Les 50 ans du Parc national des Pyrénées

Le Parc national des Pyrénées fête cette année ses 50 ans d'existence. Un anniversaire que La Dépêche du Midi a décidé de célébrer en publiant cet été une série de portraits de ceux qui, au plus près du terrain, font vivre le parc depuis un demi siècle.





Le Parc en bref

Réserve naturelle nationale du Néouvielle, vallée d'Aure © G. Besson - Parc national des Pyrénées

Le Parc national des Pyrénées est le troisième parc national français à avoir vu le jour par décret du 23 mars 1967. La France compte aujourd'hui 10 parcs nationaux sur son territoire, dont 3 en outre-mer. Ces espaces naturels ont été classés en parc national de par leurs richesses naturelles et culturelles exceptionnelles.


Un Parc national de montagne

Le Parc national des Pyrénées s’étire sur 100 kilomètres, sur 6 vallées, 2 départements (Pyrénées-Atlantiques et Hautes-Pyrénées) et 2 régions (Nouvelle Aquitaine et Occitanie), du Gave d’Aspe à la Neste d’Aure, le long de la crête frontière qui l’unit à l’Espagne. Son territoire s’étend sur 45 707 hectares pour la zone cœur, 128 400 hectares pour l’aire d’adhésion et 206 352 hectares pour l’aire optimale d’adhésion. Côté espagnol lui répondent le Parc national d'Ordesa et du Mont Perdu, créé en 1918, des réserves nationales de chasse et la réserve de biosphère du rio Ara.

Le coeur du Parc national s'étend sur des territoires d'altitude ne descendant jamais en dessous de 1 067 mètres et culminant à 3 298 mètres d’altitude à la Pique Longue du Vignemale. Il abrite des paysages extrêmement variés ; immense massif calcaire de Gavarnie ou montagne granitique de Cauterets, élégante silhouette d’origine volcanique du pic du Midi d’Ossau ou vallons secrets boisés de la vallée d’Aspe.

Fruits de débats passionnés qui présidèrent à sa création, son périmètre répond à des logiques mêlant écologie et politique, ce qui explique sa faible largeur (de 0,8 à 10 kilomètres) et son implantation en altitude.

Réserves naturelles et site classé UNESCO

Le Parc national des Pyrénées a également pour mission la gestion de deux réserves naturelles bien que situées hors du coeur du Parc national : la Réserve naturelle nationale du Néouvielle (2 313 hectares) en vallée d’Aure et la Réserve naturelle nationale des vautours fauves d’Ossau (83 hectares).

Le site "Pyrénées Mont Perdu, cirques et canyons" a été inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco en 1997 au double titre de patrimoine naturel et culturel. Les cirques de Gavarnie, Estaubé, Troumouse et Barroude, versant français et les canyons d'Aniscle, Ordesa, Escuain,et Pineta, versant espagnol représentent des phénomènes naturels et des exemples représentatifs des grands stades de l'histoire de la Terre. Ils sont d'une importance esthétique sur le plan paysager.

Ce site est aussi considéré par l'Unesco comme "un paysage culturel évolutif vivant".

L'Unesco a ainsi reconnu l'histoire exceptionnelle des communautés pastorales montagnardes.

Le coeur, une zone protégée

Le coeur du Parc national des Pyrénées, dépourvu d'habitants permanents, fait l’objet d’une réglementation spécifique afin de préserver la biodiversité et le caractère exceptionnel des patrimoines naturel, culturel et paysager du Parc national. Sur ce territoire de 45 707 hectares, s’exercent des activités traditionnelles telles que le pastoralisme et la sylviculture. Le coeur se développe sur le territoire administratif de 15 communes (6 communes en Béarn et 9 en Bigorre). Les collectivités sont propriétaires de 97% de cet espace.

Une aire d’adhésion

Dans l'aire d'adhésion, le Parc national des Pyrénées est un partenaire permanent de la vie locale. Une charte, projet concerté de territoire, a été élaboré par le Parc national des Pyrénées et les acteurs des vallées. Elle définit les objectifs de protection du coeur du Parc national et les orientations de mise en valeur et de développement durable des vallées : maintien de la qualité paysagère, aménagement des villages, soutien à la gestion des estives et à la valorisation des produits de l’agriculture locale, développement de l’activité forestière, gestion de l’accueil sur les grands sites touristiques, sensibilisation du public, conservation des patrimoines naturel et culturel, préservation de la ressource en eau. En 2016, 65 communes ont choisi d’adhérer à la charte et d’être partenaires du Parc national et composent l’aire d’adhésion.

Texte issu du site du Parc national

Gaston : le hasard et les isards

Photo DDM, Didier Donnat


Il est né il y a 73 ans à Gèdre, carrefour des routes menant aux deux plus majestueux cirques des Pyrénées : Troumouse et Gavarnie... Mais en 1944, le grandiose ne nourrissait ni son homme ni sa famille, au plus haut du pays Toy. 

«Mes parents avaient un petit café à Héas, Le Refuge, et leur ferme, une dizaine de vaches et 50 brebis. Comme chaussures, on avait les sabots et pour aller en montagne, je les cachais derrière un caillou puis je montais pieds nus, ça allait plus vite. », se souvient Gaston Nogué. Chez lui ? Hiératique, un poster du Vignemale en noir et blanc veille l'entrée avec une lithographie romantique de pastoureaux du XIXe siècle. Mais le temps s’y rebrousse exempt de «c’était mieux avant ». 

«C’était la misère» 

L’aînée de cinq, Gaston se rappelle ainsi, encore ému, les pommes et les poires à la table de ses hôtes, lorsqu’il descendait préparer le certificat d’études à Luz, «parce que des fruits, on n’en mangeait jamais, c’était la misère là-haut». L’instituteur aurait voulu qu’il parte étudier. «J’étais bon élève, mais être paysan, j’aimais ça ». Sauf que le service militaire passé, cela devenait de plus en plus aléatoire de survivre au pays, en ces années 60, même en travaillant aussi pour les grands chantiers d’altitude. «Pourquoi tu ne présentes pas le concours du Parc national ? m’a demandé un jour un voisin». On était en 1967 et après la Vanoise dans les Alpes, en 1963, l’État voulait aussi sanctuariser le coeur montagnard de la Bigorre et du Béarn pour y protéger et conserver faune et flore menacées, l’ours, l’isard, l’adonis des Pyrénées. Et pour faciliter le dialogue avec une population – plutôt hostile – les élus locaux avaient obtenu que les 33 premiers gardes soient «du cru». 

«Pour aller à la montagne (...) je montais pieds nus, ça allait plus vite»

«Mais moi, le Parc national, ça ne m’évoquait pas grand-chose à l’époque », reconnaît Gaston. Qui présenta donc le concours plus par hasard que par conviction, et parce que jeune marié, «780 francs de salaire garanti par mois, ce n’était pas rien». «Assez vite pourtant, j’ai eu ce qu’on appellerait aujourd’hui «une prise de conscience environnementale »», poursuit-il. Car l’urgence était là. Autour de lui bergers et chasseurs jaloux de leur indépendance montagnarde disaient «non au Parc». 

Mais il était temps d’ouvrir les yeux. « L’isard, ça a été le déclic pour moi...À Troumouse, enfant, je les avais vus et mon père en tirait de temps en temps pour améliorer l’ordinaire, mais il n’y en avait plus !», explique Gaston. Après guerre, les armes de précision s’était répandues. Un carnage en toute saison avec braconnage jusqu’en Espagne. «Et puis, côté ravages, il y avait aussi des superstitions sur le gypaète, les vautours, les grands rapaces aussi se faisaient tirer...» Quant au lagopède, la perdrix des neiges, son oiseau fétiche... Alors Gaston est devenu plus que «garde moniteur» : avocat de la nature. 

«Le Parc a changé ma vie en m’offrant un métier dont je n’aurais pas rêvé enfant». Un projecteur, des diapos ou des films super-8 pour bâton de pèlerin : comme tous ceux de sa génération, il est parti arpenter aussi toutes les salles communales et les écoles pour éduquer, tenter de changer les mentalités, faire naître le respect du vivant. Oui, il a fallu interdire et expliquer... «Mais je vous jure, lorsqu’en 1972 j’ai vu une chevrée d’une vingtaine d’isards revenue à Troumouse, ça m’a bouleversé. C’était le retour de la vie...» 

Pierre Challier

PARCS : PORTE-PAROLE PYRÉNÉEN 

Le 30 juin dernier, les dix présidents des parcs nationaux français ont lancé « l'appel de Barcelonnette », pour rappeler le rôle crucial des parcs nationaux et de l’ensemble des espaces protégés de France dans la recherche, l’éducation et la transition écologique. Pour mieux faire entendre leur voix au sein des structures nationales, ils se sont également constitué en conférence et ont désigné pour porte-parole le président du Parc national des Pyrénées et maire de Luz Saint- Sauveur, Laurent Grandsimon.

Jean-Paul et "ses" bouquetins


Entré au Parc national en 1973, Jean-Paul Crampe reste une référence pour l'isard et le bouquetin dont il a été le principal artisan de la réintroduction dans les Pyrénées.

Officiellement, il est à la retraite. Mais bon... si vous êtes en vacances dans les Hautes-Pyrénées, vous le croiserez encore deux ou trois fois par semaine à Pont d'Espagne, redescendant de sommets sur lesquels vous éviterez de le suivre. Rocailles vertigineuses et solitudes de caillasses abruptes réservées aux sabots expérimentés de ses chers bouquetins... À 67 ans, Jean-Paul Crampe continue à veiller sur leurs hardes trapues, dominées par les cornes torsadées en lyre des boucs, jusqu’à 90 cm pour les plus beaux mâles. Jean-Paul ? À l’instar de Gaston Nogué, il a aussi fait partie des défricheurs qui ont construit sur le terrain l’identité du Parc national et pour partie ses savoirs... «J’y suis entré le 22 septembre 1973, le jour de mon anniversaire et les gens voyaient surtout en nous des "gardiens de réserve d’isards"», se souvient-il. Après trois ans passés en Ossau, lui arrive en 1976 sur la plus emblématique, le secteur de Cauterets. 

Avis d’extinction... 

10 000 ha dominés par le prestigieux «3000» du Vignemale... c’est l’un des endroits phares des Pyrénées centrales. Jean-Paul n’en bougera plus désormais, pour y devenir chef de secteur en 1996 et surtout un spécialiste du «chamois des Pyrénées» faisant référence jusqu’à être surnommé «M. Isard». 545 animaux marqués et suivis de 1985 à 2015, publications dans des revues internationales et diplôme d’études supérieures universitaires pour l’ancien berger d’Ousté... dès 1985, cependant, un autre grand projet le taraude. 

«En 1973, lorsque j’étais entré au Parc, pour moi le bouquetin des Pyrénées était éteint. Côté français, le dernier avait été tiré ici, près de Gaube en 1910», pointe-t-il du doigt. «Et puis au début des années 80, Bernard Clos a photographié les derniers bouquetins d’Ordesa, de l’autre côté de la frontière. Là, j’ai réalisé qu’une espèce qui devait être ici n’y était pas et même que je n’en avais jamais vu. J’ai suggéré sa réintroduction et en 1989, le directeur adjoint de l’époque m’a donné carte blanche pour aller observer le bouquetin en Espagne, voir le possible et le faisable.» 

Seulement, il est déjà trop tard. Ne restent que trois Capra Pyrenaica Pyrenaica, la sous-espèce du bouquetin ibérique uniquement présente dans les Pyrénées, que l’Espagne ne parvient pas à sauver. Le 6 janvier 2000 l’extinction est officielle, avec la mort de Celia, dernière femelle tuée par la chute d’un arbre. «Un animal présent depuis 80 000 ans «effacé»... et c’est passé totalement inaperçu», constate Jean-Paul, encore choqué. Abandonner ? Discret, l’homme est aussi tenace. D’autres sousespèces vivent et prospèrent ailleurs en Espagne, et ces bouquetins ibériques sont -scientifiquement- Capra Pyrenaica. Le problème ? 

Trésor et secret 

C’est que dans les autres massifs au sud des Pyrénées, l’animal est un trésor pour un pays où la chasse est marchande... Madrid résiste jusqu’en 2011, avant de donner son accord pour la réintroduction au nom de la biodiversité mais les régions qui ont l’exclusivité du bouquetin, elles, ne sont pas forcément pressées de fournir, même à 3.300€ le mâle... «Il a fallu convaincre les autonomies» : comprendre plus de deux décennies d’efforts, jusqu’aux sommets de l’État... pour qu’enfin, le 10 juillet 2014, les neuf premiers bouquetins soient relâchés «dans le plus grand secret», au dessus de Cauterets. «Quand j’ai vu les cages s’ouvrir, j’ai mesuré le chemin parcouru ». De la main, Jean-Paul repousse toute victoire personnelle : «Une incroyable aventure collective des deux côtés », préfère- t-il retenir. N’empêche. «Monsieur Bouquetin» : l’autre surnom qu’il en a hérité. 

Pierre Challier

ARRIVÉS EN SECRET 

Aujourd'hui, le Parc national des Pyrénées recense, de lâchers successifs en naissances de cabris, près d’une centaine de bouquetins dont 18 nés ce printemps, «une très bonne année», souligne Jean-Paul Crampe qui, en 2014, était loin d’imaginer ce succès. Certains, dans deux grandes régions frontalières, étaient en effet si fermement opposés à ce que l’Espagne cède des bouquetins au parc français que, jusqu’à la dernière minute, le secret du transfert a été gardé afin d’éviter toute mauvaise surprise.

55 CLONES BOUQUETIN

En 2003, pour faire revivre la sous-espèce disparue des Pyrénées, le Dr Fernandez-Arias a tenté le clonage à partir de cellules de Celia. 54 embryons ont été transférés à 12 chèvres, sans succès. En 2009, le processus a pu aller jusqu'à la naissance d’un clone qui a survécu quelques minutes.

Germain, vautour opérateur...

Photo DDM, José Navarro.


Les grands rapaces sont l'un des symboles forts du Parc national qui leur a offert une protection décisive, il y a 50 ans. Germain Besson fait partie de ceux qui veillent sur eux.

Les Alpes pour cadre de ses premières évasions montagnardes, une licence européenne « gestion des espaces naturels » en Haute-Savoie, le tout assorti d'un stage au Parc national de la Vanoise… Pour Germain Besson, 33 ans, la carrière de garde-moniteur aurait dû couler de source entre Arc et Isère… Mais « j’ai fait le choix des Pyrénées parce que je voulais découvrir autre chose, « la frontière sauvage », et parce que j’étais intéressé par les rapaces », précise-t-il, façon d’expliquer, en quelque sorte, cette absence d’accent, à Saint-Lary, au coeur de la vallée d’Aure. 

Nouvelle génération 

Regard bleu sur barbe taillée avec encore un soupçon de juvénilité étudiante dans l’allure sportive… Lorsque Germain résume son parcours, indirectement c’est aussi la nouvelle génération des gardes-moniteurs qu’il raconte. Cette évolution, en 50 ans, des autodidactes « inventeurs » du métier vers une profession désormais appuyée sur un socle universitaire. Mais pas moins physique qu’auparavant… sachant que garde-moniteur, ce sont des Everest de dénivelés cumulés en toute saison et une présence constante sur le terrain, pour ce qui le concerne le massif du Néouvielle et ses grands lacs, Barroude et son cirque ou le Rioumajou, incontournables pour les randonneurs du Parc. 

« Ce qui fait l’intérêt du métier, c’est qu’on touche à tout, au suivi de l’évolution des paysages, de la faune, de la flore ou à l’éducation du public à l’environnement, quitte à faire parfois la police, lorsque nécessaire, quand les gens font du feu, cueillent ou viennent avec un chien, ce qui est interdit… Et ce, tout en étant aussi « référent » dans certains dossiers », résume- t-il. Et lui, son truc, ce sont donc les rapaces… Cinq ou six couples d’aigles en vallée d’Aure, du milan royal, du grand-duc : même si ceux-là ne sont plus considérés en danger, il y a déjà là de quoi toujours garder un oeil en l’air, de jour, de nuit. Mais c’est surtout une silhouette reconnaissable entre toutes avec sa queue en « pointe » qu’il guette : le gypaète barbu, « casseur d’os », ainsi qu’est appelé ce nécrophage versant sud des Pyrénées, rapport à son alimentation de charognard ultime puisqu’il avale os et tendons. 

Le gypaète, « C'est le plus grand vautour d’Europe, le plus majestueux »

« On en dénombre quinze couples dans le Parc national et c’est le plus grand vautour d’Europe, le plus majestueux, le plus impressionnant par son envergure (2,90 m), sa prestance et le plus vulnérable, aussi », souligne-t-il, assurant son suivi dans le cadre du plan national d’action. Prospection pour trouver les nouveaux nids et surveiller les « historiques » : rôle d’autant plus important du garde que le gypaète doit être protégé du dérangement, se reproduisant difficilement, rappelle Germain (lire encadré) qui ne lui voue pas pour autant l’exclusivité de son temps. Percnoptère d’Égypte ou vautour fauve, qu’il va baguer dans les falaises de la réserve naturelle d’Ossau, en Béarn… 

« Grâce à cela, on a pu tracer depuis deux décennies leurs déplacements et observer, par exemple, que les vautours viennent se reproduire là où ils sont nés. Mais nos observations des nids dans le Parc nourrissent également une cartographie des aires actives en temps réel qui permet aux hélicoptères d’éviter les zones sensibles en période de nidification », explique- t-il. Symboles de liberté, même protégés les grands rapaces restent fragiles et le gypaète leur emblème. À la naissance du Parc, il restait dix couples dans toute la France… 

Pierre Challier


VULNÉRABLE 

Le gypaète barbu peut vivre jusqu'à 30 ans, mais ne se reproduit qu’à partir de 8-10 ans. Il ne pond qu’un seul oeuf qu’il va couver 60 jours de janvier à mars. L’élevage du petit dure environ 130 jours mais, en moyenne, on ne compte à l’envol qu’un jeune tous les trois ans pour un couple. Cette vulnérabilité avait entraîné la disparition de l’oiseau dans les Alpes et dans la plupart des massifs méditerranéens, avant leur réintroduction. Dans les Pyrénées, l’espèce s’est toujours maintenue et l’on compte aujourd’hui une quarantaine de couples, versant français et environ 150 sur la chaîne.

9 NAISSANCES DE GYPAÈTES BARBUS

Les 15 couples de gypaètes barbus du PNP ont enregistré 9 naissances en 2017, année exceptionnelle. Pour les autres grands rapaces, le Parc recense 340 couples de vautour fauve, 32 couples d'aigles royaux et 22 de percnoptères d’Égypte.

Le bon sens, c'est Claire à Gavarnie

Photo DDM, Thierry Jouve.


Donner des repères solides aux enfants comme aux parents, fait aussi partie du métier de garde-moniteur. Au propre comme au figuré, pour Claire Acquier, chargée notamment du balisage sur Luz-Gavarnie.

De Gavarnie, « une montagne et une muraille tout à la fois », Victor Hugo a fait le Colisée de la nature servant de socle à Dieu, titre de son poème inachevé. C'est dire la dimension du « bureau » de Claire Acquier, lorsqu’elle y monte travailler depuis Luz, son berceau familial et sa base, en tant que garde-monitrice du Parc national. 

Ce matin ? Les murs y sont encore accrochés de quelques lambeaux de nuages. Mais rien pour décourager touristes et randonneurs : les 1 500 m de parois verticales et les 423 m de la Grande Cascade attirent toujours le marcheur comme un aimant, colonne de fourmis multicolore gravissant le caillou, làbas, au bout des jumelles. 

L’appel de la forêt 

Pour autant, Claire, 33 ans, n’est pas le genre à se laisser hypnotiser par l’immédiat spectaculaire. Les saisons qui se succèdent en Pays Toy, le temps long et ce « je-ne-sais-quoi », ce « presque rien » qui font indice des grands changements en cours… C’est plutôt ça son quotidien. 

Petite, à l’école, elle préférait déjà regarder la forêt que le tableau noir. Bac scientifique en poche et culture pastorale en bandoulière, « mon boulot est un rêve d’enfant : travailler au contact de la nature », résumet- elle aujourd’hui, attentive au vivant, à ce martinet à ventre blanc qui passe, ce faucon pèlerin qui pique, « à ce qu’annoncent les floraisons », les crocus étant déjà là… comme déjà une touche automnale en ce début août qui vient de voir un voile de neige se rappeler aux sommets. Marcher. Au coeur des Pyrénées. Et sentir cet « au-delà de l’air » autrefois cher à Jean Giono lorsqu’il écrivait sous la dictée du Grand Pan… Exercice pour le corps et l’esprit qui chemine aussi, les deux (re) prenant conscience qu’ils font partie d’un grand tout, d’une pyramide de dominos plus fragile que les parois devant… 

« Chaque geste, dans la vie quotidienne, entraîne une responsabilité »

« Au Parc, nous les gardes-moniteurs travaillons tous avec les écoles et ce que j’essaye de transmettre aux enfants, c’est que chaque geste dans la vie quotidienne entraîne une responsabilité. Que malgré les apparences en montagne, l’eau n’est pas inépuisable, par exemple. Que lorsqu’on parle changement climatique et que chacun pense à l’ours polaire parce qu’il l’a vu à la télé, ça se passe ici aussi, la menace sur les espèces ou sur nos glaciers qui disparaissent. Car il faut leur parler d’ici et maintenant pour évoquer ce que chacun peut changer à son échelle en modifiant son mode de vie : trier les déchets, récupérer l’eau de pluie… », explique- t-elle. 

Concrètement du global au local ? « Il y avait une coupe de bois à faire à Arribama, en zone coeur de Parc sur le chemin du cirque. Avec les 4e de Luz nous sommes allés étudier le débardage du bois mis en place avec une paire de mulets pour préserver les lieux », poursuit Claire. 

Indiquer des sentiers voire des mondes à découvrir, tant à certains gamins de la vallée n’ayant jamais vu Gavarnie qu’aux visiteurs… Certes, c’est l’un des aspects de son métier, puisqu’elle veille aussi sur les panneaux qui informent et orientent les randonneurs et sur les itinéraires balisés du secteur, du Néouvielle à la vallée d’Ossoue. Mais si vous la croisez, tournevis en main, engagez avec elle la conversation sur les « petits bonheurs », la crête de Diauzède, le col de Ripeyre, le grand tétras… Et au-delà des panneaux, le chemin tendra peutêtre un autre miroir sur le sens de vos pas. 

Pierre Challier

PATRIMOINE MONDIAL 

Sur 23 km de frontière, le secteur de la vallée Luz- Gavarnie compte les trois fameux cirques de Gavarnie, Estaubé et Troumouse, inscrits il y a 20 ans sur la liste du Patrimoine mondial par l'Unesco au sein du site Pyrénées Mont-Perdu. L’ensemble y figure à double titre : pour ses patrimoines naturel et culturel. À Gavarnie, l’église Saint- Jean-Baptiste est également classée au titre des « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle ». Grand site d’Occitanie, le cirque enregistre à lui seul entre 250 et 300 000 visiteurs en été sur les 1,5 million que recense le Parc chaque année.

350 KILOMÈTRES DE SENTIERS BALISÉS

Le Parc national des Pyrénées est sillonné par 350 km de sentiers balisés parmi lesquels 14 sentiers d'interprétation. Huit maisons du Parc national et trois points d’information estivale accueillent les visiteurs.

Aux origines, les botanistes


Créé en 1999, le Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées est un partenaire scientifique incontournable du Parc, les botanistes ayant aussi été des précurseurs.

L'avertissement fait toujours son effet. Pour prévenir autrefois des attaques d’insectes ou de champignons, « On saupoudrait les feuilles de sels d’arsenic ou de mercure et certaines collections sont empoisonnées… », prévient Gérard Largier en enfilant une paire de gants pour ouvrir l’antique herbier, sous le regard de Louis Ramond de Carbonnières, mort… il y a 190 ans. Mais dont le portrait veille toujours les collectes séchées, au Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées, dans les anciens thermes du merveilleux vallon de Salut, à Bagnères-de- Bigorre. 

De Ramond à Gaussen 

Le rapport avec le Parc national des Pyrénées, demanderezvous ? Eh bien… c’est que sans les botanistes montagnards, sans l’aïeul Ramond, père du pyrénéisme et incarnation de l’esprit encyclopédique des Lumières, sans ces infatigables marcheurs des XVIIIe et XIXe siècles qui arpentaient pentes et sommets pour herboriser et observer la nature afin de bien nommer le monde pour mieux le comprendre… sans doute les Pyrénées n’auraient-elles pas été aussi bien « inventées » (1) ni inventoriées quant aux espèces… Et qu’il aurait manqué aussi au Parc national d’aucuns de ses plus grands noms, tels « Henri Gaussen, père de la carte de la végétation de la France, ou Georges Dupias », rappelle en substance Gérard Largier, responsable aujourd’hui du Conservatoire et des 32 personnes qui y travaillent. 

Avec pour mission de connaître et conserver la flore sauvage et bien sûr, de protéger les espèces menacées, sans oublier son volet « expertise et appui technique auprès des pouvoirs publics et information et sensibilisation du grand public », précise le chercheur. Car les rayonnages d’archives des grands anciens tels Ramond, Bosc ou Massey et les 100 000 échantillons de plantes soigneusement entreposées ne doivent surtout pas résumer l’établissement à un musée parfumé aux noms rares, entre asphodelus sphaerocarpus, l’asphodèle des Pyrénées et xatardia scabra, la xatardie rude… C’est aussi l’état de notre monde ici et maintenant que raconte le végétal aux botanistes. 

En 1967, premier président du comité scientifique du Parc à la conscience écologique bien avant l’heure, le botaniste et biogéographe Henri Gaussen, qui s’était déjà battu pour sauver des grands barrages les cascades de Cauterets, avait impulsé un état des lieux naturaliste. L’inventaire de Dupias avait alors recensé environ 1 800 espèces de plantes, mousses, lichens, champignons et il était urgent d’agir. Cueillie sans restriction pour vendre aux pèlerins de Lourdes, l’edelweiss devait être protégé, l’aster des Pyrénées était menacé et la diacocéphale d’Autriche avait déjà disparu dans les Pyrénées-Orientales. 

Aujourd’hui ? « La mode des produits naturels a relancé la cueillette avec des risques de pillage pour la gentiane jaune ou l’arnica des montagnes », constate Gérard Largier qui avec les scientifiques suit l’évolution des menaces. Déprise agricole favorisant certaines espèces au détriment d’autres, fermeture des milieux néfaste au grand tétras ou à la perdrix des Pyrénées, développement des plantes exotiques envahissantes tel le buddleia de David « lié à l’altération des milieux par l’homme »… Les enjeux restent plus importants que jamais côté pression humaine sur la biodiversité. « En France, un département est bétonné tous les six ans », rappelle le botaniste… 

Pierre Challier

(1) José Cubéro, L’Invention des Pyrénées, éditions Privat

PARTICULARITÉ DES PYRÉNÉES

« Les Pyrénées ont pour particularité d'accueillir la flore de la montagne calcaire la plus haute d’Europe et donc plus de diversité que sur le granit, acide », souligne Gérard Largier. D’où des espèces endémiques et emblématiques : l’aster des Pyrénées ou la dioscorée des Pyrénées et l’androsace des Pyrénées qui ne se trouvent qu’à Gavarnie et sont donc vulnérables. Quant à la célèbre ramondie des Pyrénées, ramonda myconi (photo) ? Elle ne doit pas son nom à Ramond de Carbonnières mais elle lui a été dédiée, hommage d’un botaniste à son oeuvre.

2500 ESPÈCES VÉGÉTALES

Le Parc national des Pyrénées, ce sont 2 500 espèces végétales et 80 espèces de plantes endémiques (qu'on ne trouve que localement), richesse indispensable à la biodiversité et au plus de 1 000 espèces animales identifiées dont 240 vertébrés.


"Les 50 ans du parc national des Pyrénées". Un long format de la rédaction des informations générales de La Dépêche du Midi. Textes : Parc national des Pyrénées, Pierre Challier. Photos : Parc national des Pyrénées, Pierre Challier, José Navarro, Laurent Dard, Didier Donnat, Thierry Jouve. Mise en page : Philippe Rioux. © La Dépêche du Midi, septembre 2017.