Quand Toulouse découvre
une exoplanète

Des astronomes toulousains viennent d'annoncer, dans la revue Nature, la découverte d'une très jeune planète géante. Grâce à des outils conçus et construits à Toulouse. 

Elle s'appelle «V830 Tau b» et c'est le premier bébé planète de la catégorie des Jupiters chauds découvert à ce jour. A 430 années-lumière de la Terre, au cœur de la constellation du Taureau, cette exoplanète tourne autour d'une étoile d'à peine 2 millions d'années sur une orbite 20 fois plus serrée que celle de la Terre autour du Soleil. La découverte de cette jeune géante chaude vient d'être publiée dans la revue de référence scientifique Nature. Elle apporte la preuve que les planètes de cette catégorie apparaissent très tôt dans la phase de formation d'un système planétaire. 

«Nous allons avancer dans la compréhension de la formation des systèmes planétaires et de l'évolution de leur architecture», souligne Jean-François Donati, directeur de recherche CNRS à l'IRAP (Institut de recherche en astrophysique et planétologie, laboratoire mixte de recherche CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier, membre de l'Observatoire Midi-Pyrénées) et premier auteur de la publication. Le repérage de cette planète a été possible grâce à l'utilisation de deux instruments toulousains, conçus et construits à l'IRAP : les spectropolarimètres ESPaDOns et NARVAL, installés sur les télescopes d'Hawaï (TCFH, télescope Canada France Hawaï) et du Pic du Midi (TBL, télescope Bernard Lyot). 



«Ce n'est pas du tout un coup de chance. La technique de modélisation a permis de mettre en évidence la surface de la planète et de reconstruire la surface de l'étoile », glisse Claire Moutou, directrice de recherche CNRS au TCFH et co-auteure de l'étude. Si cette découverte renforce l'expertise du laboratoire toulousain, elle en promet également d'autres avec les spectropolarimètres de nouvelle génération, SPIRou et SPIP. 

Le premier, en cours d'intégration à Toulouse, sera opérationnel à l'automne 2017 à Hawaï. Son jumeau, financé par la région Midi-Pyrénées, rejoindra le sommet du Pic du Midi en 2019. Dotés d'une technologie infrarouge pour travailler dans l'invisible, ils seront les prochains explorateurs de nouveaux mondes.

Emmanuelle Rey

Une exoplanète
c'est quoi ?



Pour repérer la jeune planète géante (V830 Tau b), une équipe internationale d'astronomes a procédé à 48 observations de son étoile (V830 Tau), entre novembre et décembre 2015, depuis Hawaï (TCFH, Télescope Canada France Hawaï) ou le Pic du Midi (TBL, Télescope Bernard Lyot). 

La découverte a été possible grâce aux instruments jumeaux ESPaDOns et Narval, des spectropolarimètres conçus à l'IRAP/OMP. 

«Ils ont mis en avant des variations de vitesse, preuve de la présence très proche d'une planète. Cette technique de vélocimétrie permet de détecter les mouvements de l'étoile induits par la planète. L'étoile étant très active, il a fallu modéliser cette activité, en extraire le «bruit» comme si on voulait entendre un murmure au milieu d'une cacophonie », explique Jean-François Donati. 

La première exoplanète a été détectée en 1995. 

Depuis, le compteur ne cesse de grossir, le site http ://exoplanets.org en affichait hier 1642.

L'IRAP, le labo vedette de Toulouse


L'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) du CNRS (centre national de la recherche scientifique) et de l’université Toulouse III Paul Sabatier est un des plus grands laboratoires français en astrophysique et planétologie. Cette unité mixte de recherche (environ 300 personnels et étudiants) fait partie de l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP). 

La Terre, le Soleil, les planètes, les étoiles, les trous noirs ou encore le Big Bang y sont étudiés par 280 personnes (dont 180 permanents). Le laboratoire toulousain est également tourné vers l’innovation instrumentale pour les observations au sol, dans l’espace et les missions d’exploration du système solaire. Les 300 m2 de salles blanches permettent de développer, d’intégrer et étalonner des instruments destinés à être embarqués dans l’espace à bord d’observatoires spatiaux ou pour des missions d’exploration. 

Les instruments pour les grands observatoires au sol comme le télescope Bernard Lyot du Pic du Midi ou le télescope CFH (Canada France Hawaï) y sont également développés. Les liens avec le Centre spatial de Toulouse (CNES), voisin géographique, sont nombreux ainsi qu’avec les entreprises du secteur spatial de la région. Rover, télescope, ballon C’est à l’IRAP qu’a été construite, avec le support du CNES, la caméra laser ChemCam qui mesure la composition des roches sur Mars à bord du rover Curiosity. 

La prochaine, SuperCam, qui fera de la géochimie et de la minéralogie, est en cours de fabrication dans les salles blanches de l’IRAP. Elle équipera le rover de la mission Mars 2020. L’IRAP développe actuellement SPIRou le spectropolarimètre infrarouge qui sera installé en 2017 sur le télescope CFHà Hawaï. 

Les spectropolarimètres jumeaux ESPaDOnS (CFH Hawaï) et Narval (Télescope Pic du Midi) ont été construits à l’IRAP/OMP en 2004 et 2006. Tous ces instruments sont conçus autour de la même thématique, la recherche d'habitabilité. Enfin, parmi les projets en cours, on peut également citer la mission Pilot, sous la responsabilité et le financement du CNES. 

Elle est née à l’IRAP qui en assure l’exploitation des données. Pilot a pour objectif de mesurer le signal des grains de poussière interstellaires grâce à un instrument placé dans un ballon stratosphérique à 40 km d’altitude. 

Emmanuelle Rey

"A l'échelle humaine, l'étoile de cette exoplanète est un nourrisson d'une semaine"

Jean-François Donati, directeur de recherche CNRS à l'IRAP / OMP est le premier auteur de la publication dans le journal Nature concernant la découverte du plus jeune Jupiter chaud. Après avoir travaillé sur les instruments ESPaDONs et Narval, les spectropolarimètres utilisés dans cette étude, il est aujourd'hui le responsable scientifique de l'outil nouvelle génération SPIRou qui sera installé sur le télescope Canada-France-Hawaï en 2017. 

Parlez-nous de la jeune planète géante que vous venez de découvrir ? 

Il s'agit d'une planète géante, un peu comme Jupiter mais à la différence de cette dernière, elle est très près de son étoile, presque 100 fois plus, elle fait partie des Jupiters chauds. Il ne s'agit pas d'une exoplanète de plus (il y en a à peu près 1600 dont la détection a été confirmée aujourd'hui) mais du plus jeune Jupiter chaud que nous connaissons. 

Les autres Jupiters chauds ont été repérés auprès d'étoiles beaucoup plus âgées, de plusieurs milliards d'années pour la majorité d'entre elles. Celle-ci, baptisée « V830 Tau » (V 830 pour indiquer qu'il s'agit d'une étoile variable, Tau parce qu'elle appartient à la constellation du Taureau) n'a que deux millions d'années, c'est un nourrisson d'une semaine si on le rapporte à notre échelle de vie humaine. Comme l'étoile autour de laquelle elle orbite, cette planète (baptisée « V830 Tau b »), à 430 années-lumière de la Terre, est probablement toujours en formation, et continue de se contracter afin d'atteindre sa taille adulte. 

Qu'apporte votre découverte ?

Elle prouve pour la première fois que les Jupiters chauds peuvent apparaître très tôt dans la vie d'une étoile et nous connaissons peu de choses sur les exoplanètes très jeunes. La première exoplanète découverte, en 1995, était un Jupiter chaud. Ça a sidéré la communauté scientifique qui s'est demandée comment la nature avait réussi à former de tels objets et pourquoi ils migraient vers l'étoile sans finir par y tomber. 

La découverte de « V830 Tau b » permet de dire qu'un Jupiter chaud est capable de se former en 2 millions d'années et cette naissance affecte sans doute toute l'architecture du système planétaire, ce sera l'objet des recherches des prochaines années. « L'étoile étant très active, il a fallu en extraire le bruit comme si on voulait entendre un murmure au milieu d'une cacophonie » 

Comment y êtes-vous parvenu ?

Entre novembre et décembre 2015, sur un mois et demi, nous avons observé 48 fois l'étoile « V830Tau », soit depuis le télescope d'Hawaï (Canada France Hawaï) soit depuis celui du Pic du Midi (TBL, Télescope Bernard Lyot), grâce aux instruments jumeaux ESPaDOns et Narval, des spectropolarimètres conçus à l'IRAP/OMP.

Les observations ont mis en avant des variations de vitesse, preuve de la présence très proche d'une planète. Cette technique de vélocimétrie permet de détecter les mouvements de l'étoile induits par la planète. L'étoile étant très active, il a fallu modéliser cette activité, en extraire le « bruit » comme si on voulait entendre un murmure au milieu d'une cacophonie. 

Cette modélisation est incontournable, c'est notre expertise toulousaine. Va-t-on continuer à étudier « V830Tau b » ? En mars 2017, le télescope spatial américain Kepler doit observer la constellation du Taureau, où elle se trouve. Il pourrait déterminer si la planète transite devant son étoile, ce qui serait une première. Avec la migration d'un Jupiter chaud jusqu'au voisinage immédiat de son étoile, c'est tout le système planétaire en formation qui est perturbé et cette observation permettrait de mieux comprendre l'histoire des systèmes planétaires et leur évolution. 

Cette découverte conforte également le programme SPIRou, le spectropolarimètre en cours de construction à l'IRAP ?

Oui car SPIRou est un spectropolarimètre de nouvelle génération avec des performances améliorées qui permettront d'étudier la naissance des étoiles et des planètes. Pour être plus précis qu'aujourd'hui, il faut aller dans l'infrarouge. SPIRou, installé en 2017 sur le télescope CFH d'Hawaï, sera un des premiers instruments à le faire. C'est un programme que je défend depuis plusieurs années. 

C'est génial d'apprendre quelque chose de fondamental sur la formation des planètes

Êtes-vous un chercheur comblé aujourd'hui ?

C'est excitant de faire des découvertes et le métier d'astrophysicien est assez enthousiasmant pour ça ! Pour découvrir planètes et étoiles, nous effectuons des constructions intellectuelles, comme un jeu de piste. Cette chasse au trésor était difficile, les étoiles jeunes sont très actives (taches cent fois plus grosses que le Soleil et des éruptions monstrueusement plus violentes) et cette activité s'acharne à cacher le signal des planètes autour. 

C'est génial d'apprendre quelque chose de fondamental sur la formation des planètes, juste en décodant un message de lumière d'une étoile ! La communauté des exoplanètes est en plein développement, elle est hyper dynamique mais aussi très concurrentielle... 

C'est toujours mieux d'être les premiers ! 

Propos recueillis par Emmanuelle Rey

"Quand Toulouse découvre une planète". Un long format de la rédaction de La Dépêche du Midi. Textes : Emmanuelle Rey. Mise en page : Philippe Rioux. Photos : CNRS ; IRAP ; NASA ; Mark Garlick ; DDM, Nathalie Saint-Affre. Vidéos : SAM Network ; DDM, Manon Haussy, Pierre Vincenot. Infographie : La Libre Belgique.