Emmanuel Macron " Doit faire ses preuves "

Le candidat du mouvement, bien qu'il en fasse la tournée, n'est pas encore à son zénith. Rencontre avec ceux qu'il doit finir de convaincre.

Un trou d’air ou le début de la fin ? Samedi à Toulon, le Zenith Omega n’a pas fait le plein. Les 2000 partisans attendus n’étaient pas là. L’ambiance non plus… 1200 à 1500 tout au plus. Loin des derniers rendez-vous à guichets fermés. Loin de l’ambiance électrique qui entourait ses dernières apparition messianiques.

La faute aux “ 70 abrutis qui vous ont empêché d’entrer “ lâchera sur l’estrade en guise de préambule et d’explication le député maire (PS) de Forcalquier, Christophe Castaner, faisant référence aux quelques 150 manifestants, cheveux blanc et drapeaux tricolores frappés des pieds-noirs symbole des rapatriés d'Algérie, venus crier leur colère après les propos tenus par Emmanuel Macron au sujet de la colonisation.

L’empreinte du Front National était évidente aux portes de l'établissement. Le parti de la haine s’est engouffré dans une plaie, peut-être sciemment rouverte par l’ancien ministre de l’économie du gouvernement socialiste, au moment de descendre dans le Sud. 



Quoi qu’il en soit, le candidat d’En Marche! qui se pose en homme du rassemblement a touché du doigt, sans doute pour la première fois, toute la difficulté de ce périlleux exercice. En avançant masqué et sans véritable programme, le candidat, dont l’image jeune, dynamique et moderne attire, peut rassembler. Mais jusqu'où et pendant combien de temps ?

La campagne présidentielle va désormais lui imposer de détailler, d’expliquer, d’affirmer. Nombreux samedi étaient d’ailleurs venus d’abord à Toulon pour se faire une idée de qui est cet homme qui se prétend “ ni de droite, ni de gauche “. 

Nous les avons rencontrés. Eux et leurs interrogations.

En 2012, j'avais voté Marine Le Pen par contestation "

Emmitouflée dans un manteau trop grand pour elle, Christiane, la quarantaine, ressemble à un petit oiseau dans un ciel trop vaste. Sa carrière, cette Toulonnaise l'a faite dans le milieu de la culture mais depuis trois ans, elle est sans emploi. Si elle refuse d'être filmée, c'est parce qu'en 2012, elle a " voté Le Pen " confie-t-elle un peu honteuse. Par dépit d'une classe politique qui, jamais, n'a répondu à ses questionnements sur les inégalités et sur " les gens qui paient trop d'impôts en travaillant toujours plus " . Elle souhaitait alors leur envoyer un message... 

Samedi, elle tenait absolument à venir voir Emmanuel Macron, qui lui a redonné un peu d'espoir depuis son entrée dans cette campagne électorale. Mais pourquoi lui trouve-t-elle toutes les qualités alors que tous les autres, à ses yeux, ne valent pas le prix du papier de leur bulletin de vote ?

La visite dans le sud d'Emmanuel Macron pour dévoiler (un peu) ses propositions sur la sécurité a fait mouche auprès de Christiane. Au point de lui faire oublier qu'il a été l'une des pierres angulaires du dernier quinquennat, qu'elle juge "désastreux". 

" Quand il y a de l'insécurité, on va pas brûler la voiture du banquier de Rothschild ! "

Jean-Pierre et Aurélien Mathieu sont Varois. Ce samedi, ils ont parcouru en famille les quelques kilomètres qui séparent le Zénith de Toulon de leur ville, la Seyne-sur-Mer, afin d'assister au meeting en compagnie de quelques amis. L’un se dit de droite, l’autre plutôt de gauche. Le fait est que tous les deux s’y retrouvent. Une question de vision, sans doute. Car en creusant, le père est le fils se rejoignent quand même beaucoup.

Jean-Pierre, le papa, est cadre retraité de la fonction publique. Il a voté Hollande en 2012. Et si il a pu le regretter par moment, il estime toutefois que " pas grand monde aurait fait mieux ".

Aujourd’hui son champion, c’est Macron : " Il y a du Obama en lui " lâche même le clinquant sexagénaire. Et même si sur quelques points il n’est pas tout à fait d’accord avec l’ancien employé de la banque Rothschild, il s’avoue " séduit par la démarche " et apprécie cette volonté de dépasser les clivages.

Il rejoint là-dessus son fils Aurélien, 36 ans, notaire-stagiaire et chargé d’enseignement à la faculté de droit d’Aix-Marseille. Lui est venu pour se prendre en pleine figure " cet air frais que Macron fait souffler sur la classe politique ".

Si son programme mérite d'être " explicité un petit peu ", samedi, les propositions d’Emmanuel Macron sur la thème de la sécurité ont particulièrement convaincu Jean-Pierre. Au point d’en oublier qui était son champion : " Je connais des gens qui habitent la cité. Par exemple à Berthe (une cité de la Seyne, ndlr)... et encore Berthe c’est pas trop trop mal... Mais quand il y a de l’insécurité qu’on brûle une voiture, de qui on va brûler la voiture ? On va pas brûler la voiture du banquier de Rothschild ? " Imparable. D’autant plus que samedi, Emmanuel Macron est venu en taxi !

Après avoir voté Sarkozy en 2012, Aurélien juge lui le bilan du quinquennat de François Hollande " assez mitigé " tout en appréciant la posture de " chef des armées " prise par le Président lors des aux attaques terroristes qui ont secoué ces deux dernières années le pays…


Par delà leurs différences affichées, Aurélien rejoint également son père dans les pas de Macron sur des questions économiques. La loi Macron qui a dans son domaine a libéré les notaires de l'achat de leur charge, un héritage napoléonien, il ne trouve pas grand chose à y redire. La loi travail non plus. Pour eux, comme pour d’autres, s’attaquer à l'emploi en simplifiant notamment le code du travail est une choses qui compte.

"Sous Hollande, il n'a pas eu le temps de mettre en place toutes ses réformes"

Thierry, lui, a la cinquantaine grisonnante et pour lui aussi, s'attaquer au marché du travail est une nécessité. Formateur et spécialiste en management, il est un de ceux qui a participé à l'organisation du meeting toulonnais. S'il s'est engagé avec Macron, c'est parce qu'il représente "un espoir d'autre chose", et notamment la fin des clivages gauche-droite. Pourtant, Thierry dit être un homme de gauche, mais de cette même gauche qu'Emmanuel Macron, celle " des valeurs humanistes " et du " pragmatisme ".

Pour Thierry, l'extrême intelligence de Macron, sa culture, son charisme et sa jeunesse sont des atouts inestimables. Au point même de reléguer au second plan son programme, pour l'heure inexistant.

Au point, aussi, de trouver des excuses à l'ancien ministre de l'économie, pourtant seul candidat déclaré à devoir aujourd'hui assumer le bilan de Hollande qui, pour Thierry, n'avait pas les épaules pour la charge de la fonction. 

"Il n'avait pas pris la mesure du rôle et des responsabilités. On ne s'improvise pas président de la république. Hollande a manqué de professionnalisme". Pour lui, Hollande aura été trop politique et pas assez économique à un moment où la France en avait besoin. Et lorsqu'on lui fait remarquer que "son" candidat était alors le responsable de l'économie, voilà ce que répond Thierry.

La loi travail, " qui n'était pas une loi contre les travailleurs mais une loi qui offrait plus de souplesse ", n'est donc pas allée assez loin pour Thierry. " On ne négocie pas un accord dans une banque comme on le négocie dans une petite entreprise de BTP. Et aujourd’hui, 75% du tissu économique est constitué de PME où les syndicats sont absents. Avoir des discussions et des accords au sein de chaque entreprise est ce qui garantit la meilleure des souplesses et la meilleure des démocraties". 

Dans un monde idéal peut-être, mais dans le monde du travail actuel comment une poignée de salariés dont la survie dépend de leur patron pourront-ils résister à ses exigences dans ces fameuses négociations ? Comment être sûr que les patrons joueront le jeu et n'imposeront pas aux salariés des accords inacceptables ?

Thierry, en quelque sorte, est un formidable exemple d'une large part de ceux chez qui le discours de Macron trouve un écho. Humaniste et hautement qualifié, il considère qu'un patron ne pourra pas se mettre à dos les salariés, sous peine de voir son activité disparaître. 

Mais si cela peut être vrai chez les consultants et spécialistes en management des entreprises, où la main d'oeuvre est difficile à trouver et former, il en sera tout autre pour des activités peu qualifiées, où le patron pourra imposer ce qu'il entend à ses salariés, sous peine de les remplacer par d'autres dans la journée, bien moins regardants sur leurs conditions de travail. 

À l'UDI, les candidats qui sont sortis des primaires n'étaient pas les miens "

Dans leur t-shirt En Marche ! Sandrine et Aline s'autorisent une pause cigarette sur le parvis du Zénith. Avant de se lancer dans l'aventure Macron, toutes deux avaient des profils opposés. Aline n'a pas voté depuis plus de 20 ans, dégoûtée par la " politique politicienne " tandis que Sandrine est " centriste dans l'âme, humaniste et pro-européenne ". Anciennement à l'UDI, elle est élue locale dans le Var mais " sans l'investiture de l'UDI ". Si aujourd'hui elle est avec Macron, c'est parce que les candidats qu'on lui a proposé durant la primaire de la droite et du centre n'étaient pas les siens, et ne correspondaient pas à ses valeurs.

La première est en attente d'une formation dans le funéraire, ce " secteur où il n'y aura jamais de chômage " tandis que la seconde est infographiste, spécialisée dans l'urbanisme et l'architecture. Toutes les deux se retrouvent pourtant sur un point : l'espoir en Macron dans un paysage politique qu'elles jugent bouché, attiré par son côté rafraîchissant.

Plutôt que de s'attarder sur son programme dont les contours sont encore flous, les deux militantes préfèrent se retrouver dans son humanisme et sa volonté de s'adresser à tout le monde, " du grand patron au petit ouvrier ".

Quand on leur demande de juger le quinquennat de Hollande, toutes deux ne sont pas d'accord. Si Sandrine, ancienne militante de l'UDI préfère sortir son joker, Aline le juge mitigé et trouve que François Hollande n'a pas été aidé par la période, empreinte de crises et de violences terroristes.  Pas de joker en revanche pour le bilan d'Emmanuel Macron. Et même ça, Hollande l'aura fait échouer selon Sandrine.

Quant à la loi travail, elles la voient comme un changement inéluctable à opérer dans notre société en mouvement, dans laquelle le "travail à la papa et maman" n'existe plus. Cette même loi qui rend le travail plus flexible permettrait de mieux vivre son emploi, en favorisant des plages de temps pour la famille. 

Et lorsqu'on leur rétorque que la loi travail pourrait permettre à un patron d'annuler et repousser les congés en famille d'un salarié au dernier moment en cas de grosse commande, le refuge se trouve... dans le code du travail qu'Emmanuel Macron... veut pourtant simplifier au maximum.

Il y a des gens très bien de droite et des gens pas bien du tout de gauche "

À la sortie du meeting, le duo dénote un peu dans la foule policée et très "classes supérieures" qui quitte le Zénith. Un jeune d'origine maghrébine discute avec un homme d'une soixantaine d'année à l'accent que l'on dirait alsacien. Le premier est l'ancien élève du second, professeur de sciences physiques, et c'est par hasard qu'ils se sont retrouvés dans les gradins du Zénith. 

Hamer a vingt ans et il est en deuxième année de BTS à la Seyne-sur-Mer. À la différence de Bernard, son aîné, cette élection présidentielle sera sa première et il n'est pas un " macroniste " convaincu. 

Si tous les deux répondent qu'ils sont de gauche quand on leur pose la question, ils disent aussi accepter de moins en moins les clivages. " Il y a des gens très bien de droite et des gens pas bien du tout de gauche " affirme Bernard, l’œil rieur. 

Tous deux croient Macron lorsqu'il dit n'être ni de gauche, ni de droite. Pour Hamer, " il essaie d'avoir les justes valeurs des deux côtés " et pour Bernard, "il essaie de rassembler. On est Français avant tout". Comme ceux rencontrés avant, ils trouvent dans son charisme et sa jeunesse une bouffée d'air frais. Et dans son ébauche de programme, c'est forcément l'éducation qui retient leur attention, ainsi que les réformes sociétales promises.

Pour eux, le quinquennat sortant que Bernard juge mitigé mais très " fade ", ne sera pas un caillou dans la chaussure de Macron, qui y a pourtant grandement participé. " Si l'on va par là, c'est des reproches que l'on peut faire à la plupart des candidats, assure Hamer. Fillon était dans le gouvernement précédent non ? "
" Et Hamon a fait un petit bout de celui-ci aussi il me semble " renchérit Bernard.

Même si Macron leur est apparu convaincant, même Bernard le supporter pense que le jeune candidat sans parti doit encore, " comme au bac, faire ses preuves ".

Un peu plus loin, un couple de trentenaire aura suivi le meeting à l'écart, un peu en retrait et tout en haut des gradins. Le besoin de " prendre de la hauteur " explique Fabrice dans un sourire. Ils sont venus en curieux, pour voir l'animal politique dont tout le monde parle et ils l'ont trouvé plutôt convaincant. Pour eux, il représente peut-être la France de demain. Et même s'ils n'ont rien appris de particulier ce samedi, l'image qui en ressort est plutôt positive. 

S'il finit de les convaincre, pour tous les deux, voter Macron qui n'est ni de droite, ni de gauche, sera peut-être aussi un bon moyen de pacifier les discussions : lui, en 2012, a voté Hollande tandis qu'elle votait Sarkozy...

Lui Président ?

Combien y avait-il de Christiane, de Jean-Pierre, de Hamer ou d'Aline samedi au Zénith de Toulon ? Combien étaient-ils à s'enthousiasmer pour un candidat qui, à défaut d'avoir un programme clairement défini insuffle son dynamisme et sa jeunesse à cette campagne ? Combien sont-ils à avoir délaissé le FN, le PS, les Républicains ou l'UDI pour suivre son mouvement ? L'homme ratisse très large.

Et finalement, seront-ils toujours là au soir du premier tour ? Lorsque la stratégie du mouvement et du marketing des idées aura du laisser la place à celle, plus terre à terre, du détail des programmes ? Car Emmanuel Macron, en se posant en candidat du rassemblement et de la fin des clivages, devra, à un moment ou un autre, sur un ou sur tous les sujets, affirmer des positions claires. Et forcément clivantes.

En attendant, Christiane, Jean-Pierre, Hamer et tous les autres avaient samedi une certaine idée du visage qu'aurait la France dans cinq ans... une fois que Macron aura dirigé le pays. 

Textes, photos, vidéos, sons et infographies
Christophe Casanova et Paul Goiffon