Agriculture :
ces jeunes qui y croient

Un grand format d'Alison Danis
et Pierre Vincenot

Dans la grande région, la moyenne d'âge des agriculteurs en activité tourne autour de 55-60 ans. "C'est très haut !" assure Mickaël Marcerou, le responsable installation des jeunes sur la zone Midi-Pyrénées. Le renouvellement des générations est donc un enjeu majeur pour la profession. "Il y a de plus en plus d'habitants à nourrir et de moins en moins d'agriculteurs, c'est dramatique", s'inquiète Élodie Doumeng, 26 ans, agricultrice en Haute-Garonne.

Les derniers chiffres confirment cette tendance. Le métier attire moins de jeunes. Pour 100 départs à la retraite, il y a 69 installations. En 2015, 341 jeunes se sont installés en Midi-Pyrénées, contre 449 en 2014. Le processus d'installation est en effet assez long. "La principale difficulté, c'est de trouver les capitaux et le foncier", insiste Mickaël Marcerou. Sans famille dans l'agriculture, c'est encore plus compliqué de s'installer. Après son BTS agricole, Maud ne deviendra pas agricultrice. "Ce métier m'attire beaucoup, mais je sais que je n'aurai jamais les moyens de créer ma structure", se désole la jeune femme de 19 ans. Elle espère devenir technicienne agricole, "pour rester dans le milieu".

Améliorer la vie des agriculteurs

Sans ferme, ni famille connue sur un territoire, les jeunes qui s'installent doivent "faire leurs preuves", avoue Mickaël. Il y a un vrai choc de générations entre les cédants et les jeunes. Les méthodes ont évolué, les agriculteurs qui se lancent ne veulent plus travailler nuit et jour, sans jamais un jour de repos. "On a aussi un problème conjoncturel et structurel sur les revenus du monde agricole qui peuvent expliquer l'inquiétude de rentrer dans ce milieu", précise le syndicaliste.

Une inquiétude qui se manifeste surtout chez les parents qui sont dans le milieu et qui connaissent la dureté du métier. Les jeunes qui se lancent ne se demandent pas pourquoi c'est difficile, mais "comment améliorer l'exploitation et les méthodes de travail pour éviter la morosité des parents". Ils sont d'ailleurs assez optimistes sur l'avenir : "On est en train de passer un cap, les années à venir seront intéressantes", promet Mickaël Marcerou, avant de conclure : "Notre agriculture de qualité et notre savoir-faire ne sont pas délocalisables !"

Rencontre avec des jeunes agriculteurs 

Elodie : "un patrimoine à conserver"

"Petite, je passais des heures à regarder la machinerie des engins agricoles, je m'endormais même sur le tracteur". La passion d'Elodie pour l'agriculture est née très tôt, par sa fascination pour les machines. Les convois exceptionnels sur la route, le tracteur Landini jaune de son père ou les journées de battage qui s'éternisent dans la nuit… L'évocation des ces souvenirs éclaire le visage de la jeune agricultrice.

Ces moments d'échange, de solidarité qu'elle a vécu dans sont enfance, elle les retrouve aujourd'hui auprès de ses amis des Jeunes agriculteurs. Au sein du syndicat, Elodie s'est engagée dans l'aide à l'installation des jeunes, a pris en main le dossier du biologique ou celui de la filière avicole. Elle tente de trouver des solutions aux problèmes de financement pas débloqués par les banques, aux retards de trésorerie qui peuvent aboutir à des drames humains. "Il y a de plus en plus de suicides, de plus en plus de catastrophes, la profession est en burn out !" alerte la syndicaliste.

A 26 ans, Elodie est la sixième génération d'agriculteur, elle connaissait donc la rudesse de la profession avant de s'installer, en 2013. Elle est inquiète pour l'avenir, mais optimiste. "Même si le métier est menacé, on fait tout pour le maintenir. On a un patrimoine à conserver, on veut vivre de notre travail." Alors pour y arriver, les agriculteurs s'appuient sur des nouveaux circuits. "On se rapproche du consommateur, on se créé notre propre banque, notre propre système." Et en cas de coup dur, Elodie sait qu'elle peut s'appuyer sur sa famille et ses amis.

Les agriculteurs de demain

Gelée, la vache des lycéens de Mirande

Brossage, lavage, tonte... leur vache doit être parfaite pour « monter à Paris ». Depuis plusieurs semaines, les futurs agriculteurs bichonnent cette brune des Alpes de 4 ans. Aurélie, Romane, Grégory, Maud, Jean-Philippe et Denis participent au trophée national des lycées agricoles, dans le cadre de leurs études au lycée Jean-Monet de Vic-en-Bigorre.

L'occasion de se confronter à la réalité de leur futur métier. "On ne sait plus à quoi ressemble un mercredi après-midi de libre", plaisantent-ils. Malgré un temps de loisirs réduit, leur motivation à devenir agriculteur est intacte.

Aurélie, Romane, Grégory, Maud, Jean-Philippe et Denis apprennent le métier au lycée agrciole de Vic*-en-Bigorre./ DDM, P.V.

Etudes d'informatique, bac littéraire, ou filière professionnelle, les six jeunes qui s'affairent autour de Gelée ont des parcours très variés mais un objectif identique : devenir agriculteur. Leur choix est mûrement réfléchi. « J'ai toujours voulu reprendre l'exploitation familiale, dès la troisième je voulais m'orienter vers des études agricoles. Mes parents et mes profs s'y sont opposés." 

"La terre nous rattrape"

Romane, 19 ans, continue finalement dans la filière générale, décroche son Bac L avec une mention "très bien", et se lance dans un BTS agricole, contre l'avis de ses parents inquiets qu'elle ne s'en sorte pas. Mais la jeune fille est déterminée. Elle a déjà imaginé comment faire évoluer la ferme familiale : "je souhaite faire du fromage, et développer la vente directe." Et la jeune femme de conclure : "La terre nous rattrape".



Passionné depuis son plus jeune âge, Jean-Philippe, 16 ans, n'a pour sa part pas eu de mal à convaincre ses parents.  "Dès que j'ai mon bac, je reprends l'exploitation", prévoit le jeune homme. Les responsabilités ne l'effraient pas.



Comme son camarade Jean-Philippe, Aurélie, 20 ans, compte s'installer, "mais pas tout de suite après le BTS". L'avenir lui fait d'ailleurs un peu peur. Mais "quand on a la chance d'avoir un patrimoine, il faut l'utiliser". Aurélie, dont les parents ont une exploitation agricole, ne voulait pas forcément embrasser cette profession très difficile. Mais elle l'avoue, elle a du "mal à se détacher de la terre". Avant d'y retourner, elle mûrit donc son projet.

"J'ai du mal à me détacher de la terre"

Denis, 17 ans, regarde les montagnes tous les matins, depuis sa chambre à l'internat du lycée agricole de Vic-en-en-Bigorre. "Je suis très attaché à ma vallée, à mes brebis." Enfant, Denis allait voir le troupeau de son grand-père, soignait les brebis. Il espère pouvoir remonter la ferme de son grand-père. Il a déjà les granges, il ne lui manque plus que le diplôme et les brebis !

"Je suis très attaché à ma vallée de Campan"


A 19 ans, Maud ne sera pas agricultrice. La jeune femme ne vient pas du milieu agricole, mais c'est un milieu qui l'attire "par sa convivialité, sa simplicité. C'est un monde sans chichis." Elle souhaite donc devenir technicienne ou ingénieur agricole. 

"C'est un monde sans chichis."


Grégory, 22 ans, a fait une licence d'informatique avant de revenir vers l'agriculture. Il compte reprendre l'exploitation de ses parents. "Ce qui me plaît, c'est la technicité, l'innovation et la gestion, plus que de caresser les vaches toute la journée.", explique le jeune homme.

"Ce qui me plaît, c'est la technicité et la gestion"


Matthieu : "de l'espoir

et de la passion"

Matthieu s'occupe chaque jour de ses vaches

Mais qu'est-ce qui a poussé Matthieu Alary à devenir agriculteur ?
« La folie peut-être... Non, juste la passion ». Il faut dire que ce jeune éleveur de 24 ans a toujours été intéressé par ce métier, « je suis mon père depuis tout petit, j’ai toujours voulu faire ça. Être agriculteur c’est quelque chose qu’on a en soit, c’est pas quelque chose qui s’invente ».
Après avoir suivi plusieurs formations agricoles, il est revenu sur l’exploitation de son père, et a officiellement pris les rênes de la ferme le 1er février 2016.
Ce métier implique beaucoup d’astreinte et de pénibilité. Malgré ça, Matthieu ne se verrait pas faire autre chose, et avance un autre argument, celui de pouvoir être son propre patron : « c’est un gros point positif, car avoir des patrons au-dessus, c’est pas toujours évident. Alors que quand on est son propre chef, c’est quand même de l’autonomie, de la flexibilité ».

Sur l'année, Matthieu a en moyenne 70 vaches limousines allaitantes, et ce troupeau est devenu son quotidien. Un travail journalier spécifique, puisqu’il a choisi d’élever des Veaux d’Aveyron Label Rouge.
« Ici, on n’a que des bovins à viande limousine, et ça demande d’être présent en permanence ». Si le travail est plus calme en hiver, il doit tout de même s’occuper de ses vaches matin et soir.

Un métier difficile, mais avant tout une passion.

Le plus difficile pour Matthieu, c'est l’astreinte. Il faut être présent en permanence, et même lorsque l’agriculteur s’accorde un peu de répit, il a toujours l’exploitation en tête : « L’astreinte c’est dur, mais si on n’y est pas, ça ne marche pas, c’est du vivant vous savez, il arrive toujours quelque chose, des imprévus ».
Cependant, ce n’est pas l’unique difficulté du métier, les revenus qui baissent en font partie. Et le jeune homme s’inquiète déjà pour les générations futures et l’héritage qui leur est laissé, notamment dans le secteur laitier, durement touché par la crise.

Concernant sa vie sociale et amoureuse, le jeune homme reste plutôt serein. Bien que son père soit désormais à la retraite, il reste actif sur l'exploitation, ce qui aide beaucoup Matthieu à conserver une vie sociale 'normale’. Mais à terme, une fois seul, ça pourrait devenir compliqué, « je fais un métier qui exige qu’on soit très présent sur l’exploitation, y’a des soirs où on finit à pas d’heures, donc ce n’est pas toujours simple ».

Une crise agricole qui n'en finit pas,
et un avenir de plus en plus incertain

Matthieu a du mal à se projeter dans l'avenir. « Moi, j’ai fait le choix de passer en Label Rouge, car ça m’apporte une sécurité au niveau du prix, mais l’avenir est quand même incertain. Les prix diminuent, la consommation aussi, c’est de plus en plus compliqué partout ». Pourtant, il reste convaincu qu’il faut des jeunes dans l’agriculture et que les fermes ne doivent pas être laissées à l’abandon. Pour lui, il faut garder espoir malgré la crise.
« La crise s’est déclenchée au fur et à mesure de mon installation, donc j’ai dû faire avec. Mais ça ne m’a pas vraiment affecté, car dans le bovin, on a toujours eu des hauts et des bas. Mais la crise est bien présente, et j’ai malheureusement beaucoup d’amis laitiers qui ne savent pas ce qu’ils feront l’an prochain. Le secteur du porc et du lait sont les plus touchés, c’est la première fois où c’est vraiment aussi bas ».


L'agriculture tournée vers la modernité

La modernisation du monde agricole est devenue une étape presque inévitable. En effet, les méthodes de travail ne sont pas les mêmes qu'il y a cinquante ans, et les futures générations travailleront elles aussi différemment.
Pour Matthieu, c’est surtout réduire la pénibilité qui est important, « mon projet, c’est de réunir les bêtes au même endroit, avoir un seul site où je pourrais travailler de façon plus opérationnelle, plus commode. Moderniser c’est indispensable aujourd’hui. Par exemple, je compte acheter une caméra pour surveiller si les vaches vêlent, car je n’habite pas sur l’exploitation, et c’est pesant de faire les allers-retours en voiture. En tout cas, dans l’élevage bovin, la modernité passe par les petits équipements qui améliorent le quotidien.

Mais améliorer le quotidien des agriculteurs ne relève pas seulement des équipements. Aujourd'hui, le vrai problème, ce sont les revenus. Et pour y remédier, certains agriculteurs se rassemblent pour vendre leurs produits directement depuis leur ferme, via des supermarchés, ou sur internet. Si ce recours en a aidé certains, cela ne résout pas tout, et Matthieu l’a bien compris.
« C’est une solution mais en partie, car on ne peut pas tous se rassembler, c’est pas possible. Puis, il y a des contraintes, car le temps que l’on passe à mettre en vente ses produits, on ne le passe pas sur l’exploitation. Après, je reconnais que ça fait tout de même partie des solutions, il y en a qui l’ont fait et ça a marché, mais on ne peut pas lutter contre les géants de la grande distribution, c’est eux qui tiennent le marché ».

Aujourd'hui Matthieu est encore un jeune agriculteur, mais un jour il passera à son tour les commandes de son exploitation, « j'espère pouvoir transmettre cette exploitation à mes enfants plus tard, je suis la 4ème génération d’agriculteurs ici à Plaisance, donc j’espère qu’il y en aura une 5ème, mais seul l’avenir nous le dira ».

Bonus : la carte de l'agriculture régionale