Fukushima : quelles leçons cinq ans après ?

Il y a cinq ans, le 11 mars 2011, le monde entier suivait en direct à la télévision l'avancée d'un tsunami dévastateur sur le Japon, consécutif à un séisme de magnitude 8,9 sur l'échelle de Richter. La stupeur devant l'immense vague de 15 mètres de hauteur, balayant tout sur son passage, s'est alors transformée en terreur lorsque celle-ci a inondé la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. C'était le début d'une des plus grandes catastrophes nucléaires dans un pays que l'on pensait très sûr avec ses 54 réacteurs. Le début aussi d'une nouvelle donne : le débat entre pro et anti-nucléaires qui se focalisait souvent sur la gestion des déchets radioactifs s'est déplacé sur la sécurité des centrales elles-mêmes.

18000 morts, 400 000 déplacés

Ce terrible drame a causé la mort de plus de 18 000 personnes – chiffre hélas provisoire – et provoqué le déplacement de quelque 400 000 Japonais. Cinq ans après, et alors que les questions de santé publique et de décontamination sont toujours pendantes, le Japon semble déchiré entre l'envie de tourner la page, voire d'oublier le drame, et celle de changer de vision par rapport au nucléaire. Cette dualité de la 3e puissance économique mondiale s'est illustrée hier par les voix de deux hommes. D'un côté Naoto Kan, Premier ministre au moment de la tragédie, a radicalement changé d'opinion sur l'atome : de fervent partisan des centrales, il est devenu une figure anti-nucléaire, en phase avec l'opinion publique. Il dénonce l'opacité de Tepco, l'opérateur de la centrale de Fukushima dépassé par les événements en mars 2011, et prône désormais le recours aux énergies renouvelables.

De l'autre côté, l'actuel Premier ministre, Shinzo Abe, a expliqué hier que le Japon «ne peut pas se passer du nucléaire.» «Notre pays pauvre en ressources ne peut se passer de l'énergie nucléaire pour se garantir un approvisionnement régulier en énergie, tout en tenant compte des considérations économiques et du changement climatique», a-t-il déclaré en plein débat sur la relance des réacteurs.

C'est que depuis 2011, sur les 43 réacteurs restants dans l'archipel, seulement deux sont en service depuis que la justice a ordonné mercredi à la compagnie d'électricité japonaise Kansai Electric Power de stopper pour raisons de sécurité deux réacteurs de Takahama qui venaient à peine d'être relancés.

S'il est une leçon de la catastrophe de Fukushima qui a été retenue, c'est désormais bien celle d'une prise de conscience accrue sur les questions de sécurité. Comme un principe de précaution qui s'impose au Japon comme ailleurs dans le monde.

Philippe Rioux

«Ce qui s'est passé là-bas est aussi effrayant que fascinant»

François-Xavier Ménage, ancien grand reporter pour BFMTV, présentateur et rédacteur en chef adjoint de Capital sur M6, vient de publier « Fukushima, le poison coule toujours », Ed. Flammarion Document. 335 pages. 19 €.


Cette année, pour le 5e anniversaire de la catastrophe de Fukushima, on a l'impression qu'il y a davantage de prise de conscience sur le nucléaire. Partagez-vous ce sentiment ? 

En France en tout cas, oui. Après c'est vrai que côté japonais, c'est toujours saisissant de voir que 70 % de la population continue de dire non au nucléaire et que la classe politique dit non on continue, le nucléaire, il le faut. Il y a un vrai antagonisme là-bas et je ne pense pas que les choses aient fondamentalement changé. Vous avez été l'un des premiers envoyés spéciaux français sur place. 

Quel est votre souvenir le plus marquant sur ce reportage qui est peut-être celui de votre vie ? 

Ce sera certainement le reportage de ma vie, car je pense que je vais y aller encore une somme incroyable de fois. J'aimerais pourvoir y aller chaque année, en reparler dans dix ans, pouvoir suivre les gens que je connais là-bas, les mesures de radioactivité. Je ne suis ni pro ni antinucléaire mais je suis fasciné par ce qui s'est passé là-bas, parce que c'est à la fois effroyable et fascinant. Ce qui m'a le plus marqué est assez anecdotique. On était au pire moment de la catastrophe, on ne le savait pas encore. Mais ce jour-là on recevait des messages qui disaient qu'il ne fallait pas rester dehors surtout s'il y avait de la pluie ou de la neige, car les particules radioactives peuvent tomber et se fixer plus facilement. Au moment où l'on me rapportait ces consignes au téléphone, j'étais à 80 km de Fukushima et j'ai vu un couple de Japonais partir faire tranquillement son jogging en respirant à plein poumons… Ce décalage m'a beaucoup frappé. Je garde aussi une image très forte : celle d'un dosimètre qui se met à crépiter dans tous les sens parce que le taux de radioactivité, trois ans après dans un fossé de la zone rouge, était encore incroyablement élevé. La première fois qu'on vit ce genre de choses, on se dit qu'on est face à un ennemi invisible… Et cela me renforce dans l'idée de continuer à évoquer cette catastrophe. 

On a vu certaines campagnes de communication inciter les gens à manger des légumes de Fukushima pour soutenir la région. Et de l'autre, vous racontez cette association qui contrôle le taux de radioactivité des aliments. C'est cette dualité aujourd'hui le Japon ? 

Cette association – et on peut le comprendre – ce sont des mères de famille qui sont plusieurs dizaines et qui disent : nous, on veut contrôler nous-mêmes notre nourriture et celle de nos enfants parce qu'on n'est pas sûr que les autorités japonaises font leur boulot à fond. Elles décident elles-mêmes d'acheter du matériel pour ça. On se rend compte qu'il y a à la fois un peu de débrouillardise des uns et des autres et en même temps un État japonais qui a fait son boulot au maximum. 

Quelles leçons peut-on retenir de cette catastrophe, notamment pour les États qui ont des centrales nucléaires ? 

Il y a une leçon qui a déjà commencé à être tirée, mais les conséquences n'en sont pas encore visibles. A Fukushima, on a eu une double catastrophe, alors qu'en général, par le passé, les centrales essayaient de parer à plusieurs types de catastrophes, mais l'une après l'autre. Soit on avait le scénario du séisme, soit du tsunami, etc. Maintenant, en France, dans les centrales, on envisage le fait qu'il y ait des coupures généralisées de courant, des tempêtes avec des vents de 160 km/h et un séisme le tout en même temps. Sur ces scénarios-là, c'est assez étonnant de voir que lors des décennies passées on n'y réfléchissait pas. 

Il y a aussi la question du démantèlement des centrales, à l'heure où en France et aux États-Unis, on envisage de prolonger leur durée de vie ? 

Cela pose effectivement des questions pour le prix. On a tous en tête le fait que si les centrales gardent une durée de vie de 10 ans supérieure, cela va coûter 55 milliards. Aujourd'hui, qui a l'argent ? Je ne suis pas persuadé qu'EDF ait 55 milliards dans ses caisses pour assumer ce coût. L'autre question qui va se poser est que ces centrales ont été fabriquées pour une durée de vie de 40 ans. Aujourd'hui est-on certain qu'elles peuvent tenir 50,60, 70 ans ? Personne n'a la réponse. Après il ne faut pas tomber dans le scénario catastrophe, mais le gendarme du nucléaire a dit qu'il y avait des inquiétudes à court et moyen termes. Pour le nucléaire, on voit que rien n'est simple.

Propos recueillis par Philippe Rioux

Des chercheurs toulousains mobilisés

Lors de l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima, d'importantes quantités de radionucléides ont été rejetées dans le Pacifique Nord-Ouest. Parmi ces rejets, le césium 137 est particulièrement surveillé, en raison de sa période (30 ans de demi-vie) nettement plus longue que celles des autres radionucléides rejetés.


Une équipe de chercheurs du Laboratoire d'aérologie (CNRS, Université Paul-Sabatier) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de la Seyne-sur-Mer a développé un modèle pour estimer le niveau de radioactivité du plancton du Pacifique Nord-Ouest, suite à l'accident de Fukushima. Au moment du maximum des rejets et au voisinage de la centrale, ce niveau de radioactivité est resté bien en deçà du seuil officiel de nocivité pour les organismes marins.

Avec ce nouveau modèle, les scientifiques disposent désormais d'un outil d'estimation et de prévision des concentrations en radionucléides du plancton et des doses absorbées par le plancton marin dans des situations de crise, suite à des rejets de centrales nucléaires. Il s'agit d'une première étape avant de modéliser le transfert de la contamination dans la chaîne alimentaire incluant les poissons planctonivores et piscivores.

Des cartes pour comprendre

Quelle est la zone rouge autour de la centrale ? Quels sont les niveaux de radiations ? La réponse en infographies.

L'accident de Fukushima classé 7








La situation aujourd'hui


Avant/Après le drame en photos

Ces photos ont fait le tour du monde : des paysages détruits, ravagés par une vague de 15 mètres et dès l'année suivante, la reconstruction dans certaines zones et surtout une décontamination difficile de la terre dont on ne sait pas quoi faire...










Fukushima 5 ans après. Un long format de La Dépêche du Midi. Mise en forme : Philippe Rioux. Infographie : agence Idé. Photos : DR et AFP.