L'odyssée de Thomas Pesquet



« Participer à l'exploration spatiale est pour moi un engagement envers l’avenir. Nous devons bien sûr penser au présent et mieux nous occuper de la Terre et de ses habitants, mais il ne faut pas pour autant négliger le futur. » 



Il est ceinture noire de judo. Il est diplômé de l'Institut supérieur de l'Aéronautique et de l'Espace de Toulouse. Il sait piloter un Airbus A320. Et il est aujourd'hui le dixième Français de l'histoire dans l'espace. Depuis le 19 novembre 2016, Thomas Pesquet gravite autour de la Terre dans la Station spatiale internationale (ISS) et ne cesse de nous fasciner avec ses clichés de la planète bleue. C’est en mai 2009 que le pilote d'Air France aux 2300 heures de vol est sélectionné pour devenir astronaute. 

Qui aurait dit que le petit Normand qui jouait avec une navette spatiale en carton fabriquée par son père serait un jour désigné parmi 8000 candidats pour passer six mois dans l'espace à 400 kilomètres d'altitude ? En effet, le ticket pour Baïkonour était loin d'être gagné d'avance. Forme athlétique, calme olympien, esprit vif... Les critères de sélection étaient nombreux.

La sélection

Pendant une année entière, physique et mental des 8000 aspirants ont été passés au peigne fin pour sélectionner le meilleur des meilleurs. Après une étude des dossiers qui élimine 97,5 % des candidats, les 200 restant en compétition subissent une batterie de tests psychologiques: capacité à résoudre des problèmes en groupe, résister au stress, se focaliser sur la solution et pas sur les problèmes, voilà ce qui fait un bon candidat. 

Tests de torture

Puis, les 50 au mental le plus solide passent une visite médicale extrêmement poussée. Le temps des « tests de torture » comme la centrifugeuse, la table basculante ou le tabouret tournant est révolu, mais grâce aux nouvelles technologies médicales, rien n'est laissé au hasard. Un homme qui pourrait vivre centenaire sur Terre ou être pilote de chasse, n'a pas forcément le physique adapté au métier d'astronaute. Une seule petite anomalie au niveau des artères, du cœur ou de la rétine peut favoriser l'apparition de problèmes lors de l'exposition longue durée dans l'espace, et donc être éliminatoire.

La préparation


Heureusement, Thomas Pesquet a un physique... « Parfait ». Il est donc sélectionné pour rentrer à l'Agence spatiale européenne (ESA) et commencer sa formation en septembre 2009 avec cinq nouveaux collègues au Centre européen des astronautes à Cologne en Allemagne. 

L'ancien ingénieur du Centre National d'Études Spatiales (Cnes) et spécialiste de la dynamique des satellites en a maintenant pour sept ans. Sept longues années qui s'appuient sur 18 mois de formation initiale où Thomas suit des cours intensifs d'informatique, de mécanique spatiale, de techniques médicales de base, de plongée pour simuler les sorties extra-véhiculaires, de russe (la partie la plus difficile selon l'astronaute)... 

Vol parabolique

Le Français a également droit à son premier vol parabolique en mai 2010, à bord d'un avion Airbus modifié qui permet aux pilotes d’effectuer des paraboles simulant des chutes libres, et ainsi d’obtenir une vingtaine de secondes de microgravité, l'impesanteur similaire à ce qu'on ressent dans l'ISS. En juin, il est envoyé deux semaines sous le soleil brûlant de la Sardaigne, sans assistance extérieure, afin d'acquérir réflexes et stratégies de survie en cas d’atterrissage imprévu de la capsule dans une région isolée. 

Enfin, en novembre 2010, la formation de base s'achève, les choses sérieuses commencent.

Thomas Pesquet devient Eurocom, c'est-à-dire intermédiaire entre l'espace et le sol, toujours disponible pour répondre aux questions des astronautes de l'ISS. Et après le soleil italien, c'est face aux températures glaciales de l'hiver russe qu'il se confronte début 2012 avec deux autres collègues. Leur seul moyen de survivre est de construire un refuge en abattant des arbres avec les moyens du bord. À côté, l'aventure Koh-Lanta ressemble d'avantage à une promenade de santé... Puis, tout s'accélère. 

Mission Proxima


La mission Proxima est officiellement annoncée pour 2016 et l'astronaute en formation participe à des stages de survie dans l’eau, cette fois avec ses deux coéquipiers d’expédition, l’Américaine Peggy Whitson et le Russe Oleg Novitsky. Et c'est avec une parfaite maîtrise du fonctionnement de la Station spatiale internationale et des navette et capsule spatiales, mais aussi des expériences scientifiques qu’il mène quotidiennement à bord, que Thomas peut enfin penser au départ.

Quarantaine et rituels


15 juillet 2016. Ça y est, Thomas Pesquet est en Russie, à Moscou, et avec ses deux compagnons de voyage, Peggy Whitson et Oleg Novitsky, il suit un des nombreux rituels qui vont précéder son décollage et dépose des fleurs sur la tombe de Youri Gagarine, premier homme à avoir effectué un vol dans l'espace le 12 avril 1961. Puis, le 2 novembre, dès son arrivée à Baïkonour (Kazakhstan) où se trouve le centre spatial qui le verra s'envoler pour l'ISS, le 10e astronaute français est placé en quarantaine. Repas à heures fixes à la même table tous les jours, sport, massage quotidien... L'ancien pilote de ligne a une vie bien réglée, et n'a de contact direct qu'avec les personnes qui s'occupent de lui, depuis les instructeurs jusqu'aux médecins, en passant par les cuisiniers pour éviter tout risque de contamination. Ce n'est qu'après une visite médicale minutieuse qu'Anne, sa compagne, pourra le serrer dans ses bras avant le grand départ. 

Premier vol Soyouz

Le 3 novembre, Thomas, Peggy et Oleg hissent le drapeau de leur pays, ce qui symbolise le début officiel de la phase finale de leur préparation. Une semaine plus tard, chaque astronaute dont c'est le premier vol en Soyouz plante également un arbre dans l'« Allée des héros ». Le petit orme de Thomas Pesquet s'y trouve donc depuis le 10 novembre, battu par les vents du centre du Kazakhstan. 

D'autre part, la veille du décollage, Youri Gagarine avait choisi de se décontracter devant Le Soleil blanc du désert (un western russe sorti en 1970) et de signer la porte de sa chambre le lendemain matin, avant de trinquer à la vodka. Depuis, tous les voyageurs de l'espace qui partent de Baïkonour respectent ces traditions, et Thomas ne déroge pas à la règle. Enfin, après 16 jours de quarantaine, Thomas et ses deux coéquipiers sortent de l'hôtel des cosmonautes, puis, encore une tradition issue de Gagarine, Thomas et Oleg urinent sur la roue arrière droite du bus qui les conduit au cosmodrome de Baïkonour. Peggy, quant à elle, utilise une bouteille d'eau.

Décollage vers l'ISS




Ce jeudi 17 novembre 2016, à 21H20 heure française, calé dans la capsule Soyouz placée au sommet de la fusée éponyme, Thomas Pesquet est prêt au départ. Un rêve d'enfant pour l'ingénieur de 38 ans. Propulsé à 20 millions de chevaux, l'astronaute n'a que 10 minutes à attendre pour se retrouver en orbite autour de la Terre, devenant ainsi le dixième Français dans l'espace et le plus jeune astronaute européen depuis 1994. 


Un moment magique qu'il savoure avec ses deux compagnons de voyage qui ne disent plus mot et ne font que sourire. Puis, après deux jours enfermés dans la minuscule capsule Soyouz, Thomas pénètre enfin dans l'ISS, accueilli chaleureusement par ses nouveaux colocataires.

« L'amarrage a été parfaitement nominal. Il n’y a rien de mieux pour commencer une mission dans un bon esprit. C’est un moment très émouvant d’ouvrir la porte, on a l’impression de retrouver une famille qui vous a manqué. Lors d’un vol spatial, on pleure deux fois. La première en laissant votre famille à Terre, la seconde en retrouvant celle de l’espace. »
Jean-François Clervoy, astronaute à l'ESA.

La science

Pendant les six mois qu'il passera à bord de ce grand laboratoire en chute libre dans l’espace, Thomas contribuera aux 62 expériences du programme Proxima, coordonnées par l’ESA et le Cnes. Et en plus de ces tests pour la plupart focalisés sur la physiologie humaine, il participera à 55 autres projets des agences spatiales américaine, canadienne et japonaise.

Par ailleurs, six expériences ont été spécifiquement imaginées par le Cnes et l’Institut de Médecine et Physiologie Spatiales (Medes) pour améliorer les conditions de vie et de travail sur l'ISS seront pilotées depuis Toulouse.

Thomas Pesquet doit tester de nouvelles surfaces intelligentes capables d’empêcher la prolifération de bactéries (Matiss), un nouvel outil de diagnostic de la qualité de l’eau (Aquapad) ou encore une application sur tablette qui permet un suivi santé nouvelle génération des astronautes (EveryWear). Il participe aussi à l'expérience Perspectives pour aider à comprendre les bouleversements du cerveau dus aux pertes de repères spatio-temporels à bord de l’ISS par l'intermédiaire d'un casque en réalité augmentée. Enfin, l'ingénieur étudie la dynamique des fluides dans l’espace (Fluidics) et vérifie le bon fonctionnement d’un nouvel échographe pouvant être commandé en temps réel depuis la Terre (Écho), pour alléger la formation médicale des astronautes qui, pour l'instant, se soignent énormément par eux-mêmes.

En outre, en plus de ces six missions scientifiques, Thomas Pesquet travaille en équipe avec des lycéens restés sur Terre. Le lycée Pierre Paul Riquet de Saint-Orens (31) et deux autres établissements ont par exemple proposé l'expérience Ceres consacrée à la croissance des graines en micropesanteur. Thomas fais donc pousser lentilles, moutarde et radis à bord de l'ISS. Enfin, le corps de Thomas est une expérience à lui tout seul car à son retour, des chercheurs examineront son cerveau, ses os et ses muscles pour étudier l’impact des vols spatiaux sur les êtres humains.

Première sortie dans l'espace

Finalement, aventure dans l'aventure, l'ancien pilote de ligne fera sa première sortie dans l'espace avec l’Américain Shane Kimbrough (actuel commandant de l’ISS) le 13 janvier 2017 après 7 semaines à bord de la station. La sortie, qui durera 7 heures au maximum, a pour but d'installer de nouvelles batteries. En effet, la station tire son énergie de 2 500 m² de panneaux solaires et des batteries sont nécessaires pour stocker cette électricité et alimenter les appareils même lorsque l'ISS se trouve dans l'ombre de la Terre.


"On commence bien à l'avance notre préparation en vue des sorties extravéhiculaires de janvier", précise Thomas Pesquet sur sa page Facebook. "L'entretien et la préparation des combinaisons demandent beaucoup de travail, sans compter le reste des préparatifs: révision de la chorégraphie et des gestes qu'il faudra effectuer à l'extérieur, organisation des instruments et équipements à manipuler le jour J etc… auquel il faut évidemment ajouter les milliers d’heures de travail pour tout le personnel au sol", ajoute-t-il. 

"La prochaine fois que vous verrez un acteur sauter dans un scaphandre et se ruer dehors en moins de deux... souvenez-vous que c'est du cinéma", plaisante l'astronaute qui sera le onzième européen de l'histoire à effectuer une sortie dans l'espace.

"L'Odyssée de Thomas Pesquet." Un long format de la rédaction des informations générales de La Dépêche du Midi.
Textes : Fleur Olagnier.
Photos : CNES, ESA.
Infographies : agence Idix.
Vidéos : ESA.
Mise en page : Philippe Rioux.
© La Dépêche du Midi. Décembre 2016.