Le jour qui a changé
le monde

11.09.2001

Inhumanité

Par Jean-Claude Souléry

Les images sont toujours dans nos têtes. Leurs déflagrations retentissent encore malgré le temps. C'était le jour où la puissante Amérique vacillait dans un fracas inimaginable. Nous nous disions déjà «c’est la guerre», nous nous doutions que l’ennemi serait implacable, qu’il pouvait frapper par surprise, et nous prenions conscience que nos civilisations, comme nos plus belles tours, étaient d’une grande fragilité. 

Pour toute réponse, nous avons engagé nos forces militaires d’Afghanistan en Irak, et, par un besoin de vengeance qu’elle croyait juste, l’Amérique de George Bush a entrepris la grande déstabilisation du Proche-Orient, imaginant que la mort des dictatures changerait l’histoire. Il a fallu longtemps pour abattre physiquement l’homme du 11 septembre qui symbolisait alors le «mal» absolu, Oussama Ben Laden. Et au passage abattre aussi Saddam, Khadafi, ébranler Assad, promettre aux peuples «libérés» notre démocratie comme un produit d’importation, sans mesurer vraiment combien le désordre appellerait le désordre. 

Quinze ans plus tard, le 11 septembre est devenu une date historique, comme un fait d’arme abominable, organisé, planifié, exécuté avec minutie et logistique. Mais la guerre a changé de nature, le fait d’arme est devenu faits-divers, et ces faits-divers monstrueux nourrissent notre actualité, ils font de chaque jour des jours où l’effroi devient possible. C’est le terrorisme du tout-venant, le terrorisme du coin de la rue, du camion et des bonbonnes de gaz, le terrorisme du pauvre – et, par pauvre, nous entendons le lâche, le paumé, le fou, le salaud, la triste infanterie de l’inhumanité.


Il y a 15 ans, ces attaques qui ont changé le monde



En lieu et place des tours jumelles du World Trade Center, détruites par les attaques du 11 septembre 2001, l'eau ruisselle en continu dans deux bassins, comme autant de vies englouties. C’est le mémorial de la plus grande attaque qu’aient connu les Etats-Unis sur leur sol, faisant près de 3 000 morts, des milliers de blessés, victimes de troubles physiques ou mentaux, et près de 5 500 cas de cancers consécutifs aux dégagements de poussières dans l’effondrement des deux tours. 

Poursuivre l’Arabie Saoudite ?

Ce dimanche matin, 15 ans après, le recueillement prendra la forme de chants et de danses au pied de la « Freedom Tower », nouveau sommet américain dominant le site du haut de ses 541 mètres. A la télévision, sur CNN, c’est le film des Français Jules et Gédéon Naudet, unique témoignage réalisé avec les sauveteurs au cœur de la tragédie, qui en retracera les heures.

Alors que le monde vit toujours les soubresauts des premiers attentats meurtriers du XXIe siècle -la guerre en Afghanistan puis en Irak et la naissance de Daech-, le Congrès américain ouvre une brèche juridique pour les familles endeuillées. Il a adopté vendredi une loi autorisant les proches à poursuivre des pays comme l'Arabie Saoudite, soupçonnée (« sans preuves irréfutables », d’après les enquêteurs) d’être impliquée dans ces attaques commandités par Al-Qaïda. Son chef, Oussama Ben Laden a été tué dix ans après les attentats, au Pakistan. 

Le président Barack Obama pourrait opposer son veto à cette loi au nom de l’immunité des Etats. Les 19 terroristes du 11 septembre sont morts en précipitant les quatre avions détournés sur le World Trade Center, sur le Pentagone et en Pennsylvanie. Mais un islamiste français, Zacarias Moussaoui (qui a vécu à Narbonne) en prison au moment des faits, a répondu de l’accusation de conspiration. Âgé aujourd’hui de 48 ans, il a été condamné à la perpétuité sans possibilité de remise de peine. 

Ce matin, Sydney, une Franco-Canadienne de 17 ans dansera au mémorial. En levant la tête, elle ne pourra qu’imaginer la tour où travaillait son père, Mike, et son dernier appel à Sophie, sa femme « Je ne sais pas ce qui va se passer, occupe-toi bien des enfants, je t’aime, je t’aime ». 

Pierre Mathieu

Le mémorial
et l'avenir du site


Le One World Trade Center (ou 1 World Trade Center ou 1 WTC ; le bâtiment actuel a été surnommé Freedom Tower au début des travaux) est le principal bâtiment du nouveau complexe World Trade Center dans le Lower Manhattan, à New York, le plus haut gratte-ciel de l'hémisphère ouest11. Cette tour de 104 étages porte le même nom que la tour jumelle nord du World Trade Center initial, détruite lors des attentats du 11 septembre 2001. Le nouveau complexe World Trade Center, auquel la tour appartient, comprendra trois autres immeubles de grande hauteur situés le long de Greenwich Street et du mémorial du 11-Septembre, juste au sud du One World Trade Center, là où se trouvaient les tours jumelles. (Wikipedia)





Comprendre
le 11-septembre
en infographies




11 septembre 2001 : ils ont vécu et filmé l'enfer

Les frères naudet au plus près du drame

Gedeon et Jules Naudet retournent régulièrement à la caserne de pompiers de Duane Street, à Manhattan, la plus proche des tours disparues du World Trade Center. C'est là que les deux documentaristes français, dont le film sera diffusé aujourd’hui par CNN, ont vu leur vie changer. Durant l’été 2001, ils réalisaient un film sur la formation d’un jeune pompier, Tony. Le mardi 11 septembre, peu avant 9 heures, Jules, 28 ans, était sur le trottoir avec le chef Pfeifer lorsqu’il a entendu un bruit d’avion au-dessus de sa tête. Par réflexe, il lève sa caméra au ciel, filmant le premier crash, dans la tour Nord (ce sera l’un des deux seuls enregistrements existants). 

Les désespérés se jettent des étages

Puis sans cesser de filmer, Jules suit les pompiers au cœur de la tour. On entend à l’extérieur le fracas de la chute des désespérés qui se jettent des étages. Quelques minutes plus tard, ils sont sortis lorsque la tour s’effondre : Jules saute entre deux voitures pour éviter le gigantesque nuage de débris, Pfeifer se couche sur lui pour le protéger. Pendant ce temps, Gédéon, l’aîné des Naudet, filme la caserne et les rues. Jules le croit mort. En fin de journée, les deux frères se retrouveront à la caserne... «En le voyant, je suis redevenu un gosse », raconte Jules, aujourd’hui âgé de 43 ans. En 2002, Jules a célébré son mariage à la caserne, il a maintenant deux enfants. Parmi les pompiers de Duane Street, le jeune Tony travaille ailleurs, certains ont divorcé, d’autres se sont mariés, et deux sont morts de cancers provoqués par les poussières. 

Le 11 septembre tue encore

« La chose la plus horrible, c’est que le 11 septembre tue encore », dit Jules. Après les 2 977 victimes dujour des attentats, 5 400 cas de cancers consécutifs au 11 septembre ont été diagnostiqués. Le formidable film des frères Naudet sorti en 2002, « New York : 11 septembre » a donné lieu à une version augmentée en 2010 « 9/11 : 10 ans après ». 

CNN le diffuse aujourd’hui avec une présentation de Denis Leary, acteur d’une série sur le sujet... de 43 épisodes. Gédéon Naudet, 46 ans, s’est marié récemment et il attend son premier enfant « Ce qui est troublant, c’est qu’il pourrait naître le 11 septembre ! ». 

Pierre Mathieu

AVEYRON
Georgette : « Ce n'était pas notre heure ». 

Georgette Costes, 85 ans, de Lacapelle Balaguier, et son mari Yves (aujourd’hui décédé) faisaient partie du groupe d’Aveyronnais qui visitait New York le 11- septembre 2001. « A l’époque, j’avais 70 ans, on venait de quitter le Canada pour les Etats-Unis et ce jour on devait se rendre aux Tours jumelles. On avait prévu d’y manger et d’aller voir la statue de la Liberté. Par chance, on est arrivé de bonne heure à Manhattan. On était dans le car quand les tours ont explosé. Certains ont dit qu’ils avaient entendu les avions, moi non. On ne comprenait rien à ce qui se passait. On voyait des gens descendre dans la rue; des ambulances, des voitures couvertes de cendres. C’étaient impressionnant. Je ne peux pas dire que j’ai eu peur car on ne réalisait pas ce qui se passait. Tandis qu’ici, mes filles étaient folles d’inquiétude quand elles ont appris la nouvelle. Après l’explosion, le chauffeur du bus n’arrivait plus à quitter la zone, tout était bouché. Une fois qu’on a retrouvé notre hôtel, on y est resté bloqués pendant plusieus jours. On n’arrivait plus à partir, tout était bloqué et je me souviens qu’on n’avait plus de sous… On n’était pas malheureux, on jouait aux cartes. On était vivants. Moi, je dis que ce n’était pas notre heure. » 

S.V. 

TARN
Huguette : « Je ne voyage quasiment plus »

New York, mardi 11 septembre 2001, 7 h 30. Le bus d’une quinzaine de touristes français quitte l’hôtel du New Jersey en direction du cœur de Manhattan où une visite de l’empire state building et des twins towers est au programme de la journée. À son bord Huguette Cazettes, postière à Aussillon, qui voyage avec une amie albigeoise. Les deux Tarnaises ne visiteront jamais ces gratte-ciel de la ville américaine, qu’elles avaient découverts la veille, de nuit. 

« Le bus a brusquement été arrêté à un carrefour par un piéton qui hurlait : « N’allez pas plus loin, une tour vient d’exploser, c’est un attentat, un avion», racontait Huguette, dix jours après l’attentat, lors de son retour dans le Tarn.« Je n’ai jamais oublié ces moments raconte-t-elle aujourd’hui, même 15 ans après j’en parle avec émotion. J’avais peut-être un pressentiment car je ne voulais pas aller à New York mais c’était compris dans le voyage. Je n’en ai rapporté que de mauvais souvenirs et je n’y retournerai jamais plus, d’ailleurs je ne voyage quasiment plus, j’ai peur de repartir et les récents événements ne m’y incitent pas, ça me bouleverse, ça me prend les tripes. Quand je suis rentrée à Aussillon après le voyage, conclut Huguette, j’ai repris le travail tout de suite, ça m’a aidé, en fait je me suis soignée toute seule, sans consulter ». 

R.R.

La menace terroriste hante toujours l'Amérique

Correspondance particulière de Luc Watson à Washington

Pourcentage révélateur: 54 % des électeurs aux États-Unis jugent que leur pays est aujourd'hui plus vulnérable au terrorisme qu’avant le 11 septembre 2001. Le résultat de ce sondage réalisé fin août par FoxNews en dit long, non seulement sur la crainte d’attaques djihadistes sur le sol américain, mais aussi sur la manière dont l’Amérique a profondément changé en quinze ans. 

L’Amérique a perdu de son innocence 

« Avant le 11 septembre, le terrorisme pour nous les Américains, c’était une histoire de prises d’otages ou d’attentats dans des pays lointains. Depuis, nous avons compris que nous ne sommes pas invulnérables et que notre territoire n’est plus un sanctuaire », explique Brad Golding, gérant de portefeuille à New York, qui se souvient très bien du drame qu’il a vécu il y a quinze ans, comme des millions d’Américains. » L’Amérique a perdu beaucoup de son innocence en quinze ans. « Nous étions vulnérables mais nous ne le sentions pas. Aujourd’hui nous avons l’impression d’être plus vulnérables parce que nous connaissons la menace, mais le fait qu’aucune attaque d’envergure ne se soit produite depuis quinze ans démontre clairement que nos services de police et renseignement font leur travail », nuance Dan Colarusso, journaliste new-yorkais. C’est à cause des attaques du 11 Septembre sur New York et Washington que dans les immeubles de bureaux privés comme publics, il faut désormais montrer patte blanche, passer sous un portique de sécurité, présenter une pièce d’identité, laisser fouiller ses sacs ou serviettes, porter un badge... 

Difficile d’imaginer que n’importe qui, sans contrôle d’identité, pouvait par exemple jusqu’en 2001 entrer dans les bâtiments du Congrès. Pourtant, paradoxalement, il n’y a toujours pas de carte d’identité nationale aux États-Unis. Le seul moyen d’identification courante reste le permis de conduire ou la carte d’étudiant, ce qui est compliqué pour ceux qui ne conduisent pas et ne sont pas étudiants. 

Les adultes peuvent donc se faire établir, par le bureau de réglementation de véhicules automobile de leur État, « une carte de non conducteur », qui est exactement du même format qu’un permis, mais comporte la mention « Non valide pour conduire ». « Toutes ces procédures de sécurité sont ridicules », peste Brad Golding qui a travaillé pendant huit ans au World Trade Center et a perdu plus d’une dizaine d’amis dans les tours jumelles de Manhattan le 11 septembre 2001. 

« On est fouillé, palpé et questionné dans les aéroports dans une ambiance sécuritaire extrême. Pourtant dans les trains, comme celui que je prends tous les jours pour aller de chez moi dans le New Jersey à mon bureau à Manhattan, il n’y a jamais aucun contrôle. Nous avons crée des procédures et des contraintes comme si elles nous dispensaient de réfléchir à la réalité de la nouvelle menace. On cherche à se prémunir des dangers posés par des terroristes d’Al Qaïda de 2001, mais on ne semble pas tirer les leçons des attaques terroristes plus récentes comme celles de Daech en France, avec des camions ou de simples armes blanches », s’inquiète ce père de famille. Ici seulement 18 % des électeurs pensent qu’il est peu probable qu’une attaque terroriste de grande envergure fasse prochainement de nombreux morts sur le sol américain. 80 % jugent au contraire que ce triste scénario est soit « probable », soit « relativement probable ». 

La sécurité nationale, 2e sujet de préoccupation

Dans ce contexte, on comprend que le terrorisme et la sécurité nationale soient la deuxième plus importante préoccupation des Américains, derrière la situation économique. Après quinze années de guerre, d’abord en Afghanistan, puis en Irak, l’Amérique a perdu plus de 7 000 soldats. Cette année le Pentagone aura dépensé quelque 60 milliards de dollars de plus pour ses opérations en Irak et Afghanistan. Qui aurait cru cela après deux mandats de Barack Obama, candidat élu sur la promesse de retrait des troupes de ces théâtres ? Personne ne sait vraiment combien ces guerres, résultat direct et indirect du 11 septembre 2001, ont coûté. Si l’on tient compte des soins prodigués aux vétérans qui rentrent blessés, on dépasserait 6 000 milliards de dollars. 


La grande lassitude de l’Américain moyen à l’égard de ces conflits, élément important de la victoire de Barack Obama en 2008, est toujours là. Mais depuis plus d’un an l’irruption de la menace de Daech relativise les choses. En mai 2013, les deux tiers des Américains s’opposaient encore à l’envoi de troupes en Irak et en Syrie pour combattre les djihadistes. Aujourd’hui l’opinion est exactement divisée en deux sur ce sujet. Donald Trump est le premier républicain véritablement « post-11 Septembre ». 

Il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer George W. Bush, l’invasion de l’Irak en 2002 et la recherche d’armes de destruction massive. Le flamboyant promoteur immobilier ne manque pas de souligner qu’Hillary Clinton, alors sénatrice de New York, a voté en faveur de cette guerre, comme le voulait alors l’opinion publique américaine.

L. W.

Les conspirationnistes à l'oeuvre aux Etats-Unis comme en France


Les cendre des attentats du 11 Septembre étaient encore fumantes que les conspirationnistes de tout poil ont échafaudé des hypothèses à l'apparence plausible mais toujours farfelues. Quinze ans après les attaques, ces conspirationnistes n'en démordent pas : on a menti. Les partisans de ces théories soutiennent que le rapport officiel n'est pas assez complet et comporterait des mensonges et des omissions ; l'administration de George W. Bush n'aurait rien fait alors qu'elle était avertie ; des erreurs, des confusions et des contradictions venant du gouvernement ou de la presse prouveraient les mensonges ; etc.

Ces théorie ne sont pas propres aux Etats-Unis où des collectifs réclament la réouverture de l'enquête ; ils touchent aussi la France, comme le montre un sondage réalisé par l'institut Odoxa pour Spicee, media 100% digital dédié au grand reportage et au documentaire, qui cherche avec sa série « Conspi hunter » à déconstruire les théories conspirationnistes sur Internet.

66% des Français considèrent que l'on nous a caché des choses sur les attentats du 11 septembre 2001 

"15 ans après les attentats les plus meurtriers de l'Histoire, plus des deux tiers des Français (66%) estiment que l'on nous a caché des choses. Et plus on est jeune, plus on le pense : 75% des moins de 25 ans sont persuad|és que l'on nous a caché des choses sur ces attentats de New York contre seulement 55% des 65 ans et plus", observe directrice générale d'Odoxa. "Attention, ce résultat ne signifie absolument pas que notre territoire compte 68% de conspirationnistes. Il est logique que l'on puisse penser que les autorités ne livrent pas l'intégralité des informations dont elles disposent sur des actes de terrorisme. Mais c'est parce que cette évidence fut souvent niée officiellement puis démentie par certaines révélations journalistiques (les liens des Bush avec la famille Ben Laden par exemple), que les tenants du complot ont pu faire prospérer leur thèse : on ne nous cache pas seulement des choses, la version officielle du 11 septembre 2001, n'est qu'un vaste mensonge."

Bien que les dix-neuf pirates de l'air du 11 septembre ont été identifiés et AI Quaida désignée comme commanditaire, pas moins de 45% de Français estiment que toujours qu'on "on ne connaît pas vraiment les responsables de ces attentats" quand 54% répondent qu' "on les connaît vraiment".

28% des Français estiment que le gouvernement américain a été impliqué dans ces attentats 

La grande thèse des conspirationnistes serait que l'administration Bush est à l'origine des attentats du 11 septembre. "Contre toutes attentes, près de 3 Français sur 10 (28%) pensent bien que le gouvernement américain a été impliqué dans ces attentats", observe Odoxa.

Philippe Rioux

"Le jour qui a changé le monde". Un long format de la rédaction des information générales de La Dépêche du Midi. 

Textes : Jean-Claude Souléry, Pierre Mathieu, Luc Watson, Philippe Rioux, Sophie Vigroux.
Mise en page : Philippe Rioux.
Photos : AFP, DR.
Infographies : agencé Idé.
© La Dépêche du Midi, septembre 2016.