouvernement et malgré les carences de logements sociaux, la moitié des offices publics de l'habitat pourraient fermer.


EDITO

ENTREPRISE DE DÉMOLITION

« Un toit c'est un droit », ont pour coutume de marteler nombre d’associations, d’élus (de gauche essentiellement) et de citoyens. A juste titre d’ailleurs puisque c’est même un droit inscrit dans la Constitution. Et pourtant... Comme tant d’autres, ce droit-là est régulièrement foulé aux pieds pour une part croissante de la population. Avec la trêve hivernale intervenue ce mercredi 1er novembre, certains pourront souffler un peu. Jusqu’au 31 mars, les expulsions locatives ne sont plus autorisées. Cette pratique d’un autre âge qui voit, à grands renforts d’huissiers et de forces de l’ordre, des personnes déjà fragilisées, parfois âgées, des familles avec des enfants se retrouver sur le trottoir. Mais cinq mois ça passe vite, très vite... Au pays du Président des riches, les spéculateurs fonciers se frottent les mains Surtout, avoir un toit au-dessus de la tête ne signifie pas disposer d’un logement décent ou abordable financièrement. Car, les salaires n’ayant pas proportionnellement suivi la courbe ascendante du prix des loyers, la part de ce poste dans le budget des ménages a pris une importance considérable. A l’heure où les quartiers dits « sensibles » lancent un cri d’alarme et où la carence en termes d’habitat social est plus que préoccupante – notamment dans des régions où des élus préfèrent s’acquitter d’amendes que de respecter la loi –, l’Assemblée nationale a entériné dans la nuit de jeudi à vendredi des mesures de nature à entraver la gestion des offices publics HLM. Quand elles ne viendront pas purement et simplement leur porter un coup fatal. Et ce sous couvert de compenser l’impopulaire baisse des APL et au mépris des élus et des associations de terrain qui ne cessent d’alerter sur les risques qu’engendrera la baisse des loyers imposée à ces offices. Nul doute qu’au pays du « Président des riches », les spéculateurs fonciers n’ont pas fini de se frotter les mains.

Agnès Masseï

Les locataires d'ores et déjà touchés au porte-monnaie

Prise à L'Haÿ-les-Roses en 1961, cette photo est extraite d'un fonds géré par la direction de la communication du ministère du Logement. Elle est issue d'une série réalisée par des photographes du ministère de la Construction de l'époque. photo archives mru

HERAULTAlors que certains ont déjà des difficultés à absorber la baisse de 5 euros des APL effective depuis début octobre, la perspective d'une nouvelle diminution de 60 euros inquiète les locataires du parc social.
L’exaspération des habitants d’HLM est aussi bien tournée vers le gouvernement que vers les bailleurs dont ils craignent qu’ils ne jouent pas le jeu. 

Les bailleurs sociaux ont lancé l'alerte il y a plusieurs semaines. Le projet de loi de finances 2018, qui prévoit de faire peser sur eux la baisse de 60 euros des aides aux logements (APL) à partir de janvier avec une « réduction de loyers de solidarité » menace non seulement leur existence, mais aussi le modèle du logement social en France. Moins de ressources pour les OPH (Offices publics de l’habitat), c’est moins de constructions d’HLM et moins de réhabilitation du parc social existant. Alors que la demande explose, l’attente pour accéder à un logement social risque d’être encore allongée. Mais les locataires, eux, qu’en pensent-ils ? Loin de la polémique et de l’échéance de janvier, Véronique a déjà commencé à subir la politique de réduction des dépenses initiées par le gouvernement. « Je suis allée vérifier sur mon compte de la Caf. Alors que je recevais 491 euros d’APL jusqu’ici, ce mois-ci il n’y aura que 487 euros versés à mon bailleur. Sur ma quittance je vais avoir 4 euros de plus à payer... » C’est la conséquence de la première baisse imposée à tous les bénéficiaires de cette aide (locataires du privé et du public confondus) dès le mois d’octobre. Sans compensation. Si certains députés ont ironisé sur la somme, dans le budget de Valérie, elle pèse énormément. La perspective de 60 euros supplémentaires dans quelques mois l’inquiète au plus haut point. Car elle ne croit pas que son bailleur « puisse suivre » et craint donc une nouvelle hausse de son loyer. « On va peut-être avoir une augmentation des charges aussi... » 

« Il faudra bien que les bailleurs rognent quelque part » 

Lucie Sanchez, de la CNL 34 (Confédération nationale du logement), a également des doutes sur la capacité des OPH à absorber cette baisse de revenus. Au mieux, « les locataires vont payer le même loyer qu’avant », calcule-t-elle, mais avec des conditions « qui vont se dégrader ». « Il faudra bien que les bailleurs rognent quelque part : sur l’entretien des bâtiments, sur la sécurité... » Cécile Macia, elle, est exaspérée par la campagne des bailleurs sociaux. Membre de l’association de défense des locataires de la cité Calmette à Frontignan, où elle occupe un appartement depuis près de quinze ans, elle constate tous les jours les difficultés auxquelles les habitants doivent faire face pour obtenir des réparations dans leur appartement. « Je ne dis pas que le bailleur ne fait rien, mais quand il fait, il fait mal », assène la retraitée. C’était le cas avant les coupes sombres décidées par le gouvernement, ce sera toujours le cas après prédit-elle. Ce qu’elle redoute vraiment, c’est le report de la réhabilitation de cet ensemble de 365 logements datant des années 60. « On va voir s’ils vont donner comme prétexte la baisse des loyers pour ne pas le faire... » Hérault Habitat, le bailleur social du conseil départemental, qui a en charge, entre autres, la cité Calmette, a en effet annoncé son intention d’étaler son programme de rénovation en cas d’adoption des nouvelles mesures. Il a aussi voté une augmentation du loyer de 0,75% à partir de l’année prochaine qu’il appliquera si le gouvernement ne revient pas sur sa position. « La CNL ne vote jamais les hausses de loyers et de charges, mais pour soutenir notre bailleur, cette fois j’ai pris la position de m’abstenir », révèle Yves Ferrando, un des représentants des locataires au conseil d’administration. Pas par gaieté de cœur, mais pour souligner l’absurdité d’une mesure qui ne fera qu’aggraver la situation des locataires de logements sociaux. 

« L’avenir est noir pour les logements sociaux » 

Depuis douze ans qu’il est élu au conseil d’administration, il a constaté une nette augmentation de la précarité, que ce soit dans la commission des recouvrements ou dans celle de la préfecture pour l’attribution des logements Dalo (Droit au logement opposable). « Les gens ont de plus en plus de mal à payer leur loyer, même modeste. Certains comptent les centimes d’euros à la fin du mois. » Alors, la perspective de voir les APL versées directement aux locataires et non plus aux bailleurs l’inquiète au plus haut point. « C’est la porte ouverte à la flambée des impayés, prédit Yves Ferrando. Les familles vont avoir l’impression de voir leur pouvoir d’achat augmenter alors que c’est tout le contraire. » « L’avenir est noir pour les logements sociaux », confirme Nadège Poirier. Si elle-même n’est pas bénéficiaire d’aide au logement, elle constate les difficultés de ses voisins à absorber le choc. « Mais ce qui me tracasse, c’est le nombre de personnes qui sont en attente d’un logement. » Son propre fils, avec trois enfants, a patienté huit ans dans le privé avant d’obtenir un logement social. Il y aurait actuellement entre 1000 et 1500 demandes non satisfaites à Sète, où elle a longtemps été administratrice de l’OPH. Depuis quarante ans, elle habite l’Ile de Thau, un quartier populaire de la ville où vivent 5000 personnes dans 1200 appartements. « L’entretien va s’avérer nécessaire d’ici un ou deux ans », pense-t-elle. Mais c’est surtout la dégradation des alentours qui la chagrine. « L’Ile de Thau, elle n’est plus ce qu’elle était, ce n’est pas bien entretenu », regrette-t-elle. La baisse des crédits consacrés à la rénovation urbaine des quartiers prioritaires ne risque pas d’arranger les choses. 

M.D.

L'Assemblée nationale entérine des coupes claires dans l’aide au logement

Dans la nuit de jeudi à vendredi, l'examen en première lecture du budget du ministère de la Cohésion des territoires a fait chuter de 1,7 milliard d’euros les financements alloués aux aides au logement (APL) dès l’an prochain. Avec une baisse de 9,8%, ils passeront de 18,3 milliards d’euros en 2017 à 16,5 milliards en 2018. Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, a défendu la volonté du gouvernement de « réinterroger l’efficacité de notre politique en matière d’aides personnelles au logement et de soutien à la construction ». Il a en outre assuré qu’était établi un « dialogue constant avec les bailleurs sociaux ». Pourtant, ces organismes exigent, eux, un moratoire sur une économie budgétaire qu’ils jugent « mortifère ». 

Objet d’une douzaine d’amendements de suppression, tous rejetés, l’article 52 a « fait l’unanimité contre lui, tellement il est profondément injuste » a affirmé l’ex-ministre du Logement Sylvia Pinel (PRG), stigmatisant « l’improvisation et l’impréparation » de la réforme. Pour Clémentine Autain, de la France insoumise, cet article « orchestre la mise en péril de tout le système du logement social, avec une perte de recettes considérable » des bailleurs sociaux. « On va casser un modèle HLM que beaucoup nous envient », a estimé Stéphane Peu (PCF), ex-président de Plaine commune Habitat, fustigeant une « politique mûrement réfléchie, cohérente, visant à affaiblir le secteur HLM et renforcer le secteur privé ». « Partout en Europe où une telle politique a été menée, elle a été une catastrophe », a-t-il ajouté. 

Avec AFP

Ces bons élèves qui n'ont pas peur du logement social

PAYS DE MARTIGUES. Dans les Bouches-du-Rhône, peu de communes respectent le pourcentage de logements sociaux. Quelques-unes pourtant proposent des solutions innovantes et des habitats de qualité. 

La loi 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, appelée loi SRU, impose aux communes de plus de 3500 habitants (1500 habitants en Ile-de-France) d'avoir au moins 20% d’habitats en logement social. Portée par Jean-Claude Gayssot, alors ministre de Lionel Jospin, elle avait trois objectifs : la solidarité, le développement durable et le renforcement de la démocratie et de la décentralisation. La loi du 18 janvier 2013, relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, dite loi Duflot, porte le taux de logements sociaux à 25%. En France, plus de la moitié des communes ne respectent pas cette règle, et dans les Bouches-du-Rhône, les disparités sont assez « remarquables », puisqu’il n’y a que quelques-unes qui l’appliquent. Certaines ont décidé de contourner le dispositif, en s’engouffrant dans une brèche rendue possible par la récente loi Egalité et citoyenneté. D’autres communes sont ouvertement réfractaires au logement social, qui traîne comme un boulet une image désastreuse savamment entretenue. C’est le cas de Carry-le Rouet, qui se targue d’un taux de 1,5%, et préfère payer une carence de 136%, soit 370 510,75 euros en 2016. Mais le maire (LR) assume, prétextant que sa commune doit rester une station balnéaire, et arguant que ses administrés préfèrent payer l’amende que de voir la valeur de leur villa cossue diminuer à cause de « 25 ou 30 HLM ». Pur fantasme, mais qui sert régulièrement de repoussoir. Pourtant, quelques communes n’ont pas autant d’états d’âme : c’est le cas de Vitrolles (32,58%), Miramas (37,3%), Istres (28,2%) ou même Port-Saint-Louis-du-Rhône, avec 41,63%. 

Des projets de rénovation ambitieux 

A Port-de-Bouc, la ville, qui affiche plus de 50% de logements sociaux, a entrepris une vaste opération de renouvellement urbain. En 2016, dans le cadre du PIA (Programme d’investissement pour l’avenir), son projet a été retenu dans la catégorie « Villes et territoires durables, excellence environnementale du renouvellement urbain ». En s’appuyant sur ses ressources naturelles (vent, mer, ensoleillement), elle souhaite couvrir les besoins énergétiques des locataires, tout en améliorant les performances énergétiques des bâtiments. Martigues possède depuis longtemps un organisme chargé de construire et d’entretenir le parc locatif. La Semivim (Société d’économie mixte immobilière de la Ville de Martigues) a toujours fait le choix de la mixité sociale, et d’implanter des équipements publics dans les quartiers d’habitat social (écoles, crèches, bâtiments administratifs, gymnases ou stades, maison de quartier...) Depuis 2014, 240 logements ont été construits, en faisant le choix de petites unités, ne dépassant pas trois étages. Elle propose aussi de l’accession à la propriété. Certaines maisons du centre ancien ont aussi été réhabilitées, revalorisant ainsi des rues. Et quand on passe devant, impossible de deviner que ce sont des HLM... Enfin, depuis plusieurs années, toutes les constructions sont aux normes Haute qualité environnementale, et dans toutes les nouvelles opérations, 10% des logements sont réservés aux personnes à mobilité réduite. 

N.P.

Du côté des mauvais élèves

Réduire le nombre de prioritaires pour gérer la pénurie

VAR. Le 11ème rapport du Haut commissariat au logement des personnes défavorisées s'interroge sur le fonctionnement de quelques commissions de médiation. Dont celle de ce département qui aurait écrémé le nombre des ayants droits. 

Cela fait un petit moment déjà que le responsable de la Fondation Abbé Pierre (FAP) tire la sonnette d'alarme concernant la situation dans le Var. Pénurie de logements sociaux, maires hors-la-loi, appartements insalubres ou bailleurs indélicats... les sujets ne manquent hélas pas. Ses inquiétudes concernaient également le durcissement opéré dans la procédure de reconnaissance d’un locataire prioritaire au titre du Droit au logement opposable (Dalo). C’est ce que vient de confirmer le 11ème rapport du Haut commissariat au logement des personnes défavorisées qui fait un point sur la situation nationale et s’interroge en effet sur le fonctionnement de quelques Commissions de médiation (Comed) dans les départements en situation tendue. Comme celle officiant dans le Var. Le représentant de la FAP dans le Var explique d’ailleurs comment, fin 2012, un haut représentant de l’État dans le Var, « lors d’un entretien en tête-à-tête », lui a fait part de son intervention auprès du président de la Comed de quelques « recommandations, suggestions, orientations… ». Pour quoi faire ? Tout simple, explique en substance Jean-Paul Jambon : pour « gérer » la pénurie de logements sociaux dont la responsabilité incombe aux communes. «Le préfet ne pouvait reloger les personnes reconnues prioritaires et se voyait systématiquement condamné par le Tribunal administratif, lors des recours de ces personnes », souligne-t-il. 

Examen drastique 

Et la démonstration est on ne peut plus simple : « À défaut de pouvoir faire une sortie par le haut pour un accès à un logement, la possibilité s’offrait alors de réduire le nombre d’entrées de prioritaires. » Comment ? En procédant à un examen drastique des situations. «Voire contraire à la loi…de nombreux recours le démontrent », ajoute-t-il. Et ça marche ! Les statistiques donnent une bonne mesure de la tendance : « Après une montée des demandeurs de 2008 à 2013, la situation se stabilise ; par contre les reconnaissances prioritaires sont passées de 58% en 2012, à 47% en 2013, 24% en 2014, 22 % en 2015... » Pour le responsable varois de la Fondation Abbé Pierre cela démontre bien la réalité de l’injonction préfectorale. « Et de la relative indépendance de la Comed », grince-t-il. Ne voulant se contenter de cette courbe pourtant parlante, le militant raconte comment de fait cela s’applique dans l’étude des dossiers. Suite à la recrudescence de personnes « vivant » dans leur voiture et orientées par des travailleurs sociaux, par exemple, il est aujourd’hui exigé des preuves de cette vie précaire, comme la présentation d’un constat de police l’attestant. Autre incohérence lourde de sens pour les familles, celle qui concerne l’estimation de sur-occupation d’un logement examinée au mètre carré : « Lorsqu’on sait, par exemple, qu’administrativement un logement de 34m2 (code le la Sécurité sociale) est censé correspondre aux besoins d’ un couple et deux enfants, alors que pour un accès à un logement social l’offre ne pourra être inférieure à un type 3, soit environ 55m2. » Pour le responsable de la FAP, « la loi est donc dévoyée et devient un moyen pour l’État de se protéger vis-à-vis des demandeurs de logement, alors qu’elle doit participer au contraire à permettre l’accès à un logement décent ». Jean-Paul Jambon note cependant une accalmie dans l’écrémage systématique des demandeurs. « Il semble que pour 2017 la Comed soit plus généreuse de quelque 3 ou 4% en plus. » Une augmentation très nettement corrélée par une légère amélioration de l’offre qui reste cependant très limitée, bien en deçà des besoins. Le représentant de la FAP s’interroge, pour conclure, sur « les effets de la politique du logement social prônée par le gouvernement ». Et plus précisément sur la possibilité qui pourrait être offerte aux communes défaillantes d’argumenter sur leur non-possibilité à construire. Ce qui risque de ne pas bien arranger les choses. 

T.T.

En PACA, des chiffres très inégaux

La proximité, affaire de géants

AVIGNON. Être un bon élève de la loi SRU, c'est bien, le rester ne semble pas être dans les projets. Quels leviers à l’heure d’un changement d’échelle ?  

En matière de logement social, tout serait-il une question de taille ? Pour ce qui est du municipal, la compétence est passée au Grand Avignon en 2015. Aussi, que reste-t-il à un maire qui voudrait exercer une politique du logement répondant aux besoins des habitants ? Parce qu’à Avignon, 70% de la population se trouvent éligibles au logement social. Et que jusque-là, le maire pouvait prendre des mesures en conséquence et disposer d’un instrument politique pour le logement social. Il ne suffira plus à Avignon d’être dans les clous de la loi SRU (mais on est passé en dix ans de 32% à 27% de logement social), considérant le minimum qu’elle défend comme un seuil atteint. Désormais c’est donc l’agglo qui est en charge de la question, et à ce niveau où les choses se décident, on est décidément moins respectueux de cette loi. N’est-ce pas au niveau du Grand Avignon que se règlent les factures des communes mauvaises élèves, condamnées à payer une amende ? 

Des économies, pas une politique 

Michel Mus, le président de la CNL Vaucluse, est inquiet. Parce que des projets aux ambitions d’économie tiennent lieu de politique du logement. « Le gouvernement vient d’annoncer que tous les bailleurs avec un patrimoine inférieur à 15 000 logements devront fusionner avec un autre ou vendre leur patrimoine. » Et parmi les trois acteurs majeurs du logement social, dans le Vaucluse, un seul dépasse la taille critique : Grand Delta Habitat, avec ses 18 000 logements. Les deux autres, Grand Avignon Résidences (ex-OPHLM de la ville) et Mistral Habitat (OPHLM du département) ne disposent que d’un peu plus de 6000 logements chacun. Mais cette nouvelle obligation s’ajoute à une autre que rappelle M. Mus : « Les bailleurs sociaux avaient été mis en demeure une première fois de se financer en vendant 1% de leur patrimoine. Cela vient d’être porté à 10%. » Certains ont déjà mis sur le marché un certain nombre de logements, pour la plupart des maisons. Chez Grand Avignon Résidence, on précise d’ailleurs que les offres s’adressent « en priorité aux locataires », une obligation légale, dans le privé comme dans le public. « Mais nombre de locataires ne seront pas intéressés ou n’auront pas les moyens d’acheter. Qui va se rendre acquéreur ? Le privé ? » Ou le mastodonte du secteur ? « Grand Delta Habitat arrête les constructions et les VEFA [Ventes en l’état d’achèvement, ndlr] et va acheter du patrimoine. » Cette valse des étiquettes n’est pas ce qui inquiète le plus l’association de locataires. « On prévoit la démolition de 100 logements sociaux à la Grange d’Orel. On parle de démolir à la Rocade, au Ventoux. Aux Cités Louis Gros, il a fallu que le maire s’émeuve de la destruction prévue de plusieurs appartements et l’interdise », alors que le projet était porté par un autre vice-président socialiste du Grand Avignon, Joël Granier. Michel Mus s’inquiète d’une ghettoïsation du parc HLM, « que l’on veut réserver aux plus pauvres, au mépris de toute mixité sociale en appliquant des sur-loyers. On se bat contre les augmentations que les plus pauvres vont subir en plus d’une réduction drastique des APL de 50 à 60 euros. Et il y aura toujours des augmentations de loyer ». 

Christophe Coffinier

« Il faut des mesures particulières pour les quartiers populaires »

ENTRETIEN. Marc Vuillemot, maire (PS) de La Seyne-sur-Mer, dans le Var, est président de « Ville et Banlieue », l'une des associations à l’initiative des États généraux de la Politique de la Ville de Grigny. 

En quoi ont consisté les États généraux de Grigny en octobre ? 

Le point de départ a été le sentiment que le gouvernement semblait ne pas prêter l’attention nécessaire aux quartiers populaires. Des décisions brutales ont été prises cet été concernant la suppression de crédits liés à la Politique de la Ville et l’arrêt des emplois aidés notamment. Les élus ont été interpellés, confrontés à de l’inquiétude, de la colère, des demandes d’explications et d’appuis. Trois structures associatives – Ville et Banlieue, Villes de France et Bleu Blanc Zèbre – , pas du tout de même nature, se sont retrouvées et ont échangé. Puisqu’on n’arrivait pas à être entendus, on a décidé d’organiser un événement revendicatif afin d’alerter sur le risque gravissime de mettre en difficulté ceux qui concourent à maintenir les équilibres sociaux. L’objectif était également de mettre en évidence tout ce qui depuis quarante ans existe en matière de Politique de la Ville, ce qui a pu être expérimenté dans le domaine de la vie sociale dans les quartiers, ce que ces derniers portent en eux, avec les gens qui y vivent, qui y travaillent en partenariat avec le milieu associatif, les élus, et qui avancent des réponses possibles pour tenter de compenser les inégalités sociales, culturelles, géographiques, car il y a encore des quartiers ghettoïsés. Nous voulions mettre en exergue des solutions qui ont parfois porté leurs fruits. 

On évoque désormais « l’appel de Grigny », de quoi s’agit-il ? Quels en seront les prolongements ? 

Il consiste à dire : « Réveillez-vous, on est sur une mauvaise pente, vous n’avez pas réalisé ce qu’est le nécessaire accompagnement de millions d’habitants de nos sites urbains fragiles. Il réclame des mesures d’urgence et des mesures durables. Parce que le contexte est très tendu. C’est une adresse à l’État et au président de la République, lequel aujourd’hui ne s’est toujours pas manifesté. Ce qui va nous amener à poursuivre, notamment le 22 novembre à Paris, au moment du Congrès des maires de France, avec une sorte de deuxième rendez-vous qui devrait se tenir à l’Hôtel de Ville de Paris, toujours avec la même démarche mais peut-être en haussant un peu le ton quand même. 

Vous pointez des zones de « non-droit » auxquelles se heurtent des projets de rénovation urbaine… Une problématique qui dépasse la seule question du logement ? 

On ne peut pas intervenir sur des territoires uniquement sur la dimension infrastructurelle. Elle est essentielle car elle pose la question de l’habitat, et en particulier du logement social – la moitié des cinq millions de gens qui vivent dans les quartiers prioritaires sont en dessous du seuil de pauvreté. Un habitat accessible à tous, modernisé dans des logiques de développement durable, des charges locatives moindres, des espaces communs – services publics ou au service du public –, les espaces extérieurs, les dessertes des transports collectifs, et surtout l’ouverture, la déghettoïsation géographique des quartiers… sont autant de points qui relèvent d’une démarche infrastructurelle engagée depuis le lancement des programmes de rénovation urbaine. Tout ça c’est une chose, mais il y a tout le reste, qu’on pourrait appeler « accompagnement social ». Il est absolument nécessaire d’avoir dans ces quartiers des mesures particulières en matière d’éducation, d’accès à l’insertion et à la formation professionnelles, à la culture et au sport. C’est tout ce que l’on doit faire en plus pour ceux qui ont moins. Je pense en particulier à la question de la sécurité, très prégnante. Les réalités probablement économiques des familles – il faut dire les choses comme elles sont – font qu’on transgresse le droit. Il faut montrer patte blanche à des trafiquants qui s’emparent d’espaces pour faire fonctionner leurs activités. On atteint un seuil gravissime. Le risque est la perte totale de confiance dans l’institution républicaine. Le meilleur remède contre ça est quand même d’avoir accès au travail. Et juste au moment où cette question se pose, on décide de mettre un terme à un instrument qui est celui des contrats aidés. Même si ce n’est pas une situation idéale par principe, il y a une obligation de mise en perspective d’une formation qualifiante et dans l’immense majorité des quartiers prioritaires, ces dispositifs débouchent souvent sur des perspectives d’insertion professionnelle plus durables… Nous avons protesté et avons été entendus puisqu’il a été annoncé que les emplois aidés intervenant en direction des publics des quartiers prioritaires ne feront pas l’objet de la mesure arrêtée pour l’ensemble du pays. Reste à en connaître les tenants et les aboutissants. Il faut demeurer vigilants et continuer à mettre la pression. 

Vous dénoncez une « fragilisation » du mouvement HLM. Quelles en seront les conséquences ? 

Cela peut être catastrophique pour 100 des quelque 250 offices publics de l’habitat. A La Seyne nous sommes bien placés pour le savoir. Faire assumer la décision de la baisse des APL au seul mouvement HLM public, et pas au locatif privé, avec une diminution de 50 à 60 euros du prix des loyers, va empêcher des offices de remplir leurs missions. Nous ne pourrons plus évidemment créer du logement social – alors qu’on en a énormément besoin en Paca. On ne pourra pas entretenir l’existant, ni poursuivre les politiques de rénovation urbaine pourtant contractualisées avec l'État. Et même en ne faisant rien de tout cela, ce qui serait une folie, on risque de se retrouver en faillite et de mettre la clé sous la porte. 

Vous en appelez à la mobilisation citoyenne ? 

C’est là que l’on mesure aussi à quel point l’éducation populaire est primordiale. Évidemment si on dit aux gens : « Tu vas payer 50 euros en moins de loyer et on te demande de venir te bagarrer contre ça », c’est difficile. Il est donc nécessaire d’expliquer les conséquences de l’ensemble du dispositif. Il faut malgré tout en parler. Comme sur les contrats aidés, je suis un peu surpris notamment par la frilosité des grands mouvements d’éducation populaire dont je suis pourtant issu, face à de telles décisions mortifères. Au travers de la démarche des États généraux, de l’appel de Grigny, puis de ce qui va se passer à Paris en novembre, j’espère voir arriver dans le mouvement tous ces acteurs du champ associatif, de l’économie sociale et solidaire et de l’économie tout court. 

Entretien réalisé par A.M.