Histoires de champions (1/2)

Ces vainqueurs qui ont marqué les Jeux Olympiques 

Ils ont tous remporté l'or. Perchistes, nageurs, gymnastes ou boxeurs, ils ont brillé aux Jeux Olympiques. Ils ont gravi des sommets, mais chacun a une histoire particulière. A priori, il y a peu en commun entre un Américain et un Allemand devenus amis sous le régime nazi, une famille de nageurs taillée pour la réussite, un décathlonien devenu femme ou une petite Roumaine prodige de la gymnastique. Pourtant, ils ont fait vibrer le monde entier. Certains continuent d’exceller et entrent au panthéon des JO, adulés pour l’éternité. D’autres vont si haut qu’ils finissent par se brûler les ailes : stoppés en plein vol, la chute n’en est que plus dure. Tous sont différents, mais leur destin est hors du commun. Rien n'est impossible lorsque l'on est champion olympique.

Jesse Owens et Luz Long : amis en dépit du nazisme

Jessse Owens et Luz Long en 1936, avant l'épreuve du saut en longueur. (COLLECTION YLI/SIPA)

Allongés par terre, les deux hommes posent tout sourire devant les objectifs après leurs essais en saut en longueur. L'image peut sembler banale, mais elle ne l’est pas en 1936. Luz Long est blanc, blond aux yeux bleus et allemand. Jesse Owens, lui, est noir et américain. Tout les oppose : leur couleur de peau, leur nationalité, leur origine sociale. Leur amitié improbable est l’une des plus belles preuves de fraternité dans l’Histoire des Jeux Olympiques.

Les jeux se déroulent à Berlin, en plein régime nazi et sous l'œil attentif d’Hitler. Luz Long est le sportif favori du Führer. Il est le représentant allemand de ces gigantesques olympiades, organisées pour mettre en avant la supériorité de la race aryenne, à grands renforts de chants hitlériens et de croix gammées. Pourtant, c’est Jesse Owens qui s’impose : titulaire de quatre médailles d’or, il devient le premier athlète afro-américain à entrer dans l’histoire des Jeux. Lors de l’épreuve du saut en longueur, il retombe à 8,06 mètres et pulvérise le score de Luz Long, qui n’atteint que 7,87 mètres. Le champion allemand est pourtant le premier à venir féliciter Jesse Owens, devant un stade médusé. 

Cette amitié improbable entre deux hommes que tout oppose sonne comme une bravade à l'encontre du régime nazi. Selon la légende, Hitler aurait refusé de serrer la main de l’athlète afro-américain lors de la remise des prix. Le drapeau du IIIe Reich flotte juste en dessous de celui des États-Unis : un camouflet pour le dictateur. L’Allemagne remporte les Jeux cette année-là, mais échoue à prouver la supériorité de la race aryenne. Les deux athlètes resteront amis, indique Le Monde, jusqu’au décès de l’Allemand en Sicile, lors de la Deuxième Guerre Mondiale. L’Américain continuera d’évoquer son ami berlinois jusqu’à sa mort, en 1980.

Laure et Florent Manaudou : une famille en or

Le frère et la soeur Manaudou après la victoire de Florent en 2012. (Lee Jin-man/AP/SIPA) 

Un frère, une sœur et une flopée de médailles. La famille Manaudou a dans ses gênes quelque chose d'exceptionnel. Il y a d’abord Laure, star des bassins à même pas 18 ans. A Athènes, en 2004, elle remporte le titre de championne olympique sur 400 mètres nage libre. Sur le banc, son frère Florent. « Quand on est allés la voir et qu’elle est devenue championne olympique, elle m’a dit qu’elle voulait faire les jeux avec moi », confie-t-il aux caméras de France Télévisions en 2012. Il n’a que 14 ans lors du sacre de Laure. Mais à force d’envie et de travail, leurs chemins se rejoignent.

« Quand elle est devenue championne olympique, elle m’a dit qu’elle voulait faire les jeux avec moi »


Après Athènes, Laure est partout : elle aura gagné trois médailles olympiques, six médailles mondiales et 13 médailles européennes. Mais son ascension s'arrête brutalement en 2007. Elle quitte son entraîneur Philippe Lucas, celui qui la coache depuis ses 13 ans et la propulse dans le grand bain. Dès lors, Laure ne brille guère. Qualifiée pour les jeux de Pékin en 2008, elle est dernière des finalistes. Elle décide d’arrêter la natation un an plus tard, pour finalement revenir en 2011. Championne de France sur les trois épreuves de dos en mars 2012, elle prépare son come-back pour Londres. Raté : la sœur Manaudou est qualifiée, mais elle est éliminée dès les séries. Pour elle, les jeux sont faits.

Pendant que Laure coule, Florent est comme un poisson dans l'eau. Mais celui qui a déjà un nom doit se faire un prénom : en 2012, il apparaît encore comme le « petit frère » Manaudou. Il est allé aux jeux de Londres avec elle, ils s’en étaient fait la promesse. Il n’était pas prévu que Laure assiste au sacre de son cadet depuis les gradins. Au 50 mètres nage libre, Florent explose les compteurs et devient le deuxième champion olympique de la famille. Folle de joie, Laure saute au cou de Florent à sa sortie du bassin. C’est l’image de ces Jeux : celle d’une famille à l’ADN de champions et au destin hors normes.

Nadia Comaneci : la petite gymnaste communiste au dix parfait

Nadia Comaneci en 1976. (ETA/AP/SIPA)

En juillet 1976, une gamine embrase les Jeux Olympiques de Montréal et affole littéralement les compteurs. Nadia Comaneci, gymnaste roumaine de quatorze ans, crée l'événement en obtenant à sept reprises la note ultime : le dix. Le tableau de performances n’est pas paramétré pour un tel exploit, jamais atteint auparavant, et n’affiche que 1.00. La Roumaine devient la plus jeune médaillée olympique de l’Histoire, toutes disciplines confondues. Elle décrochera ce 10 parfait six autres fois au cours des mêmes jeux : aux barres asymétriques, à la poutre et au concours général. Nadia triomphe.

Elle devient un phénomène médiatique, adulée à l'Est comme à l’Ouest. Elle incarne la perfection. Mais sa victoire est aussi éminemment politique. En pleine guerre froide, elle incarne la puissance du régime communiste, bien décidé à montrer sa supériorité sur le capitalisme en glanant le plus de médailles possible, notamment en gymnastique. La fillette devient un instrument de propagande du régime de Ceausescu, le dictateur roumain.

A son retour à Bucarest, la jeune fille reçoit la médaille de « héros du travail socialiste » devant les dirigeants du Parti communiste roumain, selon un article de l'Humanité rédigé par Patrick Clastres, professeur à la faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Nadia récite une litanie à la gloire du « camarade Nicolae Ceausescu » d’une voix mécanique. Elle est « la petite communiste qui ne souriait jamais », selon le roman de Lola Lafon publié en 2014, qui retrace la vie de la gymnaste.

Il y a aussi l'image de pureté qu’elle dégage. A l’époque, elle est qualifiée de « Lolita olympique », « fille de l’air » ou « Ange Blanc » par le quotidien L’Équipe, indique Patrick Clastres. Nadia n’est encore qu’une fillette. Son corps pas encore formé est adéquat pour la gymnastique, mais il n’appartient pas à elle-même. Les exploits de Nadia n’auraient été possibles sans les entraînements forcés et les régimes drastiques imposés. Pour contrer la sélection de très jeunes filles, la Fédération internationale de gymnastique fixera, dans les années 1980, l’âge minimal de participation aux JO à 15 ans, puis, en 1997, à 16 ans, afin de préserver les corps en période de développement.

Marion Jones : de la consécration à la descente aux enfers 

Marion Jones après sa victoire au 100 mètres en 2000. (KEVIN FRAYER/AP/SIPA)

L'histoire avait si bien commencé. En 2000, l’Américaine Marion Jones est reine des jeux de Sidney. Elle devient la première femme à décrocher cinq médailles olympiques, dont trois en or, en une seule édition. Son sourire radieux illumine les clichés de l’époque et fait d’elle une idole en son pays. Sept ans plus tard, il n’y a plus que des larmes.

Acculée par la justice américaine, Marion Jones reconnaît en 2007 avoir usé de stéroïdes dans sa carrière, notamment pendant sa préparation aux Jeux de Sydney. Elle avoue avoir pris des produits dopants fabriqués sur mesure par le laboratoire Balco, pendant deux ans à partir de 1999. Elle a fait cette confession dans une lettre envoyée à sa famille et ses amis, révèle alors le Washington Post, puis dans une déclaration publique.

Âgée de 31 ans lors de ces révélations, la championne s'était jusqu’alors toujours défendue d’avoir utilisé des produits dopants. Pour avoir menti à la justice américaine, elle sera condamnée à six mois de prison ferme en janvier 2008. Le CIO lui retire toutes ses médailles et la jeune femme est rapidement criblée de dettes. Elle était la chérie des médias et des Américains, elle devient la figure du dopage et le symbole d’un immense gâchis. Car cette affaire ramène à une triste réalité : les Jeux sont aussi convoités par les tricheurs.

Mohamed Ali : la construction du mythe 

Mohamed Ali et Sonny Liston en 1965 (John Rooney/AP/SIPA)

The Greatest. Mohamed Ali, né Cassius Clay, a tout gagné. Les médailles, la reconnaissance, la légende qui perdure au-delà de sa mort, le 3 juin 2016. A l'âge de 18 ans, il n’est encore qu’un amateur lorsqu’il remporte sa médaille d’or olympique en catégorie mi-lourds (75-81 kg), aux Jeux de Rome en 1960. Mais cette victoire est relativement anecdotique au vu de son palmarès impressionnant. Après une carrière amateur vertigineuse (108 combats, 100 victoires), il passe professionnel l’année suivante, commence à connaître la notoriété et remporte son premier championnat du monde en 1963. 

Pendant 11 ans, il dominera la catégorie des lourds. Mais ce que l'on retient bien au-delà du sportif, ce sont ses prises de positions et sa personnalité provocatrice. Il change de nom en 1964, après avoir rejoint la secte politico-religieuse Nation of Islam, dirigée par Elijah Muhammad, et commence à défendre la cause des Noirs avec son ami Malcolm X. Cassius Clay devient alors Mohamed Ali, son nouveau nom musulman, et exige qu’on l’appelle ainsi désormais. Il refusera par ailleurs de participer à la guerre du Vietnam, considérant leurs habitants comme ses semblables : « Je n'ai pas de problème avec les Vietcongs. Les Vietcongs sont des Asiatiques noirs. (…) Je ne veux pas avoir à combattre des Noirs. » Le boxeur poète a le sens de la formule.

« Il est difficile d'être humble lorsque vous êtes aussi grand que je le suis »

Mais rapidement, Ali décline. Le champion n’est plus qu’une ombre de lui-même : les premiers symptômes de la maladie de Parkinson apparaissent en 1984. Lorsqu’il allume la flamme olympique en 1996, à Atlanta, il apparaît diminué et vieux avant l’âge. L'image du champion tremblant fait le tour du monde. Les Jeux Olympiques lui auront apporté les débuts prometteurs d’un champion, ils lui amènent la compassion du monde entier et achèvent de faire de lui un mythe. Il recevra d'ailleurs une seconde médaille quelques jours plus tard, la même qu'il a remportée à Rome et qu'il aurait, selon la légende, jetée dans la rivière Ohio. La vérité importe peu. Si controversé de son vivant, Mohamed Ali est désormais reconnu par tous comme l’un des plus grands sportifs du XXe siècle.

Textes : Guilhem de Grenier & Clémence Simon / Photo de couverture : AP / SIPA