Clown de légende

Coluche, 30 ans après

C'est un héros aux multiples facettes. Enfoiré au grand cœur, homme politique d’un instant, maître de l’humour corrosif et potache, comique dramatique, roi du bitume fauché en plein vol. Le 19 juin 1986, la France est sous le choc. Michel Colucci, dit Coluche, meurt dans un tragique accident de moto, à l’âge de 41 ans. « Putain de camion », regrettera son ami Renaud dans une chanson-hommage. Trente ans plus tard, il reste une figure populaire incontestable… et incontestée. Les documentaires se multiplient et glorifient le personnage, saint des saints, roi de la provocation et de « ceux qui n’ont plus rien ». Le comique est devenu un mythe.

Pourtant, il n’a pas toujours eu l’aura magnétique qu’on lui connaît aujourd’hui. De son vivant, le trouble-fête dérange. Il est détesté et souvent menacé. Certains n’apprécient pas son humour subversif et son implication politique, notamment sa candidature à l’élection présidentielle de 1981. Mais le clown est aussi triste. Toujours entouré de sa bande de potes, l’humoriste n’aime pas la solitude et traverse des périodes sombres. Coluche était bien un homme avant d’être une icône, complexe et torturé, avec ses tares et ses faiblesses.

Poésie de la bêtise

Coluche tente de jouer du violon avec des gants de boxe. (DEVILLE CHRISTIAN/SIPA)

Le fils d'immigré italien a acquis son surnom auprès de ses camarades de classe, à Montrouge, explique Sandro Cassati dans la biographie « Coluche, du rire aux larmes ». Forte tête, le petit Michel contredit ses professeurs et amuse les autres avec ses pitreries. Sans doute était-il prédestiné à faire rire. Ce costume de clown, il lui colle à la peau. Littéralement. Dès ses débuts sur scène, Coluche adopte la salopette bleue, clin d’œil à ses origines populaires, le tee-shirt jaune et le nez rouge qui l’identifient aux yeux du public. Si l’homme est difficile à saisir, le personnage, lui, est reconnaissable entre mille.

Coluche fait ses débuts au Café de la gare, fourmilière de nouveaux talents comme Miou-Miou, Patrick Dewaere, Renaud ou Gérard Depardieu. C'est en 1974 qu’il se lance en solo avec son one-man show Mes adieux au Music Hall. Dans l’attente des résultats de l’élection présidentielle, il déclame « L’histoire d’un mec » à la télévision. C’est un sketch absurde mais hilarant, qui détonne dans le paysage audiovisuel de l’époque, d’ordinaire tiré à quatre épingles.

Le grand public le découvre sous les traits d'un benêt attachant, qui débite son histoire drôle avec difficulté. Ce personnage un peu beauf, grossier « mais jamais vulgaire » selon le comique, deviendra sa marque de fabrique. Avec sa « poésie de la bêtise » revendiquée, le style Coluche est né.

« Je ne joue que des cons, parce que j'ai le sentiment que le mal du siècle, c'est la connerie »

D'emblée, le clown en habits d’ouvrier ne fait pas l’unanimité. Les plus âgés n’apprécient guère son humour outrancier. Il faut dire que Coluche n’épargne personne. Les flics, les hommes politiques, les racistes, et surtout, les cons, sont ses cibles favorites. Ces personnages, Coluche les met en scène, les incarne pour mieux les dénoncer. 

Un mec qui dérange

Coluche candidat à l'élection présidentielle française en 1980. (GINIES/SIPA

Rapidement, le provocateur est omniprésent. Sur scène, mais aussi à la télévision, au cinéma, à la radio. Ultra médiatisé, Coluche fréquente le milieu du show-biz, les chanteurs, les acteurs de renom, ses amis journalistes de Charlie Hebdo. Il est devenu incontournable, mais il agace.


Le Figaro le qualifie de « Rimbaud du pipi-caca » et L'Express le désigne comme « l’idéologue de la chienlit », rappelle le documentaire Coluche : le bouffon devenu roi de Didier Varrod et Nicolas Maupied. Au-delà de la presse, le milieu de l’humour n’est pas unanime. En 1983, Michel Polac consacre son émission Droit de réponse à la question : « Peut-on se débarrasser de Coluche ? ». Au cours du débat, le jeune humoriste Jean-Yves Lafesse lance « Tu ne nous fais plus rire » au comique. Décontenancé, Coluche quitte le plateau sous les insultes.

La provocation atteint son paroxysme lorsque Coluche devient candidat à l'élection présidentielle, rebaptisée « érection pestilentielle » par l’anarchiste de conviction le 30 octobre 1980. Il est alors interdit de médias, après avoir critiqué Valéry Giscard d’Estaing sur Europe 1 et lancé « Bonjour. Nous sommes en direct du rocher aux putes » sur RMC. Privé de voix sur les ondes, il décide de prendre la parole autrement.  Son slogan de campagne ? « Tous ensemble pour leur foutre au cul avec Coluche. » Ce ne devait être qu’une farce, mais l’affaire devient sérieuse.

« J'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. »

Coluche rallie une partie des intellectuels et de nombreux Français, qui se reconnaissent dans son discours à l’attention des oubliés. Charlie Hebdo relaie ses affiches de campagne. Il est crédité en quelques mois de 16% d’intentions de vote. La gauche et la droite sont inquiètes, le comique reçoit des menaces de mort. Ses amis sont nombreux à lui recommander d’arrêter cette blague. « Je suis contre [la candidature de Coluche], car il ne faut pas galvauder la fonction du président », affirme alors Wolinski, dessinateur de Charlie Hebdo. Devant la tournure que prend sa candidature, Coluche la retire finalement en avril 1981.

Le masque du clown

Coluche et Agnès Soral dans le film "Tchao Pantin"  (NANA PRODUCTIONS/SIPA)

Débute une période sombre dans la vie de l'humoriste. Sa femme le quitte, emmenant avec elle leurs deux enfants. Son meilleur ami, Patrick Dewaere, se suicide le 16 juillet 1982 avec la carabine que Coluche lui a offert. Dévasté, le comique fait ses adieux à la scène et sombre dans la dope et la dépression.

Ce mal-être, le public le découvre dans le film Tchao Pantin de Claude Berri, qui sort en salles en décembre 1983. L'acteur y joue le rôle d’un pompiste alcoolique et dépressif qui se lie d’amitié avec un jeune dealeur. Un film très noir, qui fait écho à l’état d’esprit de Coluche à cette période. Le réalisateur exploite ses fêlures et le met à nu : à l’état brut, sans artifices, il fait sensation.

Ce film dramatique signe un tournant dans la carrière de l'acteur, alors habitué aux rôles comiques. Il obtient le César du meilleur acteur en 1984. Lors de la remise des prix, il se montre pourtant très critique envers l’académie et affirme qu’elle ne prime que des films dramatiques. Finalement, il préfère continuer à faire rire.

Mais Coluche a fait tomber le masque du clown. Derrière le pitre se cache un homme souvent excessif, flirtant avec l'autodestruction. Dans l’émission Le Jeu de la vérité, en 1985, il se confie sur son rapport aux substances illicites. « Pourquoi j’ai bu et pourquoi je me suis drogué ? Je crois que c’est parce que de toute manière, je suis de nature excessive, et si je fais un truc, je le fais trop », répond Coluche à un invité qui lui posait la question. Fan de moto, il bat le record du monde du kilomètre lancé en 750 cm3 en 1985. Coluche va toujours plus vite, toujours plus loin. C’est aussi ce qui causera sa perte.

Inoubliable enfoiré

Coluche sur Canal Plus (GINIES/SIPA)

Après ses années d'errance, Coluche redevient ce qu’il a toujours été : un homme de combat. Après son bref passage en politique, il s’engage cette fois sur le terrain. Il prône la tolérance dès 1984 en participant à la création de SOS racisme, et organise l’année suivante un faux mariage entre l’humoriste Thierry Le Luron et lui-même, déguisé en femme. Avant-gardiste et visionnaire, il préfigure le mariage homosexuel dans une France encore engoncée dans ses traditions, près de 30 ans avant le Mariage pour Tous.

Mais son fait d'armes le plus accompli, celui qui le consacre comme héros populaire, c’est bien sûr la création des Restos du Cœur. Le lendemain du faux mariage, il lance sur Europe 1 un appel à la générosité pour les plus démunis. Puis, en décembre 1985, il demande à Jean-Jacques Goldman de créer une chanson qui fédère autour des Restos du Cœur. Avec une poignée de célébrités, Michel Drucker, Nathalie Baye ou Yves Montand, le tube est créé. Quelques mois plus tard, Coluche meurt, mais le projet perdure : les Restos du Cœur et les Enfoirés sont, encore aujourd’hui, une véritable institution.

C'est indéniable, Coluche aura marqué son époque et laisse une mine d’or en héritage. S’il n’est pas le saint qu’on présente trop souvent, il aura été tour à tour humoriste, acteur, chanteur, animateur radio, champion de moto, politique incorrect et engagé de toutes les causes. Sa vie est si riche qu’on s’y perd un peu. Une séquence du documentaire Coluche, le bouffon devenu roi, montre le témoignage d’un vieil homme après la mort de l’humoriste. Interrogé par les caméras de télévision, il dit du comique qu’il est « mal élevé ». Puis en apprenant sa mort, il ajoute, un peu gêné, qu’il avait « un grand cœur ». Un mal élevé au grand cœur. C’est peut être, finalement, ce qui le résume le mieux.

Clémence Simon

Photo de couverture : Coluche lors de son show télévisé sur Canal+ en 1985.(MICHEL GANGNE / AFP PHOTO)